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mardi 22 septembre 2009

Le Charançon Libéré

posté à 13h02, par JBB
17 commentaires

Pourchassé à Calais, expulsé chez Kadhafi : quel doux sort que le tien, ô dangereux clandestin…
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Ici, on bulldozire, rasant la jungle de Calais jusqu’à en faire disparaître toute trace. Là-bas, en Libye, on construit, créant de nouveaux et infâmes camps destinés aux migrants. Un même mouvement, fait de négation de l’existence même des clandestins, de délocalisation de la question migratoire et de sous-traitance du « problème » à une honteuse dictature.

En un billet lumineux1, publié sur ce site voici deux semaines, Juliette Volcler revient sur une problématique essentielle dans le sort fait par les pays riches aux réfugiés : celui de l’espace.

« Les explorations sont faites, les cartographies abondent, et on sait répartir la terre entre un tiers-monde et un premier : mais on ne parle toujours que d’États. Michel Agier relève l’émergence d’une nouvelle géographie, à partir non plus des nations, mais de leurs brèches, à partir non plus des frontières, mais des femmes et des hommes qui s’y heurtent, qui les bousculent, qui les désordonnent. C’est un peuple ou c’est une foule, qui n’est plus d’un État et qui invente sa survie dans les failles des identités nationales », débute t-elle, s’appuyant sur le travail de l’anthropologue Michel Agier.

Avant de constater, un peu plus loin : « A l’extrémité du monde propre, on construit des « gated communities », villes privées, barricadées, où l’on vit entre-soi, soi les propres, les identifiés, les intégrés - et au bout des restes de ce monde, « dans les périphéries lointaines comme dans les interstices de nos villes - hangars, aires de stationnement, carrefours ou dessous des ponts -, nous apercevons parfois les derniers prolongements d’un pays que nous ne voyons pas. » »

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La destruction, ce matin par les hommes du ministère de l’Intérieur, de la jungle de Calais2 relève - bien entendu - de cette même question : en refusant l’existence d’un lieu de vie autonome - aussi précaire soit-il - , en rasant ces abris fragiles, en mobilisant les bulldozers en même temps que les hommes en armes, en tentant de faire disparaître toute trace visible de la présence des migrants, il n’est d’autre ambition pour le régime que de nier l’existence de ces derniers.

Ils ne sont plus rien, puisqu’il n’est pas trace tangible de leur existence.

Et ceux d’entre eux qui ont été interpellés, arrêtés pour être parqués en camps de rétention, n’ont pas plus d’identité : réduits à des fiches, numéros, ils ne sont plus qu’administratifs, dossiers en passe d’être réglés puisque bientôt expulsés.

Dans les limbes.

Pffiiiiiii… disparus, envolés !

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Mais même-là, les migrants, hommes et femmes qui se meuvent dans « les brèches des États », restent trop tangibles, visibles.

Et la France - à l’image de toute l’Europe - ne rêve que de s’en débarrasser définitivement, en laissant à d’autres, ailleurs, plus loin, le soin (oui : le mot est mal choisi) de s’en occuper.

Une logique simple : il s’agit de déplacer le « problème » aux périphéries de l’Europe.

D’empêcher en amont les « intrusions », ainsi que l’expliquait benoîtement en 2007 le détestable Franco Frattini, alors vice-président de la Commission européenne et en charge de la question migratoire : « Puisque l’immigration ne s’arrête pas aux frontières traditionnelles, il nous faut les dépasser nous aussi. »

De nouer, par l’intermédiaire de Frontex (pour Frontières Extérieures), agence européenne richement dotée - 71 millions d’euros de budget en 2009 - et chargée de s’assurer que l’espace de Schengen reste hermétique, des accords avec les pays où transitent les migrants avant de gagner l’Europe, entre autres le Sénégal, la Mauritanie, la Libye ou le Maroc.

Et de laisser à ces derniers la responsabilité d’arrêter et parquer les réfugiés.

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À cette aune, il est plus que révélateur que l’homme s’étant donné pour mission de raser la jungle de Calais soit celui qui a proposé « vendredi à ses homologues européens un plan d’action pour doter l’agence Frontex de surveillance des frontières extérieures de nouveaux moyens de lutte contre l’immigration irrégulière  », ainsi que le mentionne l’AFP.

Et qu’il soit aussi celui qui a suggéré hier, en conseil des ministres européens à Bruxelles, que « mandat soit donné à Frontex d’engager sans délai des discussions » avec« la Libye et la Turquie » pour « conclure des accords de réadmission, obtenir des engagements de surveillance de leurs côtes, et mettre sur la table une offre de coopération attractive pour le renforcement de leur capacité de contrôle des frontières », comme le rapporte le blog Hexagone.

S’il est finalement très accessoire que cet triste sire n’ait - à titre individuel - d’autre obsession que d’effacer toute trace de son retournement de veste en creusant sans cesse plus avant dans l’ignominie, faisant preuve du servile zèle du traître.

Il l’est beaucoup moins que la France - entraînant à sa suite l’Union européenne - se pique d’accroître sa coopération avec la Libye, pays qui compte déjà un certain nombre de camps réservés aux migrants, espaces infâmes où l’on traite les réfugiés pis que des chiens pour complaire aux pays européens.

Comme il est inacceptable que l’Italie patrouille dans les eaux internationales et ait mandat pour renvoyer en Libye, sans autre forme d’examen, les clandestins africains ainsi interceptés, ce que dénonce un très récent rapport d’Human Rights Watch.

Mais voilà : qu’importe les protestations des droits-de-l’hommistes et autres humanistes à la petite semaine, l’UE et les plus détestables de ses membres - Italie et France en tête - ne comptent pas stopper là leur dynamique d’exclusion égoïste et de délocalisation sans scrupules de la question migratoire.

Pourquoi faire, après tout ?

C’est si bien parti…

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Ps : tant qu’on y est, je te propose de lire ci-dessous un extrait d’une interview réalisée (et jamais publiée) pour préparer un article sur Frontex, paru dans le premier numéro de Fakir version nationale3. L’interlocuteur est Patrick Delouvin, directeur des actions pour la France à Amnesty International, l’interview date de mars dernier :

L’Europe-forteresse semble sans cesse se renforcer…

Je n’aime pas trop utiliser cette expression d’Europe-forteresse ; notamment parce que l’image est fausse : des migrants rentrent quand même. Par contre, ce qui est clair, c’est qu’aux frontières de l’Europe, il y a des systèmes de contrôle croissants, avec des bateaux, des satellites, des hommes, des grillages, des systèmes de surveillance infrarouge… toute une machine, en fait, qui se déplace vers l’Est et vers le Sud. Voilà pour l’aspect physique. Et il y a en sus un pendant administratif, avec un arsenal législatif, des sanctions, les passeports biométriques, qui se développent en parallèle.

Il y a une extension du champ d’action ?

Oui, les contrôles se déplacent ; des États membres de l’Union vers ses marges à l’Est, avec des échanges, des pressions pour signer les accords de réadmission et des contrôles supplémentaires ; et une même dynamique se fait jour vers le Sud, avec des contrôles aux frontières qui se déplacent vers Gibraltar, la Mauritanie, le Sénégal, le Cap Vert, le Maroc ou la Libye. Et pas seulement des contrôles : des infrastructures sont installées en ces pays, avec notamment des camps.

Vous arrivez à enquêter sur ces camps ?

C’est très compliqué. Nous, membres de la société civile, avons parfois des difficultés à connaître ce qui se passe sur notre territoire. Quand ça se déroule loin, c’est encore plus difficile et très coûteux. Enquêter sur la Libye, ce n’est évidemment pas simple…
C’est là le risque principal, d’ailleurs, celui d’un système aux marges, réservé à ceux que les pays européens ne veulent pas voir et qui se développe dans l’anonymat le plus complet, dans l’indifférence générale.
On constate par exemple que les demandes d’asile diminuent chaque année. Notamment parce qu’une partie de ceux qui auraient pu les formuler sont quelque part, ailleurs : ils sont en Mauritanie, en Libye, au Maroc…

Tout devient de plus en plus flou ?

Oui, et la même opacité entoure la force d’intervention de Frontex, les Rabits. On a beaucoup travaillé dessus sans guère en apprendre davantage. Et on se retrouve dans le flou le plus total. Mais il y a une chose de sûre : les Rabits n’ont vocation à intervenir que sur le territoire européen, quand la vraie question - aujourd’hui - se joue dans ses périphéries.
Et il y a un autre point essentiel, celui des responsabilités. Avec Frontex, on ne sait plus qui décide, qui prend vraiment les décisions. Par exemple, le directeur de Frontex s’exonère de toute responsabilité, prétend n’intervenir que sur décision des États-membres. Le résultat, c’est que les responsabilités sont diluées. C’est finalement le plus inquiétant avec Frontex : ce n’est qu’une agence et personne n’assume plus de responsabilité.

Vous gardez un peu d’espoir de parvenir à enrayer cette dynamique ?

Je ne vois pas trop comment ça pourrait évoluer dans le bon sens. Le fantasme migratoire - sur le mode « ils arrivent en masse » - est de plus en plus développé et Frontex est partie pour prendre une importance croissante. Honnêtement, il est peu de chances d’espérer en un avenir radieux, les débats européens sur la directive retour l’ont parfaitement illustré.



1 Et je pèse mes mots. Si tu ne l’as pas lu, je ne peux que t’inciter à le faire au plus vite.

2 Ainsi que, un peu plus tard, celle de Dunkerque.

3 En passant, comme ça, je te signale que le numéro trois est sorti.


COMMENTAIRES

 


  • Aucun mur ne sera jamais assez haut pour qu’il ne soit possible de l’enjamber et pourtant partout de par le monde « civilisé » on ne cesse d’en dresser en pure perte. Depuis l’aube de l’humanité rien ni personne n’ont jamais pu empêcher les miséreux de vouloir s’exiler. Alors pourquoi ? Parce que ici en Europe, là aux Etats-Unis ou encore là bas en Israël, pour ce que l’on appelle encore des démocraties puisque l’on y vote, les idées les plus nauséabondes on fait leur chemin et qu’avec ces idées quelques mystificateurs font leur soupe politicienne. Prenons l’exemple du méprisable Besson. Voici quelqu’un qui pour plaire à son suzerain n’a de cesse que d’aller chaque jour un peu plus loin dans l’ignoble, dans l’espoir que sa servilité soit récompensée par un quelconque titre que l’autre lui concédera. Ainsi de la même façon que le salarié est pour le capital une simple variable d’ajustement financier, l’immigré clandestin est devenu, au même titre que les problèmes de banlieue, une variable d’ajustement de la politique que l’on ressort à des moments cruciaux pour essayer d’amener les derniers électeurs à se prononcer dans le « bon » sens.

    • Oh que oui.

      Je souscris sans restriction. Entre manipulation, exécution des ordres du régime et flatterie des bas instincts, ce genre de politicard n’hésite jamais à aller plus loin dans l’abjection. Et le pire de tout, c’est que ce n’est même pas sûr « que sa servilité soit récompensée par un quelconque titre que l’autre lui concédera ».



  • Luis Rego avait bien raison - il y a décidément trop d’étrangers dans le monde -

    Voir en ligne : http://rue-affre.20minutes-blogs.fr/



  • Réfugiés et camps c’est une vieille habitude Française.
     × 1939 = 500 000 réfugiés Espagnols.
     × 250 000 personnes dans des camps de concentration et prisons:Le Bacarés,Argelès,Bram,Le Vernet etc....
     × 15 000 morts.Ils vivaient dans leurs propres excréments,sans latrines,ni égout :« La mierda ».
     × Ils crevaient de dysenteries,pneumonies,typhoïdes,tuberculoses et même de la lèpre et du palu.

    Les Italiens pareil,Cavanna le raconte dans les Ritals.
    Les Algeriens et les bidonvilles.
    Que l’on ne me dise pas que les Espagnols et les Italiens étaient mieux traité que les Algeriens parceque latins,mensonge !
    Les Espingouins et les macaronis étaient considérés comme des voleurs,des moins que rien.

    • Y a pas, nous autres Français, on a toujours été bons pour se comporter comme de pathétiques vermisseaux dès qu’un politique quelconque s’est avisé d’agiter le pseudo-danger migratoire. Pour aller dans ton sens, j’ai vu une fois une photo d’une manif des années 30, où des milliers de personnes défilaient derrière une banderole « les espagnols et les portugais, dehors ! » Rien de neuf sous le soleil…



  • « Né au Maroc d’une mère d’origine libanaise... », apprenons-nous en consultant l’article que Wikipédia consacre à Éric Besson.
    Que cet homme incarne à la fois la figure du traître et celle du pourfendeur le plus acharné de la migration des êtres humains, que cet homme puisse traiter administrativement en ennemis ses frères de « mare nostrum » et au-delà, me plonge dans des abîmes de sidération.
    Qu’est-ce qu’il y a à comprendre derrière cette haine de l’autre/soi ?

    Bon. Et restons raisonnable : si ce n’est pas lui qui fait ce boulot abject, ce sera un autre... Gouvernement répugnant...

    • Il est des parcours étonnant et révulsant, guidés à la fois par l’opportunisme et le souci de faire oublier celui-ci en plongeant résolument dans l’abjection. Dans les années 30, Jacques Doriot était ainsi passé, en quelques dizaine de mois, du communisme à l’antisémitisme le plus rance, de l’antifascisme au soutien absolu à l’Allemagne nazie. Et ce n’est qu’une exemple parmi d’autres… Bref, rien de neuf dans la conversion de Besson, mais ça reste toujours aussi surprenant de voir quelqu’un renier ainsi les valeurs qu’il prétendait défendre peu de temps auparavant.



  • C’est incroyable cette affaire ! ce déploiement de forces disproportionné (ces images en boucle dans les journaux tévé avec ces grosses grues qui démontent des cabanes en palettes !!) Il y aurait de la mise en scène là, un coup de com’...

    Et puis ce vocable « JUNGLE » répété à l’envie ad nauseam sur tous les média, comme pour nous rappeller que ce ne sont pas des hommes, mais des bêtes !

    Et ces déclarations-vomis du ministre à veste réversible comme quoi il n’y aurait pas eu de violence. Et que tout ce serait passé dans la dignité. Tu parles !

    « ca va donner à réfléchir aux passeur » J’ai entendu ça aussi ! Mais le passeur il s’en fout : il a déjà eu son pognon depuis longtemps et il en aura encore ! A 10 000 km de là, le candidat migrant ne sera peut être pas au courant des agissements de notre sinistre. Il ne lit pas le Figaro ...

    Enfin, ce genre « d’action » ou bien cacher ses balayures sous le tapis de la sale à manger, ça fera à peu près le même effet. Puisque la question reste entière : où vont désormais aller ces gens ?
    Il vont s’éparpiller encore plus, échappant à tous contrôles, compliquant à la fois la tâche des organisations humanitaires et assos, des habitants de Calais, et aussi celle de la police (accessoirement, mais on ne va pas les plaindre ceux là...).

    Je me rappelle un temps pas si lointain où tout ce flux était centralisé et organisé (pas le pied non plus, mais...) dans un immense hangar qui a été démoli depuis.

    Merci qui ?

    • « Enfin, ce genre »d’action« ou bien cacher ses balayures sous le tapis de la sale à manger, ça fera à peu près le même effet. »

      C’est exactement ça. Cachez ces clandestins que je ne saurais voir, ils seront tellement mieux éparpillés et isolés… C’est aussi débile que cynique.

      « Merci qui ? »

      Euh… j’ai bien une petite idée. Mais il faudrait organiser une cérémonie spéciale, pour n’oublier aucun des récipiendaires.



  • Nous nous retrouvons une fois de plus sur le même sujet (ça faisait un moment quand même, je commençais à m’inquiéter...), dans des registres différents, évidemment...

    Mais on ne sera jamais trop nombreux...

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • Responsabilité internationale de l’occident dans son ensemble, déni des lois internationales pourtant initiées par ceux la même qui les violent grace à une puissance que personne encore ne peut contrer .
      Un exemple : Arraisoner un bateau dans les eaux internationales est un acte de piraterie dans les dites lois .

      1er acte : La marine française chope un bateau avec un sous pavillon (éviter le russe ou le chinois) d’après des renseignements opportunément fournis par la DEA, direct télé toussa toussa ...

      Pis y « aurait » de la drogue ( cannot venant de... Colombie, fief U.S..) .

      Qui au PMU y trouverai à redire hein ?

      Il n’y en avait pas, mais c’est pas grave, ce communiqué là passera inaperçu...

      2e acte : La marine espagnole arraisonne un bateau Nord-coréen, il y aurait des armes interdites à bord pour l’Iran ...

      Qui au PMU y trouverai à redire hein ?

      Là encore le chargement est parfaitement légal (Yemen), ce communiqué là aussi passera inaperçu...

      Aujourd’hui on course le bois d’ébéne au quotidien ...

      Lien

      Cliquer sur « Droit international : schéma des zones maritimes »

      Lire « haute mer » et apprécier le « en principe ... » qui n’éxistait pas jusqu’a la fin du....pas si loin que ça sciècle dernier...

      • @ Guy : comme dirait ce vieux Hugo (ou serait-ce Guy des Cars ?) : regarder l’horizon en ta compagnie ravit mon coeur et attise ma joie. Hop !

        @ Yelrah : je n’ai pas réussi à cliquer (pas de truc pour le PDF, incompétence informatique, toussa-toussa), mais je crois voir de quoi il s’agit. Les lois de la mer ont bien changé, autant pour la possibilité laissée aux gouvernements de les outrepasser, que pour cette incroyable latitude vis-à-vis des marins qui ne prêtent pas secours aux naufragés-réfugiés qu’ils croisent sur leur route.



  • Au fait........ grattage de front............... les blablateurs médiamerdiques aboient tous que ce sont majoritairement des afghans qui sont les « heureux locataires de la jungle ».............. re-grattage de front et même, allons-y, du crâne complet................. c’est pas en Afghanistan que nos glorieux mirlitons ont été envoyés pour « pacifier » le pays ?

    Y aurait pas des fois un peu genre, relation de cause à effet, dites-moi si je me trompe..................

    Arf, pays pourri de gangrène xénophobe :-(



  • mercredi 23 septembre 2009 à 18h24, par un-e anonyme

    Et ce grand couillon de Christian Vannest, par ailleurs homophobe de mes deux, qui vient de clamer ce soir sur C dans l’air que les afghans viennent chercher du travail et non ils ne fuient pas leur pays en guerre et patati et patata"
    conard vas !

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