ARTICLE11
 
 

jeudi 8 juillet 2010

Le Charançon Libéré

posté à 21h56, par JBB
22 commentaires

Lettre de l’au-delà : Émile Zola répond à Frédéric Lefèbvre
JPEG - 23.2 ko

La lettre est arrivée en fin d’après-midi, enveloppe bordée d’un liséré noir signalant sa provenance. Pas une surprise : à A11, on est habitués à recevoir des courriers de l’au-delà, missives balancées du royaume des morts en réaction aux conneries des vivants. Cette fois, l’envoi est signé Émile Zola, le défunt écrivain s’insurgeant contre le J’accuse publié ce matin par Frédéric Lefèbvre.

Pour le contexte : ça a pu t’échapper, même si j’en doute. Émile Zola, donc, a souhaité réagir à ce texte de Frédéric Lefèbvre, publié ce matin dans France Soir. Sous le titre « J’accuse », le porte-parole de l’UMP y prend la défense d’Éric Woerth. Et repousse toutes les limites communément admises, même pour lui…
Par ailleurs, je te signale que ce n’est pas la première fois qu’Émile Zola s’exprime sur ce site. En octobre 2008, il avait abordé la situation des banlieues : c’était ICI.

---------------------
.
M. Frédéric Lefèbvre,
.

Monsieur ? Monsieur le porte-parole ? Cher agitateur politique ? Je ne sais exactement quel titre vous donner. Institutionnellement, vous n’êtes rien ; pour le reste, vous ne valez pas grand chose. Mais puisque j’ai cru comprendre que vous aviez des velléités littéraires - où en êtes-vous donc de ce grandiose ouvrage que vous annonciez pour le printemps dernier ? - et que je constate que vous n’hésitez pas à mettre vos médiocres pieds dans mes larges pas, je vais m’adresser à vous comme à un égal. Cher confrère…

Je subodore que mon nom ne vous dira pas grand chose, hormis le prestige que vous savez lui être attaché. Vous ne brillez pas, il est vrai, par votre culture, non plus que par votre goût pour les choses littéraires. Vous foulez même ces dernières aux pieds à chaque fois que vous prenez la parole ou la plume, aussi sauvagement meurtrier pour la syntaxe que Jacques Lantier l’a été - à coups de marteau ! - pour sa maîtresse dans mon roman La Bête humaine. Je sais : vous ne l’avez pas lu. Mais souffrez que je cite des livres que vous ne connaissez pas, au risque sinon de n’en évoquer aucun.
Simplifions les choses, donc : je suis l’auteur de ce modeste article que vous vous êtes cru autorisé à pasticher, en reprenant le titre - J’accuse ! - et en dénaturant le thème. Non que je réclame des droits d’auteur : votre crime serait accessoire s’il ne s’agissait que de ma modeste personne. Mais c’est en réalité l’un des rares pans glorieux de la récente histoire de France que vous plagiez ici avec médiocrité. Cela appelait une réaction de l’au-delà, à défaut d’une réponse ici-bas. Je m’en charge. Rien d’étonnant, tant le repos éternel n’aurait guère de sens s’il ne pouvait être interrompu quand les conditions le commandent. Constatez même cette amusante réussite : alors que vous (et ceux de votre camp) souhaitez allonger la durée de travail des Français, vous pouvez vous vanter de m’avoir tiré de ma retraite…

Vous avez - cher confrère - volé le titre de mon célèbre article, croyant ainsi faire main basse sur un zeste de gloire et un brin de légitimité. À lui seul, cet inqualifiable « emprunt » démontre combien vous ne sauriez saisir tout ce qui nous sépare. Souffrez que je vous explique…
J’avais frappé fort dans L’Aurore, vous vous affichez médiocre dans France Soir. Et même les titres où nous avons respectivement publié nos textes valent percutant raccourci de ce qui nous distingue : il y a loin de l’aube au crépuscule, même fossé que celui séparant l’homme risquant tout pour la vérité et l’animal la gageant à son profit. Vous ne courrez aucun danger, évidemment, même si vous écrivez en votre prétentieuse bafouille : « J’attendais qu’une voix s’élève contre ce torrent de boue. L’attente est trop longue ! Je le fais, moi, en sachant parfaitement qu’une fois de plus le « système » va me prendre pour cible car il n’aime pas les vérités qui dérangent. »
Vous, une cible ? Vous ignorez sans doute que j’ai payé mon J’accuse d’un procès indigne, que j’ai été traîné sur le banc des accusés, attaqué de toute part, finalement condamné à un an de prison et 3 000 francs d’amende - mes biens ont été saisis et il n’y avait nulle richissime rombière pour me remettre une enveloppe kraft destinée à régler le problème… Vous ignorez sans doute aussi que j’ai été réellement en butte à ce « torrent de boue » par vous évoqué, diffamations permanentes et quotidiennes. Et que j’ai dû quitter le pays après le procès, exilé pour 11 mois en Angleterre, « le plus cruel sacrifice qu’on eût exigé de moi ». Tout cela, je l’ai assumé : « Ma lettre ouverte est sortie comme un cri. Tout a été calculé par moi, je m’étais fait donner le texte de la loi, je savais ce que je risquais », ai-je alors déclaré.
J’aimais ce pays, j’ai subi l’exil ; ce sont vos semblables, petits boutiquiers de la politique et médiocres souffleurs de haine, gens de pouvoir et crétins nationalistes, qui m’y ont contraint. On est là bien loin de ce que vous vaudra votre texte ;soit un mot de remerciement de votre maître, un diplôme de bonne conduite ou une quelconque médaille comme hochet. J’étais un justicier, vous méprisez les justiciables…

Vous endossez mon costume, il est beaucoup trop grand pour vous. Passe encore que vous souhaitiez ainsi vous ridiculiser… Mais que vous traciez en votre article, en filigrane, un parallèle entre le capitaine Dreyfus et le ministre Woerth dépasse toute mesure. Car c’est bien là l’objet de votre texte, n’est-ce pas ? En vous plaçant sous mon patronage, en copiant ma légitime défense d’un homme injustement accusé - parce qu’il était juif - , vous ne souhaitez rien d’autre que suggérer une semblable cabale à l’égard du trésorier de votre parti. Vos allusions à « Marine (Le Pen ) », au « Front national », à « certains médias aux relents d’extrême droite » et au « déferlement populiste » n’ont d’autres buts que de renforcer ce parallèle. Quelle outrecuidance… Faut-il vous rappeler que c’est le lieutenant-colonel Henry qui a perçu le solde - montée en grade et louanges hiérarchiques - de sa trahison ? « Les choses allèrent ainsi. À peine le colonel Henry eut-il mis sous les yeux de ses chefs la pièce fausse qu’il fut nommé chef du service des renseignements », a résumé Jean Jaurès. Les 30 deniers de Judas ont fini dans l’escarcelle du lieutenant-colonel de la même façon qu’ils ont gonflé le portefeuille de votre parti. Les années passent, la corruption reste.

Je ne vous en veux pas, en réalité. J’ai trop plongé au plus profond des hommes, sondé leur âme et étudié leur cœur, pour encore me faire des illusions. Vos errements me sont familiers, ce sont ceux que je me suis escrimé à décrire, plume à la main. Vous n’êtes rien d’autre, finalement, qu’un personnage de Son excellence Eugène Rougon, l’un des mes romans contant la médiocre cuisine politique du Second Empire. Votre destin est petit tout autant qu’il est écrit. Je ne vous en tiens même pas grief, vous êtes trop bête pour cela. Juste : ne m’importunez plus, à l’avenir. J’ai sommeil, je vais me rendormir…


COMMENTAIRES

 


  • jeudi 8 juillet 2010 à 22h31, par un-e anonyme

    En tout objectivité on peu dire que Lefèbvre est un guignol.

    Et le plus surprenant est que l’on dirait que personne ne s’en rend compte, on continue de converser avec lui comme si de rien n’était sur les plateaux télés, à la radio, etc...

    Il va quand même falloir que un jour quelqu’un fasse remarquer que le roi est nu pour enfin mettre fin à cette mascarade.

    Sinon bravo pour cette lettre, c’est très drôle et très bien écrit.

    • jeudi 8 juillet 2010 à 23h28, par namless

      En tout objectivité on peu dire que Lefèbvre est un guignol.

      « J’approuve » ... _ :-D

      • vendredi 9 juillet 2010 à 18h25, par JBB

        @ anonyme : en toute objectivité, il l’est. Et sans doute qu’il s’en fiche : il veut sans doute juste qu’on parle de lui, peu lui importe que ce soit en bien ou en mal. Il est très web 2.0 compatible, en fait…
        (et merci)

        @ namless : moi itou.

        • vendredi 9 juillet 2010 à 23h08, par Jünger

          « Très web 2.0 compatible » : oui, cent fois oui ! Le brave Lefèbvre n’est pas seulement ce crétin fini que le monde politique observe avec consternation. Ses idées importent peu, il n’existe que par l’outrance et la polémique de bas étage. Absolument personne n’est dupe, certes, mais ça marche. Ses discours sont un matériel médiatique par excellence. Frédéric Lefèbvre est à lui tout seul une « pathologie de la communication », ou, pour rester dans le monde d’Internet, un troll.

          Je suis obligé de citer le brillant article de Slate à ce sujet, vu que j’en emprunte les termes en plus de l’analyse : ICI



  • vendredi 9 juillet 2010 à 01h00, par emcee

    Excellent ! Bravo !

    « Mais souffrez que je cite des livres que vous ne connaissez pas, au risque sinon de n’en évoquer aucun. » Mouhaha ! Bien dit. Mais c’est peut-être très injuste : il a peut-être quelques livres dans sa bibliothèque qu’il colorie à temps perdu ?

    Quel pitre, en effet ! Hélas, il n’est pas le seul dans la catégorie. Nous avons une galerie de portraits impressionnante dans les plus hautes sphères mêmes.

    Voir en ligne : des bassines et du zèle



  • vendredi 9 juillet 2010 à 06h52, par Gris du Gabon

    Fifi Lefebvre est de la famille des Psittaformes,il a créé PIC:perroquet institutionnel communication.( lobbying pour industries du tabac, de l’alcool et les casinos,ce qui prouve sa haute valeur morale).

     × Il dispose d’un vocabulaire d’environ 800 mots et il semble comprendre ce qu’il dit. De plus, il a appris l’alphabet, et est capable de compter des objets et de reconnaître 7 couleurs différentes. Il semble en outre capable de comprendre la notion de zéro.

    • vendredi 9 juillet 2010 à 18h50, par JBB

      Huit cent mots ? Je te trouve encore indulgent avec le personnage…

      Mais tu as raison : il est parfait en perroquet. D’habitude, je suis plutôt pour ouvrir la cage aux oiseaux, mais celui-là j’aimerais bien qu’on le garde en une très petite volière, histoire de l’empêcher de nuire.



  • vendredi 9 juillet 2010 à 07h24, par Groar

    C’est sûr que

    « À lui seul, cet inqualifiable »emprunt« démontre combien vous ne sauriez saisir tout ce qui nous sépare » :

    https://secure.wikimedia.org/wikipe...



  • vendredi 9 juillet 2010 à 09h26, par dan

    Bravo !
    En attendant la version papier du site, j’imprime et je fais circuler :-)



  • vendredi 9 juillet 2010 à 13h34, par joshuadu34

    Bravo, JBB ! Quel verbe, quelle verve ! J’en ai le souffle coupé (même si le sourire ne quitte pas les lèvres)...

    Tiens, sur ce sujet, j’ai lu ça ailleurs, (mode lefebvre on) je m’a bien marré aussi (mode lefebvre off) :

    « pour François Fillon, certains ont »totalement oublié que l’innocence se présume et que la culpabilité se prouve«  »Aujourd’hui, nous sommes face à un adversaire insaisissable et sournois, qui a pour nom la rumeur, le soupçon, le procès d’intention".

    Notre premier ministre, condamnant la culpabilisation à outrance, et la condamnation avant procès, est, dit-il, « près à défendre chacun d’entre nous contre de tels procédés »...

    Merveilleux !

    Ne reste plus, à ce gouvernement, qu’à présenter aux inculpés de Tarnac de profondes et sincères excuses pour la campagne de calomnie, de soupçon, de procès d’intention et de rumeurs qu’il a mené à leur encontre, soutenu, en cela, par nos bons médias...

    À moins que les propos de notre premier ministre ne concernent que les élus de droite ?..."

    Voir en ligne : http://nosotros.incontrolados.over-...

    • vendredi 9 juillet 2010 à 20h15, par JBB

      « présenter aux inculpés de Tarnac de profondes et sincères excuses pour la campagne de calomnie, de soupçon, de procès d’intention et de rumeurs »

      Tout à fait ! Ces gens ont des condamnations à géométrie très très variable.

      Et cela fonctionne aussi pour les condamnés de Villiers-le-Bel, qui se sont pris des peines écrasantes sur des rumeurs bidons, des témoignages rémunérés et anonymes.

      (Et c’est cool pour le sourire. Merci)



  • vendredi 9 juillet 2010 à 14h16, par fier de Claire

    OUI, soyons fiers de cette femme qui rique si gros, pourquoi ? Pour qui ? Peut-être pour la conscience... Merveille de femme, horreur de Lefebvre...



  • vendredi 9 juillet 2010 à 23h25, par Dorémi

    « Nicolas Sarkozy qui installe depuis trois ans la République irréprochable. »

    L’inénarrable Lefebvre est celui qui permet à l’Ump de savoir jusqu’où elle peut aller trop loin. En cela il remplit parfaitement sa mission…



  • samedi 10 juillet 2010 à 16h36, par wuwei

    Le génie et le bouffon, l’Immense et le médiocre, le couillu et le pleutre, l’Emile et le frédo quoi ! Chapeau bas JBB !



  • mercredi 14 juillet 2010 à 16h28, par Isatis

    Ah oui ! Excellent !!!

    Mais faut pas trop se plaindre de ces faquins, laquais et autres porte-flingues ; il faudra des têtes pour garnir les pointes de lances :-)



  • samedi 17 juillet 2010 à 22h12, par ellejo

    Bsoir JBB,je tombe ce soir sur l’article de Zola,et je me dis putain que j’aurais aimé le croiser..(Emile)

    Merci JBB.Magnifique ton article.

  • Répondre à cet article