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mercredi 25 mai 2011

Entretiens

posté à 15h27, par Lémi
9 commentaires

Olivier Le Cour Grandmaison : « 2007 a clairement marqué l’avènement d’une xénophobie d’état »
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On ne compte plus les sorties et mesures racistes des (successifs) gouvernements Sarkozy. D’Hortefeux à Guéant ou Wauquiez, l’heure est à la xénophobie d’État décomplexée. Olivier Le Cour Grandmaison, spécialiste de l’histoire coloniale et partie prenante du collectif « D’ailleurs nous sommes d’ici », dresse un bilan terrible des politiques migratoires actuelles. Et invite à réagir. Vite.

Sa dernière sortie date du 22 mai. Au micro d’Elkabbach, le protégé du président exprimait le fond de sa pensée : « Contrairement à une légende, il est inexact que nous ayons besoin de talents, de compétences [issus de l’immigration]. […] Il y a en France de la compétence parmi les Français. » Pour Claude Guéant, sinistre de l’Intérieur, c’est bien dans les vieux pots frontistes qu’on fait les meilleures soupes électorales. Tout comme pour ses homologues gouvernementaux - Hortefeux powa. Le FN n’a pas le monopole du « La France aux Français », qu’on se le dise. Xénophobie d’État même plus déguisée, avalisée par l’assourdissant silence de la gauche parlementaire et des médias aux ordres.

Voilà pourquoi l’initiative du collectif « D’ailleurs nous sommes d’ici » mérite un large soutien. L’objectif est simple : créer un vaste front antiraciste pour contrer le discours dominant en matière d’immigration. Avec pour prochaine échéance une grande manifestation, à Paris et en province, le samedi 28 mai1.

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Pour en parler et récapituler le désastre xénophobe en cours, en France comme en Europe, on a rencontré Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire spécialiste de l’histoire coloniale3 et militant très engagé dans l’initiative en question. Entretien.

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L’élection de Sarkozy a-t-elle entrainé une rupture immédiate en matière de politiques migratoires ?

Son arrivée au pouvoir en 2007 a clairement marqué l’avènement d’une xénophobie d’État décomplexée. Pendant sa campagne déjà, les discours tenus et les représentations entretenues faisaient de l’étranger la source de nuisances multiples : troubles publics, menaces sur les biens et les personnes, danger pesant sur le pseudo concept d’identité nationale... Si l’on peut définir la xénophobie comme l’ensemble des discours, textes et pratiques qui font de l’étranger la cause de maux divers, force est donc de constater que nous sommes bien aujourd’hui confrontés à une xénophobie d’État.

À l’inverse de situations antérieures, ces discours et représentations se sont traduits dans les faits par une politique publique assumée par les élites politiques, administratives et policières françaises. Elle se matérialisa, peu après l’élection de Sarkozy, par la mise en place de ce ministère au nom et aux fonctions abracadabrantes – le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Un organe sans précédent dans l’histoire de la république et sans équivalent européen. Aucun gouvernement en Europe, même parmi les plus réactionnaires – je pense par exemple au gouvernement de Berlusconi, qui s’appuie pourtant sur une coalition au sein de laquelle se trouve la Ligue du Nord, une organisation ouvertement raciste, islamophobe, sexiste et homophobe –, n’avait jusqu’alors osé adopter ce type de dispositif.

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La création de ce ministère annonçait la mise en place d’un véritable plan quinquennal d’expulsions : entre 28 000 et 30 000 expulsés par an. Sachant que pour expulser 30 000 personnes, il faut en arrêter trois fois plus, cela veut dire que, dans la douce France de Nicolas Sarkozy, on arrête près de 100 000 personnes par an pour des motifs migratoires. Une récente enquête, menée par deux chercheurs du CNRS, a montré qu’en région parisienne, la probabilité de se faire arrêter est entre six à huit fois plus élevée si on est de type maghrébin ou franchement noir que si l’on est de type européen. Ces pratiques témoignent - entre autres - de l’avènement de la xénophobie d’État, par le biais de la multiplication de contrôles au faciès de type raciste. Au moment où l’enquête a été rendue publique, Éric Besson, alors ministre de l’Immigration, n’a opposé aucun démenti. Ce qui veut dire que les élites politiques, administratives et policières considèrent aujourd’hui qu’il est parfaitement normal de recourir à ces pratiques pour réaliser les objectifs d’expulsion.

La gradation vers le pire semble sans fin...

Un certain nombre de commentateurs ont vu la suppression du ministère de l’Identité nationale, en novembre 2010, comme la résultante de la faillite du pseudo débat sur l’identité nationale. Ils estimaient que cela allait déboucher sur une inflexion des politiques migratoires. La nomination de Claude Guéant au poste de ministre de l’Intérieur prouve qu’il n’en est absolument rien : elle correspond à une forme de radicalisation dans la radicalisation, avec la fixation de nouveaux objectifs. Guéant a déclaré très clairement que son ambition n’était plus seulement de s’en prendre aux immigrés en situation irrégulière, mais aussi aux immigrés en situation régulière, au regroupement familial et, ce qui est très nouveau, aux demandeurs d’asile.

« La nomination de Claude Guéant au poste de ministre de l’Intérieur correspond à une forme de radicalisation dans la radicalisation. »

Sa sortie dans le Figaro Magazine [le 8 avril], quand il a affirmé que la France était plus généreuse que ses voisins en matière d’asile, était mensongère. En ce qui concerne les demandeurs d’asile, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), pourtant placée sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, a rendu public un rapport montrant que le nombre de demandeurs d’asile s’étant vus accorder en France le statut de réfugiés (sur la base de la Convention de Genève de 1951) avait baissé de 2 points entre 2009 et 2010, pour s’établir à 27.5 %.

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Le mythe selon lequel la France est une très généreuse terre d’accueil ne tient pas la route. Quand on regarde le nombre d’individus concernés, on se rend compte que c’est dérisoire. En 2010, le nombre de personnes ayant obtenu le statut de réfugié était de 10 340. Rapporté à la population française, c’est minuscule. Il s’agit là encore d’entretenir sans fin, en la lestant d’une autorité ministérielle, cette thèse selon laquelle la France serait menacée par des vagues migratoires venues du Maghreb et serait déjà affectée par sa situation migratoire. Il n’en est rien, évidemment.
Pour ce qui concerne les mouvements de population au Maghreb et, plus spécifiquement, les mouvements de population en Libye, liés à la guerre civile, on compte aujourd’hui plus de 500 000, voire 600 000 personnes, qui ont quitté le territoire libyen et se trouvent dans des états limitrophes, notamment en Tunisie. Cette dernière accueille sur son territoire un nombre extrêmement important de personnes déplacées - sans aucune commune mesure avec ce qui se passe en Europe -, et ces migrants n’ont pour la plupart aucune intention de se rendre en Europe. Selon le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), les arrivées sur l’île de Lampedusa sont chiffrées, pour la fourchette haute, à entre 30 et 35 000 personnes.
Rappelons que lors de l’épisode des « boat-people », à la fin des années 1970 et au début des années 1980, la France seule a accueilli sur son territoire 130 000 personnes en provenance du Sud-Est asiatique. Et au moment de la guerre civile en Yougoslavie, l’Europe a accueilli 600 000 réfugiés en provenance des ex-républiques. À qui va-t-on faire croire aujourd’hui que l’Union Européenne, qui compte parmi ses membres certains des états les plus riches du monde, est dans l’incapacité économique et sociale d’accueillir dans de bonnes conditions 30 à 35 000 personnes ? Il s’agit là d’une pure construction politique, idéologique et – dans certains cas – médiatique.

«  À qui va-t-on faire croire aujourd’hui que l’Union Européenne, qui compte parmi ses membres certains des états les plus riches du monde, est dans l’incapacité économique et sociale d’accueillir dans de bonnes conditions 30 à 35 000 personnes ? »

Une « construction » qui s’adosse en parallèle à un fort courant islamophobe...

Les mouvements migratoires en question concernent en premier lieu les ressortissants de pays arabe et ceux de l’Afrique subsaharienne, et la petite musique jouée par le pouvoir les vise en priorité. Claude Guéant, menteur multi-récidiviste, a récemment affirmé que la France était menacée par l’augmentation exponentielle du nombre de musulmans ; et il a repris à son compte un chiffre fantaisiste, affirmant qu’il y en avait entre 5 à 6 millions dans notre pays. Pas de chance : une enquête récente, menée par l’INED et l’INSEE, a établi qu’il y avait en France environ 2,1 millions de musulmans.
Ce mensonge éhonté participe de la même construction fantasmatique qui cherche à prouver que la France serait menacée dans son identité même, notamment sur la question des principes républicains et de la laïcité, par l’augmentation spectaculaire de la population musulmane.

J’avais pour ma part analysé l’arrivée de Sarkozy à la présidence et ses premières mesures comme une forme de lepénisme réformé, et la nomination de Claude Guéant est venu montrer qu’on avait dépassé ce stade. Ce n’est pas seulement un emprunt aux représentations et thèses du Front National, c’est plutôt devenu une forme de tactique.
Sur ce sujet, les réactions des principaux dirigeants des gauches parlementaires sont déplorables, car inexistantes. On aurait souhaité des réactions très vives pour contester les déclarations du régime et les démonter point par point. Ce n’était pas difficile, tant il est possible de s’appuyer sur des documents officiels et des études inattaquables. L’opposition parlementaire n’est pas du tout à la hauteur de l’enjeu, ce qui laisse le champ libre à un gouvernement qui a remporté un certain nombre de victoires auprès de l’opinion publique. D’où la nécessité de répondre non seulement point par point aux mesures et déclarations gouvernementales, mais aussi de construire un mouvement antiraciste indépendant, unitaire et démocratique, condamnant de manière très précise la politique du régime tout en militant pour la régularisation des sans-papiers. C’est ce qui a guidé la création du collectif « D’ailleurs nous sommes d’ici ».

« L’opposition parlementaire n’est pas du tout à la hauteur de l’enjeu, se montre incapable de faire face à cette radicalisation du discours et des pratiques.  »

En matière de racisme larvé, les médias - comme la gauche parlementaire - portent également une écrasante responsabilité, non ?

Une condamnation générale et indistincte des médias n’apporterait pas grand chose au débat. Mais il est certain que les grands médias reprennent généralement en chœur les propos de la majorité sans aller interroger les réalités, sans chercher à mettre au jour les vrais chiffres. Reste qu’il y a parfois de bonnes surprises. Dans Libération, on trouve ainsi la rubrique « désintox » qui, sur ces questions, fait un travail salutaire. Chez les médias à la diffusion plus restreinte, Mediapart ou Politis réalisent aussi un important travail de déconstruction du discours officiel.

Mais c’est vrai que dans l’ensemble, il y a derrière ces mesures une cavalerie médiatique. C’est encore plus flagrant pour l’Islam que pour les migrations. Pour des raisons anciennes liées au rapport à la République et à des formes de laïcité sectaire, le rapport à l’Islam est en effet une question transversale au sein des partis politiques. Même les partis de gauche parlementaire ou radicale se montrent au mieux relativement timorés, et au pire reprennent à leur compte les thèses selon lesquelles l’Islam serait une menace essentielle pour les principes de la République.

Cela explique en partie les louvoiements du pouvoir face aux révoltes arabes. Le double discours fonctionne ici à plein : tout en saluant les mouvements démocratiques au Maghreb, on spécule de manière éhontée sur le spectre du flux migratoire. En Libye, par exemple, l’ampleur du conflit et sa durée sont en train d’engendrer un nombre de réfugiés très important. La moindre des choses, puisqu’elle porte une très lourde responsabilité dans ce conflit, serait que la France apporte à la Libye et à La Tunisie une aide marquée, y compris sur son propre territoire.

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Quel est la place du legs colonial dans les politiques et législations actuelles ?

Il se manifeste d’abord au niveau des représentations : celles qui ont été réactivées à partir du 11 septembre 2001, tendant à faire de l’Islam une religion par essence hostile au progrès de la raison et des sciences, trouvent leurs origines dans la seconde moitié du 19e siècle, période de leur élaboration, avant de jouer à plein au début du 20e siècle. Avec une forme ancienne d’islamophobie coloniale, qui était de type « savante » sous la IIIe République puisqu’elle prospérait dans l’université française et était reprise par les élites politiques et administratives.
Ces représentations valent également pour les colonisés immigrés, ceux qui sont venus en métropole pour y trouver du travail. Ces populations étaient déjà jugées inassimilables, sous la troisième comme sous le quatrième République. De ce point de vue, les discours de Claude Guéant, et de beaucoup d’autres, n’inventent rien : quand ils affirment qu’il y aurait des immigrés assimilable - les Européens - et d’autres qui ne le sont pas, ils avancent une thèse d’une grossièreté intellectuelle remarquable tout en réactivant des positions très convenues tout au long de la première moitié du XXe siècle. De ce point de vue, il y a évidemment des convergences avec l’époque coloniale.

Pour ce qui est de l’appareil législatif, on trouve également beaucoup de similitudes. L’internement administratif, par exemple, aujourd’hui mis en œuvre à l’égard des immigrés en situation irrégulière, est une technique répressive et juridique ayant d’abord été mobilisée contre les indigènes algériens dans la seconde moitié du XIXe siècle dans l’Algérie dite française. Elle a ensuite été exportée dans l’ensemble des territoires de l’empire français, avant d’être importée en métropole. En novembre 1938, les Républicains espagnols en exil ont été les premiers à en faire les frais. Puis, par un processus d’extension-banalisation, l’internement administratif a pour la première fois été appliqué à des nationaux en novembre 1939 - contre les militants du Parti communiste, considérés comme des ennemis intérieurs. Celui qui a procédé à cette première application de l’internement administratif à des nationaux était le ministre de l’Intérieur de l’époque, Albert Sarraut ; sous la troisième République, il avait été deux fois ministre des colonies et aussi gouverneur général de l’Indochine. Il avait donc une excellente connaissance des problématiques coloniales...

Par la suite, on a assisté au prolongement et à la banalisation de cet internement administratif, qui est aujourd’hui largement considéré comme une mesure normale lorsqu’il est utilisé contre des étrangers en situation irrégulière. Les juristes de la troisième République étaient - eux - pourtant parfaitement conscients que l’internement administratif était une mesure exorbitante au regard du droit commun, une mesure d’exception.

«  Les juristes de la troisième République étaient - eux - pourtant parfaitement conscients que l’internement administratif était une mesure exorbitante au regard du droit commun, une mesure d’exception.  »

Enfin, toujours sur le plan juridique, certaines dispositions du Code de l’indigénat ont été transposées en droit des étrangers. Et notamment l’obligation faite par la France aux étrangers non ressortissants des États membres de l’UE et non ressortissants des États avec lesquels elle a passé des accords particuliers de produire, en sus d’un passeport et d’un visa, la preuve qu’ils peuvent être rapatriés dans leur pays d’origine. Sous la forme d’une carte de crédit, d’un billet d’avion retour ou d’une somme en liquide. Cette disposition existait antérieurement dans le code de l’indigénat appliqué en Algérie en 1875, et elle était incluse dans l’ordonnance de 1945 sur les étrangers. Le droit colonial n’appartient pas au passé, il reste actif, présent, parfois de manière inconsciente.

Cela vaut également pour des dispositions répressives directement opposables à la fois aux nationaux et aux étrangers, notamment le principe de la responsabilité collective, qui a été massivement appliqué dans les colonies et qui déroge au principe d’individualisation de la peine. Après l’époque de la colonisation, ce principe de responsabilité collectif a été introduit dans le droit français à deux reprises. Avec la loi anti-casseurs de 1971, dite loi Pleven. Et avec la loi contre les bandes, votée à l’initiative de Christian Estrosi, qui était missionné par celui qui l’a fait ministre par la suite, Nicolas Sarkozy. Ce principe de responsabilité collective permet aujourd’hui de poursuivre quelqu’un(e) pour sa seule appartenance à une bande (prétendument) violente. De ce point de vue là, les continuités sont parfaitement établies.

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Au moment où le gouvernement se targue de redorer le blason de l’histoire coloniale, il est presque logique que ces vieilles dispositions reviennent au goût du jour...

Cela participe en effet d’un tout. Et tu mets le doigt sur un autre élément, qui ne va pas tarder à revenir au goût du jour, par un simple effet de calendrier politique et mémoriel : en octobre 2011 sera commémoré le cinquantième anniversaire des massacres du 17 octobre 1961, puis - quelques mois après - le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie. Et cela va coïncider avec les élections présidentielles. Il est à peu près certain, au regard des positions de Nicolas Sarkozy et de l’UMP, que nous allons avoir droit à un discours de réhabilitation du passé colonial. Toujours cette même stratégie : donner à l’électorat du Front National tous les gages politiques possibles, pour qu’il vote pour le « bon » candidat au second tour... Je crains le pire pour les mois à venir.

Le legs colonial ne concerne pas seulement le domaine législatif, mais aussi le maintien de l’ordre. C’est ce qu’a très bien montré Mathieu Rigouste dans « L’ennemi intérieur »...

Le travail de Mathieu Rigouste est extrêmement intéressant, car il montre comment d’autres éléments du legs colonial sont parfaitement appliquées et transposées sur le territoire national, et plus spécifiquement dans les quartiers dits populaires. Il s’agit de faire peser sur ces quartiers une surveillance policière de tous les instants, notamment via une multiplication des contrôles. Ici aussi, les prolongements sont spectaculaires et incontestables.

Pour élargir le cadre : est-ce l’Europe qui s’aligne sur les politiques des États membres, ou l’inverse ?

Contrairement à ce qu’on pense parfois, l’Union européenne n’est pas une sorte de Moloch politique, bureaucratique et juridique qui s’imposerait aux États. Les politiques publiques menées par l’UE sont au contraire souhaitées et défendues par les États. C’est un cercle pervers et vicieux, désormais bien rôdé. Pour les États, il s’agit de faire assumer à l’UE des politiques toujours plus restrictives. Ils peuvent ainsi justifier auprès de leurs opinions le durcissement de leurs propres législations par le durcissement des politiques européennes. La loi Besson en est un très bon exemple. Outre le fait que le prétexte de la loi Besson est un fait divers – l’arrivée sur les plages corses d’une centaine de réfugiés kurdes –, on a expliqué que la France se devait de transposer en droit interne un certain nombre de dispositions européennes. Alors même que ces dispositions avaient été défendues par la majorité UMP à Strasbourg et à Bruxelles...

«  Pour les États, il s’agit de faire assumer à l’UE des politiques toujours plus restrictives.  »

Rappelons que ces mesures ne sont pas seulement défendues et appliquées par des majorités de droite. En Espagne, la majorité socialiste, emmenée par Zapatero, a procédé exactement de la même manière, notamment après la directive de la honte du 18 juin 2008 : prenant acte de son adoption, elle a décidé d’augmenter la durée de la rétention. Ça a aussi été le cas en Grande Bretagne, où le Parti travailliste a joué un rôle moteur en matière de durcissement des politiques migratoires en Europe. Une politique qui a débouché sur des accords singuliers entre le gouvernement de Gordon Brown et celui de François Fillon, notamment au sujet de l’expulsion de ressortissants afghans dans leur pays d’origine - avec l’envoi d’un charter commun pour Kaboul.

Il n’y a pas de contre-exemples en Europe ?

Non, et c’est ce que je trouve particulièrement inquiétant. Cette radicalisation des politiques anti-migratoires est un mouvement européen, avec des effets politiques et juridiques très lourds. Pour notre collectif, « D’ailleurs nous sommes d’ici », une certitude : il faut internationaliser notre mouvement sur le long terme. Le 28 mai ne doit être qu’un début, il faudrait organiser une initiative européenne plus massive, avant le premier tour des élections présidentielles françaises, fin avril. L’objectif est évidemment de faire entendre une autre voix que celle de l’UMP et du FN.

La stratégie de l’UMP semble se baser sur un constat : l’opération de 2007, qui consistait – pour reprendre les termes de Sarkozy – à « aller chercher les électeurs du FN un à un  », ne pourra pas être réitérée en raison de la faillite de la politique économique et sociale de ce gouvernement. Dans ces conditions, l’objectif de la majorité est d’apporter à l’électorat du FN tous les gages politiques et idéologiques, pour que l’écrasante majorité des électeurs du FN vote en second tour pour l’UMP. Il est donc clair, hélas, que dans les semaines et mois à venir, la question migratoire, de même que la question sécuritaire, va se trouver en haut de l’agenda politique.

Tu cites dans une tribune publiée dans Politis - «  Faire cesser l’inacceptable » - Félix Guattari, déclarant en 1981 que « La France se replie sur elle-même. Elle a peur pour son standing, sa tranquillité et même la couleur de sa peau ». Les politiques actuelles s’inscrivent aussi dans le long terme...

Il y a une antériorité, c’est certain. Le texte de Guattari a été rédigé en janvier 1981, avant les présidentielles. Pour Guattari, il y a un rapport évident entre le passé colonial de la France et la manière dont elle traite ses immigrés, notamment ceux issus des anciennes colonies. Mais Guattari s’offusquait des 5 000 expulsés par an de l’époque, un chiffre qui lui semblait monstrueux. Or en trente ans, ce chiffre a été multiplié par six, ce qui témoigne de la radicalisation stupéfiante des politiques anti-migratoires. Notons aussi que cela montre le bilan catastrophique de la gauche parlementaire à ce niveau : elle s’est montrée incapable d’organiser une riposte qui soit à la hauteur de l’enjeu.
L’un des objectifs du collectif « D’ailleurs nous sommes d’ici » est justement d’imposer ces questions, de les faire entrer de force dans l’agenda politique des partis. Il ne faut pas seulement faire entendre une autre voix, mais aussi mettre quelques grains de sable dans la mécanique trop bien huilée des expulsions.

«  En trente ans, ce chiffre [des expulsions] a été multiplié par six, ce qui témoigne de la radicalisation stupéfiante des politiques anti-migratoires.  »

À propos de ce collectif, difficile de ne pas avoir en tête l’exemple du désastre SOS-Racisme. Vous ne craignez pas d’être récupérés ou instrumentalisés ?

C’est une question légitime. Mais il faut rappeler que SOS Racisme était une opération politique directement dirigée par l’Élysée et d’emblée soutenue par le PS : elle était totalement contrôlé dès le début. Nous nous plaçons à l’opposé. Notre mouvement s’est construit sur des revendications très claires : la condamnation du racisme et des politiques migratoires du gouvernement, ainsi que la revendication de la régularisation de tous les sans-papiers. Et nous établissons aussi un parallèle, notamment par un certain nombre de slogans tel que « ni charters ni kärchers », entre les politiques migratoires et les politiques sécuritaires menées en direction des quartiers populaires.

Nous n’avons rien concédé en termes de revendications, et nous ne le ferons pas. De plus, nous nous basons sur une multitude de collectif locaux et sur une approche totalement démocratique, et nous serons plus qu’attentifs à rester indépendants de toute organisation politique, quelle qu’elle soit. C’est la seule manière de construire sur la durée un mouvement anti-raciste conséquent.

Comment s’annonce la manifestation du 28 mai ?

Si on s’en tient à ce qui s’est passé entre novembre 2008 et aujourd’hui, il y a des éléments encourageants. Parce qu’il est rare qu’un front aussi large se constitue, en aussi court laps de temps, autour de revendications si précises. Et parce qu’il est relativement sans précédent qu’un mouvement de ce type débouche sur la création de près de 40 collectifs locaux.
Beaucoup d’associations, d’organisations ou de partis, comme la LDH, le parti de gauche ou la CGT, ont refusé de signer notre appel, nous ont complétement ignoré. Mais ils appellent quand même à manifester, ce qui est encourageant : il y a une dynamique, un rapport de force en notre faveur. Il ne s’agit pas d’être béat, mais c’est possible que quelque chose s’enclenche.

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Les forces politiques qui sont contre nous sont très puissantes, puisqu’elles disposent de l’appareil d’État, des médias, etc. En même temps, lorsque les travailleurs en situation irrégulière se sont mobilisés et ont fait grève, l’opinion publique s’est montrée plutôt favorable à leur action. L’opinion publique sur ces sujets est très versatile ; cela peut parfois avoir des effets positifs.

Au sein du collectif, nous sommes un certain nombre à considérer que l’un des enjeux d’une reconstruction d’un mouvement antiraciste conséquent se situe dans la liaison avec les politiques sécuritaires policières subies par les populations des quartiers, qu’elles soient françaises ou étrangères. Il y a là un enjeu politique et stratégique fondamental. Et il faut établir des ponts avec les associations locales de ces quartiers.
Ça ne va pas être facile. Notamment parce qu’il y a un passif très lourd dans les quartiers, celui de SOS Racisme. Ce passif a engendré des oppositions parfois très brutales et une défiance généralisée qu’il va falloir dépasser. En clair : cela va être sans doute difficile et long mais c’est indispensable.



1 En ce qui concerne le rendez-vous parisien, il est fixé à 14 h, métro Barbès.

2 À signaler : le graphisme limpide développé autour des actions du collectif, dont tu as un exemple ci-dessus, est signé par l’ami Sébastien Marchal.

3 Il est notamment l’auteur de De l’Indigénat. Anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’empire français, Paris, Zones/La Découverte, 2010.

4 Les trois affiches utilisées comme illustration dans cet article ont été récupérées sur le site du collectif d’« Ailleurs nous sommes d’ici ». On retrouvera les crédit liés à chaque illustration sur cette page, avec d’autres créations graphiques.


COMMENTAIRES

 


  • mercredi 25 mai 2011 à 18h17, par Le Poisson Rouge

    Une politique xénophobe, peureuse, autocentrée, hypocrite. Joli bilan d’une descente idéologique aux enfers. Merci à ceux qui auront ouvert la voie à ce contexte excécrable.

    A lire, un article du poisson rouge sur le rôle du FN

    http://www.poisson-rouge.info/2011-...

    • mercredi 25 mai 2011 à 21h53, par un-e anonyme

      « invite à réagir vite »

      bon début
      ça met bien les points sur les i

      t’as raison de l’écrire comme ça, ça signifie bien que pour ce genre de grand ponte
      on est que des invités.

      • jeudi 26 mai 2011 à 09h47, par Karib

        Dans la même veine, je vous recommande la lecture du livre « On bosse ici, on reste ici ! La grève des sans-papiers : une aventure inédite », rédigé par un groupe de sociologues, paru à La Découverte.

        Ou comment on est passé de la détestable compassion humanitaire (ces pauvres immigrés, c’est quand même scandaleux) à la lutte des classes. Passage pas toujours évident.

        • Les propos de Guattari (dont on peut lire par ailleurs l’un des derniers papiers : Pour une refondation des pratiques sociales) qui sont cités sont aussi un rappel quant à la xénophobie de la gauche institutionnelle : Mitterrrand, ministre durant la guerre d’Algérie (puis créateur des centres de rétention en octobre 1981...), le « produisons français » et la destruction au bulldozer d’un foyer de migrants à Vitry sur Seine en 1980 (PCF). N’en rien dire, c’est occulter les motifs d’innombrables ruptures d’avec cette gauche, depuis la guerre d’Algérie (sorties de l’UEC et du PCF qui, avec d’autres prises de positions, préparent 68) et refuser d’accorder à de tels actes toute signification politique. À trop injurier l’histoire (mais combien de temps va durer le « silence des intellectuels » ?), à éluder les faits, la gauche acritique a autorisé la constitution de la droite de gauche des années 80 (voir Critique(s) des années MITTERRAND). Quand la gauche instaure le RMI en 1988, de trés nombreuses catégories d’étrangers à papiers (pas là depuis assez longtemps, pas le bon titre de séjour) en sont déjà exclues (comme les moins de 25 ans). Alors oui, bien sûr, SOS racisme a été créée pour détruire l’autonomie politique des mouvements de « jeunes issus de l’immigration » mais les élisions actuelles de Lecourt Gandmaison, à quoi servent-elles ? Elles ne vont pas aider à ce qu’en cas d’alternance en 2012, la politique menée soit substantiellement réformée. Si l’Otan se débrouille correctement, on pourra peut-être continuer de délocaliser les centres de rétention en Lybie. Et à faire suer le burnou et réprimer ici.

          Heureusement que les Tunisiens de Lampedusa et d’autres collectifs de sans-papiers ont (comme beaucoup de à papiers, Français ou pas) des raisons pressantes d’aller à cette manifestation de samedi, sinon, vu la complaisance affichée pour « la gauche », c’était pas évident d’y participer.



  • N’y a-t-il pas un risque à n’envisager la problématique internationale de l’immigration uniquement par le bout de la lorgnette nationale, comme j’ai l’impression que vous le faites ?

    Les raisons des migrations sud nord sont diverses : immigration économique et professionnelle, ou encore en lien avec la politique et la situation conflictuelle dans un pays.

    A juste titre, au moment où on parlait d’immigration choisie, les associations craignaient une immigration haut de gamme, réservée aux « riches » du Sud. Aujourd’hui, dénoncer la phrase de Guéant tournée pour draguer côté front me semble relever de la même contradiction qui a mené les ministres à défendre puis récuser cette immigration choisie.

    Sans défendre la politique du gouvernement qui est une politique de communication, de spectacle permanant, d’agitprop, je crois qu’il convient de ne pas jouer les idiots utiles du capitalisme en matière migratoire. Aujourd’hui, on assiste à de véritables phénomènes d’importation de main d’oeuvre en provenance des pays de l’Est en faisant miroiter à des prolos un monde meilleur et des tonnes de sous. Inutile de décrire la suite ...

    L’immigration est-elle désirable en elle-même ? La réponse dépend des personnes, forcément. Le bobo du X° exultera de n’avoir que 300 mètres à faire pour se faire croire qu’il habite dans un quartier populaire et de temps en temps, il achètera un gombo pour faire grand voyageur et pour emmerder ses copains de la rive gauche qui eux n’ont que des supermarchés asiatiques à se mettre sous la dent. En cela, le bobo n’est pas très différent du bobo d’il y a un siècle qui trouvait très rigolo d’aller aux expositions coloniales comme son cousin le touriste contemporain qui grace à l’avion pas cher transforme le monde en une gigantesque exposition coloniale (ce qui reste mieux qu’un gigantesque bagne mais c’est un autre débat). Le bobo du Mali (peuple d’agriculteurs), lui, répondra oui tant qu’il est au Mali et changera peut-être d’avis une fois en France. Un homme a des racines, des habitudes de vie, une famille, des traditions, des envies, des attaches et des aspirations. Les Irlandais qui fuyaient leurs patates pourries pour les Etats-Unis ont fait de belles chansons nostalgiques sur la terre ancestrale que leurs enfants ont oublié pour ne verser que dans un ethnicisme administratif : untel est « irlandais », l’autre est « hispanique ».

    A mon sens, migrer reste une contrainte sauf pour les diplômés d’HEC, ultra-individus ayant vendus père et mère pour se payer leur 100 m2 à Nouillorque. Alors évidemment, ça fait de beau récit de voyage, de belles ballades et ça colore joyeusement les rues grises de nos capitales occidentales et de plus belle façon que les enseignes cocacola de Picadily Circus. Mais n’est-il pas plus désirable de construire un monde où chacun puisse ne pas vivre ce divorce d’avece ses racines et ses attaches souvent forcé par la situation de leurs pays d’origine ?

    Contrôler les migrations dans un cadre international au-delà donc des égoïsmes nationaux parait le meilleur rempart contre une mondialisation (un monde) où l’autre n’est perçu que comme un moyen et jamais comme une fin.

    • Autant je suis d’accord avec la description que vous faites des nécessités d’émigrer, qu’il ne s’agit évidemment pas de peindre en rose puisqu’il s’agit presque toujours d’une contrainte économique, autant la solution évoquée en conclusion de votre intervention laisse pantois : « contrôler les migrations dans un cadre international. »
      En somme, chacun chez soi et la Police aux frontières pour tout le monde !

      • J’ai la même réaction : la décision de migration est un déchirement dans l’immense majorité des cas, mais la notion de « contrôle international des flux migratoires » ressemble plus aux fantasmes utilitaristes du capitalisme globalisé qu’à une politique multilatérale de protection des migrants.. Jusqu’à présent, lorsque l’on s’est préoccupé d’harmonisation internationale, c’est le plus souvent au détriment des peuples, il suffit de contempler la « régulation » financière et économique, caractérisée par son ultraliberalisme et son néocolonialisme...

        Si harmonisation internationale il doit y avoir, au prix d’efforts qui paraissent tout simplement surréalistes aujourd’hui, c’est plutôt celle des conditions de travail et des niveaux de vie. La question migratoire est directement, ontologiquement liée à la question des inégalités. Le capitalisme étant fondé sur l’exploitation des inégalités, il ne fait que prolonger et transcender les logiques qui ont présidé en leur temps au colonialisme, c’est à dire justement à la naissance du capitalisme global.

        Pour le reste, la xénophobie d’état est une réalité, larvée depuis longtemps, actualisée et boostée en 2007 par l’Union des Mercantiles et des Pétainistes (UMP), et officialisée depuis le « discours de Grenoble » de l’ordure ploutocrate qui nous sert de président, en juillet 2010. Le FN est donc logiquement en très grande forme, et le rapprochement avec l’UMP poursuit son cours. Le silence de la gauche devant cette horreur en marche, tout comme son silence devant le sécuritarisme liberticide ou la domination décomplexée des oligarchies financières et industrielles, est criminel.

        On de souviendra des gauches européennes des années 2000 et 2010 comme des parfaites héritières des démocrates mous des année 30, à la fois tétanisées et complices de la montée du cauchemar identitaire et suprématiste.. En schématisant, éliminer Guéant ne se conçoit qu’en clouant également au pilori Manuel Valls !

        On hallucine donc en continu depuis 2007, et certains en sont encore à se frotter les yeux pour vérifier que tout dela rest réel. André Valentin, Josaine Plateret, Chantal Brunel, Laurent Wauquiez, le ministre raciste Hortefeux ou le ministre pétainiste Guant, j’en oublie beaucoup à l’UMP, et les crapules médiatiques comme Zemmour, Rioufol, Ménard ou dernièrement cette farce ventripotente, cet odieux blaireau de Gilbert Collard, évoluent en toute impunité dans une république en décomposition, (qui il y a dix ans encore, sanctionnait Charles Millon pour avoir pris langue avec les fascistes du FN).

        L’odeur ambiante est méphitique, répandue par les bouches insanes de ces raclures propagandistes, au mépris des chiffres, des faits et des principes humanistes que l’on se croit encore en mesure de prôner pour les autres, obscénité supplémentaire d’une France dirigeante aussi exécrable que dangereuse.

        Bravo aussi pour ce constat du caractère contre-productif et dommageable de SOS Racisme et de son politiquement correct, qui a dissoudre l’antiracisme dans un ronronnement médiacratique inefficace. Nous en sommes aujourd’hui réduits à hurler des évidences démocratiques et humanistes, et quand l’envie nous prend de les raviver à coups de marteau dans les têtes des gangsters oligarchiques qui nous gouvernent, quand nous crachons au visage des abjects ulmistes qui dégueulent leur racisme islamophobe ou leur nationalisme belliqueux, quand nous rappelons les ressemblances entre l’évolution politique mortifère et indigne des républiques occidentales (des délires du Tea Party au grotesque Berlusconi en passant par l’infect Hortefeux), c’est encore nous qui nous faisons taxer de terroristes ou d’extrémistes.

        Vomir.

        Voir en ligne : http://consanguin.blogspot.com



  • Lorsqu’il dit que ce genre de politique s’entend à toute l’Europe, il a raison. Je vis en Belgique, et nous aussi, on a nos centres fermés et nos quotas d’expulsions. Mais il ne faut surtout pas en parler (le gouvernement - je parle du niveau régional, vu que ça fait un moment que l’on n’a pas de gouvernement fédéral - est bien hypocrite à ce sujet !)

    Ce n’est pas seulement la xénophobie qui a beaucoup de succès de nos jours, mais aussi le nationalisme. L’histoire se répète pour ceux qui ne désirent pas l’écouter. Et on est en train d’affuter les couteaux avant le grand massacre.

    De ce fait, l’internationalisation du mouvement est primordiale.

    • « L’histoire se répète pour ceux qui ne désirent pas l’écouter. Et on est en train d’affuter les couteaux avant le grand massacre. »

      absolument juste, mais pas grand monde pour, l’ENTENDRE, L’ADMETTRE, et AGIR POUR NE JAMAIS FAIRE AVEC !
      La partie du monde concernée est occupée à sortir, obèse, de la misère sous le regard encourageant de Global Link (joli nom, pour un lasso).

      Il faut donc, s’appeler Le Cour Grandmaison, au moins.
      Au plus,...

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