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jeudi 25 septembre 2008

Le Charançon Libéré

posté à 11h29, par JBB
8 commentaires

Pour sauver « la liberté d’expression », Albanel saute sur le XIXe. On dit merci qui ?
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Ceux qui s’inquiéteraient d’une éventuelle mise au pas des médias en Sarkozye seront rassurés : Christine Albanel veille. La ministre de la Culture et de la communication a récemment pris sa plus belle plume pour tonner « contre ceux qui tentent d’entraver la liberté d’expression ». Un réflexe salvateur, si ce n’est que Christine Albanel s’est trompée de cible. La prochaine fois, peut-être ?

Vous l’ignorez peut-être.

Mais on a une chouette ministre de la Culture.

(Si, si…)

Femme dévouée aux choses de l’art.

Fervente partisane de la liberté d’expression.

Et qui n’est peut-être pas la plus visible des membres du gouvernement, mais qui taille néanmoins son petit bonhomme de chemin.

Apportant chaque jour sa pierre à un digne effort collectif pour repaver de justice et de gloire les routes de France.

C’est déjà beaucoup.

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Il y a peu, Christine Albanel, ministre si débordante d’initiatives que son activité ferait honte à Malraux pour peu que le bougre ne fusse pas en train de bouffer les pissenlits par la racine, Albanel, donc, a décidé de se faire entendre.

Et a pondu un chouette communiqué en faveur du respect de la liberté d’expression.

N’hésitant pas à prendre sa plus grosse voix pour tonner « contre ceux qui tentent d’entraver la liberté d’expression, (...) contre ceux qui empêchent les journalistes de faire leur métier, contre ceux enfin, qui combattent le devoir d’informer, garantie fondamentale de notre démocratie ».

Pas mal, hein ?

Ouais…

Mais attention, pas d’erreur : il ne s’agissait pas de protester contre l’état des médias en Sarkozye, fait de multiples interventions présidentielles, de limogeages qui ne disent pas leur nom et de diverses mise au pas.

Oh, non.

Il ne s’agissait pas non plus de s’inquiéter des concentrations à l’oeuvre dans le domaine de la presse, cette croissance des grands groupes et cette uniformisation de ton que semble appeler de ses voeux le rapport Giazzi.

Oh, non.

C’était beaucoup plus bête que ça.

Et infiniment moins polémique.

Puisque la ministre de la Culture et de la communication s’indignait de la « lâche et odieuse » agression dont ont été récemment victimes deux journalistes de France3 lors d’un reportage.

Où ça ?

Je vous le donne en mille : dans le XIXe.

Arrondissement qui n’en finit pas de cristalliser l’attention médiatique et l’inquiétude des autorités, jamais fatigués de faire monter en sauce bagarres et rixes à la con.

Et que certains s’ingénient à faire passer pour un lieu dangereux quand il est surtout l’un des derniers quartiers populaires de Paris, l’un de ceux où mixité et intégration ont encore un sens.

Ce qu’Alain Rémond rappelait récemment dans sa chronique hebdomadaire à Marianne : « Le Bronx ! La zone ! Le Far West ! Voilà ce qu’on me dit, en ouvrant de grands yeux, quand je dis que j’habite dans le XIXe. Et qu’on lit ce qu’on dit dans la presse. Ça va pourtant faire 30 ans dans quelques mois que j’y habite, dans cet arrondissement pourri. Et tout ce que j’ai à dire, c’est que j’en ai un peu marre de lire et d’entendre tout ce qu’on dit, tout ce qu’on raconte. »

Avant de poursuivre un peu plus loin : « Il y a un miracle, ici, tous les jours. Un miracle sans cesse renouvelé. un miracle de vie ensemble. De cohabitation. (…) Oui, il y a de la violence. Oui, il y a des tarés d’antisémites. Oui, il y a des bandes, chez les uns et les autres. Mais c’est un quartier qui se bat. Qui bouge. Qui s’embellit. Qui change. Qui se mélange. Et le miracle, tous les jours, c’est ce mélange. »

Je ne sais pas vous.

Mais j’aurais bien aimé que le communiqué d’Albanel ressemble à ce texte.

Plutôt que de voir la ministre souffler dans le sens du vent et produire un pontifiant communiqué parce que deux journalistes ont récolté « des bleus et des hématomes ».

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Bon…

Je suis un peu de mauvaise foi.

Tant il arrive que Christine Albanel ne hurle pas avec les loups.

Et que la ministre prenne position à l’encontre du vent dominant.

Ainsi de sa courageuse réaction, hier au soir, en apprenant que le Parlement européen retoquait son projet de riposte gradué, au motif qu’aucune restriction aux droits et liberté des internautes ne peut être imposée sans une décision judiciaire préalable.

Et qu’il n’était pas question de couper, sans l’aval d’un juge, la connexion de ces vilains pirates qui font rien tant que spolier l’industrie musicale en téléchargeant gratuitement la dernière bouse de Madonna.

Pas de quoi émouvoir la ministre de la Culture et de la communication.

Qui a aussitôt fait savoir qu’elle n’en avait rien à carrer.

(En substance, hein…)

Et que l’examen du projet de loi se poursuivrait comme si de rien n’était.

Un instructif mépris des règles communautaires.

Dont il faudra se souvenir la prochaine fois que Christine Albanel prendra sa plus belle plume pour regretter les attaques anecdotiques contre « les garanties fondamentales de notre démocratie ».


COMMENTAIRES

 


  • L’Ardèche est forcément une terre plus civilisée que le XIXe arrondissement, des journalistes y sont tout simplement interdits de conférence de presse par le préfet et comme c’est le préfet qui décide de la liberté d’informer le droit est respecté. N’ont qu’à devenir préfets eux aussi, ceux qui veulent empêcher les journalistes de travailler.



  • Cela me fâche fort qu’elle ne dise rien du XXe, qui est bien pire.... Oh lala !

    Sans ironie, en tant qu’intermittent du quartier, je suis tout à fait d’accord avec A. Rémond.

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • jeudi 25 septembre 2008 à 18h24, par JBB

      Je m’en doutais. :-)

      Sa chronique est la première chose que je lis quand j’achète Marianne. Et même s’il n’est plus aussi bon qu’au temps de Télérama et que ses histoires de cintres finissent par saouler, Rémond reste diablement puissant.



  • Justement, j’y pensais à la liberté d’expression ces derniers temps. [Je vais faire beaucoup de Hors-Sujet là...]

    Et comme c’est pathétique d’entendre ça en France, et pas seulement à cause de la manière dont les médias fonctionnent, comme PBB y fait rapidement référence.

    C’est aussi dans la loi.

    Ben oui, on ne peut pas dire de choses racistes, antisémites, et il me semble, on ne peut pas insulter le Président, ou le premier flic venu.

    Alors c’est ça qu’on appelle la liberté d’expression ? Moi j’appellerais plutôt ça l’expression contrôlée !

    Alors comme d’habitude, il y a quelqu’un qui va penser : mais alors, c’est que littlehorn est raciste ! Puisqu’il veut laisser les racistes parler !

    Et bien non, parbleu ! Je suis anti-raciste, mais aussi anti-censure. L’un et l’autre.

    Donc, vous comprenez, quand j’entends Christine parler de la liberté d’expression qu’il faut sauver, j’ai envie de dire : pends-toi !

    Et pire, quand je vois Mr Charlie Hebdo, lors du procès, parler des grands principes, de la nécessité de défendre la liberté d’expression contre l’obscurantisme, arguments forts inutiles puisqu’il n’y a de toute façon pas de liberté d’expression en France.

    Il aurait été bien plus rapide et honnête de dire que le message des ’caricatures’ rentrait dans les limites fixées par l’Etat. « Oh, monsieur le juge, je vous demande pardon si j’ai excédé les limites sacrées ! »

    Mais j’imagine que ça aurait pas fait aussi joli. Et qu’on aurait pas fait un film dessus. Ou peut-être si, « Difficile de publier l’extrême-droite tout en faisant genre on est démocrate dans un pays qui n’a pas de principe. »

    Donc au lieu d’un tel dénouement, évidemment bien plus réaliste, il semble que la France toute entière, y compris les juges il me semble, se soit masturbée avec une image fausse d’un pays où règne la libre expression. Et on remet ça avec un film. Apportez les Kleenex !!

    A propos des droits que les gens n’ont pas, voir la fin de cette vidéo de George Carlin.*

    Mais la défense de Val était ridicule dans un tout autre sens.

    Quand on défend son droit de publier devant le tribunal, on défend sa liberté d’expression. Pas la liberté d’expression. Sa liberté d’expression.

    Val n’est pas le peuple tout entier. Et son comportement avec Siné révèle ce qu’il pense réellement de la liberté d’expression.

    Il demande que les autres souffrent de sa propre liberté, et invoquera les grands principes pour cela. Disant qu’il ne peut pas y avoir de liberté autrement. Fort bien.

    Mais en revanche, il ne veut pas souffrir, lui, de la liberté des autres. Et il invoquera les droits éditoriaux pour cela. Révélant qu’il n’a aucune fidélité aux grands principes pré-cités.

    En fait, on pourrait dire qu’il s’est comporté comme un petit dictateur. Invoquant alternativement différents grands principes selon ce qui l’arrange à un moment donné.

    Voir en ligne : *Vidéo de George Carlin

    • jeudi 25 septembre 2008 à 22h13, par JBB

      Pas si hors-sujet que ça.

      Je suis bien évidemment d’accord sur votre analyse du sycophante Val.

      Je le suis un brin moins sur les droits qui devraient être « illimités » (si je reprends la vidéo de Carlin ; d’ailleurs : je ne connaissais pas, merci de m’avoir fait découvrir. Le bonhomme est plutôt jouissif… Bravo pour la trad.). Dans l’aboslu, je comprends bien toute la vertu de votre position ; dans la pratique, il me serait insupportable que des nazillons puissent se targuer de ce droit pour écouler leur basse propagande. Cela a beau être la seule limite que j’instituerais à la liberté d’expression, ça en constitue pas moins une.

      • vendredi 26 septembre 2008 à 01h22, par littlehorn

        Mais cela se traduit aussi dans la pratique, contrairement à ce que la plupart des gens croient.

        Admettons que les nazillons, on les censure (j’ai dit ’admettons’ ? ha ha). Alors que font-ils ? Le mouvement va-t-il doucement mourir en silence ? Peut-être auront-ils des difficultés au départ. Ils ne pourront certes plus « écouler leur propagande » avec les moyens qu’on a interdit. Ils trouveront d’autres moyens, disons, plus souterrains. Moins visibles, mais toujours accessibles. Du moins, ça me semble logique, puisqu’il est fort peu probable qu’ils abandonnent toute leur idéologie simplement parce qu’ils ne peuvent plus s’exprimer sur internet.

        Alors, en pratique, ce que nous faisons avec la censure, c’est, en quelque sorte, enfermer des gens à la cave, là où presque personne ne va, parce qu’il fait sombre, et on y rencontre des personnages pas recommandables.

        Mais cela a des effets pervers : donner aux gens l’impression que la loi est juste, et qu’ils se battent contre le racisme efficacement, alors qu’ils ne font que s’abrutir et se rendre plus vulnérables, et rendre plus difficile l’opposition aux nazis ; faire une faille dans la liberté d’expression, faille qui pourrait être agrandie plus tard dans des circonstances différentes ; et, symboliquement, mettre un interdit sur des idées, et empêcher par la même qu’on s’en défende réellement. Pour réellement se défendre d’une idéologie, il faut être capable de rentrer à l’intérieur, et reconnaître ses erreurs.

        Mais la censure nous empêche d’y rentrer. Enfin, ce n’est pas vraiment qu’elle nous en empêche, mais pour le citoyen lambda, le fait d’associer une interdiction à l’idéologie en question lui donne d’office l’envie de bien rester à l’écart, de ne pas écouter ce qu’ils peuvent dire, de peur d’être infecté. Je sais que c’est mon cas. Et quand vous parlez d’écouler la propagande, il y a bien l’idée de transmettre quelque chose de sale.

        L’autre idée que je réprouve, c’est qu’en s’exprimant, le nazisme (ou toutes autres idées censurées) va se répandre en un rien de temps. Et qu’il serait donc nécessaire de couper court à ce danger. Lorsque Siné a été viré pour un soi-disant antisémitisme, c’est une des raisons qui a été invoquée par les gens : il faut arrêter le discours antisémite de Siné, parce que, la Shoah (je résume). Il semblerait que cette tragédie, et la participation de la France à celle-ci, a été la conséquence directe de la liberté d’expression utilisée par les nazis pour faire leur propagande. Voilà le problème : on ne les avait pas censuré. Ah si seulement on y avait pensé ! C’est évidemment un raisonnement complètement ridicule.

        Alors on reste bêtement bloqué à la phase « L’antisémitisme c’est mal. » « Le racisme c’est mal. » « Non au racisme ! » Je peux déjà imaginer le blog d’une fille de 15 ans avec ces titres. Ce genre de simplisme a souvent été dénoncé, mais on ne va jamais au bout de ce qu’il signifie : une vulnérabilité totale.

        Voilà qu’aujourd’hui, l’air du temps change. Et on peut voir le résultat de la censure du racisme : c’est une catastrophe. Alors que l’objet des messages simplistes cités ci-dessus a fait 10%, son cousin à l’UMP, qui a remporté la présidence, peut librement appliquer un programme que nombre de personnes décriaient il y a 6 ans, et qui passe aujourd’hui dans l’indifférence de ces mêmes personnes.

        PS : On pourra toujours argumenter bien sûr, que sans la censure les choses seraient pires. Mais ça me semblerait une porte de sortie un peu facile. La censure est un outil dangereux, et que l’on maintienne son utilisation alors que les résultats sont aussi pitoyables, c’est vraiment insupportable.

        Voir en ligne : Sur la censure

        • vendredi 26 septembre 2008 à 11h02, par JBB

          Votre argumentaire est des plus convaincants, à la fois bien mené et habilement tourné. Et encore une fois, je suis plutôt tout d’accord avec vous : ce n’est pas parce qu’on leur interdit de les exprimer que les idées des nazis disparaissent ; au contraire, souvent, elles y trouvent une seconde vie, se renforçant secrètement en attendant le bon moment de ressortir à l’air libre et de porter un coup fatal.

          On pourrait d’ailleurs établir un parallèle avec la prohibition en général, dont il est établi qu’elle profite généralement au produit qui est interdit. En matière de drogues, les pays les plus répressifs sont ainsi ceux qui ont à faire aux plus fortes consommations. Donc, oui : la prohibition est souvent contre-productive.

          Quant à votre conclusion, j’y adhère aussi des deux antennes : « Voilà qu’aujourd’hui, l’air du temps change. Et on peut voir le résultat de la censure du racisme : c’est une catastrophe. Alors que l’objet des messages simplistes cités ci-dessus a fait 10%, son cousin à l’UMP, qui a remporté la présidence, peut librement appliquer un programme que nombre de personnes décriaient il y a 6 ans, et qui passe aujourd’hui dans l’indifférence de ces mêmes personnes. »

          Alors ?

          Ben… en ce qui me concerne, ça ne change pas grand chose. Tout simplement parce que j’ai du mal à rester rationnel quand il s’agit de l’extrême-droite : je hais tellement ces gens que je ne peux m’empêcher de rêver de les voir se faire latter la gueule à chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Je sais que ce n’est pas la plus rationnelle des attitudes ni la plus productive, mais c’est plus fort que moi.

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