ARTICLE11
 
 

samedi 22 septembre 2012

Sur le terrain

posté à 13h44, par Augustin Marcader
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Je vous écris du bureau N°3 / « Mobilisation »

Augustin Marcadet est technicien administratif au contrôle médical d’une caisse primaire. Des années qu’il turbine là, chez les poulagas de la Sécu. « Souffrance » au « travail » ; la redondance l’a toujours fait marrer, Augustin. Parfois même, ça l’inspire. Aujourd’hui, les médecins-conseil du service font la guerre à la fraude et contrôlent avec un zêle touchant les arrêts de travail.

Cette chronique a été publiée dans le numéro 7 de la version papier d’Article11

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Il y a quelques jours, je tapais la discute avec Cathy, l’agent d’accueil. Elle a du mérite, Cathy : issue d’un milieu pied-noir rallié depuis toujours aux thèses du Borgne, elle a su virer sa cuti et opérer un virage idéologique vers l’autre extrême. Longtemps militante cégétiste, elle a désormais mis son drapeau en berne tant les mots d’ordre de la célèbre confédération lui sont devenus étrangers «  Si c’est pour fliquer encore plus les assurés, alors c’est sans moi. Hier j’ai parlé avec Corinne, elle se demande combien de temps elle va pouvoir tenir. Elle n’en peut plus, les gens pleurent au téléphone. Ils pleurent, merde !  » La Corinne en question a pourtant le nerf coriace, du genre à ne pas hésiter à clouer sa langue de bois sur la cravate de n’importe quel cadre. Mais v’là que depuis peu, le job qu’on lui a refilé lui donne des aigreurs : il s’agit de convoquer par téléphone des assurés en arrêt de travail.

C’est que sur le front des indemnités journalières, la mobilisation est générale - les chiffres ne sont pas bons. Du coup, il faut redresser la barre avant la date fatidique du 31 décembre. 80 % des assurés en arrêt de travail de courte durée (moins d’une semaine) doivent être vus par un médecin-conseil de la Sécu. Le coup de bigo permet de gagner du temps par rapport aux délais postaux et de cueillir le malade à peine sorti de chez le toubib. Les consignes sont claires : priorité aux dépressions et lombalgies (bobos les plus répandus). Les cancers, on évite, ça la fout mal. Tout le monde se souvient de ce type, métastasé de la tête aux pieds, qui s’était pointé dans nos locaux en brancard.

Le contrôle des arrêts de travail, c’est notre marotte depuis 2005. Une vraie guerre menée contre ces salauds de toubibs complaisants et autres malades imaginaires : deux millions d’arrêts auront été contrôlés cette année ! Des moyens justifiés par le nombre d’arrêts maladie jugés abusifs - proportion allant de 11 à 13 %. Sauf que cette fourchette est aussi tordue qu’un boniment de charlatan. Les chiffres sont faux et fabriqués par les contrôles médicaux des caisses primaires. Pour l’exemple, retrouvons ce cher docteur Létrille1. Ce jour-là, il reçoit un assuré en arrêt maladie du 9 au 23 décembre 2011 pour entorse maligne. Létrille considère que l’arrêt est médicalement justifié (le type a vraiment la cheville en vrac), mais il va émettre un avis médical défavorable à compter du 24 décembre, soit le lendemain de la date de fin d’arrêt de travail. Au vu de l’état du malade, Létrille est en droit d’émettre un avis favorable (le bouton sur le logiciel n’a pas encore été supprimé) mais non, notre toubib pond un refus à échéance de l’arrêt.

L’intérêt d’une telle acrobatie ? Il est double. Officiellement, il s’agit de faire en sorte que l’assuré n’obtienne pas ensuite une prolongation de son arrêt de travail. Officieusement, l’avis défavorable pondu par Létrille va venir gonfler la colonne des arrêts de travail injustifiés. Or c’est à partir de cette colonne que seront établies les statistiques des arrêts maladie abusifs brandies sur les plateaux télé par le staff sarkoziste en guerre contre la plèbe. Statistiques qui justifieront à leur tour la mise en place de nouveaux dispositifs de contrôle. Dernière trouvaille de nos gouvernants : faire payer une amende aux assurés dont l’arrêt de travail aurait été déclaré injustifié par la Sécu ! On imagine le carnage… Scandalisé, le Syndicat de la médecine générale (classé à gauche) s’est fendu d’un communiqué alarmiste : « Ce projet de décret est insupportable pour les malades, pour les médecins, notamment les généralistes […] et aussi pour les médecins-conseils qui deviennent de plus en plus les exécuteurs d’une politique infecte. » Rassurons les confrères syndicalistes : les médecins-conseils sont d’une résistance à toute épreuve. Quand bien même certains viendraient à craquer, ils ont tout loisir de se mettre eux-mêmes en arrêt maladie. Et là, personne pour les contrôler.

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Épisodes Précédents

1/ Véro
2/ Le Docteur Létrille



1 Médecin-conseil, le docteur Létrille apparaissait dansla précédente chronique d’Augustin Marcadet, publiée dans le numéro 6 d’A11.


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