ARTICLE11
 
 

lundi 4 août 2008

Le Cri du Gonze

posté à 16h38, par Lémi
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« Affreux, sales et méchants », les Italiens ? Assurément. Mais pas sur ce coup-là...
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A en lire les journaux, le tableau avait quelque chose de diablement vomitif. Une sorte d’orgie lugubre, de pique-nique gargantuesque sur les genoux de la mort : deux fillettes échouées, noyées, sur une plage des environs de Naples. Deux Roms. Et une foule insensible qui continue ses activités balnéaires, batifolant et édifiant des pâtés de sable jusque sur les pieds des gamines décédées. Horreur à l’italienne ?

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En lisant la nouvelle, on avait aucun mal à visualiser ça : le pique-nique infâme, on était prêt à y croire fastoche. Depuis Salo ou les 120 jours de Sodome par Pasolini, on sait de quoi les italiens sont capables… Mais voilà, la réalité est un peu différente.

D’abord, il faut voir cette photo publiée partout le 20 juillet et dans la semaine qui a suivi, démontrant soi-disant l’infâme saloperie des Italiens. Celle sur laquelle le petit peuple napolitain est censé être en train de faire un remake de La Grande Bouffe à trois pas des deux malheureuses. On y voit au loin un couple assis sur un tapis de plage, l’air un peu perdu. Pas vraiment en train de batifoler comme si de rien n’était.

Bon, c’est vrai, on en a vu une seule de ces photos, celle qui a été reprise partout. Mais, il suffit de lire le témoignage du mec qui a pris les photos1 pour comprendre que d’un fait-divers, tragique sans être symptomatique de ce racisme qui pointe avidement son groin sclérosé en Italie, on a essayé de construire matière à info, on a échafaudé du croustillant médiatique.

A l’arrivée, il s’avère que le tableau dressé par les médias n’avait rien à voir avec la réalité. Que deux fillettes Roms sont mortes noyées sur une plage très fréquentée, mais qu’ils sont plusieurs à avoir essayé de leur porter secours. Et que nombre des baigneurs ont ensuite déserté la plage sur laquelle on avait entreposé les deux corps. Certes, quelques immondices humains sont restés sur place comme si de rien n’était. Mais de là à en faire le révélateur du racisme qui sévit en Italie...

Bordel de merde.
Comme s’il n’y avait pas matière ailleurs que dans ce fait divers à épingler les agissements fangeux des sbires berlusconiens et de leurs supporters...

Des exemples, tu dis ?

Les cocktails Molotov balancés chaque jour dans les camps roms, dans toute la péninsule ? Les quasi pogroms anti-roms qui ont secoué Naples plusieurs fois ces derniers mois ?
Trois lignes par-ci par-là. On va pas faire une généralité du comportement de quelques excités...

Le fichage de l’ensemble de la population rom, avec prise d’empreintes digitales et tutti quanti, interrompu in extremis par un vote tardif du parlement européen (mais seulement pour les empreintes, le reste du fichage, on peut, je te rassure) ?
Bof, pas très vendeur, un paragraphe...

Les descentes de police dans les camps roms, les lois sécuritaires et les déclarations incendiaires du gouvernement Berlusconi pour qui la « lutte contre les criminels étrangers est une priorité » ?
La routine, coco, on va pas relever chacune de ses saillies immondes, à l’ignoble, ou alors on a pas fini…

Ce nouveau maire de Rome,Gianni Alemmano ancien néo-faciste élu les doigts dans le nez et qui applaudit à bras levés les infamies du gouvernement tant même lui n’en demandait pas tant ?
C’est la démocratie, mon gars, on va pas polémiquer, on passerait pour irrespectueux des votes populaires…

L’envoi des 3000 bidasses dans les rues des grandes villes à des fins de sécurité intérieure, grande mobilisation datée d’aujourd’hui ?
Quelques lignes, c’est l’été, les gens veulent des trucs plus sexy…

La mafia napolitaine qui brûle les camps roms de la ville parce que c’est la meilleure manière de regagner du crédit auprès d’une population rance – et aussi en vue de confortables bénéfices ?
Bah, la Camorra ne s’est jamais distinguée par ses bonnes œuvres, non ? On ne va pas s’appesantir…

Par contre, avec cette histoire de plage indigne, coco, on tient du gros ! Du fait divers visuel et choquant. Bien glauque comme on les aime. On balance en Une !

Il y a quelque chose de vraiment pourri au royaume des médias. Obligés de se rattacher à quelque chose de sanglant et d’obscène, même –surtout– fantasmé, pour relayer des infos. D’aller chercher dans les faits divers les plus choquants matière à indignation. Une sorte de « Story-Telling » à la sauce Nouveau-Détective. Pour paraphraser (en le détournant un brin) le photographe italien Toscani, le scandaleux des pubs Benetton et des campagnes sur le sida ou l’anorexie : « L’info est une charogne qui nous sourit. »2

Bien sûr, ce qu’on applique aux Italiens en matière de traitement de l’info journalistique, on l’exerce aussi ici. Le cirque médiatique se nourrit en charognard d’infos détournées, inlassablement. Sans recul ni vérification.

On pourrait énumérer les exemples ; Papy Voise qui, deux jours avant les présidentielles de 2002, venait pleurnicher sur TF1 –zoom sur le visage tuméfié– que des basanés l’avaient torturé pour lui piquer dix euros ; ou cet emballement autour d’une foldingue, prétendue agressée par des banlieusards antisémites qui l’auraient recouverte de croix gammées. Mais on n’en finirait pas… D’ailleurs, le mécanisme est à chaque fois différent. Il n’y pas forcément manipulation, juste toujours la même avidité glauque pour des drames isolés qui, sous l’indignation vertueuse des vautours médiatiques, se transforment en événements représentatifs.

Et on sait pas ce qui est le plus déprimant : se dire que ces pauvres fillettes roms ont été prises à tort pour des martyres de l’Italie raciste ? Ou qu’il a fallu ce dévoiement du fait-divers pour qu’enfin soit relayée cette vérité pourtant transparente depuis longtemps : en matière de racisme à l’italienne, tous les chemins mènent aux Roms…

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1 Copier/coller du rectificatif qu’il a tenu a apporter à l’AFP : « J’avais pris plusieurs photos, certaines montraient des vacanciers vaquant à leurs occupations. Sur les autres, on voyait des personnes qui se sentaient visiblement concernées, ou qui aidaient à transporter les cercueils. Sur les photos qui ont été choisies par les journaux du monde entier, on ne voit que des personnes indifférentes. En réalité, la moitié des personnes présentes se comportait comme si de rien mais de nombreuses personnes ont quitté la plage après le drame ou apporté leur aide. J’ai pris les photos avec un téléobjectif moyen, ce qui donne l’impression que les gens se trouvaient plus près des corps qu’ils n’étaient en réalité. Ils étaient à une dizaine de mètres (...). Plusieurs vacanciers se sont jetés à l’eau pour sauver les deux jeunes filles qui ne savaient pas nager et ont ensuite couvert leurs corps. »

2 La déclaration originale, titre d’un de ses ouvrages, est La Publicité est une charogne qui nous sourit


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