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jeudi 7 mai 2009

La France-des-Cavernes

posté à 11h56, par Ubifaciunt
15 commentaires

Antisocial, ta mère, ton sang froid
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Dans le civil, il est éducateur de rue dans un quartier populaire de la banlieue parisienne. Dans le privé, il aime mettre sur papier le quotidien de ses journées, scènes de vie tristes et/ou joyeuses. Mômes paumés, parents dépassés, administrations poussiéreuses, un tableau joliment brossé. Voici la 1re chronique « sévice social » de l’ami Ubi, coup d’essai en appelant d’autres. Petits veinards…

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Coup de fil y a deux semaines.

Une mère de famille flippée pour son gamin qui fugue et qui est violent. 17 ans, le môme. Elle souhaite nous rencontrer.

Pas de problème a priori. « Cas banal » en quartier populaire, on imagine déjà comment orienter la famille vers des structures plus adaptées bikoz on croule déjà sous le taf et puis bon, c’est pas des éducs de rue qui vont pouvoir régler ça, c’est juste l’angoisse de la mère et vu comment c’est présenté, y a peu de chances pour que le gosse daigne nous rencontrer.

La famille se pointe, en l’occurrence la mère et le beau-père.

Lui, genre randonneur du dimanche un peu paumé, grosses chaussures de marche, polo gris fadasse bien rentré dans le pantalon en toile vert bouteille, la banane en faux cuir qui trône paisiblement au dessus d’une discrète ceinture.

Elle, assez tristement quelconque en fait, un peu larguée, avec autant de cheveux blancs que de soucis dans son début de quarantaine.

Ils parlent.

Et c’est assez touchant.

Vraiment.

Lui, même si ce n’est que le beau-père, on sent qu’il s’en soucie de ce môme, qu’il accompagne de tout son possible cette femme qu’il aime et qui tremble pour son enfant. Qui appelle régulièrement le vrai père là-bas vers Béthune pour lui donner des nouvelles du petit.

Elle, qui se force dans sa dignité à ne pas pleurer, pas tout de suite. Qui se force à expliquer. Ses douleurs de mère qui dut se résoudre à déposer une main courante après les menaces de son enfant. La galère à l’école. Les engueulades à n’en plus pouvoir. Ses fugues à répétition, tous les week-ends. Les retours le dimanche aprème où il comate dans le canapé jusqu’au lundi. Même qu’une fois, elle a trouvé une « boulette de tabac » dans une poche du blouson.

Des petites gens, vraiment.

Des vies minuscules.

On parle du juge pour enfants, qu’il est encore là pour protéger les mineurs en danger. Ils soupirent et on voit passer dans leurs regards le spectre de la DDASS des années 80 qui te plaçait un gosse en foyer selon le bon vouloir des bas de contention de l’aigrie moustachue : l’assistante sociale. Mais, non, c’est fini tout ça, en plus, la loi (qu’est pas conne pour une fois) oblige depuis 2002 tout travailleur social à rendre à la famille accessible son dossier. Tous les écrits officiels, signalements, notes de situation, tout le reste (ce qui est plutôt judicieux, passkeuh par exemple, quand tu dois faire lire à une femme violée par son alcoolique de mari depuis 10 ans son histoire et celle de la petite frappée par le père, t’as intérêt à être juste et vrai dans tes mots, d’autant plus que tu dois le faire lire aussi à l’alcoolique de mari violeur et violent ; mais je divague…).

Rendez-vous est pris pour la semaine prochaine.

Coup de fil du gamin entre temps. Il sera là le vendredi.

Tout roule presque tranquillou.

Coup de fil bien chelou de l’assistante sociale scolaire le jeudi.

Comme quoi le gosse serait « anarchiste » et guidé par un mentor plus âgé qui lui retourne la tête. Et que ça suffit à motiver un signalement judiciaire.

Juste la mère et le beau-père, le vendredi. L’air grave, les sales jours de pluie qui te calebassent la tête. Germinal quand la mine s’écroule.

Non, il n’est pas là.

Encore une engueulade.

Il s’est barré, encore une fois.

Juste avant, il leur a dit que l’assistante sociale du lycée avait prévenu le juge pour des éléments graves. Et qu’elle a fait un signalement en trois jours. Sans prévenir les parents. Sans le faire lire au gosse. Un signalement direct au juge, alors que ce doit être au procureur. Qu’elle a propagé des rumeurs sans chercher la nature des infos. Qu’elle a pas voulu rencontrer les parents alors que ceux-ci le voulaient. Et qu’elle part en vacances quinze jours le lendemain.

Pas moins de six fautes graves, éthiques, inadmissibles.

Qu’on en a flingué pour moins que ça.

Qu’une vie de famille est en jeu.

Qu’elle vaut même pas le prix de ses bas de contention pour se pendre, cette pute.

On a la rage et on tente d’encaisser, de rassurer la famille, de dire qu’on va essayer de rattraper le coup, que l’heure est quand même grave et qu’il faudrait qu’on voit le môme au plus vite.

Quinze jours pour rattraper le coup.

On tente d’appeler l’inspection académique pour exiger une copie du signalement et l’avis du chef de service qui a honteusement laissé passer cette merde.

Qu’ils sont en vacances, for sure.

Coup de fil le lundi sur mon portable du môme, il sera là le surlendemain au rencard avec ses parents.

Il arrive avec ses vieux. Regard pétillant, casquette à clous, sigle anarchie négligemment épinglé juste ce qu’il faut de travers sur le perfecto, docs coquées, t-shirt Exploited, collec de badges des Béru, quelques boutons d’acné que le Roaccutane peine à soigner.

L’entretien commence, je réexplique comment on bosse, les écrits qu’on fait nécessairement lire, que si le môme veut pas nous voir c’est presque tant mieux comme ça ça nous fait moins de taf, cette salope d’assistante sociale et ses bas de contention, qu’il aura beau se rebeller et écouter Crass, jusqu’à 18 ans il dépendra, qu’il le veuille ou non, de ses vieux même largués et cons mais qui se soucient de lui, qu’il le veuille ou non, il dit qu’il écoute bien sûr Clash et les Pistols, et puis des récents français, les Betteraves, les Vieilles Salopes, Guérilla Poubelle et les Sales Maj’, pas Mon Dragon, il connaît pas. J’ te prépare un CD du plus grand groupe de l’histoire du wack’ n’ wall...

Et puis ça parle un peu entre eux, de la bienveillance qui suinte, et même si de l’incompréhension, et même si cette crevure, et même si les parents et la révolte d’un ado, on a encore quinze jours, je lui laisse mon numéro.

Derniers mots, je sors l’appareil photo, regarde la mère, mets sur on :

 × « Vous savez, madame, ça c’est comme j’étais y a six mois (montrant ma plus belle crête de l’époque), et ben votre fils il est pas encore comme ça, pourtant ça m’empêchait pas d’être en réunion avec le Conseil Général et d’être crédible, juste parce que…

 × Ah, c’est vous, je vous aurais jamais reconnu…

 × 

 × Parce que vous savez les lois… »

Je tends l’appareil au môme. Il voit ma crête. Clin d’œil complice. Du haut de ses presque 17 ans.

Quelques rencards plus tard, tant avec la mère qu’avec le gosse, et toujours pas réussi à avoir cette foutue assistante sociale au téléphone. Harcèlement quotidien de son secrétariat. Rencard dans deux semaines.

Un samedi soir où c’est trop dur. La mère appelle en cris. Il veut partir.

Il est parti.

On arrive à maintenir le contact, en fait les 18 ans d’un pote, toute la bande est là, pas moyen de se défiler, et la mère qui pleure et hurle, qui ne comprend pas, qui ne comprendra jamais.

On lui conseille tout de même de faire une déclaration de fugue au comico, en attendant quelques heures au cas où il se décide à revenir.

Il revient le dimanche soir, finalement, il ne voulait pas rentrer avec quelques bières dans le nez à l’aube du jour du Seigneur devant la mère éternelle.

Coup de fil alors que je traîne au milieu d’une manif :

 × « Monsieur Faciunt ?

 × Oui ?

 × Brigade des mineurs à l’appareil, j’appelle au sujet de la situation du jeune Francky, quand est-ce que vous pouvez venir au commissariat ?

 × Euh… Ben c’est pas trop comme ça que ça que ça se passe, en fait vous écrivez une lettre à mon directeur, et il répond à votre convocation.

 × Oui, mais quand est-ce que vous pouvez venir ? »

(Une des nombreuses satisfactions de ce taf étant, outre la galère de l’instant, quand tu dois expliquer à un représentant de l’Autorité la nature d’une procédure…)

Rencard enfin avec l’assistante sociale scolaire qui se barde de l’infirmière pour mieux se protéger.

 × « Oui vous comprenez, Francky se fait des sortes d’entailles à la brûlure sur le bras…

 × Des scarifications.

 × Comme vous dites.

 × …

 × Et ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’il m’a dit qu’il avait fait ses vaccins, un mois avant, parce qu’en plus c’était prémédité, mais il ne m’a toujours pas apporté son carnet de santé pour que je puisse vérifier.

 × …

 × En plus, il écoute de la musique violente. Du punk, il dit. Moi, je suis pour la paix et contre les conflits. C’est comme le rap, ça me fait peur tous ces gens qui appellent à la violence. Déjà parce que ça prouve qu’eux sont violents, et ensuite parce que ça incite ceux qui écoutent à passer à l’acte.

 × …

 × Donc oui, j’ai fait un signalement et j’en suis fière, et je le referais, et j’assume. Parce que moi, hein, j’ai un fils de 17 ans et c’est hors de question qu’il soit comme ça. En plus, hein, il veut vivre dans un squat. Un squat ! Moi j’ai travaillé à Belleville y a vingt ans et j’ai vu des squats hein, que des familles africaines avec des matelas rongés par les rats, des fenêtres cassées, qu’est-ce qu’il va aller faire au milieu de tout ça… »

(Bon, là faut dire que je ne retranscris pas les points de suspension, la catharsis, le fait qu’un môme prenne un mois avant un rite de passage ses responsabilités sanitaires, les squats, les anarchistes, tout ça, non vaut mieux pas, vraiment…)

Quelques jours plus tard, nous allons au comico après avoir reçu la convocation en bonne et due forme. Francky était convoqué deux heures avant nous, la veille encore, il hésitait à y aller, un anarchiste ne mettant pas, par principe, les pieds chez les keufs tant que ceux-ci ne sont pas venus le chercher.

La fliquette de la brigade des mineurs nous reçoit en réprimant un sourire.

« Bon, je vous entends pour la forme, hein, je viens de voir Francky et pour moi, comme je le signalerai au procureur, et non pas à la juge, il n’y a aucun risque. Maintenant, la procédure m’oblige à vous faire part du signalement effectué par l’assistante sociale scolaire. Surtout, mais surtout, ne riez pas. Et ne riez surtout pas au deuxième paragraphe… »

Presque drôle la fliquette. Et elle lit. Et,effectivement, le deuxième paragraphe…

« Francky est vêtu de signes ostentatoires morbides, tels qu’une bague représentant une tête de mort, ce qui montre bien ses idées troublées… »

Et on avise un juge pour ça, en 2009.

Et on manque de retirer un môme à sa mère qu’il exècre mais à qui il parle encore.

Tant mal que bien.


Photo : Ubifaciunt


COMMENTAIRES

 


  • jeudi 7 mai 2009 à 18h40, par Infocrate

    « Et ne riez surtout pas au deuxième paragraphe… »

    Pas pu m’empêcher.
    Vaut mieux en rire.

    Je propose d’obliger l’A.S qu’a fait le signalement d’assister à un concert des Svinkels.
    Ou un truc dans le genre.

    Jusqu’à ce qu’explosion des bas de contention s’en suive.

    Voir en ligne : http://infocraties.blogspot.com

    • jeudi 7 mai 2009 à 22h59, par JBB

      « obliger l’A.S qu’a fait le signalement d’assister à un concert des Svinkels. »

      Bien vu. On peut rêver, elle arrivera peut-être « à réveiller le punk » qui est en elle…

      • vendredi 8 mai 2009 à 11h50, par un-e anonyme

        @ info & jb : Qu’elle commence déjà par un skeud des Clash, et un putain de Joe Strummer dans sa gueule... Ou du Booba en live, et qu’elle se prenne une boutanche de sky dans sa guele. Au sens propre...



  • jeudi 7 mai 2009 à 23h25, par un-e anonyme

    La chronique « sévice social », elle pète. Bien vu, Ubi.



  • vendredi 8 mai 2009 à 10h33, par namless

    ... ou comment « les gens qui savent » peuvent décider ce qui est mieux pour vous ...

    Cette AS est une femme de bien, d’ailleurs elle est « pour la paix et contre les conflits » (sic !)
    Je plains son fils de 17 ans.



  • vendredi 8 mai 2009 à 10h50, par DJM de Cambrai

    Délire social, dévissage social,

    Intox ? : en janvier 2007, Bernie BONVOISIN trouvait « la démarche de BAYROU intelligente ».
    Francky fait gaffe, la vieillesse est souvent, (toujours ?), un naufrage.

    Merci à vous.

    • vendredi 8 mai 2009 à 10h54, par DJM de Cambrai

      Toute une vie de suffit pas pour désapprendre ce que naïf, tu t’es laissé mettre dans la tête - innocent - sans songer aux conséquences.

      Henri MICHAUX, Poteaux d’angle, 1971

      • vendredi 8 mai 2009 à 11h12, par Le SoT

        On peut en rire, trop jaune, en pleurer, pas assez noir,ou alors juste se dire qu’il conviendrait peut être d’orienter cette catastrophe sociale dans un secteur professionnel plus adapté à son désastre mentale, l’arrêt maladie de très longue durée me paraissant être la meilleure des solutions au vu de ses compétences...(cf : Forza Sarkory !).

        Nous sommes jeunes, (moi un petit peu moins, cf : Yippie...), imaginatifs, et tout à fait conscient des catastrophes quotidiennes que cette personne doit générer dans le milieu scolaire.
        Sans lui souhaiter un quelconque « accident » physique, trop brutal et peu élégant, il serait néanmoins possible d’envisager un petit quelque chose non, et puis avec les NTIC...

        On peut aussi se contenter d’attendre la prochaine « sévice social », morne spectacle d’un désastre archi annoncé et se demander si il faut en rire ou en pleurer (parle bien sûr du fond, pas de la forme :).

        Bon un peu énervé mais les jours d’armistice toujours !

         × Aparté à destination de la cellule ART 11 de l’Aude, justement, pas de Carcassonne pour moi le jour de la fête des travailleurs, trop feignant et trop de pluie.

        Voir en ligne : Peut être le 3 mai prochain devant le central téléphonique à Barcelone.

        • vendredi 8 mai 2009 à 11h58, par ubifaciunt

          @ le sot : De toute façon, les gamins croisés dans les couloirs du bahut nous disaient bien que la meuf « servait à rien ». Heureusement que les mômes sont jamais dupes...

          Sinon, j’écoute ton son, là, au matin et au café, et ben c’est vachement bien !

          • vendredi 8 mai 2009 à 19h19, par Le SoT

            @ : Ubifaciunt (pour moi qui suis un peu benêt, c’est du chinois un peu maoïste, non ?)

            Pour le bahut ce doit être vrai, pour le reste avec plaisir !

      • vendredi 8 mai 2009 à 11h53, par ubifaciunt

        Elle claque la citation, maintenant si le père Francky pouvait attendre un peu avant de tâter de la mescaline... Bon, après, il fait bien ce qu’il veut le gaillard...

    • lundi 11 mai 2009 à 17h49, par Veig

      Bah, c’est rien, ça : Gogol Premier avait bien pris sa carte au PS en 2006 et soutenu Ségolène Royal...
      http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article2955



  • vendredi 8 mai 2009 à 16h23, par Olivier

    Oui, c’est un très bon démarrage de chronique, et la suite promise, je vais pas la louper !

    Merci.



  • jeudi 4 juin 2009 à 11h13, par cultive ton jardin

    Pour l’AS, si elle a un môme du même âge, suffit peut-être d’attendre un peu, il va se charger de son éducation.

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