ARTICLE11
 
 

mardi 10 mai 2011

Entretiens

posté à 00h05, par Grégoire O.
4 commentaires

Emmanuel Digonnet : « Les hôpitaux psychiatriques sont des lieux de non-droit »
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Emmanuel Digonnet est un ancien infirmier de secteur psychiatrique. Après plus de vingt ans d’exercice, définitivement dépité par les orientations prises par le service public de « psychiatrie », il a démissionné. Si Emmanuel ne pratique plus, il parle par contre très bien de son ancien métier, des évolutions de la profession, et des raisons qui l’ont poussé à ne plus l’exercer. Entretien.

Cet entretien a initialement été publié dans le numéro 3 de la version papier d’Article11
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Comment as-tu débuté ?

Je suis arrivé en psychiatrie par hasard, pour raisons « alimentaires », au début des années 1980. Quand j’ai commencé, je n’y connaissais rien ; pour moi, la psychiatrie n’était que la prise en charge de patients exclus de la société pour des raisons mentales. Une maladie mentale n’existait alors à mes yeux que si elle était visible : l’autisme, les gesticulations, les cris...

Pendant un an et demi, j’ai été affecté dans un service où on plaçait les patients les plus difficiles, ceux posant problème dans les autres services. Cela a été ma première confrontation à l’horreur de l’asile et à la maltraitance : comme pour les policiers dans les commissariats ou les gardiens en milieu pénitencier, la peur avait transformé certains infirmiers en sadiques. Après avoir alerté ma direction, j’ai été muté dans un autre service. J’y ai découvert une nouvelle façon de travailler, s’appuyant notamment sur les entretiens médicaux à visée thérapeutique et accordant une vraie place à l’infirmier dans le traitement des patients. Je me suis alors passionné pour la discipline.

De 1982 à 1998, j’ai accompagné et participé à toute une évolution de la psychiatrie, symbolisée par la fermeture d’hôpitaux psychiatriques. Se développait en effet un pôle extra-hospitalier, avec pour ambition de déplacer le soin dans la Cité, auprès des gens. Des patients habituellement hospitalisés pouvaient enfin vivre chez eux, en voyant un infirmier régulièrement. D’autres, adressés par des assistants sociaux et des médecins généralistes, fréquentaient les centres d’accueil thérapeutiques nouvellement ouverts : il s’agissait de petites unités de soins, avec quelques lits d’hospitalisation, une équipe d’infirmiers et des médecins. Nous y effectuions le même travail qu’à l’hôpital, mais avec une plus grande souplesse. Notamment parce que nous étions peu ou prou situés en bas des immeubles où habitaient les patients – et non à trente kilomètres en banlieue parisienne, «  là où on met les fous  ». Être admis en hôpital psychiatrique a toujours été compliqué, se faire traiter dans ces centres était beaucoup plus simple.

Ces centres d’accueil et de soins offraient donc une réelle proximité et une vraie disponibilité. Ils changeaient du même coup l’image de la psychiatrie chez les patients, qui acceptaient plus naturellement d’être suivis et honoraient davantage leurs rendez-vous. La famille, l’entourage et le patient pouvaient dédramatiser les soins, s’y rendre étant moins stigmatisant que d’être « hospitalisé à Sainte-Anne  ». Et ces centres permettaient – enfin – de désengorger les hôpitaux, et donc d’en améliorer les conditions de travail. Ce n’est plus du tout le cas, désormais ; à l’hôpital, on ne fait plus que gérer des lits. À partir de 16 heures, tous les cadres passent leur temps au téléphone pour trouver un lit où faire dormir leurs patients, le nombre de places disponibles étant insuffisant.

Pour les infirmiers aussi, les choses étaient différentes en centre d’accueil : nous étions autonomes. Il ne s’agissait pas seulement d’appliquer les prescriptions du médecin, mais d’effectuer un réel travail collectif. Nous échangions avec le reste de l’équipe, et nous pouvions donner des rendez-vous ou recevoir les patients. Une période grisante.

Elle n’a pas duré ?

La situation a commencé à se dégrader au début des années 1990, avec le développement d’une gestion purement comptable de l’hôpital. Notre ministère a diminué le budget alloué, et les gestionnaires se sont rendus compte qu’un centre d’accueil de cinq lits nécessitait autant d’infirmiers qu’un service de vingt lits à l’hôpital – sans prendre en considération le nombre d’hospitalisations lourdes et de rechutes que ce système permettait d’éviter...

L’administration a alors progressivement fait fermer les centres d’accueil. Pour cela, il suffisait que les gestionnaires ne leur donnent plus les moyens de fonctionner 24 heures sur 24 : au bout d’un moment, le principe était vidé de sa substance. Quand il ne restait plus qu’un bâtiment avec trois lits, sans personne pour s’en occuper, les gestionnaires triomphaient : « Vous voyez bien que ça ne marche pas : il faut fermer !  »

Autre étape importante, la suppression de la spécialisation « psychiatrie » pour les infirmiers en 1992. Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, a justifié cette décision par une exigence d’uniformisation européenne ; une directive européenne précisait pourtant que la formation française des infirmiers en psychiatrie était de grande qualité et invitait les membres de l’UE à s’en rapprocher... En fait, cette suppression permettait surtout de faire des économies. Depuis 1992, donc, tous les infirmiers suivent le même cursus, avec seulement quelques cours de psychiatrie. Aujourd’hui, quelques infirmiers généralistes, passionnés par la psychiatrie, réussissent bien à se former rapidement une fois embauchés dans les services spécialisés, mais d’autres choisissent les services psychiatriques par défaut, parce qu’il faut bien gagner sa vie, et ne sont souvent pas à la hauteur. Le constat de l’insuffisance des formations étant unanime, le début des années 2000 a vu fleurir un certain nombre de « boites de formation  » privées, censées compenser ces lacunes.

De toute façon, ce diplôme d’infirmier psychiatrique a toujours été considéré comme un « sous-diplôme  ». À sa suppression, en 1992, les anciens diplômés – comme moi – n’ont pas eu le droit d’aller travailler dans les hôpitaux généraux. Grosso modo, cela voulait dire que les « sous-hommes » étaient soignés par des « sous-infirmiers ». Aujourd’hui encore, si je vois quelqu’un se faire renverser par une voiture, je n’ai pas le droit de lui poser une perfusion ni de lui prodiguer des soins… alors que je suis autorisé à le faire pour une personne hospitalisée en psychiatrique. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que c’est moins grave si je me trompe ?

Au début des années 1990, on a aussi assisté à l’introduction dans les hôpitaux de la «  démarche qualité » – pure importation de l’industrie – avec son lot de protocoles et procédures. Procédure pour un patient qu’on accueille, procédure pour un patient qu’on emmène en chambre d’isolement, etc... C’est rassurant : tu remplis des formulaires, tu coches des cases ! Peu importe que des termes comme « phobie » ou « obsession » n’aient pas de frontières étanches, puisqu’il s’agit de créer une classification des maladies mentales pour que les gestionnaires puissent s’y retrouver. L’idée est de coder le patient. Aujourd’hui, un malade est 810.12 - « alcoolique à tendance dépressive  ». C’est idiot : avant d’être «  alcoolique à tendance dépressive », le patient est d’abord un homme ou une femme, qui a cinquante ans ou dix-huit, qui a tel passé, tel parcours...

Quel a été l’impact de cette « démarche qualité » sur ton travail ?

Voici le genre de raisonnements qu’on pouvait entendre de la part des gestionnaires : «  Vous, pour un 312.25, vous avez une DMS (durée moyenne de séjour) de dix-huit jours. Le service d’à côté est à neuf jours. Donc, vous merdez. Réduisez votre DMS ». Pour cela, il suffisait de bourrer le patient de médicaments anesthésiants, et le tour était joué... Il s’est ainsi clairement opéré un passage de la gestion des patients à la gestion du budget. Le ministère réduisait le budget alors que les besoins – eux – ne diminuaient pas.

Derrière tout cela, il y a l’idée de ne pas reconnaître la spécificité de la maladie mentale. Il est beaucoup plus simple de se dire que la schizophrénie est un virus ou un problème génétique contre lequel il suffit d’inventer un médicament. D’autant que cette vision des choses est soutenue par des laboratoires pharmaceutiques - eux-même en partie à l’origine de cette classification des pathologies, pour pouvoir dire : « Tel type de maladie ? Tel médicament ! » Avec des résultats parfois désastreux. Si on prend l’exemple de l’hyperactivité – dont je ne nie pas les symptômes –, on s’aperçoit que les laboratoires proposent des médicaments ayant des effets « visibles » à brève échéance mais qui s’avèrent calamiteux à plus long terme. Le fond du problème tient à la place prépondérante occupée par les labos dans le milieu hospitalier. Il n’y a qu’à voir le nombre de formations qu’ils y dispensent ou « sponsorisent » : lorsqu’ils parlent de certains de leurs cours, les internes en médecine parlent du « cours Lilly » ou du « cours Janssen  »...

Et personne ne proteste ?

En 2003, la profession a organisé les États-généraux de la psychiatrie, qui ont débouché sur une série de recommandations remises au ministre de la Santé, Jean-François Mattei. Il n’y a rien compris… La lutte s’est ensuite intensifiée après un discours de Nicolas Sarkozy à Antony, en décembre 2008. En réaction à l’assassinat d’un jeune homme à Grenoble par un patient sorti d’un hôpital psychiatrique, le président proposait des mesures ultra-sécuritaires, comme le recours à la vidéo-surveillance ou à des bracelets électroniques. Il faut savoir qu’un tel discours a des effets désastreux, même quand il n’est pas suivi de mesures concrètes. Il pousse par exemple les préfets à refuser les autorisations de sortie des patients, et il devient très compliqué de faire sortir un malade pour travailler progressivement à sa réinsertion.

De mon côté, j’ai cru que la résistance pouvait venir des syndicats, et j’ai été longtemps syndiqué et militant syndical. Avant d’en avoir ras-le-bol, tant le syndicalisme se résume souvent à la défense d’intérêts individuels, plutôt qu’être un engagement ou une vue politique. Je me suis alors investi dans une association œuvrant pour la recherche en psychiatrie - une autre manière d’essayer de changer le système. Un des faits d’arme de cette association, même si nous avons finalement perdu le procès, a été de porter plainte contre une dizaine de pneumologues après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse. Ces médecins avaient refusé l’installation temporaire des patients des services de psychiatrie dans leur service avec des termes odieux – « gens bruyants », « sales  », « qui peuvent mettre le feu »...

Aujourd’hui il y a des mouvements de résistance à cette casse du service public de psychiatrie, impulsés par les soignants ou les patients, voire par leurs familles. Mais ils se heurtent à deux écueils majeurs. Les guerres de chapelles, si chères à des générations de psychiatres prompts à s’excommunier pour soigner leurs égos. Et l’image de la maladie mentale auprès d’une population qui, faute d’information, n’est pas prête à accepter la libéralisation des soins et la présence de malades mentaux dans les rues.

Pourquoi as-tu démissionné ?

J’ai d’abord fait une « pause » en partant en mission humanitaire, ça m’a beaucoup changé. Sauf qu’au retour, l’attitude de la direction à mon égard avait également changé... Il ne s’agissait pas d’une opposition frontale, mais de petites brimades successives : interdiction de faire visiter le service à un collègue rencontré lors de la mission, refus d’une demande de formation, suppression de mes tickets restaurant…

La direction prenait ainsi sa revanche sur mon activité syndicale et sur un épisode qu’elle n’avait pas digéré. À une époque, en raison de la gestion désastreuse de l’hôpital et de la recherche permanente d’économies, il y avait une pénurie de seaux hygiéniques pour les patients enfermés en chambre d’isolement – et donc sans accès aux toilettes. L’un d’entre eux devait même déféquer sur un drap posé par terre... Là, j’ai dit non : j’avais connu l’asile en 1982, je ne voulais pas le revivre vingt ans plus tard. Avec quelques collègues, nous avons donc alerté les médias. Toute la presse nationale a débarqué, mais ses membres n’avaient retenu que l’angle du sensationnel. Nous dénoncions « la maltraitance des patients par l’hôpital », eux avaient compris « la maltraitance des patients par les infirmiers  ». Et ils venaient voir qui étaient les infirmiers ayant torturé des patients... Une journaliste de M6 à qui j’expliquais nos positions m’a répondu : «  Mais ça n’a aucun intérêt. Pourquoi ameutez-vous tout ce monde ? »

Les collègues ayant ouvert le service à la presse ont été sanctionnés de manière indirecte pendant des années. J’avais témoigné à visage découvert, donc forcément… Côté « maltraitance », suite à notre « raffut », une commission d’enquête avait été nommée. Mais le jeu était faussé, sa mission consistait à enquêter sur la sécurité des chambres d’isolement. Ses membres ont donc vérifié qu’il y avait bien des alarmes à incendie, des vitres blindées, etc. Une honte.

C’est tout cela qui m’a amené à démissionner. Je reste un citoyen attentif et averti, mais je ne veux plus participer à cette évolution. Ni assister à de tels retours en arrière.
Ces derniers sont légions. Prenons l’exemple du maintien des patients à domicile : le principe est bon s’il s’inscrit dans le cadre du soin, avec une ou deux visites par jour ; sauf que dans les faits, il s’agit plutôt de refus d’hospitalisation et de non-assistance à personne en danger par manque de places à l’hôpital. Autre exemple : la « garde à vue psychiatrique  », soit la possibilité de garder un patient 72 heures en observation. En soi, ce n’est pas une mauvaise idée, car elle permet d’optimiser l’orientation du patient. Mais dans le dispositif mis en place, il s’agit d’une « vraie » garde à vue : si le patient s’en va pendant cette période, les autorités considèrent qu’il s’agit d’une évasion. C’est révélateur.

La peur du fou est très répandue dans la société. Et politiques et médias n’hésitent jamais à l’attiser. C’est ainsi ce qu’ils font en nommant évasion le fait qu’un patient prenne la tangente, au lieu d’évoquer une sortie sans autorisation. Il ne s’agit pourtant pas d’un enfermement, mais d’une hospitalisation sous contrainte... L’enjeu de la terminologie utilisée par la presse ou par les politiques est ici fondamental.

Au moins, cette terminologie dit bien l’arbitraire...

Les hôpitaux psychiatriques sont des lieux de non-droit, où des patients sont privés de leur liberté et enfermés pendant des semaines sans que la justice n’ait son mot à dire. La France est d’ailleurs régulièrement condamnée par la Commission européenne des droits de l’homme. Théoriquement, il existe bien des instances de contrôle comme la CDHP1, qui peut être saisie par n’importe qui. Sauf que c’est du bluff ! Le contrôleur de la CDHP est le médecin-chef du service d’à-côté, il reçoit une lettre d’un patient et appelle son copain : «  Tiens, j’ai eu une lettre d’un de tes malades.  » Réponse du copain : «  Il est complètement fou. La dernière fois qu’il est sorti, il a fait ceci, cela...  » Au final, il y a une proportion infinitésimale de patients qui sortent d’hospitalisations par ce biais.

La psychiatrie surfe en ce moment sur une dérive sécuritaire, issue en bonne part de la réaction des politiques à des faits divers. À l’image de l’introduction de la Protection des travailleurs isolés (PTI) dans les hôpitaux, après une intervention de Nicolas Sarkozy. Il s’agit d’un dispositif se présentant comme un téléphone, avec un bouton sur lequel appuyer en cas d’agression, d’incendie... Il est aussi muni du dispositif dit de « l’homme mort  », qui se déclenche quand le boîtier reste trop longtemps à l’horizontal. Aller bosser le matin en se disant «  Tiens je prends mon boîtier ’homme mort’...  », c’est l’horreur ! Et je connais pourtant des anciens collègues qui en sont satisfaits...
Utiliser un dispositif PTI, c’est accepter qu’on n’augmente pas les effectifs. Qu’on remplace un collègue par un boîtier. Le problème est que les infirmiers refusant ces pratiques se retrouvent dans des situations délicates. Le jour où ils se font agresser – parce que ça peut arriver –, l’incident ne sera pas considéré comme accident du travail. C’est vicieux.

Le sécuritaire, c’est aussi l’explosion depuis quinze ans des hospitalisations sous contraintes (d’office et à demande d’un tiers). Quand une mamie déjantée dérange le voisinage, on ne réunit plus le service social, la famille et les voisins ; désormais, on préfère signer un certificat d’hospitalisation d’office. Et on enferme des gens qui auront du mal à sortir. Parce qu’il y a très peu de structures d’accueil pour organiser les sorties. Et parce qu’il est obligatoire de régler l’hôpital avant de le quitter ; le montant du forfait hospitalier étant par exemple plus élevé que celui de l’allocation adulte-handicapé, cela peut se révéler très difficile pour certains.

Le sécuritaire, ce sont aussi les caméras dans les chambres d’isolement – c’est pourtant idiot : quand un patient ne va pas bien, il faut davantage de présence, et non une caméra. Ce sont les bracelets électroniques, pour être sûr qu’un tel n’est pas sorti d’un périmètre donné – ce qui permet d’éviter de le faire accompagner par un infirmier ou un aide soignant. C’est l’augmentation des refus préfectoraux de sorties à l’essai. Pour résumer : c’est l’enfermement maximum.



1 Commission départementale des hospitalisations psychiatriques.


COMMENTAIRES

 


  • mardi 10 mai 2011 à 09h18, par un-e anonyme

    La psychiatrie est bien malade. Née de l’expérience de destruction des fous durant la 2nde GM, la psychothérapie institutionnelle pose que c’est d’abord l’institution doit être soigné.

    À la rubrique « réflexions » sur http://www.cliniquedelaborde.com/, vous trouverez des textes de ce courant ( Guattari, Tosquelles, Oury). Voici de brefs extraits de « Réflexions quelque peu philosophiques sur la psychothérapie institutionnelle », Félix GUATTARI, 1966. (...)

    En quoi un groupe ou une institution pourraient-ils être le support d’une relation transférentielle ?
    Un groupe peut-il, au "même titre qu’un psychanalyste, interpréter le « matériel », les symptômes, actes manqués, etc., qui s’y manifestent en raison d’un « contenu latent » se rapportant à des complexes de significations inconscientes ?

    La question est importante. Nous sommes tenus d’en accepter toutes ses implications ou de renoncer complètement à l’utilisation du concept de transfert en dehors de la stricte « relation du divan » et de condamner son extension sous les rubriques de transferts latéraux (Slavson), de transfert et contre transfert institutionnels (Tosquelles et Sivadon) etc. Rien d’extraordinaire à reconnaître que le groupe joue un effet de miroir, focalise certaines réactions individuelles qui peuvent servir de support à l’expression des pulsions du groupe, atténue les disparités spécifiques, renforce les mécanismes de suggestibilité, etc.

    Comment un groupe peut-il se saisir de la parole, dans une institution donnée, à un moment donné de son histoire, sans renforcer les mécanismes sériels et aliénants qui caractérisent généralement les collectivités dans les sociétés industrielles ? Y-a-t-il au niveau d’une institution productrice de soins la possibilité de mettre l’individu dans une situation radicalement différente de celle du colloque singulier, des impasses identificatoires corrélatives au statut de la famille conjugale, des relations d’assujettissement socio-professionnelles, etc.? L’individu qui « se dit » à lui-même qu’il est troublé du désir qu’il porte à tel ou tel objet est-il identique à celui qui fait le même aveu à sa mère, à son psychanalyste ou à ses copains ?

    S’il est vrai que la honte et la culpabilité « précèdent l’existence » au point de mener plus sûrement à la mort que n’importe quelle autre passion, faut-il admettre également qu’il s’agit de honte et de culpabilité institutionnelle ? C’est tel type d’inceste, dans tel groupe, qui me mènera à mourir de honte. Mais, qui suis-je dès lors, en tant qu’individu, sinon à moi seul une « institution », carrefour de lois, d’interdits, de rituels, d’idéaux, sous-ensemble de l’institution de la famille, de la classe d’âge, de la classe sociale, etc… ? Toute une tradition philosophique a dû procéder par d’immenses détours, pour, à partir de la « res cogitans » individuelle, marquer tout ou partie de la « res publica ».

    S’il est vrai que l’individu est l’irréductible support de l’énonciation de la parole, le groupe n’en demeure pas moins le dépositaire et l’animateur de tout langage et de toute efficience. Peut-on dire de la parole qu’elle précède le langage ou est-ce l’inverse ? Quoi qu’il en soit nous considérons que la subjectivité du groupe constitue le préalable absolu à l’émergence de toute subjectivité individuelle. Au regard de la certitude du cogito individuel, le statut de la subjectivité du groupe semble précaire. Mais à considérer celle-ci sous l’angle de la constitution des systèmes de valeurs, c’est-à-dire de structures symboliques polarisées par l’existence d’autrui elle constitue le seul garant de la saisie du sens des moindres gestes et paroles humaines.

    La découverte princeps de la psychothérapie institutionnelle, celle à laquelle nous avons toujours à faire retour pour nous « re-situer »face aux « hérésies », consiste à reconnaître que le lieu d’existence, l’hôpital psychiatrique, modifie profondément tout ce qui vient s’y pointer dans quelque ordre que ce soit. Il n’est pas possible pour un psychanalyste de formation traditionnelle d’entamer des cures dans un service hospitalier sans modifier non seulement sa technique mais également ses visées théoriques en matière de psychopathologie, ce à quoi il se refuse généralement.

    (...). Pour cerner ces phénomènes, nous avons été amenés à proposer le concept d’objet institutionnel (I), comme objet spécifique du champ technique et scientifique de la psychothérapie institutionnelle.

    A se déplacer quotidiennement dans le champ « praxique » des institutions vivantes on finit par s’apercevoir que le ressort de notre efficacité ou de nos échecs nous échappe et que les références théoriques qui ont cours à l’Université ou au « laboratoire social » passent généralement à côté des problèmes. Nombre « d’auteurs » élaborent leurs schémas explicatifs à partir d’un ordre causal qui, pour être qualifié de dynamique, n’en demeure pas moins mécaniciste et irréductible à toute dialectique de la parole humaine. Ayant pris le risque de postuler l’existence d’un « objet institutionnel » spécifique à notre recherche, un précipice théorique nous attend : la saisie de cet objet au gré d’une subjectivité de, groupe que nous aurions à différencier selon ses diverses « positions subjectives » (1) :

    fantasmes et idéaux de groupe, mécanismes de résistance et de Surmoi, de dérivation, de répétition et de déplacement, activités compensatrices, surgissement de pulsions de groupe, érotiques ou mortifères, assomption en son sein d’une parole, qui lui permette de sortir, de sa totalisation circulaire, de s’articuler avec l’au-delà de lui-même et de remanier ses principes de conservation tant dans l’ordre spatio-temporel et imaginaire que dans celui des chaînes signifiantes institutionnelles et historiques. De façon quelque peu éclectique nous avons ainsi été amenés à reforger, pour notre usage « institutionnel », une série de notions aux origines diverses. Certaines d’entre elles, comme le sur-moi et le fantasme, pouvaient s’y prêter sans trop de difficulté du fait des ambiguïtés de la doctrine freudienne qui les utilise indifféremment au niveau de l’individu ou du groupe. D’autres, comme le transfert, impliquaient une réappréciation plus approfondie ; une telle notion, dans la doctrine analytique classique, semble irréductiblement liée à la personne et à la parole de l’analyse.

    1 En quoi un groupe ou une institution pourraient-ils être le support d’une relation transférentielle ? Un groupe peut-il, au "même titre qu’un psychanalyste, interpréter le « matériel », les symptômes, actes manqués, etc., qui s’y manifestent en raison d’un « contenu latent » se rapportant à des complexes de significations inconscientes ?

    La question est importante. Nous sommes tenus d’en accepter toutes ses implications ou de renoncer complètement à l’utilisation du concept de transfert en dehors de la stricte « relation du divan » et de condamner son extension sous les rubriques de transferts latéraux (Slavson), de transfert et contre transfert institutionnels (Tosquelles et Sivadon) etc. Rien d’extraordinaire à reconnaître que le groupe joue un effet de miroir, focalise certaines réactions individuelles qui peuvent servir de support à l’expression des pulsions du groupe, atténue les disparités spécifiques, renforce les mécanismes de suggestibilité, etc.

    Répétons-le ce ne sont pas ces phénomènes qui ont motivé, pour notre école de psychothérapie institutionnelle, l’introduction de vocables nouveaux Notre souci était de déterminer les conditions permettant à une institution de jouer un rôle analytique au sens freudien. On sait que les psychanalystes ne sont pas en mesure d’intervenir de façon courante sur les psychoses et surtout dans le cas de malades internés. Aussi depuis quelques années, toute notre attention s’est-elle portée sur un réévaluation des notions analytiques donnant les moyens à un collectif thérapeutique (1) de dépasser son rôle d’assistance élémentaire. Poser la question de l’existence d’une subjectivité de groupe et d’un inconscient de groupe, qui ne soit pas réductible à une totalisation simple des sujets individuels, ne constitue donc pas uniquement un enjeu théorique mais constitue pour nous une incidence pratique immédiate.

    Comment un groupe peut-il se saisir de la parole, dans une institution donnée, à un moment donné de son histoire, sans renforcer les mécanismes sériels et aliénants qui caractérisent généralement les collectivités dans les sociétés industrielles ? Y-a-t-il au niveau d’une institution productrice de soins la possibilité de mettre l’individu dans une situation radicalement différente de celle du colloque singulier, des impasses identificatoires corrélatives au statut de la famille conjugale, des relations d’assujettissement socio-professionnelles, etc.? L’individu qui « se dit » à lui-même qu’il est troublé du désir qu’il porte à tel ou tel objet est-il identique à celui qui fait le même aveu à sa mère, à son psychanalyste ou à ses copains ?

    S’il est vrai que la honte et la culpabilité « précèdent l’existence » au point de mener plus sûrement à la mort que n’importe quelle autre passion, faut-il admettre également qu’il s’agit de honte et de culpabilité institutionnelle ? C’est tel type d’inceste, dans tel groupe, qui me mènera à mourir de honte. Mais, qui suis-je dès lors, en tant qu’individu, sinon à moi seul une « institution », carrefour de lois, d’interdits, de rituels, d’idéaux, sous-ensemble de l’institution de la famille, de la classe d’âge, de la classe sociale, etc… ? Toute une tradition philosophique a dû procéder par d’immenses détours, pour, à partir de la « res cogitans » individuelle, marquer tout ou partie de la « res publica ».

    S’il est vrai que l’individu est l’irréductible support de l’énonciation de la parole, le groupe n’en demeure pas moins le dépositaire et l’animateur de tout langage et de toute efficience. Peut-on dire de la parole qu’elle précède le langage ou est-ce l’inverse ? Quoi qu’il en soit nous considérons que la subjectivité du groupe constitue le préalable absolu à l’émergence de toute subjectivité individuelle. Au regard de la certitude du cogito individuel, le statut de la subjectivité du groupe semble précaire. Mais à considérer celle-ci sous l’angle de la constitution des systèmes de valeurs, c’est-à-dire de structures symboliques polarisées par l’existence d’autrui elle constitue le seul garant de la saisie du sens des moindres gestes et paroles humaines.

    La position singulière de la psychothérapie institutionnelle réside en ce que son point de départ, l’assistance à des individus rejetés de la société, ou plus exactement à des individus dont l’histoire et les accidents de développement ont été tels qu’ils n’ont pas été en mesure d’y trouver leur place, l’amène à mettre en question l’ensemble des institutions humaines, leurs finalités proclamées, leurs définitions des divers types d’individu, de rôle, de fonction sociale, de norme etc. Peut-être cela est-il lié au fait que l’espace social réservé à la folie, pour ne pas dire la « réserve de fous », échappe en partie à la « rationalité » des autres institutions. Nous pourrons mieux y lire, la signification et le destin des sociétés industrielles au sens où, jusqu’à présent elles n’ont pas été en mesure de donner le jour à des institutions économiques, sociales et politiques capables de rendre opératoires la parole et la créativité sociale des masses populaires, lesquelles restent jusqu’alors les objets de la machine économique

    Les hôpitaux psychiatriques nous donnent un excellent exemple « d’objets institutionnels » radicalement détournés de leur finalité social

    5 L’incapacité philosophique des idéologues de la classe dominante à mettre en circulation une doctrine de l’existence qui ne soit pas assujettie à l’individu, qui n’implique pas une « déduction » de l’existence d’autrui et, corrélativement, l’instauration de théories de l’intersubjectivité conduisant à une quête, à perte de vue, de l’ordre social au lieu de partir de lui... (...)

    Une critique cet "compréhension en terme d’individu : Simondon, Individu et collectivité. Pour une philosophie du transindividuel

    Voir en ligne : Réflexions quelque peu philosophiques sur la psychothérapie institutionnelle



  • Article tristement édifiant, même après une seconde lecture.
    Qu’elles sont lointaines les années où, étudiant en Psychologie, on enseignait que les milieux psychiatriques avaient considérablement évolués depuis la « grande époque » de Pinet & Esquirol à la Salpêtrière.
    L’on se rend compte que si le milieu avait effectivement évolué depuis le XIXéme siècle, sous l’impulsion de la psychanalyse, entre autre , c’est _in fine_ pour régresser de façon spectaculaire :
    Pinet & Esquirol sont loin devant.

    Voilà un domaine qui n’échappe pas, lui non plus, aux disparités de classe (et, en forçant légèrement le trait) : pour les plus fortunés le psychiatre à 100 euros la consultation, et pour les autres l’asile, tout type de pathologie confondu.

    Une des caractéristiques les plus symptomatiques de cette régression c’est la volonté de classifier les individus selon des critères connus et admis, alors que théoriquement on sait que cela conduit forcément à des raccourcis dangereux. L’enfer fasciste du management n’épargne aucun domaine, et il est triste de voir les milieux scientifiques y plonger lentement mais sûrement... Et la psychiatrie n’est pas la seule à en pâtir.

    GoG, sociopathe (très petit) bourgeois et vergogneux



  • Il est très difficile pour gens ne pouvant déjà dire simplement « je » d’articulier un « nous ».

    Aussi c’est toujours les autres qui parlent à notre place : infirmiers, médecins, parents...

    Voir en ligne : http://www.revue-chimeres.fr/



  • Pourtant il y a moyen de faire autrement : http://www.chsa.be/placement_familial

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