ARTICLE11
 
 

mardi 30 avril 2013

Textes et traductions

posté à 12h07, par Jean-Pierre Garnier
28 commentaires

La « gentrification », objet d’une recherche-action qui ne dit pas son nom

Gentrification. Le mot est désormais (presque) rentré dans le langage commun. Et de nombreux chercheurs se penchent aujourd’hui sur cette forme d’embourgeoisement des quartiers populaires. Las, ces analyses, plus ou moins critiques, sont récupérées par ceux-là même qui s’emploient à opérer cette gentrification. Paradoxe ?

Un spectre hante les laboratoires de recherche urbaine : la « gentrification ». Un spectre non pas effrayant, toutefois, ni même inquiétant, mais finalement assez accommodant, du moins pour les spécialistes diplômés qui se sont fait une spécialité de l’accommoder à la sauce universitaire. Car il en va tout autrement pour des habitants pour qui il est synonyme d’expulsion et d’éloignement des centres urbains. On ne rappellera que pour mémoire ce que ce terme désigne puisque, à force d’être seriné bien au-delà des cercles savants, il est en passe de rentrer dans le langage courant - encore qu’il n’ait pas fait jusqu’ici son entrée dans la langue populaire.

Tenons-nous en à la définition basique. Par « gentrification », on entend une forme particulière d’embourgeoisement de l’espace urbain touchant de vieux quartiers populaires situés dans la partie centrale des grandes agglomérations, sous l’effet de l’arrivée, non pas de bourgeois (c’est-à-dire de membres de la classe possédante et dirigeante), mais d’éléments appartenant à une fraction des classes moyennes bien pourvue en capitaux scolaires et culturels, à savoir la « petite bourgeoisie intellectuelle ». Sur le plan matériel, leur venue se traduit par la réhabilitation d’un habitat vétuste et dégradé et la reconversion éventuelle en lieux culturels de legs du passé industriel. Sur le plan symbolique, il en résulte une amélioration voire une transfiguration positive de l’image du quartier concerné. Sur le plan économique, cette revalorisation va de pair avec un boom des plus-values foncières et immobilières. Et sur le plan sociologique, les habitants situés aux échelons inférieurs de la hiérarchie sociale doivent laisser la place à de nouveaux occupants plus aisés.

« Ce que l’on appelle désormais la “gentrification” », affirme une chercheuse qui, comme ses confrères ou consœurs, se garde bien de remettre en cause cette appellation a priori incontrôlée1, « constitue un véritable sous-champ disciplinaire en sociologie et en géographie ». Cependant, le silence est de mise sur la ou les raisons de l’importance prise par ledit sous-champ et surtout sur l’intérêt qu’il suscite. Or, si l’utilité d’un tel champ reste à prouver pour les habitants qui font les frais du processus ainsi désigné, maintenus dans l’ignorance des enjeux sociaux et politiques qu’il recèle et qui l’expliquent, il n’en va pas de même pour ses bénéficiaires. Outre les chercheurs pour qui il constitue un véritable « créneau » pour ne pas dire un fonds de commerce sur le marché des idées, on peut inclure certains élus locaux, les requins de l’immobilier et les « gentrifieurs » eux-mêmes.

JPEG - 41 ko
Illustration piochée sur le site d’Indymedia UK, ICI

Nombre d’entre eux, en effet, ont eu vent des études scientifiques portant sur la « gentrification », et en ont pris connaissance, directement ou sous une forme vulgarisée. Pour le « bobo » en quête d’une résidence conforme à ses revenus et à ses attentes en matière de style de vie et d’ambiance urbaine, rien de tel qu’un article ou un reportage inspiré par ces études pour choisir le quartier populaire idoine où il établira ses nouveaux quartiers. Il en ira de même pour les marchands de biens et les agents immobiliers à la recherche d’espaces urbains en voie de « boboisation » pour y faire du blé. L’un d’eux, basé près de la Butte-aux-Cailles à Paris, confiait récemment : « Ces chercheurs qui prennent pour thème la gentrification et qui s’en prennent souvent à elle nous évitent des études de marché ! » Du côté des édiles soucieux de faire « bouger » leur ville en y ancrant la soi-disant « classe créative », en particulier celle qui, en matière d’arts et de loisirs, c’est-à-dire de production-consommation culturelle, crée les tendances et lance les modes, ces études auxquelles ils auront accès (quand ils ne les auront pas financées eux-mêmes), les éclaireront ainsi que leurs aménageurs pour l’élaborer des projets de « requalification urbaine » et des stratégies pour les mener à bien. Car ce qui était au départ un processus spontané résultant d’initiatives individuelles non coordonnées est devenu une politique concertée menée à l’initiative des pouvoirs publics pour rehausser la réputation d’un quartier ou d’une ville afin d’y attirer des citadins d’un rang supérieur à celui des anciens habitants.

Pour résumer, l’inflation d’analyses savantes, même à prétention critique, portant sur la « gentrification » concoure à l’accentuation de ce phénomène, car il requiert et suscite sans cesse de nouvelles études pour l’orienter, le maîtriser et en tirer profit. Et non pour le freiner, et encore moins pour l’enrayer. Ce qui supposerait, en effet, un réel changement de cap politique aux niveaux national et local, incompatible avec la poursuite de l’urbanisation du capital.

Considérées sous cet angle, les études consacrées à la « gentrification » peuvent apparaître comme l’application d’une variante non reconnue comme telle — indépendance postulée de la recherche oblige ! — de la recherche-action. Celle-ci-ci, selon la définition canonique, vise un double objectif : transformer la réalité sociale et produire des connaissances concernant ces transformations. Une définition qui appelle néanmoins une précision : la production de connaissances passe avant l’action transformatrice dans la mesure où elle en constitue un préalable, mais aussi après, en termes de préséance, dans la mesure où elle est au service de cette dernière. Officiellement, la recherche-action (R-A) est née de la rencontre entre une volonté de changement social et une intention de recherche. Un dualité de buts dont la réalisation peut emprunter deux voies : la R-A « interne », où faire avancer un projet de transformation sociale et faire progresser les connaissance relèvent d’un même groupe au sein d’une même institution ; la R-A « associée », où l’intention de recherche est portée par une catégorie professionnelle spécifique, les chercheurs, et la volonté de changement par des « usagers » — on pourrait dire aussi bien les utilisateurs — d’un type unique ou de plusieurs sortes.

Dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme, et plus généralement des politiques urbaines, on a affaire à une « recherche associée », plus ou moins tacite selon les cas. On a coutume de distinguer, comme le veut la division capitaliste du travail, entre les chercheurs et les « décideurs ». Mais, en matière de « gentrification », on a vu qu’il convenait de ranger dans cette dernière catégorie non seulement les élus locaux, technocrates, urbanistes, financiers, entrepreneurs, constructeurs, promoteurs et autres spéculateurs, mais aussi les acteurs au premier chef que sont les envahisseurs néo-petits bourgeois. En dépit des contradictions et des divergences qui peuvent les opposer, eu égard à leurs statuts, intérêts, objectifs, visions du monde et désirs respectifs, tous sont partie prenante et agissante d’une « requalification urbaine » prioritairement destinée, par-delà les professions de foi sur la « mixité sociale, à des « gens de qualité », comme on le disait naguère. À ce titre, tous sont des « usagers », potentiels ou réels, habituels ou occasionnels, systématiques ou superficiels, des travaux réalisés sur ce thème par les spécialistes chevronnés ès gentrification. De ce fait, ces derniers, qu’ils l’admettent ou non, contribuent ainsi à « dynamiser le changement urbain », pour reprendre une expression consacrée de la novlangue des aménageurs et des agences de com’ municipales, dans la continuité capitaliste.

Comme de coutume, les chercheurs, fussent-ils les plus « radicaux » se gardent bien, à de très rares exceptions près, de placer des bâtons dans les roues des « décideurs », ne serait-ce qu’en mettant leurs connaissances au service des habitants que l’arrivée de nouveaux venus plus dotés en ressources de toutes sortes voue à l’exil dans des zones périphériques. De ce point de vue, on pourrait parler de « recherche-inaction » ! La loi non écrite qui prévaut, en effet, dans les départements de sociologie ou de géographie urbaine est que les discussions savantes autour de la « gentrification » ne débouchent jamais, pour les experts universitaires qui y prennent part, sur un engagement pratique contre un processus et une politique qui reviennent à dépeupler les quartiers populaires au sens sociologique et non démographique du terme, c’est-à-dire à en déloger le peuple. On ne saurait confondre, en effet, comme se plaisent à le souligner les mandarin(e)s des sciences sociales, débat scientifique et combat politique. Le rôle des chercheurs est d’interpréter le monde urbain et de n’aider à sa transformation, consciemment ou non, que dans le sens souhaité par les élites qui le gouvernent. Aux résidents populaires guettés par l’éviction de se débrouiller, et aux militants, quand il en existe, de faire le reste.



1 Elle est en fait contrôlée par ceux ou celles-là mêmes qui l’ont importée et n’en tolèrent aucune autre.


COMMENTAIRES

 


  • Moué. C’est plus ou moins joliment dit, et y’a pas de raison particulière pour que ce soit faux, m’enfin c’est pas du tout démontré : de quels chercheurs on parle ? On a quelles preuves de la reprise de ces analyses ? Par quelles boîtes ? À quelles fins précises ?

    C’est pas un pauvre extrait d’on sait pas quoi tiré d’on ne sait pas où qui suffit à dessiner une tendance.. En clair : faudrait pas que ce truc, qui a le mérite d’être posé, soit un cinquantième et obscur règlement de compte académique qui n’ose même pas s’exprimer comme tel.

    • mercredi 1er mai 2013 à 12h42, par Jean-Pierre Garnier

      À l’intention du ou des sceptique(s)

      Il ne faudrait pas confondre le blog de Article 11 avec une revue scientifique. J’ai voulu lancer un débat et non rédiger un article pour « Espaces et Sociétés » ou une publication « sérieuse » où j’aurais pu pondre un article de 30 000 à 40 000 signes, avec une argumentation développée en bonne et due forme, sources et références biblio à l’appui. Rien qu’avec les coordonnées des agences immobilières où j’ai enquêté — en me faisant passer pour un « bobo » en quête de nouveaux pénates — et les extraits d’entretiens correspondants, j’aurais pu remplir une dizain de pages.
      Encore que — et j’en arrive à votre hypothèse sur « un cinquantième et obscur réglement de compte académique » — je me demande si un tel article aurait été publié
      Par les temps qui courent, en France du moins, le seuil de tolérance à la critique dans le milieu de la recherche urbaine n’est plus celui des brèves années de la « contestation ». À plus forte raison si ledit milieu est impliqué dans la critique. Je l’ai pratiqué pendant plus de quarante ans (sans compter les années étudiantes), et je peux vous assurer, au cas où vous ne le sauriez pas ou feriez mine de l’ignorer, que j’ai été maintes fois confronté à la censure ou à un délit d’opinion qui ne dit pas son nom. Surtout quand je me suis aventuré à parler de corde dans la maison du pendu, la Maison des Sciences de l’Homme, entre autre, c’est-à-dire de ce troisième larron de l’Histoire, entre bourges et prolos, la petite bourgeoisie intellectuelle. Pour plus de détails sur sa place et son rôle dans la reproduction des rapports de production capitalistes, j’en profite honteusement pour vous recommander la lecture de « La deuxième droite » qui vient d’être republié aux éditions Agone.

      • Bonjour,

        Il semble que cet article vise particulièrement la sociologue Sylvie Tissot, dont la citation, étrangement anonymisée (pourquoi ?), provient de l’article « Les centres-villes : modèles, luttes et pratiques » (Actes de la recherche en sciences sociales 5/2012 (n° 195), p. 4-11) : « Ce que l’on appelle désormais la « gentrification » constitue un véritable sous-champ disciplinaire en sociologie et en géographie, qui s’est développé plus tardivement en France que dans le monde anglo-américain. Depuis longtemps, les explications se sont diversifiées, et la diversité même du phénomène de gentrification a été soulignée. Il reste que l’expansion de ce champ de recherche a pu conduire à subsumer sous ce label des transformations extrêmement diverses dans les centres-villes. »

        On aimerait que Jean-Pierre Garnier développe son argumentation : en quoi le travail de Tissot et le dossier publié par les Actes relèveraient-ils de la recherche-action ? Quelles sont les apports et les critiques qu’il formule sur le livre de Tissot, De bons voisins. Enquête sur un quartier de la bourgeoisie progressiste (Raisons d’agir, 2011) ?

        Le fait de jouer « cartes sur table » permettrait aux lectrices/lecteurs d’Article 11 de comprendre les enjeux scientifiques et politiques de la recherche sur la « gentrification » et de mieux saisir les différences d’approches entre Garnier et Tissot.



  • Ca manque de sources en effet.
    Pour parler plus précisément de ce thème : http://www.cairn.info/resume.php?ID...



  • Oulala, d’habitude, moi, jamais commentaire, je laisse pisser, le web est aussi fait pour ça. Mais là, trop facile, trop rapide, trop... euh, avant de « trop » me lâcher, questions : Quid d’une étude des populations ’gentrifieuses’ en tant que classes moyennes supérieures (ou petite bourgeoisie si ça titille vos glandes anticapitalistes dans le sens du poil) qui trouvent finalement pas mal leur compte dans ces quartier populaires aux tarifs abordables ? dont ils font monter les prix du mètre carré, certes, mais ça dépend vachement où - et quand... C’est qu’il y en a plusieurs sortes, de ces gentrifications, et Harlem (New-York City) n’est ni la Bovisa (Milano), ni la Croix-Rousse (Lyon), donc attention aux généralisations hâtives... je vous causerais bien de St Petersbourg, Ulaanbaatar, Beijing ou Hà Nôi, mais pas la place... Pour en revenir aux exemples précédents, la fameuse, existante et désormais scientifiquement reconnue classe des créatifs-culturels (le « soit-disant » de l’article me paraît méprisant et témoigne d’une bourgeoiseté [aka paresse] intellectuelle de l’auteur mal assumée, passons) n’est pas systématiquement si pétée de thunes que ça (loin de là, c’est le précaire qui parle) et se trouve souvent bien contente de s’installer dans ces quartiers de centre-ville aux loyers abordables (qu’ils font monter, oui, on y reviendrait si y’avait le tps)... Je me raccourcis mais, quand même, quid du rôle des artistes dans tout ça ? principaux vecteurs de la gentrification (avec les anarcho-bohèmes qui lâchent pas leur part aux chiens) ; et des organisations communautaires (terminologie anglo-saxonne pour dire assos de quartier) ? Pourquoi dire que les chercheur-euses ne tolèrent aucune autre appellation, puisque c’est pas vrai ? pourquoi dire que ceusses-ci ne font rien contre alors qu’il existe pléthore d’initiatives prouvant le contraire ? Pourquoi cet amalgame curieux avec la recherche-action ? Depuis quand on assimile sans gêne, et au détriment l’un de l’autre, un phénomène et une méthode ? (ce serait votre sujet de licence je dirais « recalé »)
    Bref, article bâclé, vite torché, et dont l’auteur, s’il maîtrise son sujet, n’a visiblement pas pris le peine de le prouver. (à ce titre, l’article wikipédia est plus instructif)
    Commentaire écrit par un petit-bourgeois créa-cul (pisske c’est cô ça que vous m’appelez, moi qu’à grandit en hlm et payé mes premiers impôts sur le revenu passé la trentaine), qui voyage depuis plus d’un an en étudiant la question sur le terrain (entre autre, cf educpoptour.wordpress)... Y’avait du vrai, du saignant et de la bonne intention au départ, c’est juste parti en c—ahouète au moment de la rédaction. Dommage de déligitimer un chouette site d’info indé par de pareils parodies journaleustikes !!
    Malgré tout, bons baisers du Bellavista, quartier gentrifié de Santiago (Chile)

    • mercredi 1er mai 2013 à 15h48, par Jean-Pierre Garnier

      Au globe-trotteur Pierre,

      Je savais, et les animateurs de Article 11 aussi, que mon papier allait provoquer un tollé dans certains cercles. Comme tout ce qui peut troubler un consensus qui n’est pas le propre des milieux dits conventionnels, qu’ils soient bourgeois, populaires ou petits bourgeois traditionnels.
      C’est pourquoi, au lieu de le faire figurer dans la rubrique habituelle — « Le capital dans tous ses espaces » — de la version papier d’Article 11, il a été mis en ligne pour permettre aux mécontents qu’il n’allait pas manquer de susciter d’exprimer leur déplaisir.

      Votre topo réactif — je n’ai pas dit « réactionnaire » — m’a doublement fait rigoler : d’une part par son style éminemment drôlatique, comme aurait dit Rabelais, que j’ai apprécié ; d’autre part par le ridicule de son propos qui m’a fait presque plier de rire par sa débilité. Ou sa mauvaise foi.
      D’abord, contrairement à ce que vous supputez,je n’ignore pas qu’il existe « plusieurs sortes de « gentrifications ». Pour moi ce n’est pas un scoop car je le sais bien pour m’être farci par obligation professionnelle l’évaluation d’une kyrielle d’articles traitant de cette thématique. Il n’en demeure pas moins qu’aussi diverses soit ses formes, la « gentrification » se solde toujours par le même résultat : le « dépeuplement » au sens non pas démographique mais sociologique des quartiers concernés. Soit l’éviction, partielle ou totale, lente ou rapide, des classes populaires.
      Ensuite, libre à vous de préférer l’appellation « classes moyennes supérieures » à celle de « petite bourgeoisie intellectuelle », trop « anticapitaliste » à votre goût, pour désigner les « agents dominés de la domination », comme disait Bourdieu. Sans voir, apparemment, que vous adoptez la vision hiérarchique de la société propre aux classes dites supérieures, confirmant ainsi, s’il le fallait encore, l’imprégnation de la petite bourgeoise intellectuelle, dont vous faites comme moi partie, par l’idéologie bourgeoise. Saud que je m’en suis dissocié depuis belle lurette.
      Viennent alors une série d’accusations cocasses. Le fait que, comme beaucoup d’autres, je considère le pseudo-concept de « classe créative » comme une escroquerie idéologique témoignerait d’une « bourgeoisité/paresse intellectuelle mal assumée ». Vous feriez bien de vous informer sur le statut et les activités (hautement lucratives) du géniteur (Richard Florida) de ce concept dont l’efficience en termes de marketing urbain va de pair, comme c’est souvent le cas, avec la l’inanité scientifique.
      Idem pour le « rôle des artistes », que ne n’ai pas mentionné. De fait, cela n’en valait pas la peine : il est connu que la plupart d’entre eux sont les poissons–pilotes, conscients ou non, souvent par obligation, de la gentrification. Chacun sait, en effet, que, selon les cas, ils finissent par être intégrés et subventionnés par les élus locaux s’ils concourent à la « revalorisation » symbolique et financière des quartiers où ils se sont installés, ou expulsés si leur présence et la nature de leurs activités y font obstacle.
      Quant au refus des universitaires qui font carrière dans l’analyse de la « gentrification » d’émettre des doutes sur la pertinence de ce concept importé et, selon moi, importun (je vous renvoie à ce sujet à un topo publié sur le blog Agone), j’aimerais bien que vous me prouviez que je me trompe.
      Il en va de même pour leur engagement dans les luttes contre la « gentrification ». Ce qui vaut pour l’Amérique latine et l’Espagne ne vaut pas pour la France. Depuis le temps que je donne un coup de main d’une manière ou d’une autre aux militants et aux habitants qui luttent sur terrain contre ce processus ou cette politique, je n‘ai vu en tout et pour tout qu’une géographe (en plus de deux paysagistes). Bien tendu, n’enetrent pas dans cette catégorie les margoulin(e)s diplômé(e)s qui roulent pour les municipalités à coups de « démocratie participative » et d’« empowerment ».
      Je laisse de côté votre indigente remarque — là vous vous laissez aller — sur la recherche-action, « sujet de licence » où je serais, selon vous, « recalé ». Vous feriez mieux de réviser vos manuels d’éducation professionnelle.
      Je termine par où vous terminez : « dommage de déligitimer un chouette site d’info indé par de pareils parodies journaleustikes !! ». Si je comprends bien, il s’agit là d’une injonction aussi flatteuse que cauteleuse adressée à Article 11 pour que ses colonnes soient désormais fermées à toute parole dissidente. Cela me rajeunit : voici qu’une nouvelle vague de rebelles de confort qui se targuent de non conformité et de radicalité émet des interdits contre les prises de position qui n’ont pas l’heur de leur plaire. On se croirait revenu au temps des sectes mao ou situ. Quelle époque !

      • jeudi 2 mai 2013 à 22h53, par Syrena

        Bonjour,

        Je ne suis pas là pour rentrer dans votre débat, il y a juste un point dans votre réponse qui m’a fait tilter, point que je n’avais pas vu dans l’article :

        *** Il n’en demeure pas moins qu’aussi diverses soit ses formes, la « gentrification » se solde toujours par le même résultat : le « dépeuplement » au sens non pas démographique mais sociologique des quartiers concernés. Soit l’éviction, partielle ou totale, lente ou rapide, des classes populaires. ***

        Pourriez-vous m’expliquer SVP la différence entre un « dépeuplement » démographique et sociologique ?
        Car je comprends finalement, à vous lire, que les classes populaires de ces quartiers ne sont pas évincées de leur habitat, mais qu’elles ne s’y sentent simplement plus chez elles ?
        Ou alors je n’ai rien compris, ce qui est possible...

        • dimanche 5 mai 2013 à 13h56, par Fr.

          Pour faire simple, mettons que tu aies cent habitants appartenant aux classes populaires dans un quartier. Après gentrification, tu as à leur place cent appartenant à la petite bourgeoisie. Il n’y a donc pas de dépeuplement démographique. Mais il y a un dépeuplement sociologique (les cent habitants des classes populaires ont disparu), qui se combine avec un repeuplement (avec cent nouveaux habitants).

        • lundi 13 mai 2013 à 12h32, par Zol

          De mon point de vue, j’illustre cette différence par la présence d’habitants le soir à leur fenêtre de r-d-c ou chaise sur le trottoir pour boire un coup, lire, discuter, fumer des clopes...



  • peut-être que à Santiago, y’a pas que des bobos.
    Bien.



  • L’article dédouane complètement la gauche et son absence de propositions. Des propositions politiques, il n’y en a d’ailleurs aucune dans cet article, qui ne fait que de vagues généralités sans jamais prendre la peine de donner un seul exemple de ces soi-disant dérives. A se demander d’ailleurs si ce qui est décrit ici a la moindre réalité.

    La soi-disant alternative présentée est absurde : soit ne plus faire de recherches sur le sujet, soit que les chercheurs arrêtent de distinguer dans leur discours ce qui relève des faits objectifs issus de leurs recherches et ce qui relève de leur avis de citoyen ?

    Aux politiques de faire de la politique et des propositions, et aux chercheurs d’apporter des éléments objectifs au débat politique.

    Rien n’interdit d’ailleurs les chercheurs de faire des propositions politiques, mais il est absolument nécessaire qu’ils distinguent leur discours scientifique et leur discours militant : sinon, comment les citoyens pourraient-ils porter le moindre crédit au discours scientifique ?

    Exiger des chercheurs qu’ils mêlent discours politique et scientifique est dangereux pour la science, mais aussi pour la gauche. C’est une position qui ne peut que mener à l’obscurantisme.

    • mercredi 1er mai 2013 à 17h24, par Jean-Pierre Garnier

      Réponse à l’anonyme,

      Quitte à vous choquer, je suis tenté d’imputer vos remarques à une naïveté qui, elle-même, pourrait être imputée à la jeunesse.
      Où avez-vous vu que je « dédouane complètement » la gauche ? Outre que les chercheurs auxquels je me réfère — sans les citer sauf une pour ne pas laisser anonyme la citation qui sert de point de départ à mon propos — , se considèrent tous comme « de gauche » (ils votent tous PS, PG, Verts), vous auriez pu noter, si vous lisiez régulièrement Article 11 sur le blog et, en version papier, la rubrique « Le capital dans tous ses espaces », qu’un certain nombre traitaient sous un angle ou un autre des politiques urbaines de « dépeuplement » des quartiers populaires menées par les municipalités « de gauche » : Grenoble, Ivry, Lens, Saint-Étienne, Paris, Nantes et bientôt Tours. Vous faut-il d’autres exemples ?
      En ce qui concerne les spécialistes ès-gentrification, c’est leur implication dans les luttes contre ce processus ou cette politique qui « n’a pas la moindre réalité ». Je ne reviendrai pas cependant sur ce point car j’en ai traité dans ma réponse au contradicteur qui vous précède sur le blog. Vous pouvez vous y reporter.
      Reste la question principale : la relation entre recherche et engagement. Figurez-vous qu’elle ne date pas d’hier. Vous l’évacuez, comme c’est la norme dans un milieu recherche totalement normalisé en reprenant le vieux distinguo : aux chercheurs la recherche, aux « décideurs » ou aux « citoyens » la politique. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi.
      J’appartiens à une génération où nombreux étaient ceux pour qui faire de la recherche était une autre manière de faire de la politique. À la fureur des mandarins de l’université ou du CNRS férus de « neutralité axiologique » et d’« objectivité scientifique » qui faisaient eux-aussi de la politique, mais sans le reconnaître, en dépolitisant systématiquement leurs thèmes de recherche. Seriez-vous comme eux ? Comme si l’urbain n’’était pas un objet intrinsèquement politique ! Et que la manière de l’aborder et d’en traiter ne renvoyait pas à des présupposés voire des préjugés idéologiques et politiques.
      Vous faites partie des gens pour qui le « discours scientifique » ou qui se pare des plumes de la scientificité ne saurait être sous l’emprise de tels présupposés ou préjugés. Et que « le citoyen » — lequel ? Bernard Arnaud ou la caissière de supermarché — est tenu de prendre pour argent comptant. Or, si risque de « mener à l’obscurantisme » il y a, c’est précisément en laissant dans l’ombre le caractère de classe de l’urbanisation dans le monde contemporain au lieu de mettre en lumière les intérêts, les forces sociale et les enjeux
      Cela dit, ce n’est pas ce que je reproche aux chercheurs qui ont pris la « gentrification » pour « créneau », mais le fait que leurs analyses, fusent-elles critiques, encore qu’il y aurait beaucoup à dire et à redire sur la mollesse ou la radicalité de cette critique, ne profitent aucunement, sinon parfois de manière indirecte par le biais de militants, aux gens qui en auraient également besoin, en dehors des profiteurs de tout poil. Pour vous il y a incompatibilité totale entre recherche et engagement. Je vous comprends. C’est plus reposant. Mais vous pouvez quand même admettre que l’on puisse penser différemment. Et le faire savoir.



  • mercredi 1er mai 2013 à 16h41, par xxxxxxxxxxxxx

    On sait que si la morale (religieuse) et l’économie furent les supports principaux du capitalisme industriel, ce dernier, confronté à quelques contradictions et luttes, a éprouvé le besoin de s’annexer d’autres disciplines pour raffiner sa prise sur la société, la population, dont les « sciences humaines » en tout genre.

    Mais dire que toute activité de connaissance de la société est un service rendu au capital, c’est plus que court.

    Un contre exemple, un seul, et qui n’épargne pas « la gauche » Le logement social à la parisienne, de Anne Clerval



  • mercredi 1er mai 2013 à 18h39, par Jean-Pierre Garnier

    Je ne sais jamais, quand je vois certaines réactions négatives à mes prises de position —je laisse de côté les approbateurs—, si je me suis fait mal comprendre ou si l’on préfère faire semblant de ne pas avoir compris. Vous me semblez faire partie de la première catégorie, et c’est pour cela que je vous réponds.
    Je n’ai jamais dit ou écrit que « toute activité de connaissance de la société est un service rendu au capital ». Encore que, contrairement à ce que vous avancez, les capitalistes ou plutôt leurs représentants politiques et idéologiques n’ont pas « annexé » les sciences humaines. Comme le montre l’histoire de ces dernières, ce sont eux qui les ont fondées. Face aux révolutions, soulèvements et insurrections populaires, il était urgent de savoir exactement de quoi retournait dans la société, notamment dans ses bas-fonds. « La géographie, ça sert à faire la guerre », affirmera plus tard le géographe Yves Lacoste dans un livre fameux portant cet intitulé. « La sociologie, ça sert à contrôler », écrit en écho le sociologue Mathieu Rigouste dans un ouvrage publié récemment sur « la domination policière ».
    Mais, sans faire un historique des rapports de forces qui ont influé depuis la fin du XIXe siècle sur l’orientation des connaissances produites sur la société par les chercheurs des différentes disciplines, il est évident qu’une part plus ou moins importante, selon l’évolution ces rapports, a été laissée aux approches critiques. Ne serait-ce que dans l’intérêt des classes dominantes confrontées à des contradictions qui, pour être « gérées » à défaut d’être résolues, devaient être mis en lumière et non dissimulées. Dans un petit livre qui sera peut-être réédité, « Le marxisme lénifiant », je montrais, par exemple, pourquoi et comment les chercheurs « contestataires » avaient bénéficié de la préférence des instances qui pilotaient la recherche urbaine dans les années 70.
    D’une manière générale, même si elle n’est pas toujours en odeur de sainteté en haut lieu et reste largement minoritaire, la critique « radicale » de l’ordre établi a toujours droit de cité… scientifique et universitaire. Et ses apports sont indéniables pour ceux qui veulent lutter activement, c’est-à-dire sur le terrain, contre cet ordre. Mais, ce que j’ai voulu dire, dans le topo publié par A. 11, c’est que cette lutte serait plus efficace si les chercheurs critiques venaient en renfort au lieu de borner leurs interventions à ce que l’on appelle outre-Atlantique un « radicalisme de campus ». C’est ce que je répète d’ailleurs (en vain) à mon amie Anne Clerval que vous mentionnez —un livre sur la « gentrification », tiré de sa thèse remaniée et actualisées va sortir à la Découverte à la rentrée sous le titre qui en résume le propos : « Paris sans le peuple ».
    Bien qu’il ne soit plus depuis longtemps l’un de mes maîtres à penser, je ne peut m’empêcher de citer la question qu’avait posé Lénine aux intellectuels révolutionnaires russes dans un opuscule au titre programmatique : « Que faire ? » Or, la question me semble redevenue de plus en plus d’actualité. La réponse des chercheurs jusqu’ici est : « théoriser ». Ce que je voulais dire, c’est qu’ils pourraient mieux faire. Passer enfin à la pratique, sans délaisser pour autant la théorisation.

    • vendredi 3 mai 2013 à 18h34, par ça fait longtemps que j’ai pas posté sur A11...

      J’hésitais à m’y référer, mais puisque vous le citez dans votre commentaire :

      « Savoir penser l’espace pour savoir penser le pouvoir

      Les citoyens n’utilisent pas les informations qui leur sont accessibles. Ils ne combinent pas, à différentes échelles, les ensembles spatiaux dont ils relèvent. Les réseaux de pouvoir, les flux qui traversent l’espace, les points névralgiques qui le polarisent leur sont opaques. Comment récuser alors les places, les limites, les trajets qui leur sont assignés ? en imaginer d’autres ? Les citoyens doivent exiger les résultats des enquêtes dont ils sont l’objet : sinon, comment contester les formes d’organisation qui leur sont présentées comme les seules possibles ? Luttes ouvrières, luttes urbaines, luttes régionalistes se déploient dans l’espace. Portées à incandescence, victoire ou défaite sont sanctionnées sur le terrain. L’unification stratégique, l’élaboration de modèles autres de société exigent une intelligence de l’espace. Et pas seulement dans les états-majors politiques.

      De la critique des cartes aux cartes de la critique

      Nous accusons la géographie dominante d’être complice de l’ordre social/spatial établi, quand elle le légitime ou quand elle l’aménage. Nous lui reprochons autant ses discours que ses silences. Faut-il confronter les textes géographiques à d’autres textes qui leur sont différents — le matérialisme historique —, voisins — les sciences sociales —, ou consanguins — une autre géographie, encore en pointillé ? Faut-il relever ce que les géographes ont découvert et ce qu’ils ont raté, pour inscrire sur le Tableau imaginaire du savoir leurs absences et leurs présences, leurs mérites et leurs bévues ? Notre ambition n’est pas de remplir les blancs de la géographie en puisant dans le grand stock du savoir. Interpeller les géographes ? —Quel est votre statut ? Quel est donc ce concret, quel est donc ce terrain, quel est ce paysage dont vous nous parlez tant ? Ces données géographiques, qui vous les donne ? Les contraintes, qui les impose ?
      Les géographes sont toujours restés sourds à ce type d’injonctions. Sourds et muets. Notre projet : mettre à profit nos outils, nos cartes, un certain savoir-faire, nous réapproprier la géographie pour l’utiliser à d’autres fins, à d’autres stratégies, pour l’enseigner autrement. Diffuser nos travaux aux groupes exposés à l’Enquête. Cartographier l’implantation des firmes pour déjouer leur mobilité, démasquer l’aménagement du territoire, débusquer les fabrications à fin répressive d’espaces réels ou imaginaires, localiser les tensions à venir. Dresser une topologie de la domination. Critiquer, c’est mettre en crise. Polémiquer, c’est faire la guerre. Nous ne réformons pas la géographie, nous la retournons contre nos adversaires. C’est d’une guérilla épistémologique qu’il s’agit : escarmouches idéologiques, embuscades théoriques seraient dérisoires si ne s’en dégageait une géographie alternative et combattante. Cette géographie, en informant la pratique des militants, des syndicalistes et informée par elle, permettrait aux groupes dominés de mieux situer l’ennemi, de mieux connaître et mieux choisir le terrain. »

      Editorial n°1 de la revue HERODOTE, 1976, éditions F. Maspéro.

      • samedi 4 mai 2013 à 05h26, par Jean-Pierre Garnier

        ça, c’était la Lacoste des années 70. Ce qu’il écrivait à l’époque est toujours valable. Mais il a « évolué » depuis. Il a été, entre autre, l’un des plus chauds partisans de la première « guerre du Golf ». En diabolisant Saddam Hussein au nom des droits de l’homme, bien entendu. Il est vrai qu’il revenait de loin : 14 années dans un PCF archi-stalinisé, président des Amitiés franco-albalises (sous Enver Hojda !), puis des Amitiés franco-cubaines...



  • J’ai fait mon mémoire sur la gentrification de la Guillotière à Lyon. Force est de constater que la situation dans ce quartier colle parfaitement bien avec ce qui est décrit dans l’article, qui d’ailleurs, a remué le couteau dans la plaie de ma propre pratique militante : quasi-inexistante, si ce n’est par la décision de ne pas habiter le quartier, et dans les discussions de fin de soirée..

    À la Guillotière, les premiers à dénoncer la gentrification sont les nouveaux habitants, activistes de l’action sociale et culturelle dans le quartier, qui sont pourtant les gentrifieurs les plus actifs.
    Schyzos, il se justifient par le fait de « démocratiser la culture », de l’importer dans un quartier abandonné. Leur simple présence dans un quartier populaire, c’est de la mixité sociale...
    Leur action ne sert aujourd’hui qu’à rendre ce quartier déjà saturé par les initiatives culturelles, « attractif ».
    La proportion des ouvriers y est aujourd’hui inférieure à la moyenne lyonnaise.
    Et les projections en plein air sur la gentrification n’attirent qu’une certaine population, peut-être pas complètement bobo, mais terriblement homogène. Sans doute précaire, mais avec énormément de ressources culturelles et collectives : ex-étudiants vivant en squat etc.
    Une ou deux initiatives par-ci par-là : UNTEL a permis à telle famille Rrom de trouver une place dans tel squat : c’est tous ceux qui connaissent UNTEL qui ont bonne conscience
    Quant aux universitaires bossant sur le sujet, c’est clair qu’on ne les voit jamais, si ce n’est pour poster des commentaires sur Article 11..

    • La gentrification c’est la ville aliénée au statut d’une simple marchandise. C’est la ville qui se donne, prostitue, aux plus offrants. C’est la ville vile que les habitants se doivent non pas d’habiter, mais de fétichiser. C’est la ville de l’ « Homo festivus », de cet homme assoiffé de récrés et non de pensés. C’est la ville réduite à un « camp » pour « personnes et familles aisées ». C’est la ville ségrégationniste qui contraint (somme) les « classes dangereuses » à s’exiler vers un Ailleurs sans nom. C’est la ville du divertissement et de l’analphabétisme généralisés. C’est la ville sans « rues », mais pas sans « commerces ». C’est la ville où le « sentiment de la vie » se doit de ne s’annexer qu’à la consommation d’objet en toc. C’est la ville des décervelés et branchés. C’est la ville où une classe, politiquement « élue », collabore au renforcement de sa propre servitude volontaire. C’est la ville qui exècre les pauvres. C’est la ville au service du dieu, assoiffé de sacrifices humains, Mammon. C’est la ville où les bêtises et les conneries sont applaudies, adulés et les réelles pensées maudites. C’est la ville supposée sans antagonisme social. C’est la ville de Casimir. Bref, la gentrification, c’est la ville où le capitalisme s’est naturalisé.

    • samedi 4 mai 2013 à 05h58, par Jean-Pierre Garnier

      Je vous remercie de vous confirmer ce que j’avance. Il est exact que les participants aux débats non sur mais contre la gentrification font souvent partie non pas des classes populaires mais des franges inférieures de la petite bourgeoisie intellectuelle, parfois même menacées par la prolétarisation. J’ai pu le constater, entre autre, lors de débats autour du film catalan « Squat » que j’ai été chargé d’« animer » tout au long de 2011.
      Cela dit, je comprends fort bien que les gens appartenant à des couches aussi « cultivées » que précarisées n’aient d’autre solution que de jouer, même à corps défendant, les « gentrifieurs » en se logeant dans des quartiers populaires pas trop mal situés en termes de centralité urbaine. C’est le cas de la plupart de mes copines et copains.
      Mais ce qui me gonfle, ce sont les chercheurs et chercheuses confortablement installées dans l’institution qui ont fait de l’analyse de la « gentrification » leur créneau, comme je l’ai écrit, sans jamais songer à aider, de quelque manière que ce soit — il y en a plusieurs — , les populations qui en font les frais à y résister.
      En Espagne, pour ne pas parler de l’Amérique latine, il y a des anthropologues, sociologues, géographes urbains, des prof d’urbanisme qui s’activent avec leurs étudiants aux côtés des résidents des quartiers touchés par la gentrification à leur filer des infos et des arguments, à leur donner un coup de main pour élaborer des contre-projets, à mobiliser l’opinion et à saboter les réunions de « concertation ». En France les experts ès gentrification et ségrégation urbaine qui font de même se comptent sur les doigts d’une main.
      Vous dites que parler de ce non engagement des chercheurs revient à « remuer le couteau dans la plaie ». Encore faudrait-il qu’il y ait une plaie. Vous n’êtes sans doute pas représentative d’un milieu où la bonne conscience et l’autosatisfaction règnent sans partage, et où parler de corde dans la maison du pendu vous font considérer comme un malotru.

    • Salut, Je fais également mon mémoire sur la Guillotière, je suis Toulousain mais je fais mon stage de M2 à Lyon, ce serait cool si on pouvait échanger par mail et se filer des infos. Mon mail : pou6net@hotmail.com

      • lundi 11 novembre 2013 à 08h11, par Jean-Pierre Garnier

        Excusez le retard. Je n’avais pas vu votre commentaire.
        Vous pourriez vous procurer le dernier numéro (nov.-déc. 2013) du journal de contre-information lillois « La Brique » — voir leur site pour l’adresse — dont une grande partie est consacrée à l’« embourgeoisement » de la « capitale des Flandres » sous l’égide de la coalition municipale néo-petite bourgeoise rose-verte. Les mêmes causes — la « métropolisation des capitales, nationales ou régionales, du capital — produisent les mêmes effets à Lille,Toulouse, Lyon ou ailleurs.
        Je viens avec deux membres du comité de rédaction de remettre le couvert dans le numéro version papier qui vient de paraître de Article 11 à propos du « dépeuplement » du quartier de Moulins.
        Mon mail est :
        garnierjeanpierre33@gmail.com



  • samedi 4 mai 2013 à 19h06, par Benjamin Caillard

    Bonjour,

    Je suis enseignant-chercheur (micro-nanotechnologies). Je suis ++++ que d’accord avec vous sur l’absence de volonté de lutte de mes collègues : j’ai même ciblé ce phénomène dans une de mes actions militantes.
    C’est un des objets de ma conférence gesticulée qui s’intitule « (con)science et progrès : la recherche scientifique au service de l’humanité (la plus aisée) » que, si vous avez le temps (ça dure 2h30... alors même si c’est sensé ne pas être chiant, il faut le temps quand même !), vous pourrez trouver là :

    http://lille1tv.univ-lille1.fr/coll...

    (je ne l’ai montrée qu’une seule fois en université, sur invitation d’une super asso étudiante, les 9 autres fois, c’est dans des bars/théatres/festivals/événements militants ... Mais je compte bien aller la jouer dans le plus de fac possible maintenant qu’elle est à peu près au point. Avant je n’osais pas trop : s’attaquer à la recherche scientifique et aux chercheurs quand on n’est pas chercheur un peu brillant, c’est pisser dans un violon, au mieux)
    Merci à vous pour cet article que j’ai abondamment relayé. Bon courage contre la bien-pensance universitaire, reflet d’une domination qui refuse de dire son nom : nous ne sommes pas dominants voyons, nous sommes tout simplement des gens raisonnables, il faut réfléchir etc etc etc



  • samedi 4 mai 2013 à 21h50, par Jean-Pierre Garnier

    Apparemment votre position ressemble beaucoup celle de Tomjo, auteur de « L’enfer vert », un lillois dont vous avez sans doute entendu parler qui, dans ce bouquin, s’est payé dans les grandes largeurs les écolocrates techno-cientistes à la solde de Martine Aubry. Vous semblez aussi intellectuellement proche de Pièces et Main d’œuvre, de Grenoble. Ce sont tous des copains en rupture de classe avec la valetaille néo-petite bourgeoise.



  • A méditer, amis universitaires :

    “Les périphéries n’ont rien à attendre du centre : s’adresser à lui condamne à être éternellement périphérique.

    [...]

    Sans le centre. Pour nos centres.

    Et faisons nos mondes au lieu de refaire le monde.”

    Collectif ancrages, Leur laisser la France, p. 79.



  • Bonjour,

    merci pour cet article.
    Pouvez-vous nous indiquer quelques récits d’expériences de résistance à la gentrification.
    Quels collectifs agissent aujourd’hui, dont nous pourrions nous inspirer ?

    • jeudi 25 juillet 2013 à 18h13, par Jean-Pierre Garnier

      Bonjour P,

      J’ai tardé à vous répondre parce que j’avais cessé de m’enquérir sur les réactions suscitées par mon papier.
      En France, la résistance pratique à la gentrification n’est pas, comme je l’ai affirmé, le fait des spécialistes diplômés ès gentrification qui font plutôt leur beurre sur elle. Elle est le plus souvent le fait deux sortes de collectifs.
      Les premiers, souvent éphémères, sont formés par des militants et habitants à l’occasion d’une lutte contre une politique ou des projets de « requalification urbaine » menés sur un lieu précis. Ex : quartiers Saint-Martin à Brest, Saint-Michel à Bordeaux, quartier des Crottes et Picon-Busserine à Marseille, quartier Ivry-Seine, etc.) Les seconds collectifs, organisés autour de journaux, de sites internet ou de radio « alternatifs », consacrent des articles ou des émissions à tel ou tel aspect de la « gentrification » dans une perspective de sensibilisation et de mobilisation.
      Pour les journaux, outre Article 11, on peut citer CQFD (Marseille), le Postillon (Grenoble),la Brique (Lille),La lettre à Lulu (Nantes), L’Ire des Chênaies (Limans). Pour les sites, en plus de Article 11, Divergences, l’Écœurement (Saint-Étienne)et d’autres que j’ignore. Côté radios :Fréquences-Paris-plurielle, Radio Aligre, Radio Libertaire à Paris, Radio Grenouille à Marseille, Radio Zinzine (en Haut-Provence) etc.
      En résumé, le combat contre la « gentrification » est pour le moment un combat archi-minoritaire qui contraste avec l’ampleur du phénomène et l’inflation des discours savants qui la prennent pour objet. Mais ce n’est pas une raison pour y renoncer.



  • Merci pour l’article. ça rejoint bien un sentiment de malaise que j’ai pu éprouver dans le milieu universitaire (en l’occurrence un master d’urbanisme à Stockholm).

    Certains pouvaient discuter de façon « critique » sur le rôle des hipsters dans la ségrégation spatiale en cours le matin et aller boire leur café latte dans les rues de « SoFo » (une partie de Södermalm, historiquement quartier ouvrier, et maintenant repaire de la « classe créative ») l’après-midi, sans y voir aucune contradiction, ou alors même en soulignant l’ironie de la situation dans un éclat de rire.

    Bon au moins ça m’a donné envie de m’engager plus directement, et ça m’a débarrassée des fausses excuses pour ne pas le faire, d’une certaine bonne-conscience confortable...

    Je suis de retour en France et je me pose la question du comment...

    Vous dites dans un des commentaires plus haut :
    « En Espagne, pour ne pas parler de l’Amérique latine, il y a des anthropologues, sociologues, géographes urbains, des prof d’urbanisme qui s’activent avec leurs étudiants aux côtés des résidents des quartiers touchés par la gentrification à leur filer des infos et des arguments, à leur donner un coup de main pour élaborer des contre-projets, à mobiliser l’opinion et à saboter les réunions de « concertation ». En France les experts ès gentrification et ségrégation urbaine qui font de même se comptent sur les doigts d’une main. »

    Est-ce que vous avez des exemples plus précis de contre-projets ou de sabotages de procédures de « concertation » en Espagne ou en Amérique latine, qui pourraient inspirer des français ?

  • Répondre à cet article