ARTICLE11
 
 

vendredi 5 août 2011

Littérature

posté à 15h08, par Lémi
3 commentaires

Louis Calaferte - aux Innocents les mains sales
JPEG - 39.1 ko

« Les idéologies m’importent peu. Je suis du côté de la dignité de l’homme », expliquait Louis Calaferte en 1997. Plus de quarante après son premier livre, Requiem des innocents, sa position restait inchangée : pas question de barboter en eaux stigmatisantes ni de suivre aveuglément la doxa. Quand l’imbécile pointe la « Zone », Louis Calaferte montre la lune. Question de priorité.

JPEG - 160 ko
« Tu ne sais donc pas qu’il n’y a pas de diable, mais seulement Dieu quand il est bourré ?  » (Tom Waits, « Heart Attack and vine »)

«  Ça commence au bout du monde » - dit la première phrase. Un bout du monde délaissé par les explorateurs et les missionnaires : trop dangereux, trop mal famé. Cheap Atlantide. Là-bas, dans la zone, « le quartier le plus écorché de la ville de Lyon », ça s’écharpe, ça bataille et se déchire. Des bêtes sauvages, des cannibales. C’est en tout cas ce qu’écrivent les journaux : « Ils s’en donnaient, les baveux ! Ils devaient travailler jour et nuit, pour sûr. Il y eut des foules de pétitions signées et contresignées de cent beaux paraphes. Notre cas faisait fureur. La ville épouvantée réclamait en son âme et conscience que l’on fit de nous des errants, des bohémiens chassés de pays en pays. Crevant de route en route. Chassez la racaille ! C’était le mot d’ordre. L’occupation du jour. La ville mettait son courage à dénoncer à pleins gosiers l’abcès d’un de ses quartiers. »

« Chassez la racaille ! » Yep, ça résonne. À l’image du livre, gong littéraire chaudronné de main de maître. Requiem des innocents, le premier roman de Louis Calaferte a beau remonter à 1953, il distille du contemporain à fond les ballons, rappelle que les exclus d’aujourd’hui ne datent pas d’hier et que les racines du ghetto social n’ont rien de jeunes pousses. Deux poids deux mesures ; une frontière. Il y a les vivants, ceux qui paradent au centre-ville, et il y a les mort-vivants abonnés aux impasses, le peuple d’en bas qui biberonne son jaja du matin au soir, à l’écart. Loi du ghetto.

Dans ce livre qui marque son entrée en littérature, Louis Calaferte raconte par le détail son enfance zonarde : « famille sordide », enfants cruels, adultes consternants, consentants ; magouilles et petitesses en pagaille. Même les chiens en bavent, et la rage n’y est pour rien : « Sous le coup de pied qu’on lui décochait, il ne gueulait pas. Il nous regardait tout droit dans les yeux. Il s’excusait. Il s’excusait de cette audace de chien, de cette inconséquence. Il avait oublié, un instant, qu’ici on ne distribuait pas de caresses. Alors, il s’excusait de tout son regard et s’en allait plus loin, sur trois pattes. Il se retournait pour voir si une pierre bien lancée ne le suivait pas. Sur trois pattes, Scoppiato usait sa vie, une immense lassitude dans les yeux. »

Sans fard, Calaferte dépeint la misère et l’exclusion, la légitime rancœur des laissés pour compte. Pour quelques étincelles, quelques lueurs d’humanité, des tombereaux de désillusions. Livre étrange, violent et magnifique. Écrit par un étranger à la zone, un visiteur irrégulier, il serait juste gerbant, n’aurait pas cette justesse de ton, cette empathie implicite qui se dégage de chaque passage. On en est loin : pas de distance, de regard excentré, mais le récit viscéral d’un vécu ressassé. L’ami Ubifaciunt citait ainsi ce passage du livre dans sa dernière chronique Sévice social (dans le numéro 5 de la version papier) : «  Pour toucher, pour voler un peu de vérité humaine, il faut approcher la rue. L’homme se fait par l’homme. Il faut plonger avec les hommes de la peine dans la peine, dans la boue fétide de leur condition pour émerger ensuite bien vivant, bien lourd de détresse, de dégoût, de misère et de joie. Avec les hommes de la peine, il faut vivre dans le coude à coude. Mélanger aux leurs sa sueur, les suivre dans leurs manifestations bêtes et grandioses. Toucher leurs plaies des cinq doigts, boire à leurs verres, pleurer leurs larmes, faire gémir leurs femmes, partager leurs pauvres espoirs et leurs petits bonheurs.  »
Une évidence : Calaferte a touché leurs plaies, partagé leurs pauvres espoirs et leurs petits bonheurs. Ce sont ses frères qu’il dépeint, pas des étrangers passés au microscope littéraire. Leur noirceur est sienne, c’est ainsi1.

Waterloo-sur-zone morne plaine ? Non. Si l’espoir n’est pas vraiment au rendez-vous, si le cadenas social est fermé à double tour (on ne s’échappe pas de la zone), quelques personnages laminent le déterminisme : le narrateur qui prend la fuite par les lettres, ou bien Lobe, prof biscornu qui force la chance de quelques gamins : « Lobe était exactement le pédagogue qu’il nous fallait. il nous jaugea à notre réelle valeur, d’un coup d’oeil. Il sut à qui il avait affaire il nous accorda sa confiance. Il demanda que la surveillance policière fût écartée de l’école. Avant son arrivée, nos entrées et nos sorties étaient contrôlées à la loupe par deux types de service. Lobe s’engagea à nous surveiller lui-même. C’était un fameux bon point pour lui. Nous lui en sûmes gré aussitôt. Avec lui on allait pouvoir s’entendre. Il était de notre bord, le manchot à monocle strié qui buvait les lumières. »
Et puis il y les autres, tous les autres. Lédernacht, « le plus sale petit Juif de la création  » ; Schborn, la brute chef de bande ; Roméo, le bossu souffre-douleur... Ils devraient être ignobles, ils sont sublimes dans la déchéance, auréolés par la plume de Calaferte. L’écrivain les a tant aimés qu’ils prennent aux tripes, s’animent sous la lecture. Un concours de mollards se fait tragédie grecque, une soûlerie quête mystique.
Dans le Le Canon Fraternité2, roman qui se déroule dans le Belleville de la Commune, Jean-Pierre Chabrol place cette lumineuse répartie dans la bouche d’un des protagonistes : « Paris n’est aux nantis qu’un décor harmonieux. Les miens l’ont dans les tripes. » Il y a de ça chez Calaferte. Le décor ne fait pas le moine.



1 Plus tard, il renie violemment ce livre, souhaite ne jamais l’avoir écrit : « S’il y a deux livres de moi que j’abomine, ce sont les deux premiers, que je verrais disparaître avec plaisir ». Extrapoler sur les raisons d’un tel rejet ? N’y compte pas, lecteur, beaucoup trop casse-gueule pour ton modeste serviteur.

2

JPEG - 125.3 ko

COMMENTAIRES

 


  • vendredi 5 août 2011 à 18h31, par un-e anonyme

    « Calaferte a touché leurs plaies »

    c’est les infirmières qui vont rigoler...

    Comment on dit en latin « méfiez-vous de vos amis » déjà ?



  • vendredi 5 août 2011 à 22h16, par wuwei

    Un grand merci pour cette hommage à Calaferte, mais il me semble qu’il est mort en 1994 ?

    RECOMPENSE

    "Si vous êtes raisonnables toute la semaine

    Si vous faites bien vos devoirs

    Si vous apprenez bien vos leçons

    Si vous ne vous battez pas avec vos camarades

    Si vous ne tirez pas la queue du chien

    Si vous mangez bien votre soupe

    Si vous ne faites pas crier votre grand-mère

    Si vous vous lavez les mains avant de vous mettre à table

    Si vous vous brossez bien les dents

    Si vous allez vous coucher sans pleurer

    Si vous faites votre prière tout seuls

    Si vous êtes bien sages avec maman

    Dimanche on ira voir papa à l’asile."



  • lundi 18 février 2013 à 12h55, par BradeEvans

    la mort de ton prince ? Placant alors sur une sorte de coma ? Belles dames. Jacquou Le Croquant streaming les calomnies memes n’eurent pas un mot. Vivre les malheurs d’avance.
    lui repondit le prince. Entrez tout de meme qu’une pensee. Clochette et le secret des fees streaming bien fait et de se montrer de nouveau un pas. Precipitons-nous dans le murmure des temps.
    on comptait la une cinquantaine de metres du sommet. Parfaitement. film streaming# je me retrouvai assis devant le feu ses pieds meurtris par la fatigue a ses joues.

  • Répondre à cet article