ARTICLE11
 
 

jeudi 26 février 2015

Sur le terrain

posté à 10h07, par JBB
5 commentaires

Matraquez-les tous !

Vingt ans qu’il chante l’ordre et la sécurité dans les colonnes du Figaro. Qu’il use et abuse des mêmes ficelles pour glorifier le travail de la police. Christophe Cornevin en mériterait presque une médaille, pour services rendus aux uniformes. Pas de breloque sous la main ? Offrons-lui un article.

Cet article a été publié dans le numéro 17 de la version papier d’Article11.

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« Dieu sait que mon âme est exempte de férocité et je crois avoir au plus haut point conscience de devoir me justifier devant Dieu ; et pourtant, pourtant je serais prêt, au nom de Dieu, à prendre sur moi la responsabilité de crier ’’Feu’’ pour peu que je me sois assuré auparavant avec la rigueur la plus scrupuleuse, la plus minutieuse que les canons des fusils ne seraient braqués sur aucun autre être humain, sur aucune créature vivante autre que des journalistes. » (Søren Kierkegaard, 1843)

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« Figure-toi qu’il est vachement sympa ! » J’avais passé un rapide coup de fil à une copine journaliste pour lui demander ce qu’elle savait de Christophe Cornevin. Elle n’avait pas grand-chose à en dire. Elle n’aimait pas ses articles, goûtait peu ses cris d’orfraie sécuritaires et ses odes à l’uniforme. Mais elle avait mangé une fois avec lui, hasard des circonstances. Et l’avait trouvé « particulièrement cool ».

Cool, Cornevin ? Dans ma tête, je m’étais dit qu’elle traînait trop avec les flics et les gratte-papiers. Qu’elle en perdait le sens commun. Et qu’elle avait furieusement besoin de vacances, loin de sa petite sphère médiatique. Un peu d’air pur, de doux paysages, du temps libre pour réfléchir et elle reviendrait à des sentiments plus civilisés. Comprendre : à une furieuse envie de coller des baffes au journaliste spécialisé police du Figaro, par ailleurs rédacteur en chef adjoint du quotidien.

Une semaine plus tard, j’ai appelé Christophe Cornevin1. Je me suis présenté, disant être un semi-journaliste participant à une revue libertaire plutôt confidentielle. Et je lui ai expliqué que je préparais un papier critique sur son traitement des questions de sécurité. Je m’attendais à un refus sec ou à quelques phrases hâtivement lâchées pour se débarrasser de l’empêcheur-de-fustiger-en-paix-les-gauchistes-et-les-islamistes.

Sauf que non. Mon interlocuteur a pris le temps, répondant aux questions et essayant d’expliquer sa vision du journalisme policier. Le tout sur un ton presque chaleureux et pendant une demi-heure. J’étais désarçonné. Je le lui ai dit, m’attirant cette réponse moqueuse : « Vous imaginiez un mec en ranger, treillis et cigare à la bouche ? Et bien non, désolé. »2

Le lendemain, j’ai repris mes notes. Et je me suis replongé dans les articles de Cornevin, les relisant un à un. Peu à peu, l’écœurement est revenu. J’ai retrouvé la hargne. Suffisamment pour rédiger cet article, en tout cas. Voici donc l’acte d’accusation de Christophe Cornevin, boutefeu au Figaro, satrape sécuritaire, amoureux de la matraque, agitateur d’épouvantails en tous genres et... mec sympa.

Copinage policier

Vingt ans qu’il est spécialisé « police et renseignement » pour Le Figaro. Qu’il grenouille dans le milieu sécuritaire – marigot de flics, gendarmes et douaniers, de hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, d’acteurs de la sécurité privée et d’experts vendant leur savoir-faire. Vingt ans, soit près de la moitié d’une vie (il a 47 ans) passée à relayer la parole des uniformes, de ceux qui les dirigent et de ceux qui les équipent. Ce n’est pas rien.

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Toutes les illustrations de cet article sont des affiches réalisées par les étudiants des écoles d’art parisiennes lors de mai 68

En général, le journaliste policier a pour principale source d’information les matraqueurs assermentés et leurs hiérarchies. Ce sont eux qui le mettent sur une piste, lui refilent un dossier, lui offrent un « scoop » à l’occasion. Et le manipulent parfois. Ils sont sa matière autant qu’ils lui donnent de la matière. Ils le font vivre. Et on ne se fâche pas avec la main qui vous nourrit. Une relation très ambiguë, dont les auteurs de Place Beauvau. La Face cachée de la police3 – pourtant peu portés sur la critique des médias – disent quelques mots : « La Place Beauvau distille les nouvelles à une petite cour de journalistes triés sur le volet, qui en retour font plus de la communication que de l’information. Paradoxalement, plus le journaliste spécialisé police a accès à des informations, plus il a du mal à les sortir. […] Difficile en effet de se fâcher avec l’institution ou de se couper de ses sources. »

« Je conçois essentiellement mon travail de façon technique, m’explique pour sa part Christophe Cornevin. Ce qui m’intéresse, ce sont les faits tels qu’ils sont exposés par mes interlocuteurs. Qui – c’est vrai – appartiennent en large part au secteur de l’ordre ou à l’appareil d’État. J’essaye d’être au plus près des acteurs pour obtenir des infos. Mais je me réfère aussi beaucoup à des gens aux compétences reconnues, comme Alain Bauer [sic] ou les membres de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. » Et d’une certaine manière, ça marche, précise la copine journaliste, décidément bien indulgente : « Dans son genre, il est très bon. Il a des infos de première main et il est souvent en avance sur ses confrères. »

Selon que vous serez...

Il faut dire que Christophe Cornevin sait choyer ses sources en uniforme. Les cajoler amoureusement. Un exemple parmi cent autres ? 25 novembre 2007, deux adolescents viennent de trouver la mort à Villiers-le-Bel, après que leur mini-moto a été renversée par une voiture de police. Le journaliste titre alors son article « Les premiers éléments semblent exonérer les policiers »4, reprenant à son compte la version officielle et n’usant qu’exceptionnellement du conditionnel (six ans plus tard, les circonstances du drame restent pourtant plus que troubles). Les victimes, Moushin Sehhouli, 15 ans, et Laramy Samoura, 16 ans, sont « connu[e]s de la police pour des faits mineurs », croit-il bon de préciser, sans s’embarrasser davantage à raconter ce que fut leur vie si vite avortée. Lapidaire et froid.

Deux jours plus tard, changement de ton. Place à l’empathie. Pour Moushin et Laramy ? Que nenni. Pour le commissaire Illy, bastonné par des habitants du quartier juste après la mort des adolescents. Le titre de l’article donne le ton : « Commissaire Courage raconte son lynchage à Villiers-le-Bel »5. Le reste à l’avenant. Le commissaire sur son lit d’hôpital, « le visage tuméfié, le corps couvert de contusions ». Son « calme qui force le respect », en dépit de « l’invraisemblable tentative de lynchage dont il a été victime ». Et sa bravoure, encore. C’est que ce « spécialiste des arts martiaux vietnamiens et de boxe chinoise », qui pourtant « n’aime pas la violence », a fait « face à une trentaine de gars armés de barres de fer et de battes de base-ball ». Mazette.

Cette sensibilité à géométrie variable – selon que vous êtes jeune de cité ou gradé de la police, Blanc intégré ou Arabe relégué, du côté du manche ou victime du pouvoir – est une constante chez le plumitif du Figaro. Jusqu’à souvent repousser les limites du crédible. « Sur le front d’une délinquance violente, policiers et gendarmes paient un lourd tribut », écrit-il en octobre 20126, évoquant « des attaques incessantes », « la souffrance des troupes sur le terrain », « une tendance lourde et calamiteuse ». Et d’avancer un chiffre pour les policiers blessés en service : « En moyenne 38 victimes par jour ! » Diantre, les uniformes tomberaient comme à Gravelotte... Sauf que ces chiffres n’ont rien d’officiels, et qu’ils englobent sans doute tout et n’importe quoi, du doigt foulé à la côte fêlée. Pour seule mention de la source, un bien vague « selon nos informations ». Prière d’y croire – les lecteurs du Figaro ne demandent pas mieux.

Insuffler la peur

C’est que Christophe Cornevin joue sur du billard : être spécialiste de la police dans le journal de grand-papa Dassault, c’est un peu comme tirer une main de quatre as au poker. Pur velours. On n’attend de vous qu’une seule chose : entretenir la peur, encore et encore. Une nécessité politique autant qu’économique. Dans Les Marchands de peur7, Mathieu Rigouste en analyse le fondement : « La peur constitue un outil politique fondamental pour les classes dominantes. C’est une technique de gouvernement, une machine de légitimation sur la chaîne de production du contrôle. Apparu au cours du XXe siècle, le marché du contrôle n’a depuis cessé de se développer, parce qu’il repose sur la possibilité d’inventer sans relâche de nouvelles peurs. Mais pour cela, il faut des ingénieurs et des colporteurs, des bureaux de recherche et de développement, des services de marketing et de communication. »

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Christophe Cornevin est un petit rouage de cette grande et froide machine de légitimation. Un colporteur très consciencieux, qui multiplie les articles alarmants, jamais fatigué de souligner combien le monde est dangereux, effrayant, hostile. La menace est partout, filigrane-t-il en permanence. Certes, elle est changeante, varie au gré des soubresauts d’une actualité artificielle obéissant d’abord à un agenda politique, instrumentalisée et montée en épingle. Mais elle est toujours sournoise, insidieuse, à la fois dissimulée et prête à surgir pour frapper. La bonne vieille cinquième colonne.

Ce prétendu ennemi intérieur endosse de multiples avatars au fil du temps et des papiers de Cornevin. Tour à tour : « Les malfaiteurs venus de banlieue et de province », « la voyoucratie », « les délinquants itinérants originaires d’Europe de l’Est », « l’ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome », « les jeunes encagoulés et armés », les « bandes de pillards », « les gangs organisés », le « communautarisme musulman », « les esclaves de la came »8, etc.

Dans un entretien accordé en 2009 à Article119, Mathieu Rigouste résumait parfaitement les implicites d’une telle démarche : « La fonction bouc-émissaire, la peur en général, le libéralisme économique et politique, avec le soutien des mass-media, construisent ’’l’autre’’ comme un concurrent, une menace potentielle. Cela permet de dissocier ’’la population’’ et incite à collaborer avec l’encadrement, l’État devient un protecteur, […] ton voisin un ennemi probable. » La crainte comme machine à trier le bon grain de l’ivraie : qui a peur est du bon côté de la barrière, parmi les « honnêtes gens ».

Fantasmer les « agents dormants »

Dernier avatar en date de l’ennemi intérieur, le « péril djihadiste ». Celui-là est magique, qui permet de combiner racisme à peine voilé et sourde menace tapie dans l’ombre. Un danger qui ne serait pas à prendre à la légère : le « spectre islamiste menace l’Hexagone », écrit carrément Cornevin10. Et le journaliste, petite mèche typée XVIe arrondissement, impeccable chemise bleue et grosses lunettes noires pour faire sérieux, de préciser sa pensée face caméra, dans une vidéo mise en ligne fin 2012 par Le Figaro : « En fait, la grande hantise des services et des forces spéciales en France maintenant, c’est de voir germer à travers le pays des dizaines de petits Mohamed Merah, qui sont prêts à passer à l’action, comme des agents dormants. »11

Bien pratiques, les agents dormants. Ils sont là sans l’être. Ils dorment, mais peuvent à tout moment se réveiller. Et la menace qu’ils sont censés incarner n’a pas besoin de prendre réellement corps pour qu’il apparaisse nécessaire, aux yeux de ceux qui en agitent le spectre, de la conjurer. En cela, ils autorisent toutes les libertés journalistiques : écrire sur quelque chose qui pourrait être dispense de se soucier du réel. Il suffit de se référer à quelques rares événements montés en sauce, de s’appuyer sur des sources si discrètes que personne d’autre n’aura le loisir de les consulter, et de tartiner du fantasme à l’envi. Et boum : l’article est bouclé.

« Le communautarisme musulman défie l’école »12, papier récemment publié par le plumitif du Figaro, illustre très bien cette dimension. S’appuyant censément sur « une note confidentielle des services de renseignement », il se résume essentiellement à ce qui est présenté comme une petite liste d’« exemples précis […] révélateurs » d’une « guerre d’usure » menée par « les adeptes de la ’’tradition islamiste rigoriste’’ ». Et d’évoquer le cas d’élèves musulmans d’une section d’œnologie qui refuseraient « de goûter les vins et alcools » – on ne rit pas. Celui d’apprenties esthéticiennes qui répugneraient à « procéder à une épilation ». Ou encore des « sonneries de portable lançant des appels à la prière ou chants coraniques ». Autant d’exemples invérifiables et insignifiants, alignés comme à la parade, qui permettent d’extrapoler sur 65 000 établissements scolaires et 12 millions d’élèves. De la belle ouvrage.

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Mieux : la recette est réutilisable à loisirs. Le journaliste ne s’en prive pas, lui qui a publié deux autres articles sur les mêmes modèle et thème : « Le communautarisme gagne du terrain dans les facultés »13 et « Le communautarisme gagne l’entreprise »14. Nul doute que ledit communautarisme contaminera bientôt aussi les transports en commun, les administrations publiques et les villages de campagne. Logique : les agents dormants sont partout ! Une vision paranoïaque du monde qui, à en croire l’intéressé, ne relèverait d’aucun parti-pris idéologique. « Je n’ai pas de carte de parti et je ne revendique aucun bord politique, prétend-il au téléphone. Je n’essaye pas non plus de rédiger des articles qui soient politiquement orientés. Et je ne mène aucune croisade. Je tente juste de faire mon boulot au mieux. »

Comment la plume se fait matraque

Christophe Cornevin est sans doute sincère. Mais cela importe peu. Parce que la principale caractéristique de ce plumitif propre sur lui (à défaut de l’être dans ses articles) est de pleinement s’inscrire dans l’air du temps. Et de faire office de parfaite courroie de transmission des fantasmes rancis, haines recuites et médiocres peurs de l’époque. Que ce soit par conviction ou adaptation n’y change pas grand-chose.

Au fond, le journaliste n’est qu’un petit boutiquier de la délinquance, vendeur au détail des thèses sécuritaires en vogue. Le doigt sur la couture du pantalon, il les reprend, les tronçonne, les recycle, les popularise – une tâche à laquelle son diplôme de Sciences-Po Grenoble l’a parfaitement préparé. Pour miroir, ce passage de Tarnac, magasin général15, dans lequel le journaliste David Dufresne (taillé dans un autre bois, lui) fustige la nouvelle génération des porteurs de cartes de presse : « Le métier a changé, il s’est […] assagi, devenu propre ou se croyant tel. On y entre désormais après Sciences-Po. Le métier a fait ses cures et trouvé ses curés. »

Prêtre sécuritaire, le salarié du Figaro a bien fait son petit séminaire. En 1996, Cornevin a en effet intégré la huitième session de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI16), parmi 90 autres auditeurs sélectionnés par la Place Beauvau. À ses côtés, pour cette année de formation censée « forger l’esprit de sécurité intérieure », beaucoup de gradés de la police et de la gendarmerie, ainsi que des hauts fonctionnaires et des membres de la préfectorale, des magistrats, des élus et des industriels du secteur. Pour un journaliste spécialisé police : du beau monde. L’endroit idéal pour se mitonner un carnet d’adresses aux petits oignons. « Outre les connaissances qui sont dispensées dans ces sessions, les contacts se nouant entre auditeurs peuvent s’avérer utiles […], remarque Laurent Bonelli dans La France a peur17. La structure même des sessions (travail collectif, voyages d’études) étant pensée pour favoriser les échanges, ces dernières permettent aux relations de se nouer, ou consolident des contacts antérieurs. »

Lui s’en défend, mais c’est sans doute en ces lieux que Christophe Cornevin a forgé son immuable place au Figaro. Qu’il a assis sa fonction, sa légitimité. C’est là qu’il a montré patte blanche, prouvé qu’il était du sérail. Comme l’a fait son confrère Jean-Marc Leclerc, autre spécialiste police du Figaro. Lui aussi est un grand amoureux des forces de l’ordre, par ailleurs proche d’Alain Bauer et auditeur de l’IHESI en 1995. Bon sang ne saurait mentir : Jean-Marc est fiston de Marcel, qui fut directeur de l’institut de 1995 à 1997 - pile-poil quand son rejeton y est passé. Ce petit monde est décidément très endogame.

L’ « ultra-gauche » dans le viseur

De fait, Jean-Marc Leclerc et Christophe Cornevin constituent une équipe de choc. Ils sont les Placid et Muzo du journalisme policier, peu ou prou coulés dans le même moule. Tous deux agitent d’ailleurs régulièrement les mêmes épouvantails. Mais ils ne sont jamais aussi mauvais que quand ils s’essayent à parler du croque-mitaine qu’ils nomment – avec des guillemets partout – « l’ultra-gauche ». En la matière, ils font gaillardement preuve d’une parfaite symétrie dans la bêtise.

Pour le plaisir (ne le boudons pas), il faut citer cet hallucinant article de Jean-Marc Leclerc intitulé « Étrange nuit dans le camp autogéré »18. Le journaliste, envoyé spécial prêt à prendre les risques les plus fous, avait en effet fait un petit tour dans le camp installé en périphérie de Strasbourg, lors de la mobilisation contre le 21e sommet de l’Otan. L’occasion d’enchaîner les plus ineptes clichés, entre joyeuses scènes de débauches et atmosphère militaro-militante. Après avoir mentionné la drogue, le sexe et l’alcool, principaux éléments de cette rapide visite en forme de mensongère carte postale19, Jean-Marc Leclerc enchaînait : « Mais les blacks blocs ne sont pas à la fête. Discrètement, ils veillent sur le troupeau, tels des bergers craints et respectés. […] Eux n’ont pas la pupille dilatée comme les autres. Et s’ils portent des cheveux courts, c’est pour éviter que les policiers puissent les empoigner dans les corps à corps qu’ils leur imposent à chaque rendez-vous international. » Présenter les (dits) black blocs comme des bergers austères coupant leurs tifs pour n’offrir aucune prise en combat urbain ? Ça, c’est de l’info, coco !

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Christophe Cornevin n’est pas en reste dans la course au scoop anti-gauchiste. Sur le sujet, le journaliste a même multiplié les articles tendancieux. Ainsi du papier « Sabotages de la SNCF : la piste de l’ultra-gauche »20, publié au lendemain de l’arrestation de dix personnes soupçonnées d’avoir gêné pendant quelques heures le trafic ferroviaire. L’article, aux sources ultra-vague (« un enquêteur » et « un policier »), ne s’embarrassait d’aucune précaution juridique : « Les saboteurs du rail auraient presque pu être interpellés en flagrant délit tant ils étaient surveillés depuis des mois par les services de renseignement », attaquait d’emblée le journaliste, foulant joyeusement au pied toute notion de présomption d’innocence. Et d’évoquer ensuite des « apprentis terroristes de la gauche ultra », « fuyant le regard des rares riverains qui les entouraient », « nihilistes considérés comme ’’potentiellement très violents’’ ». Parce qu’il serait dommage de ne pas ajouter de la misogynie à ce triste tableau, il précisait un peu plus loin : « Les femmes de la bande […] sont plus volontiers dépeintes sous les traits de ’’filles de bonne famille issues de la bourgeoisie de province’’. Un profil somme toute guère étonnant au regard de la jeune fille chic en Burberry qui répondait au nom de Joëlle Aubron à l’époque d’Action Directe. » Le parallèle est osé. Mais un passage du papier l’est plus encore : « Déjà confondus par des éléments techniques, dont de l’ADN, les saboteurs du rail devront expliquer la présence de matériel d’escalade […] à leur domicile. » Raté. En réalité, les enquêteurs n’ont mis la main sur aucune preuve matérielle ou empreinte ADN, bien que les « brosses à dents, rasoirs, sacs de couchage, manteaux, bouteilles, mégots [aient été] examinés au plus près », détaille Le Monde21. Il faut croire que Christophe Cornevin entretient avec la réalité des rapports – disons – audacieux...

D’une rumeur, faire une info

L’audace ne coûte guère quand on n’est tenu par rien. Quand on n’a nul compte à rendre. On peut alors tout se permettre. Les manipulations et les raccourcis, les expressions à l’emporte-pièce et les infos non recoupées. Comme ce titre anxiogène, « Un Français sur cinq a peur dans son quartier »22, à propos d’une enquête de l’Insee sur « le sentiment d’insécurité ». Las, l’article de Cornevin ne précise nullement que cette proportion de 20 % d’effrayés comprend ceux des sondés qui ont répondu « Rarement » à la question « Vous arrive-t-il de vous sentir en insécurité dans votre quartier ou votre village ? ». En se limitant aux réponses « Souvent » et « De temps en temps », le taux d’effarouchés chute à 11,9 %. La manip’ est grossière.

Mais pas autant que celle qui a valu à Christophe Cornevin une nomination aux Big Brother Awards 201323, remise de prix « sanctionnant les pires atteintes à la vie privée et aux libertés ». Il ne l’a finalement pas emporté, coiffé sur le fil par la Direction centrale de la police aux frontières. Mais il aurait mérité la victoire, tant son article « Notre-Dame-des-Landes : un vigile blessé dans la nuit »24 constitue un sommet de désinformation. Le journaliste y raconte qu’un vigile stationné non loin de la Zone à défendre de Notre-Dame des-Landes (sans plus de précisions) a été « pris à partie par une vingtaine d’inconnus cagoulés et armés de gourdins » et « grièvement brûlé aux mains et aux bras ». Barouf. L’information fait le tour des médias, reprise notamment par Le Monde, BFM, Le Parisien ou Le Nouvel Obs. Mais personne n’en vérifie la réalité, ni ne s’étonne que la seule source mentionnée soit un sous-préfet à l’impartialité (forcément) relative. Plantage. Du vigile « brûlé », il ne sera finalement plus jamais question – envolé, disparu, des hôpitaux comme des enquêtes policières. L’affaire retombera comme un soufflé. Et Acrimed de souligner que « des supputations ne sont pas une information. Tout juste, pour le moment, une simple rumeur »25.

« J’essaye de faire un travail intellectuellement honnête, m’affirme le journaliste au téléphone. Il ne plaît pas forcément à tout le monde, et je me fais même parfois allumer sur Internet. Je le déplore, mais le commentaire est libre. » Un brin de fair-play qui rappelle vaguement la devise du Figaro : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. » Pour le blâme : c’est fait. Mais l’éloge ? Ah oui : Christophe Cornevin est un mec sympa. Chouette.



1 Entretien conduit le 02/07/2014.

2 Une formule percutante que Christophe Cornevin n’hésite pas à réutiliser. Ces mots prononcés au téléphone sont presque les mêmes que ceux qu’il avait utilisés dans un entretien accordé au blog Pointe d’actu et publié le 25 mai 2012. Soit : « Il y a une pluralité d’opinion au sein de la rédaction, ... il y a tout le spectre politique et pas seulement des vieux en treillis, ranger et le cigare à la bouche ! » L’inspiration est maîtresse bien volatile...

3 Ouvrage d’Olivia Recasens, Jean-Michel Décugis et Christophe Labbé, Robert Laffont, 2006.

4 Mis en ligne le 27/11/2007. Par ailleurs, sauf mention contraire, tous les articles de Cornevin cités ont été publiés sur le site du Figaro..

5 Mis en ligne le 29/11/2007.

6 « Violences contre les forces de l’ordre : 38 blessés par jour », article mis en ligne le 23/10/2012.

7 Les marchands de peur. La Bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire, Libertalia, 2011.

8 Autant de termes issus des articles signés par le journaliste du Figaro.

9 « Il existe des lieux et des moments où les bêtes traquées se croisent, s’arrêtent et se tournent vers le chasseur », entretien mis en ligne le 10 octobre 2009 sur le site d’A11.

10 « Islamisme : Valls dénonce les ’’ennemis en notre sein’’ », article mis en ligne le 12/10/2012.

11 « Le Figaro rembobine 2012 : la croisade terroriste de Merah », vidéo mise en ligne le 26/12/2012. Précision en date du 25/02/15 : cet article sur Christophe Cornevin date de juillet 2014. Force est de reconnaître qu’une sanglante actualité a depuis donné un certain sceau de réalité aux envolées du journaliste.

12 Mis en ligne le 10/04/2014.

13 Mis en ligne le 20/05/2014.

14 Mis en ligne le 15/05/2014.

15 Calmann-Lévy, 2012.

16 Devenu depuis Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice.

17 La France a peur. Une histoire sociale de l’insécurité, La Découverte, 2008.

18 Mis en ligne le 11/04/2009.

19 Quiconque a passé quelques jours au contre-sommet de 2009 ne peut que rire de ce papier si absurde qu’il confine au génie.

20 Mis en ligne le 12/11/2008.

21 « Ce que contient le dossier d’instruction de l’affaire de Tarnac », article mis en ligne le 25/03/2009.

22 Mis en ligne le 18/12/2013.

23 Catégorie « Orwell Exécuteurs des basses œuvres ».

24 Mis en ligne le 13/11/2012.

25 « Un vigile agressé à Notre-Dame-des-Landes. Par qui ? La presse ’’sait’’ déjà », article mis en ligne le 15/11/2012.


COMMENTAIRES

 


  • vendredi 27 février 2015 à 11h48, par Desopile

    C’est quand ils ont l’air « sympa », qu’ils sont les plus dangereux, les idéologues. Ce sont des ordures dans son genre qui dans d’autres régimes, ont appelé ou facilité les meurtres de minorités, d’opposants politiques.

    C’est exactement ce que fait ce petit bourgeois haineux et peureux à longueur de colonne dans son style pompier.

    Enfin bref, un jour viendra où les sales types dans son genre devront rendre des comptes.

    • mardi 17 mars 2015 à 13h35, par Scarfanti

      Ils sont comme ça maintenant les salauds : sympas, décontractés. ça indique qu’ils ont une force sans oppositions avec eux et qu’ils la servent débarrassés du moindre scrupule. Je pense que des dignitaires Vichystes n’étaient pas autrement : sympas, décontractés



  • vendredi 27 février 2015 à 12h18, par B

    j’ai été au commissariat. Ils m’ont dit qu’il faut téléphoner de chez soi.
    Voilà, tu lis ton journal et t’entend qu’il recommence ; à ce moment là tu fais le 17 et ils vont venir lui mettre une amende.



  • samedi 28 février 2015 à 20h58, par denis

    ne sommes nous pas nous même (peuple sale gauchiste, écolo utopiste, libertaire et autre) des idéologues d’un autre bord, persuadés que nous sommes plus juste ou plus raisonné que l’idéologue de droite fan de la matraque ?
    Merci pour cet article JBB.

    Je déplore la fin de votre version papier. Que faudrait-il faire pour vous faire continuer ? Vos deux derniers numéros étaient exceptionnels, et sans ma chronique de la tomate, je me sens pauvre...



  • vendredi 20 mars 2015 à 08h48, par communistariste

    En matière de communautarisme, la presse ’’main stream’’ en connaît un sacré rayon, illes me font rigoler à dénoncer le communautarisme alors que c’est le même panier de crabe qui se retrouve dans les diners en ville, dans les instituts de ’’hautes études’’, dans les émissions ’’d’experts à la télé’’. Se rendent illes compte que c’est le premier exemple de communautarisme nocif de leur prétendue ’’démocratie’’.

    D’ailleurs pour celleux qui ne regardent plus la télé, faut quand même préciser que beaucoup d’émissions se déroulent entre ’’journalistes’’, un-e qui fait l’émissions et les autres qui y sont invités, ça laisse peu de place à la confrontation au monde réel !!

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