ARTICLE11
 
 

jeudi 26 avril 2012

La France-des-Cavernes

posté à 15h38, par Joseph Ponthus / Ex-Ubifaciunt
7 commentaires

Les fleurs du mâle

Chroniques d’un intervenant social au cœur d’une maison d’arrêt de la banlieue parisienne. Aujourd’hui, c’est le deuxième jour de taf à la taule et l’on commence sérieusement à éprouver toutes les contradictions de la prison. Tout ce qui n’est pas loin d’en faire son « charme », aussi. Quand on sait qu’on va en sortir le soir, bien sûr...

Le bureau est situé dans l’aile d’un bâtiment où se trouve le « quartier socio-éducatif ». Des cellules refaites en salles de cours, une salle de répèt où des instruments désaccordés ne trouvent guère preneurs, un petit studio radio d’où l’on peut envoyer des messages aux proches, dehors, lors de l’émission hebdomadaire ; et la bibliothèque, surtout, au bout du couloir.

Celle-ci n’est pas libre, pas plus que tout le reste derrière les murs. Les personnes incarcérées doivent faire la demande pour pouvoir s’y inscrire – l’attente peut être longue – et avoir le droit, une fois la semaine, d’emprunter des bouquins. Quand on emprunte. Car souvent, la bibli, c’est l’endroit idéal pour se retrouver entre potes, discuter un peu pépère entre les rayonnages consacrés à la psychologie ou à l’horticulture, les journaux ou les grands romans du XIXe ; ou rouler des joints.

La porte du bureau est souvent ouverte et donne sur le couloir menant à la bibli. Fenêtre vue sur cour. Le terrain de foot / basket / hand d’un bâtiment, quatre étages de fenêtres strictement grillagées, un mirador. Des détritus qui s’amoncellent au sol, barquettes en alu avec le restant de la bouffe proposée aux taulards, paquets de clopes, sacs plastiques, ballons crevés, yoyos1 n’ayant pas atteint leur destination. Quelques détenus qui font du sport.

Ils sont obligés de passer devant le bureau pour aller à la bibli. Du coup, avec certains, on se présente, on cause un peu. D’où ils viennent, ce que j’ai fait avant de débarquer ici. La semaine dernière, on lisait le dernier numéro du Canard enchaîné en riant sur les deux histoires de prison racontées dans le palmipède2. On commence à se connaître, vite fait.

*

10 heures. Le surveillant du socio m’ouvre la grille. Mehdi est déjà là. On se tombe dans les bras. La dernière fois qu’on s’était vus, c’était à Versailles, en salle d’audience, pour l’appel des sept ans qu’il avait pris. J’étais encore éduc. Déjà incarcéré, il n’était que prévenu. C’était il y a moins de deux mois.

Les places ont changé. Maintenant, j’ai mon bureau ici, deux fois par semaine. Et il est condamné. Je lui demande s’il est satisfait du délibéré, six ans, avec un an de sursis mise à l’épreuve. Ça va, dit-il, c’est mieux que rien. Avec l’année sous mandat de dépôt qu’il a déjà faite, il a la possibilité de bénéficier de permissions de sortir dans plus d’un an, d’être en conditionnelle d’ici deux bonnes années, si tout se passe bien.

D’ici-là, il aura demandé son transfert en CD3, fini sa première formation en espaces verts, bien avancé sur ses cours par correspondance en français, en maths et en anglais. Il va même s’inscrire à la formation informatique, elle a l’air intéressante.

On ressort du bureau, il me présente aux détenus qui traînassent dans le couloir. « Voilà, c’est Joseph, avant c’était mon éducateur. Si y a quoi que ce soit, n’hésitez pas à lui demander et, surtout, prenez soin de lui  ». Les gars me lorgnent, m’examinent, rechouffent Mehdi, opinent.

C’est que c’est une belle tête, Mehdi, dans tous les sens du terme. Il sortait de trois ans de cabane quand il est retombé moins d’un an plus tard pour stups en état de récidive légale. Et pour le coup, ça se chiffrait en kilos de coke.

Il s’en va, ayant des trucs à faire, et deux loustics font déjà la queue devant le bureau. On se présente et on voit ce sur quoi on va pouvoir bosser.

Fin de la matinée.

Bouffe au mess avec les matons, les conseillers d’insertion et de probation du SPIP4, les intervenants extérieurs, les personnels administratifs de la maison d’arrêt. Les tablées ne se mélangent guère. Chacun sa place.

L’aprème est plutôt calme. Deux gars avec lesquels on cherche des formations et pour qui on dégote des rendez-vous pour une demande de perm.

Je zone un peu avec eux dans le couloir. Ils partent fumer une clope dans ce qui devait être une cellule, vide, sans fenêtre mais avec grillage. Je vais m’en griller une aussi. Nous rejoint un gars, sortant de la bibli, stock de bouquins à la main, et un autre, de je ne sais où. Ils ferment la porte.

Je me présente aux deux nouveaux, explique ce que je fais là, comment on pourrait bosser ensemble s’ils ont des idées de boulot, ou même s’ils n’en ont pas.

« Ah, mais t’es le remplaçant de Madame I*** ?
- C’est ça... En fait, je fais un remplacement maternité, je suis là pour huit mois maxi.
- Avec ou sans les RPS
5 ? »

Éclat de rire général. Ça doit sembler suspect au surveillant qui ouvre la lourde et vient voir si tout se passe bien. Du coup, je fais comme si de rien n’était et demande au gars les bras chargés de bouquins ce qu’il a pris à lire.

« Les Fleurs du mal. Je sais pas si vous connaissez, mais c’est des poèmes. Parce que je veux écrire des poèmes à ma copine ce soir et j’espère que ça m’inspirera un peu. Après, y a un truc que j’ai pas bien compris en lisant la présentation, c’est que je ne sais pas si c’est un ouvrage de poésie ou un recueil de poèmes, franchement, j’imagine un peu la différence mais si vous pouviez m’aider... »

Après deux bonnes secondes d’étonnement, on en vient à causer de la différence entre recueil extérieur choisi par un compilateur, poèmes mis bout à bout sans logique, et ouvrage de poésie qui se veut cohérent, logique, pensé. Deux des trois autres loulous interviennent dans le débat.

«  Mais pourquoi ils écrivaient beaucoup plus des poèmes à l’époque ? »

On parle de poésie, de chansons, de rap ; je leur explique que c’est l’industrie qui fait la diffusion d’un produit, que c’est le disque qui permet à la chanson de véritablement se développer, que les strophes c’est un peu les couplets et les refrains et que l’alexandrin, c’est les seize mesures royales des textes de rap qu’ils écoutent tous les jours.

Le dernier détenu semble n’en avoir rien à foutre et interrompt le débat.

« Sinon, Monsieur, vous préférez les blondes ou les brunes ? »

Nouveau léger temps d’étonnement, ça ressemble plus aux bonnes vieilles techniques de provoc et de test des gamins de la cité.

« Pourquoi vous me demandez ça ?
- Non, parce que je peux vous arranger un coup. Mais pour ça faudra être gentil. La semaine prochaine, vous avez rencard avec un de mes potes dehors. Il vous file du shit – vous pouvez en garder un peu pour vous, ça se voit que vous fumez – et comme vous passez pas par la fouille normale, ne vous inquiétez pas, ça sonne pas, et ben on se retrouve ici, pépère, et quand vous ressortez, je vous promets une blonde – ça se voit que vous bandez sur les blondes – une tepu6, oh là là, elle vous fait tout mais alors tout ce que vous voulez, voilà, rien que je vous dis ça, je sais déjà que vous êtes en train de bander et tous les trucs que vous allez lui faire... »

J’éclate de rire. Merci, mais non, vraiment.

« Quoi, vous êtes un mec du BdB ???
- Pardon ?
- Un mec du Bois de Boulogne, quoi. Vous préférez les trucs bizarres... 
 »

Difficile de ne pas se marrer à nouveau. Tâcher de garder une contenance, d’autant que ça a un peu l’air de l’énerver, notre ami, et qu’il ne semble pas commode quand il met des petits coups de pression. Heureusement, les trois autres gars se font tourner le Baudelaire et une clope, attendant visiblement de reprendre une conversation qui leur siérait plus.

« Non, mais si c’est ça, mon pote il peut même vous filer des thunes, hein, pas de souci, n’empêche que la blonde, franchement... 
- Désolé, Monsieur, mais pas de ça avec moi. Je suis là pour bosser, avec vous si vous voulez, discuter sans souci, mais pas de ça. 
 »

Ouais, franchement, il abuse le collègue, dit le mec au Baudelaire. Il est un peu foufou, et puis la prison, ça ne l’arrange pas. Mais faut pas s’inquiéter, des comme ça, y en a quelques uns, et puis voilà quoi, c’est pas leur faute, ils sont en chien, c’est tout...

L’heure tourne, le socio va fermer, il faut remonter en cellule. Je fais un bout de chemin avec Baudelaire et son codétenu. On se salue, se disant à bientôt.

« Au fait, Monsieur, vous serez là mercredi prochain ?
- Ben oui, bien sûr, et lundi aussi.
- On pourra se revoir ? Parce que, franchement, c’est sympa de pouvoir discuter poésie et d’apprendre un peu des trucs comme ça...
- Pas de souci, d’ici-là, écrivez bien. Écrivez, écrivez.
- Oui, Monsieur, et on sait jamais, je pourrai vous montrer pour que vous me disiez ce que vous en pensez ?
 »



1 Système artisanal composé d’un lacet de drap relié à une bouteille de plastique lestée qui permet d’échanger divers objets via les fenêtres des cellules.

2 Cf « Drôle de taf », in numéro 9 d’Article 11, avril-mai 2012.

3 Les centres de détention (CD) se différencient des maisons d’arrêt en ce sens qu’ils ne reçoivent que des personnes condamnées à un minimum d’un an de prison ferme et présentant les perspectives de réinsertion les meilleures. Par ailleurs, les conditions de détention sont moins pénibles qu’en maison d’arrêt (cellules individuelles, circulation moins restrictive dans les bâtiments...)

4 Les SPIP sont constitués d’une branche « milieu fermé » et d’une autre « milieu ouvert ». Le milieu fermé intervient en prison et vise à assurer la prise en charge sociale des détenus, à maintenir le lien avec la famille et à proposer des projets de réinsertion professionnelle à l’issue de la période de détention. Le milieu ouvert, quant à lui, reçoit les personnes bénéficiant d’un aménagement de peine ou celles soumises à une mise à l’épreuve. Il s’agit d’éducateurs ayant reçu une formation complémentaire de deux ans assurée par le ministère de la Justice.

5 Réduction de peines supplémentaires accordées en cas de « bonne conduite ».

6 Pute, en verlan.


COMMENTAIRES

 


  • vendredi 27 avril 2012 à 10h32, par Laffreux

    Merci.
    Put..., ouais.

    Juste MERCI.

    • vendredi 27 avril 2012 à 22h39, par Joseph Ponthus

      Bah, de rien, c’est surtout eux qu’il faut remercier...



  • vendredi 27 avril 2012 à 14h03, par Fablyon

    Bon va falloir que ça cesse un jour ! Laisser croire que les embastillés sont des gens humains et capables de lire, n’allez quand même pas me dire qu’en plus vous les pensez capable de sentiments ?

    La phrase ci dessus aurait pu être écrite par un fan de Hollande ou de Sarkozy. Climat de merde en ce moment, et ça ne sent pas bon. Heureusement qu’un texte comme celui proposé ci dessus nous rappelle que l’humanité ça existe encore.

    MERCI !

    • vendredi 27 avril 2012 à 22h41, par Joseph Ponthus

      Ouf, Fab, tu m’as fait peur à la lecture du premier paragraphe... Heureusement que la suite est venue, bordel !!!

      • mercredi 2 mai 2012 à 09h05, par Fablyon

        Désolé je ne voulais pas te faire « peur » ;)

        Mais j’entends tellement cela ! Des gens « bien de gauche comme il faut » capable du plus grand mépris social (et humain) au nom de la sauvegarde de je ne sais quel fantasme...

        Et aujourd’hui, par opposition à l’agité qui nous gouverne on vend du saint Hollande en ne lisant même pas son programme, pourtant tout aussi dégueulasse sur la vision de la prison (et des CRA) que celui de l’actuel...

        Tu apportes beaucoup par ta vision des choses, et la chronique de quotidiens pas simples. Continue, car par toi d’autres voix passent, celles que l’on interdit de citer dans nos médias aux ordres, et qui de toute façon n’intéresse que ceux qui ont encore de l’humain à offrir, et pas de la faconde pseudo-gauche avec I-pod et bretzel sans sel...

        Fab



  • vendredi 27 avril 2012 à 18h43, par Isatis

    Ben dis-donc… Ouch… Baudelaire comme rattrapage à la branche, l’est costaud le gamin ! Récit tout sensible sans trop ni trop peu…

    • vendredi 27 avril 2012 à 22h48, par Joseph Ponthus

      Mouaip’, écrire des poèmes d’amour avec Baudelaire pour modèle, je crois que la gisquette risque plus de se taper un coup de spleen que de love, mais bon, s’agissait pas de le contrarier non plus, le loustic...

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