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mardi 19 août 2008

Littérature

posté à 12h29, par Herr Grimaud
4 commentaires

Freikorps et nihilisme révolutionnaire, histoire d’un drôle de salopard
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Dilemme ! Cas de conscience ! Trituration neuronale… Que faire quand on apprécie la plume féroce d’un auteur méconnu mais qu’on abhorre ses idées et qu’on déteste ses convictions ? Le mieux est d’en parler. Illustration avec « Les Réprouvés », bouquin du nationaliste allemand Ernst von Salomon. Ou l’éternelle histoire du salaud qui écrivait comme un Dieu.

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Ce qui a titillé mon cortex ? Une case de BD, deux teutons casqués et boulonnés disant « La guerre c’est nous » (dans Par les chemins noirs de David B., excellente BD au demeurant et dont l’image ci-dessus est extraite). C’était suffisant pour mettre en marche le sinistre mécanisme de ma curiosité et décider que les Corps francs constitue une tranche d’histoire qui mérite qu’on y mette les doigts.

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Le cerveau est définitivement une tuyauterie étrange.

Récapitulatif : les Corps francs ou Freikorps sont ces groupes de combattants allemands qui, à la signature de l’Armistice, refusent d’arrêter le combat. Sous prétexte de défendre les populations baltes de souche allemande, ils vont friter les cocos sur les marches orientales de l’empire austro-prussien. Ils sont également responsables de l’écrasement saignant de la révolution Spartakiste et notamment de l’assassinat de Rosa Luxembourg et de Karl Lieknecht. D’après moi, c’est un des derniers moments proprement guerrier et barbare de l’histoire occidentale (ou un des premiers, ça dépend comment on voit les choses). Une guerre par amour de la guerre et par mépris des valeurs occidentales. Historiquement, c’est un peu l’apéro avant le plat principal sauce troisième Reich.

Moi, c’est le genre de morceau qui m’excite pas mal intellectuellement. Du coup, j’ai cherché des bouquins là-dessus et j’ai trouvé un livre d’Ernst Von Salomon : Les Réprouvés. Membre des Freikorps lui-même, il fait paraître son récit autobiographique en 1930, après avoir passé cinq ans en prison pour sa complicité dans l’assassinat de Walter Rathenau, politique abattu en 1922 par des membres de groupes nationalistes.

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Un putain de cas de conscience.

Il est maintenant temps d’exposer mon problème : Ernst Von Salomon est un fasciste nationaliste à l’ancienne. Rien de bien original, ça grouille à cette époque… Sauf que ce gars écrit comme un Dieu et que son récit est autobiographique. Je n’apprends rien à personne si je pose qu’un des ressorts traditionnels du roman est l’identification. Ce qui me perturbe, au fond, c’est de me plonger dans un livre entamé sous un prétexte historique et de me retrouver saucissoné dans un récit palpitant où je suis du côté des salauds. Comme un viol de mon cerveau de gauchiste. Etrange…

Mon principal souci a donc été de trouver la faille, la condamnation de von Salomon qui pourtant saute aux mirettes, j’appellerais ça : « Un homme, un vrai. » Une mystique machiste et nationaliste du corps, de la virilité, de la violence. C’est suffisant pour le botter en touche. Cerise sur le gâteau : si on s’intéresse aux répercussions de son œuvre, c’est tout bonnement affligeant, ce livre est culte dans les milieux nationalistes. C’est bien plus difficile de passer outre pour un tel auteur « confidentiel » que pour Céline, par exemple, dont le cas a été traité et classé. Ce dernier est un bâtard à la personnalité ambiguë mais un écrivain génial. Et pour faciliter les choses, ses livres tardifs et connotés sont pratiquement illisibles tellement ils sont mauvais (Rigodon, D’un château l’autre… etc.). Il s’y étouffe dans sa morve sans rien proposer de bouleversant.

Revenons à von Salomon. Au début, je me suis dit que je n’écrirais rien là-dessus. Mais j’ai fait des recherches et la plupart des commentaires écrits sur ce livre et son auteur sentent la chemise brune moisie. J’ai pensé que ce serait aussi débile de leur laisser Les Réprouvés que d’abandonner Céline au main des antisémites et autres nazillons. Ce livre est génial et il mérite d’être sauvé de la fosse à purin. Je dois également à la très sainte honnêteté intellectuelle de signaler à quel point ces pages donnent un éclairage particulier et inhabituel sur les égouts de cette période. Sur une jeunesse nihiliste qui s’y est vautrée et a fait le lit du national-socialisme.

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L’aider à sortir ou lui mettre la tête dedans

Pour éclairer ta lanterne, plutôt que de te faire suer à lire ma prose, je colle une bonne grosse citation :

« Nous sommes contre le courant de l’époque, criait-il, et nous sommes une camarilla militaire assoiffée de sang qui suce le peuple jusqu’à la moelles des os et qui lui bourre le crâne. ». Et il avalait précipitamment de larges cuillerées de grog. « Les générations futures nous demanderont : Qu’est-ce que vous avez fait ? » Eh bien, nous répondrons que nous avons remué du sang. Car l’âme est la vapeur du sang et le sang bouillait et la vapeur montait et nous n’avons point cessé de remuer. Alors les générations futures diront : « C’est très bien, vous aurez un bon point. » Mais ces bourgeois qui sont assis là devant nous, gras et satisfaits - à votre bonne santé monsieur le juge de paix ! - à eux aussi, on posera la question et ils répondront : « Nous nous sommes servis du sang pour faire une bonne soupe bien épaisse et bien digestive et c’était rudement bon. »... Et les générations futures leur diront : « Zéro, asseyez vous. »1

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Le problème est qu’il m’est assez difficile de ne pas applaudir quant à la merde qu’il répand sur le système démocratique. De ne pas adhérer à sa critique féroce du système carcéral. A sa haine du monde industriel. A son mépris du bourgeois. De ne pas bicher l’esthétique du bataillon hambourgeois : mépris de la hiérachie traditionnelle, cris de guerre, cheveux et barbes longues, chants pirates, et en plus ils reprennent le drapeau du célèbre pirate hambourgeois Klaus Störtebecker. Une phrase revient comme le ressac dans Les Réprouvés, la proclamation amer que « plus jamais nous ne nous batterons pour l’ordre ». Le regret de ne pas réussir à être autre chose qu’un outil, le fusil entre les mains du pouvoir (comme rempart contre le communisme dans les Freikorps et comme milice de maintien de l’ordre pendant la révolution Spartakiste).

Quoi qu’il en soit, Ernst Von Salomon est un révolutionnaire qui s’est planté, sans connotations positives ou négatives. C’est en cela qu’il diffère du fasciste lambda tel que je l’imagine, d’où mon désarroi. Je ne sais plus qui, impossible de me souvenir, disait : « Le fascisme c’est la révolution sans révolutionnaires. » Ce qui signifie que le fascisme est l’allié implicite des élites et qu’il ne les renverse jamais. Il suffit de constater la continuité dans la propriété du pouvoir économique avant 1933, pendant le nazisme, et après 1945 (pareillement en Espagne, en Italie et dans la plupart des dictatures fascisantes). Il y a très peu de changements socio-économiques. Parenthèse refermée.

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Tralala, je ne te le dirai pas !

Je bourgeonne d’envie de dérouler la trame du livre. Mais je ne le ferai pas. Question de principe, une trahison (cf. le billet sur René Fallet) à la fois. D’où : je vais être obligé de parler de la vie de l’auteur. Dans la mesure où c’est un roman-documentaire (selon les mots d’Ernst von Salomon) autobiographique, je me suis retrouvé acculé à faire des recherches sur lui. J’aime pas mais faut ce qu’il le faut. J’ai donc trouvé quelques trucs et une interview qu’il avait donné en 1972 à l’ORTF, un mois avant sa mort, où il s’expliquait sur son parcours et ses erreurs de jeunesse.

Il est difficile d’échapper à un double effet kiss-cool. Je m’explique : d’emblée , le cas de von Salomon pourrait être réglé : facho ! Et puis, en cherchant , quelques éléments imposent le respect. A l’arrivée des nazis au pouvoir, le petit père a déjà acquis une certaine notoriété dans les milieux nationalistes et dans le reste de la société allemande. Très logiquement, un poste dans le régime lui est proposé. Il refuse. Et ne se gêne pas pour critiquer le système. Finalement, il s’enterre dans son activité d’écriture, loin de la politique. Comparé à tous ceux qui non seulement ont fermé leurs gueules mais ont collaboré plus ou moins activement et n’étaient même pas nationalistes… De surcroît, messieurs-dames, il ne s’est jamais revendiqué antisémite et sa compagne, durant de longues années, était juive.

Pour finir, il y a quand même un truc qui me chiffonne plus que le reste dans son interview, quand il critique le troisième Reich en le qualifiant d’ordre « démocratique plébiscitaire ». Là, je me demande ce qu’aurait été pour lui un ordre proprement hiérarchique et autoritaire… Je me dis aussi qu’il y avait bien d’autres choses à critiquer dans le système totalitaire hitlérien.

Bref, heureusement qu’il est mort, ça permet de prendre du recul par rapport à ce qu’il a écrit. Il est maintenant possible de lui reconnaître du génie et même de lui concéder un certain sens moral, tordu c’est entendu, mais quand même.

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Je lui laisse la parole pour conclure. En parlant d’Hitler :

« Vous ne pouvez pas avoir idée, il ne savait rien de Hegel, il ne savait rien de rien, rien. La race ça n’existe pas. Sa race à lui ? Mais regardez-le ! Où est la race ? Où est la figure germanique ? Hess ! Goering ! Où ? Où ? Dans les Waffen SS ! Ah oui, Himmler ?... Les allemands sont devenus fous, fous. Et après, quand les américains sont arrivés, ils sont encore devenus fous. »



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COMMENTAIRES

 


  • et oui le monde serait trop beau si tous les salauds n’étaient que des salauds !

    Voir en ligne : Kprodukt, blog actif et militant(?)



  • vendredi 9 janvier 2009 à 13h26, par Laurent

    Héhé, que plaisir de voir que Von Salomon est admiré par autre chose que de vulgaires nationalistes qui ne comprendront pas grand chose en le lisant. Puisque tu dis (je tutoie, même si on est pas du même bord), il n’était pas un nationaliste lambda (et je dis bien nationaliste, et non pas fachiste, justement !).

    J’ai pris aussi plaisir à le lire, surtout pour la forme, puisque le fond, comme tu dis, n’est pas toujours digeste, même pour un droitier comme moi... Mais si cette esthétique de la violence est dérangeante, en revanche, le côté récit documentaire le range aux côtés d’écrivains de renom comme Malraux ou T. E. Lawrence.

    Mais malheureusement, son aura nationaliste et l’interdit lancé sur tout ce qui ressemblait de près ou de très loin au fachisme après la guerre, l’a fait tomber dans un relatif oubli...

    • vendredi 9 janvier 2009 à 16h13, par herr grimaud

      Merci pout ton commentaire. Cet écrivain génial est malheureusement moralement pris une otage par des cornichons néo-fascistes.

      Et puis, en toute sincérité, le fait que tu sois de droite ou de gauche n’a strictement aucune importance.

      Amicalement



  • mardi 20 janvier 2009 à 05h54, par Yannick Harrel

    Bonjour,

    J’ai été moi aussi fasciné par cet auteur bien que je sois passé en fait par deux autres de ses oeuvres avant d’arriver aux réprouvés. A savoir Le questionnaire (Der Fragebogen) qui est un témoignage de grande importance pour mieux saisir l’évolution socio-politique de l’Allemagne depuis les années 20 jusqu’à la dénazification opérée par les autorités alliées (Américaine principalement) et Les Cadets (Die Kadetten) qui est fort instructif en facilitant l’étude de la vie et l’éducation des jeunes officiers de cette époque suivi de leur état psychologique des suites de la signature de l’armistice avec l’émergence d’une situation révolutionnaire en Allemagne.

    Si cela vous intéresse, j’ai même pondu un article destiné à lui rendre hommage sur Agoravox tant je trouve cette figure attachante, réaliste envers elle même et les autres. A ce titre, la toute fin des réprouvés est symptomatique, et l’on comprend toute la hauteur de vue et la probité morale (même matinée de nihilisme) d’un tel personnage.

    Cordialement

    Voir en ligne : http://www.harrel-yannick.blogspot.com/

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