ARTICLE11
 
 

lundi 31 mai 2010

Le Charançon Libéré

posté à 14h53, par JBB
21 commentaires

Laurence Parisot, archange du Monde
JPEG - 25.2 ko

« Chevalier blanc au féminin », elle est la « Jeanne d’Arc des conseils d’administration ». Et aussi, une femme désintéressée, intègre, clairvoyante, courageuse, intelligente et fine. Littéralement sanctifiée en un très long article du Monde, Laurence Parisot a été rhabillée pour l’été, emmaillotée de tendresse et de compliments. Un grand cri d’amour, donc. Et tout, sauf du journalisme.

C’est une noble et délicate mission que de faire œuvre de journalisme - très noble et très délicate.

Obligation de se tenir à une (plus ou moins) stricte position de neutralité.

Et (vague) impératif de respecter tout un tas de principes - aussi nommés Charte des devoirs professionnels des journalistes français.

Tu noteras - ainsi - qu’un journaliste « ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière ».

Qu’il « tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières ».

Et qu’il « ne confond pas son rôle avec celui du policier » - en l’occurrence et pour les besoins de ce billet, tu vas remplacer « policier » par « patron » ; au fond, c’est un peu la même chose.

.

Il est un autre principe que la Charte des devoirs professionnels des journalistes français ne mentionne pas - sans doute parce que cette dernière est un peu datée, sa dernière révision datant de 1938.

Obligation qui, pour non-écrite et tacite qu’elle soit, n’en est pas moins essentielle.

Un journaliste, donc, « n’écrit pas de mauvais articles susceptibles de faire pleurer les gens ».

C’est important - décisif, même.

Et c’est d’abord à cela que se reconnaît un bon plumitif : il ne laisse derrière lui que doux sourires et alertes rires.

.

Que Béatrice Gurrey, appointée au Monde à défaut de l’être au Medef, se rassure : elle est une bonne journaliste.

Et il n’y a nul risque que Laurence Parisot verse une larme après le long (très long) et dithyrambique (très dithyrambique) papier qui lui a par elle été consacré dans le quotidien vespéral des marchésLe Plan B).

Il y avait un risque, pourtant.

Et Béatrice Gurrey le mentionne même au détour d’un paragraphe, écrivant à propos de la sainte-madone du Medef : « Une sorte de petite Jeanne d’Arc des conseils d’administration, au regard de glace. Capable de pleurer pour un mauvais article à son propos. »

Que je te dise : Laurence Parisot ne pleurera pas, cette fois.

Ou alors, de joie.

JPEG - 102.7 ko

Je ne vais pas ici te citer tous les fols emballements stylistiques, les grandioses envolées laudatrices, les petits (é)cri(t)s d’admiration et grands glapissements énamourés que pousse l’auteur de l’article à l’endroit (et l’envers) de la dirigeante patronale : il faudrait copier-coller l’ensemble du papier, ce serait long et fastidieux.

Sache juste que je n’ai jamais lu en un quotidien pareille déclaration d’amour - si ce n’est peut-être dans la Pravda, quand Иосиф Виссарионович Джугашвили (aka le Petit père des peuples) a célébré son cinquantième anniversaire.

Et apprends que la dirigeante du Medef ne peut qu’être sainte parmi les saintes, puisque, caméléon sanctifié, elle endosse tour à tour les habits de :
- femme « émue avec naïveté, dans un monde calculateur où croisent les requins, travailleuse jusqu’à l’épuisement, quand d’autres surfent sur leurs facilité ».
- petite bergère à qui il « manque le cynisme qui blinde, la grosse cuirasse qu’endossent tous les autres, contre les critiques ».
- saint Martin au féminin estimant « impossible (de) dépenser beaucoup d’argent pour ses vêtements. Pas de signes extérieurs de richesse, par tempérament et par souci d’image. Sa maison à Saint-Barth, à côté de celle de Johnny ? Une cabane, assure-t-elle ».
- personnage prêt à tout sacrifier pour la collectivité : « « Je me fais de la bile, avoue-t-elle souvent. On est dans un combat pour garder notre niveau de vie. Si on y arrive, ce ne sera déjà pas si mal… » Mais quand elle dit « on », il faut entendre « la France ». Une sorte de petite Jeanne d’Arc des conseils d’administration, au regard de glace. »
- esprit pur parmi les purs : « Elle en parle un soir, dans son bureau au mobilier transparent, au Medef, avenue Bosquet. On croit tout voir à travers : table en verre, chaises en plexiglas, grandes baies vitrées, comme un message subliminal. Ici tout est propre et clair, comme le regard de la locataire. »
- « premier chevalier blanc au féminin » à avoir le courage de s’élever « avec force contre les rémunérations patronales trop élevées ».
- véritable dame-courage, malgré toutes les résistances, oppositions et chausses-trappes : « Rien de tout cela n’effraie cette femme à l’apparence fragile. »

Avoue, tu n’avais jamais vu la dirigeante du Medef sous cet angle-là ?

Justement…

C’est tout le talent du Monde de te la montrer ainsi.

En un article qui se révèle finalement aussi critique et objectif que ce lip-dup promotionnel tourné par le Medef au début de l’année 2008 :

.

Bien entendu, il ne saurait être question de soupçonner le quotidien de livrer avec ce long papier un publi-rédactionnel de bas-étage.

De lui reprocher une excessive empathie avec l’objet de ce portrait sans nuance.

Ou de se demander s’il ne prend pas de très larges libertés avec la réalité.

Il ne faut pas exagérer : c’est Le Monde, quand même…

.

Tu n’auras donc pas l’outrecuidance de remarquer que nulle mention n’est faite de la façon dont la famille Parisot a amassé sa fortune (selon Challenges, la famille Parisot est la 414e fortune de France) : exploitation des salariés et très large recours aux aides publiques, avant que de se décider à délocaliser en Roumanie1.

Tu t’abstiendras de constater que le quotidien ne relate pas comment la sainte-madone du Medef a fait espionner ses salariés d’Optimum SA (une fabrique de porte de placards qui sera vendue quelques mois plus tard) par un cabinet d’intelligence économique, avant d’arguer d’une mensongère accusation de vol pour virer le délégué syndical le plus actif de la société (lequel sera ensuite réintégré par la justice).

Et tu oublieras de t’étonner que Béatrice Gurrey présente comme acquis l’ignorance par Laurence des pratiques de l’UIMM, légitimant ainsi ses grands cris d’innocence à l’éclatement de l’affaire - alors que tout démontre son implication et sa connaissance des faits : « La famille Parisot est dans les affaires depuis un siècle ; le père a dirigé le groupe éponyme, premier industiel du meuble français ; sa fille fréquente le Tout-Paris des affaires depuis quinze ans, et, surtout, ses proches l’ont informée, comme il se doit, des principes du « système », lors de son élection en 2005 à la présidence du Medef. Si c’est un secret, il est de polichinelle », résume ainsi l’ouvrage collectif Histoire secrète du Patronat2.

Tu ne regretteras pas non plus que l’article ne cite aucune des affaires qui ont agité le Medef sous le règne Parisot, révélations sur les dérives de « service de santé au travail » - ou comment l’argent de la santé des salariés finance les comités locaux du patronat - et sur la petite cuisine du « 1 % logement » - dont un nouvel acte vient de se jouer au Conseil des prud’hommes de Paris, condamnation du Medef à payer une très substantielle somme à son ancien directeur général (licencié par Laurence Parisot).

Tu ne déploreras pas que la journaliste du Monde écrive que Laurence Parisot a « pris le risque d’aller contre la culture de son milieu en intervenant avec force contre les rémunérations patronales trop élevées », quand elle s’est au contraire refusée corps et cris à toute intervention du législateur en ce domaine, se contentant d’édicter un « code de bonne gouvernance » comme écran de fumée à son inaction.

Tu ne t’indigneras même pas que Béatrice Gurrey présente la dirigeante patronale comme désintéressée, « sans signes extérieurs de richesse, par tempérament et par souci d’image ». Histoire secrète du patronat infirme très largement cette fallacieuse présentation : « La présidente du Medef a aussi son jardin secret, peu connu du grand public, peut-être parce qu’il cadre mal avec l’image d’entrepreneur moderne et vertueux qu’elle souhaite promouvoir. Ainsi, Laurence Parisot possède, avec sa mère et sa sœur, plusieurs biens immobiliers (villas, hôtels) sur l’île antillaise de Saint-Barthélemy, où elle se rend régulièrement pour de courts séjours. Jets privés, voitures de sport (…), table au Crillon pour ses déjeuners d’affaires, passion pour André Breton et les surréalistes chèrement entretenue dans les salles de vente… (…) Comme de nombreux patrons de sa génération, elle est aussi convaincue que la « com » fait désormais partie de la panoplie complète du dirigeant du XXIe siècle. Une conviction qui coûte cher au Medef : en 2008, l’organisation a dû régler une note d’honoraires annuelle de 300 000 € à son coach personnel, Rosine Lapresle-Tavera, graphologue reconvertie dans le conseil haut de gamme. »

Et tu ne te scandaliseras point que l’article ne fasse pas une seule fois allusion à ce combat idéologique mené par la présidente du Medef, multiples déclarations pour louer la précarité - « La précarité est une loi de la condition humaine » et « La vie est précaire, l’amour est précaire, pourquoi le travail ne serait pas précaire ? » - , pour fustiger le droit du travail - «  Nous prendrons des initiatives qui permettent l’émergence d’un droit du travail modernisé, qui concilie la prise de risque économique et la protection des individus » et « La liberté de pensée s’arrête là où commence le code du travail » - et pour dénoncer l’écrasant climat social français - « Un peu plus de liberté, un peu plus d’air, et tout ira mieux tout de suite en France. »

Enfin, et de façon générale, tu t’abstiendras d’accuser Le Monde de choisir son camp en une période où les batailles sociales (pour les retraites, contre la rigueur) s’annoncent aussi épiques que mal emmanchées pour tous les laissés pour compte du système.

Parce que… - sais-tu ? - il n’y a qu’une chose qui importe.

Ne pas faire pleurer Laurence Parisot avec de mauvais articles



1 C’était le sujet d’une enquête de François Ruffin dans le numéro 44 de Fakir, je ne peux que t’encourager à t’y reporter.

Tu y trouveras notamment le témoignage de Gilette, salariée qui travaillait dans une usine textile reprise par la famille Parisot, avant d’être licenciée une fois venu le temps de la délocalisation. Voici ce témoignage :

« C’était affreux. Pour aller aux toilettes, il fallait lever son doigt. Pas le droit de boire un verre d’eau. Pas le droit de manger un bonbon. Pas le droit de parler. Toute la journée, la tête dans la machine. Il faisait froid, il fallait que je travaille avec des bottes et un manteau, pour coudre c’est pas évident. Le directeur, il était derrière, il nous foutait des trouilles du tonnerre, on tremblait : l’horreur. J’ai vu des couturières, qui avaient travaillé pendant 25 ans chez Boussac, prendre leur sac et partir. Le matin, avant d’y aller, j’avais les jambes qui tremblaient. Cachet, cachet. J’étais à peine arrivé, je me faisais agresser. Pourtant, j’étais pas feignante – mais j’arrivais pas à accepter le mal qu’ils nous faisaient. J’ai même fait un troisième enfant, que maintenant je regrette parce qu’il a fallu l’élever, mais j’ai fait un troisième enfant pour dire de ne plus travailler. En revenant, j’ai fait une dépression de quinze mois, j’ai été licenciée, mon mari aussi, on a perdu notre maison – pis après ç’a été l’enfer. L’enfer. Quand les enfants me disaient, ‘le frigo il est core vide’, eux ils ne veulent pas comprendre : fallait bien que je donne à manger à mes enfants. Je faisais un chèque, malgré que je n’avais pas d’argent. Contre Parisot, j’ai de la haine. J’arrive pas à les encaisser, ces gens-là : être comme ça à la télé et voir ce que les ouvriers bavent derrière, y a des moments on veut tuer le patron. »

2 Editions La Découverte.


COMMENTAIRES

 


  • lundi 31 mai 2010 à 15h52, par fred

    Contre Parisot, j’ai de la haine. J’arrive pas à les encaisser, ces gens-là : être comme ça à la télé et voir ce que les ouvriers bavent derrière, y a des moments on veut tuer le patron. »

    Au risque de paraître grossier, mais à la lecture de ton article et du témoignage , je dédie ce morceau de bravoure interprété par Gélin à la présidente du Medef et à la pseudo-journaliste-pisse-copie. « Elle le valent bien » toute les deux.



  • lundi 31 mai 2010 à 16h29, par gregoire

    en complément les excellents moments de l’émission de Daniel Mermet sur France Inter concernant la famille Parisot.

    Voir en ligne : Lien vers « Là-bas si j’y suis »...



  • lundi 31 mai 2010 à 17h20, par jd

    L’article est en réponse à ce qu’a écrit Sophie de Menthon (une qui convoite la place de Parisot à la tête du MEDEF) :

    http://www.lemonde.fr/opinions/arti...

    Juste cette phrase :
    « Ce repli du Medef a pu faire croire que le monde économique se sentait coupable de ces événements et avait choisi de faire profil bas après leur survenance. »

    Avec une telle arrogance, y a des bombes qui se perdent ....

    Sinon qui est partant pour verser du laxatif dans leur déjeuner (et bloquer toutes les toilettes) à la prochaine université d’été du MEDEF ?

    • mardi 1er juin 2010 à 10h46, par JBB

      L’affrontement (avorté) entre Sophie de Menthon et Laurence Parisot, c’est un peu la peste et le choléras qui se tireraient la bourre. Aussi pathétique que réjouissant à observer, tant les deux cumulent les tares…

      « Sinon qui est partant pour verser du laxatif dans leur déjeuner (et bloquer toutes les toilettes) à la prochaine université d’été du MEDEF ? »

      J’aime bien l’idée :-)



  • lundi 31 mai 2010 à 18h51, par wuwei

    Si je ne me trompe la Jeanne a fini sur un bucher ? Comme c’est bientôt la saison du barbecue...



  • lundi 31 mai 2010 à 20h07, par Guy M.

    Alors, si j’ai bien suivi, c’est donc madame Parisot qui devrait racheter Le Monde, et par conséquent le sauver.

    (Toujours ce côté Jehanne d’Arc, qui est si touchant...)

    Et Béatrice Gurrey, elle sera bien contente, du coup.

    T’as beau dire, c’est facile le journalisme.

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com



  • mardi 1er juin 2010 à 00h06, par dolecolo

    Excusez moi, je croyais qu’on parlait de la madone des sleepings.

    Voir en ligne : http://www.dolecologie.com



  • mardi 1er juin 2010 à 09h00, par Calagan

    Où donc sont les terroristes de la tarte à la crême ? Pourquoi Laurence Parisot n’est-elle pas régulièrement entartée ? Pourquoi ne pas constituer des petites brigades d’entarteurs qui s’occuperaient aussi de ces nombreux complices inconnus tout aussi néfastes que les célèbres (cette journaliste du monde par exemple) ?
    Je rappelle que le principe de l’entartage est de faire vivre les « puissants » dans la peur de l’humiliation, alors qu’ils sont habituellement protégés de ce sentiment par leur « statut ».

    • mardi 1er juin 2010 à 10h52, par JBB

      Proposition bienvenue.

      Il y a un bail, maintenant, Lémi avait publié un long entretien avec le roi des entarteurs, Noël Godin.

      Il disait notamment :

      C’est possible d’intégrer un commando pâtissier ?

      Pour s’encanailler avec nous, le meilleur moyen est d’organiser l’attentat. Il y a un sacré travail de repérage des lieux et des dispositifs de sécurité pour savoir comment faire arriver les guérilleros chantilly sans qu’ils se fassent remarquer… La gloupinade est un art.

      Bref : toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.



  • mardi 1er juin 2010 à 09h49, par Isatis

    On n’a pas idée aussi de lire des torchons pareils :-)))

    Heureusement que c’est Art. II qui édite ce papier sinon il me semble que je n’y prêterai pas crédit tant c’est invraisemblable que le monde se vautre si bassement !

    • mardi 1er juin 2010 à 10h41, par JBB

      Ouais, c’est incroyable. Je ne me fais plus une haute opinion du Monde, mais je ne pensais pas qu’il pouvait tomber si bas. Ce n’est plus un article, sur ce coup, mais une folle hagiographie…

      • mardi 1er juin 2010 à 12h56, par jd

        « mais je ne pensais pas qu’il pouvait tomber si bas »
        Je soupconne que le Monde veuille se reconvertir dans l’exploration pétrolière parce qu’à ce niveau là : le journaliste, Jean Birnbaum (spécialisé dans l’actualité des idées d’après wikipedia) relatant des grilles fermées et une dame quittant la conférence car Chomsky, américain, ne s’exprimait pas en français ! alors qu’il s’agissait d’un colloque au collège de France intitulé Rationalité, vérité et démocratie : Bertrand Russell, George Orwell, Noam Chomsky et où se sont exprimés 5 enseignants-chercheurs et un directeur d’une maison d’édition !

        http://www.lemonde.fr/culture/artic...

        On en sait un peut plus : http://www.acrimed.org/article3386.html

  • Répondre à cet article