ARTICLE11
 
 

jeudi 3 mai 2012

Sur le terrain

posté à 16h51, par Cecile.K / Mathieu.K / Brousse
4 commentaires

De Toulouse : « Enfoncer les portes ouvertes »

Voilà plus d’une année qu’ils tiennent bon dans ce bâtiment toulousain réquisitionné en avril 2011, multipliant les initiatives et les ouvertures de lieux : le Collectif pour la réquisition, l’entraide et l’autogestion (CREA) n’a pas fini d’emmerder les autorités du coin. Mieux, ils entendent bien faire boule de neige. De l’intérieur, décryptage d’une belle expérience autogestionnaire

Cet article a été publié dans le numéro 8 de la version papier d’Article11, début février 2012. Depuis, la situation a évolué sur le front des réquisitions toulousaines : de nouveaux lieux on ouverts, d’autres ont été expulsés. Certains de ces éléments sont mentionnés en fin d’article. Par ailleurs, nous mettrons en ligne vendredi (demain) la retranscription d’un débat qui s’est tenu au CREA en mars dernier.

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Toulouse, avril 2011. Le Collectif pour la réquisition, l’entraide et l’autogestion (CREA) s’installe dans un bâtiment appartenant au ministère des Solidarités et de la cohésion sociale. Les choses sont bien faites : le projet porté par le CREA, aux côtés de travailleurs sociaux, est celui de la cohésion et de la solidarité. Sans le ministère. Lors des premières assemblées générales suivant l’ouverture, l’idée d’accueillir des familles à la rue est évoquée. D’abord reçue avec méfiance par certains travailleurs sociaux, la proposition fait son chemin. Le CREA devient alors un centre social autogéré, auto-organisé par des précaires, des militants, des travailleurs et par les familles elles-mêmes. Paroles de quelques-un-e-s qui gravitent autour du lieu et du projet.

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Le collectif

À l’origine de l’ouverture du CREA, quelques personnes qui se croisaient lors de cours de boxe dans un squat toulousain, depuis fermé. Réunies par l’envie simple de «  faire quelque chose  ». Avec un semblant de consensus autour de désirs et d’autant de refus, mais aussi une grande diversité des opinions et des pratiques. Si bien que parler de collectif dans le présent cas revient à qualifier une dynamique plutôt qu’un groupe de personnes unifié et cohérent. Des individualités mues par l’envie de passer de l’abstrait au concret, quitte à mettre de côté les utopies pompeuses et le nihilisme récalcitrant.

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Des bâtiments vides, des familles à la rue et une certaine lassitude quant aux spasmes politiques ritualisés qui secouent une fois l’an l’espace urbain. Il n’en fallait pas plus pour que naisse ce collectif du CREA, bientôt délaissé par certains de ses initiateurs et rejoint par d’autres. La dynamique collective et locale est là, imprimant un mouvement en perpétuelle recomposition. Un mouvement qui ne saurait se reposer sur l’acquis, s’installer comme label ou caution radicale de quiconque. Personne n’est là pour accéder à un statut de notable, tout alternatif qu’il soit. D’où une porosité salutaire avec d’autres milieux ou personnes, qui ont parfois pu, ailleurs, se trouver rebutés par certaines pratiques militantes avec physionomiste à l’entrée.

Le travail social

C’est un centre social autogéré. C’est gravé en gros sur la façade. Avec autogéré dedans, mais aussi social. Mais ça ne veut pas dire qu’à l’intérieur, il y a des travailleurs sociaux. Bien au contraire. Ici, on lutte pour que l’entraide et le partage ne soient pas marqués de cette distance qu’impose forcément le statut de salarié dans le social. De la hiérarchie posée de facto par une quelconque démarche humanitaire ou sociale, avec charité et bien-pensance en embuscade. Non. Ici, c’est en tant que précaire qu’on s’adresse à des précaires. Avec la proximité du café bu ensemble, crotte dans le coin de l’œil et gueule de bois.

Au départ – forcément – les familles hébergées dans le squat se trouvent dans une position de demande. Avec l’habitude de l’aide caritative, de la déambulation d’institution en institution, des Restos du cœur à Emmaüs, et jusqu’au 115 – ça sonne occupé, encore. Quand les familles arrivent au CREA, on aperçoit les limites du rapport qu’instaure le travail social. Celui existant entre un salarié en CDI, qui pense autant à sa carrière qu’à sa bonne œuvre, et un « bénéficiaire », qui n’est là que pour bénéficier. Guichet à sens unique.

Le CREA file des coups de mains au coup par coup. Remplir de la paperasse. Aider à cocher les bonnes cases du formulaire de demande d’asile. Accompagner un minot qui a le nez qui coule chez le toubib. Pas avec l’obligation du travail social, mais en suivant les affinités de chacun. Et même si la barrière entre les familles hébergés et les initiateurs du projet se ressent de temps à autre, au détour d’une conversation multi-langues ou de différences culturelles. Quand tu es radicalement anti-travail et que tu te retrouves à filer de l’aide à telle ou tel pour trouver un petit job, femme de ménage ou garde d’enfant, tu mâchouilles un peu ta langue. Mais surtout, tu dépasses certaines positions.

Et quand une nouvelle famille arrive, envoyée par le 115, et qu’elle croit que tu fais partie de ces classiques travailleurs sociaux, tu recommences. Tu montres le planning des rondes de ménage. Tu expliques le fonctionnement du lieu, si possible sans prosélytisme. Non, tu n’es pas payé à faire ça. Oui, toi aussi, tu tiens la serpillière, comme tout le monde, ou presque. Il s’agit de tout faire pour ne pas reproduire ce qui se passe en foyer. Et ? Ça marche. Quand un gamin toque à la porte de ta chambre pour t’emmener une partie de la dernière récup’1, les tripes crient victoire. Itou lorsqu’on prend soin de toi, parce qu’à ton tour tu as le nez qui coule, ou quand la meute de gosses te tire le pantalon pour aller jouer.

En face, on trouve une mairie, de gauche s’il vous plaît. De gauche, ça veut dire interdiction des nuisances sonores, avec des médiateurs de la république en guise de socio-flic. Ça signifie également un office de la tranquillité2 et une cellule anti-squat. Mais cela implique aussi des velléités sociales et culturelles. C’est justement sur cette vague que surfe le CREA : le fait que toutes ses activités se parent d’une dimension sociale est un bouclier qui protège efficacement de la schizophrénie municipale. Sans lâcher de lest. Sans compromis qui enrayeraient les objectifs initiaux, radicalement égalitaires et libertaires.
Lors de la première semaine d’occupation, la préfecture s’est ainsi faite relais du procès intenté par le ministère – en osant avancer que les conditions d’hygiène ne seraient pas satisfaisantes pour les familles. Mais désormais, elle se trouve obligée d’avancer à pas de velours, sachant bien que le lieu sera défendu.

L’autogestion

Sortir des grandes théories sur « la vie alternative en collectif » pour tenter de les mettre en pratique, humblement, au quotidien. Ni évident, ni naturel : penser le quotidien à quarante, mutualiser ses objets personnels, partager les tâches ménagères, s’assurer du bien-être des familles et de l’ensemble des habitants, expérimenter une façon de vivre qui soit égalitaire, déconstruire les dichotomies entre travailleurs sociaux et précaires, squatteurs et familles... Voilà quelques-uns des enjeux d’un centre social autogéré.

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Le lieu prend forme à mesure que des personnes amènent des meubles, du matériel, de la bouffe glanée sur les marchés, auprès des agriculteurs du coin ou des Restaurants du cœur. La vie en autogestion est parfois difficile : tout le monde ne l’a pas choisie, elle implique pourtant un gros investissement collectif. Apprendre dans l’expérimentation, le conflit, l’entraide, affirmer ses différences, qu’elles soient culturelles, linguistiques ou personnelles, et les faire cohabiter avec celles des autres. Monter une laverie collective. S’organiser pour « manger gratuit ». Prendre l’apéro ensemble le soir. Respecter l’espace personnel de chacun. Organiser un roulement pour passer la serpillière. Autant de chantiers collectifs que d’éléments constitutifs de la routine.

L’expérimentation collective

Égalité. Antiracisme. Antisexisme. Des idées qui zonaient dans l’ombre. Acculées qu’elles étaient dans les impasses de quelque ghetto militant. Des idées ici descendues de leur piédestal et jetées dans l’arène. Ou plutôt entre les chambres, les petits appartements, la cuisine et la pièce de vie. On l’a compris, il s’agit d’expérimenter collectivement. Formuler une hypothèse modeste plutôt que vendre une conclusion péremptoire.
En ouvrant le lieu, certains des membres du collectif ont choisi les marges de notre société. Cette société même dont les familles afghanes ou tchétchènes espéraient beaucoup en avalant des milliers de kilomètres. Un habitat choisi ou subi, c’est selon. L’équilibre qui en résulte ne peut être que fragile, paradoxal, complexe voire douloureux. Mais fertile. L’antisexisme, dogme mou par excellence quand il est cuisiné à la sauce social-démocrate, secoue, par exemple, la routine du lieu. En témoigne le cas de ce patriarche afghan qui interdit l’alcool à sa femme un soir de fête et déclenche la colère d’une membre du collectif. On vit ainsi son rapport à l’autre, on ne le décrète pas. Et on peut être amené à prendre en pleine poire son ethnocentrisme. Et peut-être même un bout de racisme silencieux qu’on aurait malencontreusement ramené dans son cartable en rentrant de l’école républicaine. Loin des discussions de salon confortables où l’on se décrète immunisé contre le rejet et l’oppression de l’autre. Ici, c’est le bordel, et c’est ça qui est bon.

Les activités

Un tel lieu doit vivre autant que s’ouvrir sur l’extérieur. Le CREA a ainsi permis la mise en place d’activités. Nombreuses. Cours d’alphabétisation pour adultes, cours de boxe, de lutte et d’autodéfense mixtes et non-mixtes, permanences juridiques et psychologiques, projections, ateliers rap, cantines populaires et... fêtes de soutien, connues sous le nom des « Jeudis de la solidarité » et co-organisées avec le GPS3. L’implantation du CREA n’est pas chose évidente, mais se construit progressivement. Et depuis le début, des gens « de l’extérieur » fréquentent le lieu, contribuant ainsi à sa (sur)vie.

C’est que le centre social autogéré est plutôt bien accepté dans le quartier, alors même qu’il ne cache pas ses ambitions. Celles-ci se donnent à lire devant le lieu, sur des banderoles, avec des slogans comme «  Le peuple a construit ces bâtiments, rendons-les à ses enfants  ». Ils sont nombreux à soutenir le projet et à apporter leur contribution, matérielle ou logistique : des électriciens du quartier viennent à l’occasion donner un coup de main, et certains pompiers se sont même dits prêts à défendre le lieu, armés de leurs lances à incendie, en cas d’expulsion par les forces de l’ordre.

Bref, les habitants des environs ne peuvent que constater que ceux du CREA mettent concrètement les mains dans le cambouis, malgré leurs vilaines ambitions libertaires. Et même la mairie avoue, du bout des lèvres, que le lieu est « efficace ». Nul doute qu’elle le regrette, maintenant qu’elle voit fleurir ce genre d’initiatives partout dans la ville.

La violence

Le CREA pourrait être vu par les observateurs trop lointains comme un îlot cosmopolite, jolie tache de couleurs en forme d’affront esthético-exotique à un monde monochrome. S’y promener quelques heures incline pourtant à verser dans une admiration un brin béate. Confessons-le : voir tous ces enfants, d’Afghanistan et d’ailleurs, courir, souriants et visiblement insouciants, se révèle attendrissant et galvanisant. Mais s’arrêter à la carte postale reviendrait à occulter l’assise violente qui préexiste au lieu et caractérise une partie de sa vie. C’est l’un des enjeux de l’expérimentation collective que de prendre en compte cette violence, a contrario d’une société qui la nie, l’occulte ou la mate.

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Au CREA, il y a la violence du vécu des familles, qui ont tout vu de l’arrière-boutique du miracle capitaliste – elle éloigne les membres du collectif et les familles de quelques milliers de kilomètres, qu’on le veuille ou non. Il y a aussi la violence qui agite le collectif lui-même, exacerbée par l’intensité et la difficulté de l’expérience. Et encore, les flics, les assermentés et les professionnels de la gestion de la masse, jamais trop loin de cette expérience qui constitue un démenti de l’Ordre qu’ils servent. Sans oublier cette ultime violence, celle du monde du dehors, qui vient toujours s’installer insidieusement dans ces brèches sans caméras ni flics qu’on creuse à même la marchandise immobilière. Et puis, comment gérer des vols en interne, quand la présence de richesses, même minimes, parvient tout de même à exciter la convoitise ? La volonté du collectif est alors de ne pas se dérober, de ne pas nier. Et surtout de ne pas exclure. Au CREA, il n’y a pas de pièce fermée à clef pour les voleurs.

Le milieu militant

Ras-le-cul. Des réunions banderoles. Du folklore militant. De l’esthétique anarcho-truc. Du purisme radical. On s’y cogne tous les jours le front, et on en redemande. Alors, pour une fois, on fait un peu différemment : le CREA a cette réelle envie de « parler aux 99%  ». La posture de principe ne suffit pas. Aux rituels de ghetto gauchiste s’opposent ici de nouveaux savoir-faire. Si on refuse toute subvention, et si dans la charte sont inscrits des mots comme antiracisme, antisexisme ou « gratuit », ça ne signifie pas qu’il ne faille pas redéfinir en partie certaines lignes politiques sur lesquelles on s’arc-boute trop régulièrement. L’idée est de démystifier les squats, de les rendre accessibles à tout un chacun. Rester le plus carré possible – pourvu que l’on arrête de croire que le squat est forcément un repaire pour punks junkies, comme le voudrait La Dépêche du Midi.


Ressentis

Beaucoup de choses ont été dites, concernant les différents versant politiques de la « réappropriation ». Celle des murs, piqués au marché. Celle du temps, piqué au salariat. Un espace-temps où aujourd’hui et demain se confondent allègrement - entre projets, activités et défense de « l’acquis ».

Mais ces réappropriations ne sauraient occulter celles, plus complexes, qui concernent l’intime. Chantier propre à chacun, dévasté par les coups de pelleteuse des trajectoires normatives de citoyens-salariés. Quid de l’intime pour celles et ceux qui ouvrent des lieux comme le CREA ? Moins de temps pour s’appesantir sur soi : le « bien-être » se trouve parfois quand on a « la tête dans le guidon ». Pour certain-e-s, un pied de nez rigolard à la notion de « carrière » ; l’apprentissage dans la théorie vécue et, comble de la désinvolture, un peu de jouissance au passage. « Parce que j’aime ça », résument d’autres. Tout simplement.
En creux, un travail de relativisation et de distanciation vis-à-vis de la légalité. Et puis, faire de la visite de nouveaux lieux potentiels un jeu - émulation plutôt que compétition. Repérages. Se réinscrire dans la brique, dans la pierre, dans « sa ville ». S’approprier des lieux chargés d’une mémoire, y projeter ses envies et s’enivrer de ce frottement entre présent et futur. Il n’y a rien de plus plein qu’un bâtiment vide. Quelques-uns de ces coups de masse dans l’intime, qu’un copain résumait ainsi : « Savoir que le cœur bat, et savoir pourquoi il le fait. »

Perspectives

Le premier bâtiment ouvert par le CREA accueille actuellement sept familles, ce qui représente une quarantaine de personnes. Elles occupent six appartements sur trois étages, un autre étant consacré au collectif. Le lieu est quasiment plein, ce qui contraint ses habitants à refuser du monde. Mais leur réponse n’est pas celle que l’on entend habituellement dans les administrations, façon « On n’a plus de places, on ne peut rien faire pour vous ». Ils rappellent plutôt que nombreux sont les bâtiments vides à investir à Toulouse. Pour la beauté du geste, pour continuer à faire chier et pour arrêter de se sentir impuissant face à des gens qui pieutent à la rue.
Depuis plus deux mois, un nouveau lieu a ainsi vu le jour, allée des Demoiselles, à quelques centaines de mètres du CREA : il accueille six familles. L’expulsion est prévue pour mars ; ainsi en a décidé la Justice. Mais ce n’est ni un problème ni un coup d’arrêt : un troisième lieu, laissé vide depuis six ans par le centre culturel des Jésuites de France, a ouvert le 17 décembre, dans le même quartier. Quatre familles y sont installées. La réquisition de ces lieux s’inscrit dans le cadre de la campagne « zéro enfants à la rue », lancée peu de temps après l’ouverture du CREA.

Des lieux pour habiter le monde

« Des lieux pour habiter le monde », réclamait autrefois un tract de la Coordination des précaires et d’intermittents d’Île-de-France. On y pense forcément en visitant le CREA. Il s’agit d’habiter, mais sans oublier de détruire. Au vu de la taille de la bâtisse, de son ancrage local et de la quantité de gens qui la traversent, on se prend à rêver du rôle qu’elle pourrait tenir en cas de conflit social « dur ». Pivot. Relais. Base arrière. À définir et à décider avec celles et ceux qui l’habiteront à ce moment-là.

Et puis, partant du principe que le « conflit social dur » est déjà là, tous les jours, il serait stupide de négliger la manière dont le lieu modifie celles et ceux qui y transitent. Les radicalise, peut-être. Les politise, sûrement. Leur permet d’entrevoir « autre chose  ». A contrario d’un « autre monde possible », énième tromperie attentiste enfilée comme une perle autour de la représentation spectaculaire du conflit. Tandis que la vie collective, « à tâtons ou à grands coups de latte », constitue une utopie déjà réalisée, à portée de pied de biche. Fin ou moyen, catalyseur ou simple interface avec le « monde d’après  » : l’existence du lieu projette plus loin les mots et leurs théories, là où ne sait plus très bien comment qualifier ce qu’il se passe. Et c’est tant mieux.

Cesser d’attendre un futur où les choses changent, et vivre un présent déjà transformé : l’un des enjeux essentiels du CREA. Des lieux pour habiter le monde et des lieux pour « tout niquer ». Et puis subitement, on se tait, parce qu’il y a une récup’ à faire, deux matelas supplémentaires à trouver et qu’une famille arrive demain. Et on garde ces quelques idées foutraques et outrancières comme musique de fond.

Expulsion

L’intervention récente du GIPN contre une nouvelle ouverture4 et des menaces d’expulsion constantes pesant sur les divers lieux « libérés » n’empêcheront pas ceux qui le souhaitent d’investir et de réquisitionner d’autres bâtiments laissés à l’abandon. Les poursuites judiciaires non plus. Le 9 décembre, le CREA, un membre de la campagne « 0 enfants à la rue » et les familles ont été assignés devant le tribunal d’instance de Toulouse. Leur tort : occuper un immeuble vide depuis quatre ans, propriété d’une société civile immobilière dirigée par un homme d’affaires aux multiples activités (et une vingtaine de sociétés). Selon son avocat, le 16, allée des Demoiselles (le second lieu ouvert après le CREA) serait impropre à l’habitation, à cause (notamment) d’une toiture en mauvais état - il est effectivement plus urgent de repeindre des tuiles, que de loger des familles à la rue... Le lieu serait donc un endroit de perdition insalubre, pour squatteurs déglingués ; y habiter serait dangereux pour les familles. En réalité, il paraît intolérable à certains que des familles puissent enfin avoir un toit, participer à des activités, se rencontrer, échanger, et s’organiser ensemble. Non, il faut d’abord repeindre les tuiles en rose...

Peu importe. Pas de temps à perdre avec des procédures ; il y a plus de 16 000 logements vides à Toulouse qui ont des tuiles roses.

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Le CREA en images / Par Ciné 2 000

Chauds comme des baraques à frites, de joyeux camarades du CREA ont associé leurs forces aux redoutables agités de Ciné 2000 pour concocter un « ciné-tract » destiné à présenter leur lutte. 4 mn 14 pour résumer tant de choses : ils sont fort ces Toulousains, et leurs perruques ont la classe...

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« Aider le CREA » ; par un habitant des lieux

Pour s’informer, participer,s’engager, vous pouvez passer aux permanences de la campagne de réquisition et de résistance aux expulsions le jeudi de 16 à 19h, au Centre Social Autogéré : 70 allée des Demoiselle à Toulouse. Un vendredi sur deux, AG de la campagne, même heure même lieu. Vous pouvez aussi utiliser les lieux pour monter des ateliers libres et gratuits. Vous pouvez encore passer pour trouver de l’aide afin d’ouvrir des lieux.

Pour défendre le Centre social autogéré, vous pouvez également récupérer les affiches sur le blog, coller, organiser des rassemblements, manifs, occupations (le ministère des solidarités est à Paris...), réquisitions, et toutes sortes d’actions directes qui vous sembleront pertinentes pour stopper l’oppresseur. Vous pouvez aussi nous envoyer des lettres de soutien, adressées au ministère des solidarités pour exprimer votre refus de l’expulsion et expliquer pourquoi vous défendez ce lieu et la campagne de réquisition.

Pour les nouvelles et les prochaines réquisitions, nous avons toujours autant besoin de monde, de matériel, de meubles, de compétences...

Nous pouvons filer des coups de main et de l’info à toutes celles et ceux qui demandent de l’aide pour faire pareil ailleurs. Car, à Dijon, Grenoble, Saint-Denis, Tours, Bordeaux, Lyon, Montpellier, etc., des expériences similaires font face à une répression implacable. Nous sommes tout petits mais nous sommes nombreux et, si nous nous tenons fort les unes et les autres, la force est avec nous ! Tout pour tout-e-s, pouvoir au peuple !

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Dernières nouvelles du front des expulsions / Communiqué de presse rédigé par des membres du crea et de la campagne Zéro personnes à la rue suite aux expulsions du 27 et 28 avril.

Le 15 avril, des membres de la campagne de réquisition, du CREA, du GPS, et des personnes à la rue ont réquisitionné l’ancienne prison des résistants, place des Hauts Jurats à Toulouse. Sept familles et une trentaine de personnes forcées de vivre à la rue par le capitalisme et l’État s’y étaient installées. Ce lieu devait être libéré pour accueillir des activités à destination du quartier. Nous avions réuni toutes les preuves pour attester de notre présence dans les lieux (lettres, photos, attestations des voisins...) qui ont été transmises au propriétaire, au parquet et aux médias. Aux premiers abords, seule une procédure judiciaire pouvait mener à notre expulsion.

Mais le jeudi 26 avril, la préfecture, par l’intermédiaire de la sinistre Souliman et de son commis, Laurent Sindic, a fait expulser illégalement à 6H du matin sous prétexte de dégradations, alors que nous avions commencé à tout rénover dans ce lieu vide depuis 10 ans. Une fois de plus, on nous a montré que l’État tire seul les ficelles de nos vies et qu’il peut passer outre ses propres lois. Tout le monde se retrouvant à la rue, nous avons décidé de reprendre le bâtiment. Nous y sommes retournés et sommes rentrés dedans le soir même. Nous nous y sommes réinstallés. Vendredi soir, la sinistre Souliman a appris notre présence dans les lieux et a détourné, en trente minutes, un escadron entier de gardes mobiles (120 militaires) postés initialement pour le match Toulouse-Montpellier. Après maintes sommations, les militaires décident de détruire la porte, et au bout d’une demi-heure, ils pénètrent...dans un bâtiment vide où il n’y avait plus personne ! L’État et le capitalisme nous ont une nouvelle fois montré que ce sont eux le problème, qu’ils persistent dans leur mission d’organisation de toutes les formes de misères et d’intimidation des populations qui ont décidé de ne plus subir et de s’organiser par elles-mêmes pour leur survie, leur dignité, leur liberté et leur bonheur.

En effet, grâce à la campagne de réquisitions, plus de 7 bâtiments ont été libérés et ont permis à plus de 150 personnes d’avoir un toit ! Affaire à suivre !

Des membres du CREA et de la campagne Zéro personne à la rue



1 Pratique consistant à glaner de la nourriture invendue et/ou périmée (mais aussi des objets et matériaux) dans les poubelles, ainsi qu’à les récupérer chez les commerçants ou particuliers solidaires.

2 Officine municipale à joindre par téléphone en cas de « nuisances, conflits de voisinage, graffitis ou pour enlever les encombrants ». Sur la page dédiée à l’office de la tranquillité sur le site de la ville de Toulouse, la définition de la « nuisance » n’est pas précisée.

3 Le Groupement pour la défense du travail social (GPS) occupe lui-même un bâtiment toulousain, juste en face de celui du CREA.

4 En octobre 2011, un nouveau lieu toulousain avait été ouvert, entre autres par le CREA, pour y installer une cantine populaire permanente. Ce qui a provoqué l’intervention du Groupe d’intervention de la police nationale (GIPN). Cagoules. Matériel d’escalade. Et gros pistolets de fonction. Le tout pour déloger une poignée d’activistes, et en faisant fi de la procédure légale d’occupation qui se lançait alors.


COMMENTAIRES

 


  • dimanche 6 mai 2012 à 02h48, par nightly

    Un commentaire, un soutien pour le CREA, qui fait le travail de l’Etat, sans les sous de l’Etat.



  • dimanche 6 mai 2012 à 10h10, par Krongdu9.2

    « Nightly », tu dis dans ton commentaire que nous « faisons le travail de l’Etat sans les sous de l’Etat », je te remercie de ton soutien mais je crois que tu fais erreur.

    L’Etat crée la misère et tente de la cacher, quand il fait du social, c’est pour protéger le capitalisme, et alors, il tente par tous les moyens d’interner les misérables, de les contrôler et de les réprimer. L’Etat entretien le manque de logements et la dépendance, il brise les solidarités, il mène la guerre contre le peuple. Nous en payons le prix tous les jours.
    Nous - le CREA- bataillons pour reprendre les batiments vides, pour les libérer, pour partager ce savoir-faire et transmettre des outils pour s’autonomiser le plus largement possible, nous y élaborons des formes de vie basées sur l’entraide et l’autogestion, nous nous organisons pour vivre sans argent et sans travail le plus nombreux possible, pour abriter ceux qu’il traque par dessus tout, nous prônons la révolution permanente et universelle et nous mettons en cause continuellement l’existence de l’Etat et du capitalisme, nous répétons inlassablement qu’il nous faut les abattre pour inventer une vie heureuse. Nous crions chaque jour "Tout pour tout-e-s, pouvoir au peuple !

    A mon sens, « nightly », tu fais donc erreur lorsque tu dis que nous faisons « le travail de l’Etat sans les sous » dans ton commentaire.C’est un point important, nous sommes contents que tu le soulèves, il faut en discuter collectivement, nous devrions travailler collectivement à abattre les illusions que l’Etat entretien sur lui-même pour mieux se maintenir,
    il faut vraiment aborder collectivement cette question car si c’était le cas, si nous remplacions l’Etat au lieu de l’attaquer, nous irions dans une direction opposée à celle que nous recherchons,

    mais songe peut-être que si c’était vraiment le cas, si nous faisions gratuitement ce qu’il ne veut plus faire, il ne nous mènerait pas la guerre comme il le fait avec tant d’énergie (expulsions illégales, procès, surveillance policière, répression...)

    salutations révolutionnaires
    un membre du CREA.



  • dimanche 13 mai 2012 à 10h33, par B

    un article qui se lit avec réserve et qui donne envie de creuser l’Histoire des Amérindiens.



  • vendredi 18 mai 2012 à 02h32, par Vince

    Bonjour,

    J’ai lu attentivement cet article et je salue l’initiative et les actions du CREA.
    Je trouve en revanche assez curieux de considérer l’Etat à la fois comme responsable et comme « problème ».

    J’écoute régulièrement les émissions de la web radio « Vox Echo » et je remarque la même chose, c’est à dire une vision de l’Etat comme entité répressive, voire même fasciste.

    Or il ne faut pas oublier certaines choses.
    Expulser des familles qui occupent des locaux laissés à l’abandon, on peut trouver cela déplorable, c’est mon cas.

    Mais il ne me semble pas que l’Etat soit responsable de la misère, encore moins qu’il cherche à l’organiser, voire à l’encourager.

    Le problème n’est pas l’Etat (je vous laisse jeter un oeil sur la situation des pays où il n’y a plus d’Etat), c’est le Marché.

    Le Marché, contrairement à l’Etat, se réjouit de la misère. Il en a même besoin. L’ouverture des frontières n’avait d’autre objectif que de mettre en concurrence les pauvres travailleurs du monde entier. C’est d’ailleurs pour cela que les discours ont été enjolivés de termes magiques comme « le dialogue inter-culturel » et le « métissage ». Ces idées généreuses avaient pour but de faire passer la pillule du capitalisme techno-marchand.

    Un exemple. Les médias ne se sont jamais demandés pourquoi l’électorat ouvrier, en l’espace de 20 ans, s’était déplacé des rangs de la gauche pour rejoindre le FN. Parce que la gauche fait peser sur les ouvriers la menace de régularisations de sans-papiers qui accepteraient de travailler quatre fois moins cher pour besogner quatre fois plus.

    Changer nos modes de vie, nos modes de consommation, c’est une évidence. Mais en même temps, si plus personne ne va au supermarché, s’il n’y a plus de supermarché, on les remplit comment les cartons de la banque alimentaire et des restos du coeur ? Avec les légumes bios à 20 euros le kilos du producteur du coin ?

    L’autre jour, à une manif du Front de Gauche place Arnaud-Bernard, je discute avec un mec sur le fait de produire et d’acheter français. Le mec prétend qu’il faut boycotter les produits étrangers.
    Ok, ben tu enlèves ton sweet, ton tee-shirt, ton pantalon, ton caleçon, tes chaussettes, tes chaussures, tu casses ton téléphone portable, ta télévision, tu mets ta bagnole à la casse.
    Voilà la réalité, le Marché.

    On est contre le travail des enfants mais on manifeste en portant des pulls fabriqués à Taïwan. Et le problème, c’est que si tu veux porter un pull fabriqué en France, ben ça coûte 200 euros...

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