ARTICLE11
 
 

jeudi 5 février 2009

Le Cri du Gonze

posté à 02h21, par Lémi
12 commentaires

Ces vicieux caudillos sud-américains qui font rien tant que pas respecter la volonté populaire… (Alors que nous : si)
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Enfer et damnation ! Nos médias ne seraient pas toujours aussi parfaits qu’ils en ont l’air… Vous en doutez ? C’est pourtant évident pour qui observe un tantinet le traitement réservé aux expériences politiques à l’oeuvre en Amérique latine. A en croire nos donneurs de leçon médiatiques, la contrée ne connaîtrait d’autres régimes politiques que ceux menés à la baguette par d’infâmes dictateurs. Dans la réalité, par contre…

« Si on gagne avec 60 pour cent des voix, les médias parlent de match nul. Si on gagne avec 80%, alors les médias parlent de dictature, de république bananière… »

Le journaliste bolivien Sergio Caceres1, parlant de la situation actuelle en Bolivie, via mail.

Dans Tintin chez les Picaros, lecture politique de référence s’il en est, il y a ce personnage vicieux et lâche, dictateur du San Théodoros, le général tapioca. Rien qu’à voir sa tête, on sait que c’est un méchant très méchant, du genre à martyriser son peuple avec une constance de chacal : petite moustache vicieuse et postillons, aussi chauve qu’un footballeur français vantant les vertus du Mc-do, un cigare fidel-castrien perpétuellement fixé aux lèvres ; le faux jeton dans toute sa splendeur. On voit venir ça gros comme une maison : avec lui, il n’y aura pas de rédemption possible. Un dictateur pur jus, avec escadrons de la mort de rigueur et geôles sous le palais présidentiel pour torturer tranquillos.

Juste une bande-dessinée ? Même pas… Dans la vision occidentale de la politique en Amérique du Sud, c’est comme si le général Tapioca restait la norme, le prototype parfait de l’homme politique. On en tire vite la conclusion qui s’impose : dans ces contrées sauvages peuplées de réducteurs de tête et de paysans illettrés, peu habituées à nos us et coutumes politiques si parfaitement démocratiques, le vote est une mascarade. Car la cause est entendue : sur ces terres perdues pour la civilisation, la démocratie est toujours dévoyée, foulée aux bottes par des tyrans sans scrupules, mi-Tapiocas, mi-Castros, mi-Perons. Pas un vote qui ne soit entaché de fraudes, d’urnes bourrées, d’interventions militaires et de diverses fourberies typiquement sud-amerloques.

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Ça ne rate jamais. Il suffit que l’actualité politique d’un de ces pays pointe le bout de son nez pour que tout de suite nos scribouillards occidentaux sortent la brosse à caricaturer, à grimer en dictateur. Curieux phénomène que nous appellerons « syndrome du Tapioca », histoire de faire scientifique.
Vérifier l’existence de ce « syndrome du Tapioca » ? Rien de plus simple, c’est à la portée du premier venu : prenez une démocratie exemplaire (disons plutôt : plus exemplaire que la nôtre) et plongez-la dans une solution composée de médias occidentaux paresseux et de néo-libéralisme ambiant. Laissez-la macérer le temps qu’un scribouillard de la trempe socio-traître d’un Laurent Joffrin écrive un éditorial furibard et que quelques cruches du service photo dénichent une photo du dirigeant concerné arborant une bouille particulièrement haineuse (genre le mec vient de marcher sur un clou). Et ? Vous obtiendrez forcément - magie des médias - une dictature impitoyable ou, au mieux et si vraiment il n’y a pas la moindre broutille autoritariste à reproche au régime en question, une expérience politique qu’il est nécessaire d’occulter. Déformation ou chape de plomb médiatique, les deux mamelles récurrentes du journalisme à l’occidental dès lors qu’il s’agit de parler d’Amérique Latine.

 × Le Vénézuela de Chavez ? Une dictature en bonne et due forme, où les voix divergentes toujours sont étouffées, bafouées.

 × La Bolivie de Morales ? Une semi-démocratie dans laquelle un président diviserait le pays, le ménerait à la guerre civile faute d’écouter l’opposition.

 × L’Equateur de Correa ? Une expérience politique désastreuse qui ne tardera pas à montrer ses limites. Et un pays beaucoup trop insignifiant pour qu’on en parle.

 × Le Paraguay de Fernando Lugo ? Le Paraquoi ? C’est un pays, ça ?

 × …

Il ne s’agit pas de faire une typologie de tous les pays progressistes d’Amérique du Sud, situés plus ou moins à gauche sur l’échiquier politique. Mais de pointer une déformation politique assez révélatrice de la complète nullité de nos médias.
Pas convaincus ? Ok, deux exemples suffisent (même si on pourrait les multiplier) : la Bolivie et le Vénézuela

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Evo Morales, l’affreux indigène raciste qui traîne son pays vers la guerre civile

D’abord, la Bolivie de Morales. Voilà un régime regardé de haut parce que soit-disant à bout de souffle, menant le pays à la guerre civile, à l’étripage dans les règles. Les - très rares - comptes-rendus occidentaux consacrés à la question reprennent tous peu ou prou l’argumentation de l’opposition bolivienne : Morales aurait « quasiment perdu » le référendum sur la constitution il y a une semaine. « Demi-défaite », « victoire au goût amer », les qualificatifs peu flatteurs ne manquent pas pour rendre compte de ce qui au final est une victoire nette et sans bavure.
L’argumentaire utilisé ? Le pays serait plus divisé que jamais car Morales n’écouterait pas les voix divergentes qui se seraient exprimées via ce vote. Les chiffres sont pourtant sans appel : 60% des voix pour le « oui ». Qui sous nos latitudes donneuses de leçon pourrait se targuer d’un tel soutien populaire ? Et ceci après avoir triomphalement remporté un autre référendum portant sur sa politique juste six mois auparavant ? Quel meilleur exemple de démocratie qu’un régime remettant en si peu de temps deux fois de suite son mandat et sa politique entre les mains du peuple ?
Que l’opposition bolivienne mente et déforme les chiffres est une chose2, que cela soit la seule source d’information de médias occidentaux qui copient-collent sans vergogne le rédactionnel pondu par ces réactionnaire en est une autre, salement révélatrice.
Comme le dit le journaliste argentin Pablo Taricco : « Ils oublient que, dans toutes les parties du monde, une élection se gagne avec 50 % des voix plus un vote, comme au foot : une partie se gagne (…) même s’il n’y a qu’un but de différence. » Une règle qui ne se discute pas en Europe ni aux Etats-Unis, alors que les scores y sont immanquablement plus serrés (combien a fait Sarkozy, déjà, aux présidentielles ?). Mais voilà, ainsi que le souligne Sergio Caceres : « Si on gagne avec 60 % des voix, les médias parlent de match nul. Si on gagne avec 80 %, les mêmes parlent de dictature, de république bananière… »

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Hugo Chavez : ce caudillo bouffi et castrien qui n’aime rien tant que fouler la démocratie d’une botte sanguinaire

Ces petits arrangements avec la vérité, on les retrouve à propos du Vénézuela. En novembre 2008, le parti de Chavez remportait une incontestable victoire aux élections législative, avec 53% des voix (contre 41% pour l’opposition). Cela n’empêchait nullement Le Monde, quotidien de référence, de présenter ce résultat comme une défaite, affirmant que le président vénézuelien avait « connu ses premiers revers dans les urnes », ceci parce que les états les plus peuplés avaient plutôt penché en sa défaveur3. Le même quotidien prétendait également sans rougir dans une édition précédente que si le président vénézuelien perdait le référendum constitutionnel de décembre 2007, il imposerait par la force ses réformes. Et ? Ben… Chavez a perdu. De moins de 1 % (50.7 % pour le non), mais perdu quand même. Le pseudo-dictateur a accepté cette défaite, ne cherchant pas à imposer sa volonté à un peuple qui avait tranché. Le Monde n’a par contre jamais fait son mea culpa sur la question.
S’agissant du président vénézuélien, on pourrait continuer longtemps, tant la désinformation à son propos est une espèce de sport national chez les journalistes hexagonaux. Ainsi de cette chaîne de télévision, RCTV, soit disant fermée par un tyran « antisémite » dont le passe-temps favori serait de piétiner joyeusement la liberté d’expression. Problème : cette chaîne est toujours accessible sur les chaînes câblées vénézueliennes et sur internet, Chavez ayant simplement décidé de ne pas renouveler la concession hertzienne d’une chaine réactionnaire financée par des fonds américains assez douteux.

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Sur le fond donc, que ce soit en Bolivie, au Vénézuela ou ailleurs, ces atteintes à la démocratie si fréquemment décelées chez ces passionnés de putsch militaires que seraient les sud-américains ne sont donc finalement qu’une forme de rhétorique oiseuse, voire haineuse, envers des salopards incapables de se conformer au bon modèle néo-libéral à l’occidentale, voire - horreur - opposés à l’impérialisme yankee qui a dominé la région pendant si longtemps.
Pendant ce temps, de par chez nous, un régime de plus en plus dur grignote les libertés publiques, traque les terroristes jusque dans leurs chiottes sèches et, pas plus tard qu’il y a peu, s’est tranquillement permis de passer outre un processus électoral tout ce qu’il y avait de plus démocratique. Du « non » à la constitution européenne, ce régime donneur de leçons n’a pas tardé à s’affranchir via le scélérat Traité de Lisbonne. Imaginons un instant que Morales, Correa ou Chavez se soit permis la même chose, la réponse n’aurait pas tardé. Levée de bouclier instantanée dans la presse, déferlante de manchettes vitupérant contre l’autoritarisme d’un dictateur sanguinaire… : on en aurait bouffé pendant deux mois, du syndrome Tapioca. Alors que là, bizarrement, nada, rien, peau d’chique.
Je ne voudrais rien insinuer, beaucoup trop respectueux de l’incomparable qualité de nos médias indépendants et investigateurs. Mais… se pourrait-il qu’il existe deux poids deux mesures dans le traitement de l’information ? Mieux : selon qu’un régime penche plus ou moins dans le sens du vent néo-libéral, le traitement médiatique qu’on lui réserve varierait-il un tantinet ? Rhhôôô…

La démocratie exemplaire, camarade ? Si elle se trouve quelque part, ce n’est sûrement pas chez nous…

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1 Anciennement éditeur du journal bolivien « El Juguete Rabioso » s’occupant désormais de sa très recommandée version française : « Le Jouet Enragé », à visiter ici.

2 Très bon article sur la question, en espagnol, ici.

3 Manipulation efficacement démontée par S. Fontenelle ici.


COMMENTAIRES

 


  • Ben oui, pour nos médiacrates rien ne vaut la belle démocratie colombienne actuelle avec son bon président Uribe , ou alors crème des crèmes, le bon temps des paradis chilien de Pinochet ou paraguayen de Stroessner.

    • Oui, ces paradis d’antan que l’on regrette tous, tellement plus dociles... Ah, c’était le bon temps, quand en plus de dénigrer les rares régimes progressistes sud américains dans tous les médias occidentaux, on pouvait compter sur les Etats unis pour les renverser et les remplacer par des fantoches sanguinaires. Tout se perd, mon bon monsieur (quoique, Chavez en 2002 n’a pas été loin d’y avoir droit...)



  • Mais de pointer une déformation politique assez révélatrice de la complète nullité de nos médias.

    Mais non, mais non, ils ne sont pas nuls nos médias, ild font parfaitement ce qu’il leur est "suggéré’.

    Référendum ? C’est quoi ça ? J’ai oublié...

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com/

    • Effectivement, tout est affaire de « suggestion ».
      Et dans ce cas, pourrais je « suggérer » à ces messieurs du 4e pouvoir un peu plus de déontologie ?

      (Référendum ? Ca me dit bien quelque chose, mais, sur le coup, impossible de me rappeller quoi. ca doit remonter à très longtemps. Je fais des recherches et je te tiens au courant...)



  • Ben oui, ben oui.

    Le pire dans tout ça, c’est que nos médias-collabos nous poussent à rééquilibrer la balance. Alors que parfois on aimerait rester de simples observateurs objectifs.
    Parce que oui, ça fait quand même terriblement chier de voir Chavez rouler un patin à Ahmadinejad. On aimerait pouvoir le dire tranquillement sans insinuer que cet ogre stalinien mange des enfants. On a connu, on connaît encore et on connaîtra demain les liens fraternels que nos élus (ou ministres, suivez mon regard) franchouillards entretiennent parfois avec de bien peu démocrates dirigeants.

    Mais tu as 100% raison : faute de journalisme d’investigation (j’exagère, le diplo sait de quoi il parle, j’accuse ici (comme toi) la presse d’information-déformation), il est nécessaire de dénoncer les contre-vérités qui pleuvent sur l’Amérique latine progressiste.

    Je ne ressens aucun sentiment d’appartenance nationale mais parfois les médias français parviennent à me filer la honte.

    • @ dogbreath

      « Parce que oui, ça fait quand même terriblement chier de voir Chavez rouler un patin à Ahmadinejad. »

      Bien d’accord avec toi. Car même pour emmerder Bush et autres sinistres clowns il y des gens avec qui on ne pactise pas.

    • « Parce que oui, ça fait quand même terriblement chier de voir Chavez rouler un patin à Ahmadinejad. »

      Rouler un patin c’est un peu exagéré au vu de la réalité mais passons.

      Pourquoi donc il faudrait s’en offusquer ? Sur ce sujet n’êtes vous pas vous aussi contaminé et manipulé par la presse qui ment ?

      Faites vous partie de ces gens qui ont cru cette histoire de rayez Israël de la carte ? Alors que qu’Ahmadinejad n’a parlé que d’abattre le régime sioniste ? On peut en penser ce qu’on veut mais force est de reconnaitre que ce n’est pas pareil que de rayer un pays de la carte. N’a t’on pas abattu le régime d’apartheid en afrique du sud ?

      L’Iran est un pays qui de toute son histoire n’en a jamais attaqué un autre. Pouvons nous en dire autant nous français ? Il faut arrêter de donner des leçons de moral ou de droit à tous les pays de monde alors que nous nous taisons sur le pillage de l’afrique par la france, sur le maintien par la force et la corruption de dictateur aux ordres, sur les aventures guerrières en afghanistan, en ex-yougoslavie, sur la complicité avec les criminels de guerres israeliens, etc....

      Oui Chavez a raison il faut construire un alliance anti impérialiste, construire les relations Sud-Sud y compris avec les états avec lesquels nous avons de nombreuses divergences que je ne nie pas.

      Dr Justice

      • @ Dogbreath
        D’accord avec toi, le voir fraterniser avec Ahmadinejad ne m’enchante pas des masse. Mais c’est tellement facile de pointer ces stratégies diplomatiques comme si elles étaient révélatrices d’autre chose (antisémitsime, autoritarisme, terrorisme...) que les symptômes d’une géo politique. Oui, Chavez ne cherche pas ses alliés chez les alliés des Etats Unis. Mais non, comme tu le dis, ca fait pas de lui un ogre stalinien ou un bourreau tyrannique.
        Tout à fait d’accord pour le diplo, c’est un des seuls à tenir la route sur la question (a noter qu’il y a une version du monde diplo, centrée sur l’Amérique Latine et de très bonne facture, disponible ici)

        @ Wu Wei
        « il y a des gens avec qui on ne pactise pas » : faire passer le message à notre bien aimé président (Si Chavez a « roulé une pelle » à Ahmadinejad, alors Sarko a passé plusieurs nuits de folie, chaudes et tendres, avec l’immonde Khadafi - qui a 1000 fois plus de sang sur les mains qu’Ahmadinejad)...

        @ Dr Justice
        Oui et non.
        Oui because la grande agitation médiatique passée autour de la « menace iranienne », de ces bombes qui se prépareraient pour rayer de la carte Israel, m’apparait comme une forme de préparation de l’opinion (en mode gavage, du genre « c est un méchant » matraqué à longueur de journées) à un conflit impérialiste futur.
        Non because Ahmadinejad ne s’est pas contenté de l’anti-sionnisme, il a clairement versé dans l’anti-sémitisme le plus rance. Et ça, pour moi, ca le rend pas fréquentable...

        • « Non because Ahmadinejad ne s’est pas contenté de l’anti-sionnisme, il a clairement versé dans l’anti-sémitisme le plus rance. »

          Ah bon ? Quels sont les faits qui étayent cette thèse ?

          Je rappelle que l’Iran est le pays qui compte le plus de juifs de tout le proche et moyen orient après Israël. Qu’Israel offre des ponts d’or aux juifs iraniens s’installant dans l’entité sioniste mais que très peu ne répondent à cet appel.
          Un siège est réservé aux juifs au parlement.

          Ce n’est pas parce qu’Ahmaninejad est infiment critiquable et que nous n’en voudrions pas comme dirigeant qu’il faut tomber dans toutes les manipulations et faire le jeu de l’impérialisme.

          Dr Justice



  • 100 % d’accord avec cette analyse...ou l’on apprend cette semaine que Libé et Le Monde perdent encore des lecteurs -6% pour Libé...étonnant ? il n’y a que Joffrin pour ne pas comprendre

    • Joffrin est bien trop occupé à plonger Libé dans la nullité et la social traitrise qu’il ne comprendra jamais rien à la déchéance de son torchon. Au final, Libé, ca devient un peu comme les socialistes, on se surprend à penser « vivement qu’ils crèvent », qu’on puisse repartir sur autre chose, avec de nouvelles bases...



  • Dans la même veine, lisez la dernière de « Guy Sorman » pour essayer de dénigrer les deux films de Soderbergh sur le « Che » qui pourraient pervertir notre belle jeunesse. Une bafouille que paye et diffuse le « Project Syndicate » et que publie notamment « La Libre Belgique » dans sa page « Culture ». Pitoyable. C’est choquant, mais cela ne vaut pas une réponse...
    Gilbert

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