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lundi 19 avril 2010

Sur le terrain

posté à 19h15, par Benjamin
2 commentaires

Bruxelles : balade au parc Monsanto avec la Via Campesina
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Tu l’ignores sans doute, mais samedi se tenait la Journée internationale des luttes paysannes. Organisée par l’association Via Campesina, la journée est destinée à sensibiliser au sort des petits producteurs et à leur combat contre les multinationales. À Bruxelles, des militants en ont profité pour renommer le Parc Monsanto. Retour sur une petite action porteuse de bien des combats.

Un jardin public nommé Parc Monsanto, ça vous inspire quoi ? Vous pensez à une lande désolée arrosée de glyphosate ? À des végétaux façon Frankenstein ? À un parc où les enfants joueraient au milieu de cadavres pourrissants d’animaux empoisonnés ? À un lieu où pousserait une seule espèce de « plante », superadventice ultraproductif et résistant à tout ce qui existe au monde, à l’exception des produits brevetés par l’entreprise ayant créé cet indestructible chiendent ? À tout cela à la fois ?
Perdu ! Le parc Monsanto, situé près de l’avenue Tervueren à Bruxelles, n’est pas – comme on pourrait pourtant s’y attendre – une antichambre démoniaque de l’enfer, débordante de clones pesticides brevetés. C’est juste un très classique jardin public, sur la commune de Woluwe Saint-Pierre, à une vingtaine de minutes à pieds du centre-ville bruxellois. Un parc tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Banal. Si ce n’est qu’il se nomme Monsanto… Et qu’il est pour le moins désolant qu’une entreprise aussi nuisible puisse prétendre accoler son nom à celui d’un espace vert.

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Samedi dernier, au matin, ce jardin public a vu débarquer une trentaine d’activistes et de militants, présents pour renommer l’endroit Parc Eldorado dos Carajas 17 avril. Une référence à ce 17 avril 1996 où 19 paysans brésiliens sans terre du MST (Mouvement des travailleurs ruraux sans terre du Brésil) ont été assassinés par la police brésilienne à Eldorado dos Carajas, alors qu’ils manifestaient2. Les responsables de cette tuerie n’ayant jamais été jugés ou mis en cause, la date du 17 avril est devenue symbolique du combat des petits paysans. Et voit désormais chaque année s’organiser des actions un peu partout dans le monde3.

Revenons au parc anciennement-Monsanto… Après l’avoir rebaptisé, les militants de Reclaim the Fields, de Via Campesina et d’autres collectifs en ont aussi profité pour planter, un peu partout, des fraisiers, des plants de tomates et des pois. Facile, puisque le parc semblait avoir été préparé pour l’occasion par les ouvriers communaux : la terre était retournée, et de la pelouse venait d’être semée. Merci à eux…
Si ces graines germent, elles afficheront les mots Monsanto out en plein milieu de la pelouse du parc. Un sympathique pied de nez à cette multinationale dont le produit phare est un herbicide et le cheval de bataille les « clones pesticides brevetés » - soit les OGM (pour l’explication du terme « clone pesticide breveté », c’est ici et ). Un pied de nez, et la volonté de signifier une franche opposition à ce qu’un fossoyeur de la biodiversité et un promoteur des pratiques agricoles les plus inhumaines puisse prétendre à redorer son blason en donnant son nom à un jardin public.
« Si ce parc s’appelle ainsi, c’est parce que ce terrain, auparavant propriété d’une communauté religieuse, a été vendu à la commune, qui l’a elle-même cédé à Monsanto (dont les bureaux sont juste à côté), à condition qu’ils en utilisent une partie pour faire un jardin public », explique l’un des militants, poursuivant : « Il est honteux qu’un jardin public de Bruxelles porte le nom d’une entreprise aux méthodes scandaleuses. D’une entreprise qui produit des substances nocives et toxiques. Qui est obsédée par la transgenèse. Et qui a recours à des méthodes provoquant de véritables drames pour les petits paysans et l’ensemble des êtres humains. Nous avons voulu pointer du doigt cette absurdité. »

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L’action était organisée dans le cadre de la Journée internationale des luttes paysannes4, lancée par l’association Via Campesina. Soit par ce qui est - sans doute - la plus grande organisation paysanne et rurale au monde. Et surtout l’une des rares à conserver une critique radicale, un discours résolument anti-libéral et un véritable ancrage populaire, dans ce microcosme des représentants d’ intérêts de la « société civile »5.

C’est que la Via Campesina a un statut particulier. Ce réseau international coordonne des mouvements, syndicats et associations de petits paysans, de travailleurs agricoles, de femmes rurales et de communautés indigènes d’Asie, d’Amérique, d’Europe et d’Afrique. Il promeut une agriculture solidaire et l’utilisation durable des ressources naturelles, et combat l’industrialisation et la déshumanisation du monde agricole. Oppose la protection de la biodiversité à la promotion des OGM réalisée par des entreprises transnationales. Se bat pour l’égalité des droits entre hommes et femmes, et particulièrement la reconnaissance de la place de ces dernières dans le milieu paysan. Exige la régulation du commerce international et lutte contre la grande distribution. Réclame la reconnaissance des droits des petits paysans, des salariés agricoles et des migrants. Et prône la mise en place de la souveraineté alimentaire, ainsi qu’un accès équitable à la terre, à l’eau et aux semences. Des thèmes qui ne concernent pas seulement les petits producteurs agricoles, mais sont finalement des choix de société essentiels, traversant toutes les catégories sociales.
Font notamment partie de ce réseau la Confédération Paysanne française, la COAG espagnole ou Uniterre en Suisse, ainsi que le MST Brésilien (qui représente plus de 600 000 familles au Brésil et se distingue par des actions particulièrement efficaces et revendicatrices) ou le Conseil Andin des Producteurs de Coca, syndicat de cocaleros qui a eu Evo Morales pour président6.

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L’organisation, qui existe depuis 1993, s’est peu à peu affirmée. « Qui aurait pu imaginer, à l’ouverture en 1986 du dernier cycle de négociations du GATT dit Uruguay Round, des fermiers de différents pays marchant ensemble sur la ville de Punta del Este, qui accueillait la conférence ? Or, quelques années plus tard, la fiction était dépassée par les faits. En mai 1993, des leaders paysans du monde entier se sont retrouvés unis à Mons, Belgique, sous la bannière d’un mouvement paysan planétaire naissant, la Via Campesina. Sept mois plus tard, au cours de la phase finale des négociations du GATT, plus de 5 000 paysans, venus d’Europe, du Canada, des États-Unis, du Japon, de l’Inde et d’Amérique Latine ont marché ensemble sur le GATT à Genève », écrit ainsi Annette Aurélie Desmarais dans Via Campesina, une alternative paysanne à la mondialisation néolibérale7. L’ouvrage compile plusieurs textes - des éléments d’analyse sur la situation agricole actuelle (très dégradée pour les petits producteurs depuis les accords sur l’agriculture de l’OMC en 19948) aussi bien qu’une histoire de la création de la Via Campesina - , et revient entre autres sur des conflits particulièrement représentatifs du combat mené par certains paysans au Nord comme au Sud. Pour ne rien gâcher, il comporte même une postface rédigée par Jean Ziegler9.

Véritable regroupement de moutons noirs du néo-libéralisme, Via Campesina peut se targuer de deux principaux points forts. De un, l’association propose une analyse claire, lucide (considérée du coup par certains comme « radicale ») et sans concession sur les raisons du désastre alimentaire actuel. De deux, elle a un ancrage très fort au sein du monde paysan ; à l’image - peut-être - de celui d’une organisation ouvrière il y a quelques dizaines d’années, quand il s’agissait d’une véritable identité structurante et revendicatrice. Une approche stratégique particulière, qui peut faire débat : malgré son radicalisme analytique, les organisations membres de la Via Campesina ont décidé de ne pas se couper des décideurs et travaillent, jour après jour, de toutes les façons possibles, à faire pression sur ces derniers. Les plus grands pourris du monde prêtant une oreille attentive aux revendications antilibérales de paysans radicaux ? Cela peut paraître mal barré. Et pourtant…

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Au niveau théorique, la Via Campesina a notamment permis la création, la définition et la promotion du concept de souveraineté alimentaire. C’est là, dans des efforts acharnés pour le faire reconnaître au niveau mondial, que la singularité de l’organisation prend tout son sens. Le réseau se bat pour que la souveraineté alimentaire devienne un droit opposable au niveau international. Et porte ainsi une véritable alternative aux effets néfastes de la libéralisation des marchés en matière agricole. Reprenons le livre déjà cité plus haut, sur la Via Campesina : « Pour la Via Campesina : « L’alimentation est un droit humain fondamental. Ce droit ne peut être concrétisé que dans un système qui garantit la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire est le droit de chaque nation de maintenir et d’élaborer sa propre capacité à produire ses propres aliments de base dans le respect de la diversité culturelle et productive. Nous avons le droit de produire nos propres aliments sur notre propre territoire. La souveraineté alimentaire est un préalable à la sécurité alimentaire. » […] Pour la Via Campesina, il ne s’agit pas seulement d’assurer qu’une quantité suffisante d’aliments est produite au plan national et que chacun y a accès, il s’agit tout autant de répondre à la question de savoir quel type d’aliments sera produit, de quelle manière et dans quelles quantités. »10
Des questions fondamentales, dont les implications sont loin de toucher uniquement au domaine agricole. Et une démarche parfaitement résumée dans le « slogan » adopté en octobre 2000 : « Mondialisons la lutte, Mondialisons l’espoir ! »



1 Ce cliché- ainsi que le suivant - a été piqué sur le site de Reclaim The Fields, qui a fait un compte-rendu photo de l’action en question.

2 Pour plus d’informations, tu peux notamment lire cet entretien.

3 Pour savoir ce qui était prévu, tu peux te reporter à ce communiqué de la Coordination européenne Via Campesina.

4 Une journée qui a vu l’organisation de nombreuses autres actions. Entre autres, un pique-nique paysans contre la mise en place d’un terrain de golf sur des terres agricoles à Bonnieux, une mobilisation contre la grande distribution à Mende, de grosses manifs contre les OGM en Espagne, etc…

5 Soyons honnête, je ne suis pas tout à fait objectif concernant la Via Campesina, puisque j’y effectue actuellement un stage de quelques mois. Mais l’enthousiasme ne provient absolument pas de cette situation, je te rassure. Note aussi que je ne parle nullement au nom de l’association.

6 Spéciale dédicace à certains evophiles obsessionnels et compulsifs

7 Publié par le CETIM (Centre Europe-Tiers Monde) en octobre 2002. Les livres de cette « Association …, ONG …, organisation militante ...  » n’étant pas faciles à dégotter, je te conseille d’aller faire un tour sur leur site pour consulter leur catalogue, ICI.

8 A ce sujet, signalons seulement une bonne enquête de Doan Bui, journaliste au Nouvel Observateur, sur les grands thèmes agroalimentaires contemporains et leurs implications sur des petits paysans du sud : Les affameurs. Une très bonne introduction à ces questions. Et quant à ceux qui voudraient approfondir, ils peuvent se pencher sur Le commerce de la faim ; La sécurité alimentaire sacrifiée à l’autel du libre-échange, de John Madeley, dans la collection « enjeux planète ». Un retour très clair sur la mise en œuvre du libéralisme au niveau international, l’imposition des OGM, le système de brevetage du vivant, ou encore les stratégies des multinationales… Dans une analyse limpide, l’auteur y fait le constat implacable et sans appel de la détérioration de la situation des plus pauvres en raison des politiques néolibérales. Essentiel.

9 Jean Ziegler est un ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, ainsi que l’auteur de quelques ouvrages retentissants sur la question. Voici un passage de sa passionnante postface : « La misère et la faim sont aujourd’hui encore essentiellement un problème rural. Regardons les chiffres : des 1,2 milliards d’êtres humains qui, selon les critères de la Banque mondiale vivent dans la « pauvreté extrême » (le revenu de moins d’un dollar par jour ne permettant pas une vie réellement humaine), 75% vivent dans les campagnes. Beaucoup de paysans souffrent de la misère pour l’une ou l’autre des trois raisons suivantes : les uns sont des travailleurs migrateurs sans terre ou des métayers surexploités par les propriétaires ; d’autres ont de la terre, mais leurs titres de propriété sont fragiles (par exemple : les posseiros au Brésil) ; d’autres encore possèdent leur terre propre, mais la dimension et la qualité de celle-ci sont insuffisantes pour nourrir décemment une famille. L’IFAD chiffre le nombre de travailleurs ruraux sans terre à environ 500 millions de personnes, soit 100 millions de ménages. Ils sont parmi les plus pauvres des hommes sur terre. C’est sur eux qu’en priorité s’abat le fléau de la sous-nutrition chronique et de la faim. Toutes les sept secondes, un enfant au-dessous de dix ans meurt de faim. Toutes les quatre minutes, un homme perd la vue, faute de vitamine A. 100 000 personnes meurent de faim, ou de ses suites immédiates, tous les jours. 826 millions d’êtres sont gravement et en permanence sous-alimentés. Et tout cela se passe sur une planète qui pourrait nourrir sans problème 12 milliards d’êtres humains (à raison de 2 700 calories individu/jour). Il n’y a pas de fatalité. Quiconque meurt de faim, meurt d’un assassinat. »

10 Pour creuser ce concept et la situation actuelle de la PAC, mettre la main sur Souveraineté alimentaire, que fait l’Europe ?, une sélection de textes publiés aux Editions Syllepse en 2009.


COMMENTAIRES

 


  • lundi 19 avril 2010 à 22h41, par ZeroS

    Certes, les paysans luttent, mais ils cultivent aussi leur terre.

    Par conséquent, j’en profite pour passer quelques annonces de discussions sur les circuits-courts et l’étiquette « bio » qui concernent un monde vaguement lointain dit « étudiant ». Décroissants bienvenus.

    [mer. 21 avril - 17h30] Émission enregistrée sur Radio Campus Paris en et avec le public autour des étudiants et de la consommation dite « bio ». Il sera question de circuits-courts...

    [lun. 10 mai - 19h] Projection-débat autour du film Homo Amapiens de Béatrice Mourgues (52’).

    => 2 soirées libres @ Maison des Initiatives Étudiantes, 50 rue des Tournelles, Paris 75003, M Bastille et Chemin Vert.

    Il y a aussi une grande gabegie institutionnelle sur les circuits-courts les 05 et 06 mai orchestrée par l’INRA, le CIVAM et AgroParisTech... comme quoi même les développementistes radicaux s’y convertissent. Il faut BIEN nourrir les gens aisés. Y aurait-il des enjeux économiques importants derrière ces types d’organisations des marchés agricoles ? Des O.G.M. en circuits-courts ? Bientôt...

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