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dimanche 5 octobre 2008

Sur le terrain

posté à 18h47, par PT
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Miossec reprend la route : un cador peut en cacher un autre
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Avec « Boire », au mitan des années 90, Miossec a durablement impressionné le rock hexagonal, donné alors pour cliniquement mort. Près de quinze ans plus loin, le Breton continue de tenir boutique en s’affranchissant des influences des débuts. Une voix majeure, indissociable des derniers savoir-faire made in France. Le voici qui roule au côté de Tiersen. Retour non exhaustif sur une saga mouvementée.

Souvenir de concert. Automne 2007, un coin de Moselle humide et dépressif, en rase campagne désindustrialisée. Escale de tournée pour Miossec qui trois jours auparavant, pour les besoins d’une interview, s’était longuement amusé au téléphone de ces étapes improbables : « Le plus réjouissant dans les tournées ce sont les journées off, à chercher les meilleures tables. Enfin, quand il y en a… » A Florange, ce soir-là, ça ne semblait pas gagné. Qu’importe : il fait le métier. Ce tour de France, il ne s’en cachait pas, c’était pour le blé. « Un des musiciens a besoin de se payer un tracteur1 », s’était encore justifié le frêle Breton, avant de partir dans un de ces rires dont on ne sait jamais s’ils ne sont pas d’abord destinés à camoufler la platitude de la vanne lancée.

« La fidélité » (in Baiser)

Mais voilà Miossec en scène, arrimé au micro. Le gaillard tangue, pose douloureusement sa voix sur des riffs méchamment torturés. Il a ce regard creux qu’on lui connaît en public, yeux révulsés, agrippant l’ailleurs, un improbable ailleurs. On jurerait qu’il n’y a pas que le son qui coule dans ses veines. On jurerait que la canette de Kro posée à ses pieds, proche en permanence de valdinguer, ne s’est jamais sentie aussi peu orpheline.

Dans la salle, ça moufte peu. Bière proscrite, clopes interdites. Public à la con. A la con, oui. Masse hétérogène mollement appâtée par la fugacité d’un hit paresseux, La facture d’électricité, dont Miossec lui-même, après-coup, dira le moins grand bien. Les filles portent des jupes sexy au-dessus de leurs bottes cirées, la frange mâle a noué sur les épaules le pull en V qui tient soudain trop chaud. Ils croyaient voir Bénabar, ils se retrouvent aux prises avec le dernier taulier du rock français, un drôle d’oiseau aux interprétations mal rodées, paroles emberlificotées, trous de mémoire garantis, gouffre menaçant de s’ouvrir à chaque instant sous ses semelles battant maladroitement la mesure.

A une époque, Miossec se serait sérieusement énervé. Dix ans plus tôt, on l’avait entendu sur cette même scène prendre à parti le public, asticoter la Moselle, la Lorraine, mère patrie de Patricia Kaas et de Sylvain Kastendeuch. Ça ruait dans les brancards et le bonhomme ne s’en laissait pas conter. Là, c’est un siècle neuf et Miossec chante aussi sur RTL 2. Ça ne facilite pas les choses. Il n’en dit rien, mais le raconte entre les lignes : ça le gonfle. « La notoriété, c’est un truc compliqué. Moi, j’ai ce qu’il me faut. Assez de succès pour travailler sereinement. Et suffisamment de tranquillité pour ne pas me sentir débordé. »

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Après une paire d’années d’exil à Bruxelles, Miossec a retrouvé ses pénates brestois. Il s’est offert la bâtisse dont il rêvait : « Il y a un côté répulsif avec Brest, mais à condition d’aimer l’architecture d’après-guerre, c’est une ville magnifique. On est au bout du bout, tout autour les décors restent spectaculaires. C’est vierge, abrupt. Ici, il y a encore des plages à creuser. » Le journaliste aime à pratiquer les raccourcis : on va donc parler de retour aux sources. Ce que l’affreux jojo, la pupille rougie par l’alcool, ne semble pas contredire : « J’ai acheté un piano, j’y passe pas mal de temps. Pas pour faire du Delerm, hein… Mais j’explore de nouvelles pistes. Sans être avant-gardiste, je recherche quelque chose de radical."

Radical, comme le fut sa première galette, Boire, une gifle comme on en encaisse une par décennie - et encore, c’est compter large. Un objet sauvage et froid, mangé par des textes à la colle tenace, qui « sentent bon la bière et l’animal, les tacles et la mauvaise foi ». On n’avait jamais entendu ça. JD Beauvallet, le pape de la critique rock hexagonale, en verse une larme : « Ce n’est pas français de chanter avec une telle indécence », écrit-il dans les colonnes des « Inrocks ».

« Evoluer en 3e division » (in Boire)

S’il était un footballeur, Miossec serait Cyril Rool, ce défenseur cinglant que l’on adore détester, roi du crampon qui vole et des cartons rouges qui pleuvent. C’est d’ailleurs à Miossec que l’on doit, outre le corrosif Evoluer en 3e division, l’hymne finistérien Stade Bestois, pondu pour « Libé » à la veille de la Coupe du monde 1998, ode désabusée au club de foot le plus mystique des années 80, qui vit passer quantité d’internationaux français et de stars internationales avant de crever de sa belle mort, gangrené par les affaires et le pognon crade qui annonçaient la double ère Tapie-Bez. Aujourd’hui, c’est pas compliqué : « Je m’intéresse de moins en moins au foot. Les joueurs semblent de plus en plus cons… »

Aux Bretons associés

Pour qui affectionne Miossec (le contraire serait désastreux) demeure l’espoir de renouer près de quinze ans après avec l’émoi des débuts, un peu de jeunesse perdue, ensevelie. Avec Brest of, l’an dernier, Miossec, ce tendre granit (dixit Bashung), sacrifiait à l’exercice de la compile mi-nostalgique, mi-commerciale. « Sur l’album Boire, on a montré qu’on était capable d’envoyer du bois rien qu’avec une guitare acoustique, se souvient-il. Mais arrive un moment où il faut liquider le fonds de commerce. Je ne vais pas éternellement prendre une guitare pour me plaindre de la vie. »

Aux dernières nouvelles, Miossec a rejoint son complice Yann Tiersen. « C’est quoi Tiersen et Miossec ? Et bien, ce sont deux musiciens qui à force de se croiser et de se décroiser depuis des années ont décidé de tenter un truc ensemble, c’est à dire, un projet, prévient Miossec sur son site officiel. Comment les mots de l’un peuvent embrasser la musique de l’autre. Mais là, pas question de sortir les casseroles et les vieilles recettes du placard. Uniquement de nouvelles chansons crées à quatre mains entre Le Conquet et Ouessant. Vous allez dire ce n’est pas trop difficile : il suffit de prendre le bateau. Mais le truc intéressant c’est de les jouer sur scène en avant première avant d’en faire un disque. Pour ce faire, nous avons voulu inviter les musiciens avec qui nous partageons des points communs. Toute une bande pour essayer de ne pas faire de la chanson, pas du rock, pas de l’expérimental, histoire de sortir des sentiers battus. Juste pour essayer d’être un peu ailleurs. »

Il n’est pas précisé s’ils s’arrêteront à Florange.

« Ainsi-soit-elle » (La Cigale, 2004, avec Yann Tiersen)


1 Tous propos de Miossec recueillis par l’auteur.

2 Automne 2007, interview d’après-concert à Florange (57)


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