ARTICLE11
 
 

jeudi 11 juin 2009

La France-des-Cavernes

posté à 09h25, par Ubifaciunt
9 commentaires

Sifflons la Marseillaise tant qu’on pourra pas chanter l’Internationale (ou Seine-Saint-Denis style…)
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Chroniques d’un éducateur de rue dans un quartier populaire de la banlieue parisienne. Aujourd’hui, l’on se souvient avec émotion du débat ayant agité toute la classe politique au lendemain des sifflets véhéments contre la Marseillaise lors de la rencontre ayant opposé en octobre 2008 la France à son ancienne colonie tunisienne. Même si, comme on va le voir, on n’avait pas tous les éléments du débat...

« La banlieue est-elle maudite ? »

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On rigole pas sur France-un-faux au matin. C’est le titre du débat avec l’inénarrable Xavier Lemoine, maire de Montfermeil1. Autant dire que l’analyse socioligico-politique des « sifflets de la Marseillaise » vole haut.

Ce soir sur le quartier, alors qu’un capuche-casquette me confie qu’il va aller voir le dernier Woody Allen pour Scarlett Johansson et Penelope Cruz et qu’on commence à peine à débattre, le Ayoub débarque.

« - Alors, Ubi, t’en penses quoi des sifflets sur la Marseillaise ?

- Oh, tu sais, moi, à partir du moment où c’est Lââm qui chante, j’crois que ça peut être que justifié…

- Wesh, vazy, t’abuses, elle a voulu faire les choses bien, elle a mis une casquette et une capuche, faut pas lui en vouloir…

- …

- Bon, sérieusement, t’en penses quoi ?

- Bah, tu sais, moi, la Marseillaise… Non, sinon, c’ qu’est con, c’est qu’ils pètent tous les plombs depuis deux jours.

- Tu sais, Ubi, j’étais au match. Sous la tribune des Tunisiens. Remarque c’était pas dur d’être sous la tribune des Toun’s vu que y avait que ça. A côté de moi, y avait dix gars de Saint-Denis. On s’est bien fendus la gueule et on n’arrêtait pas de vanner les Toun’s. On leur gueulait des ’Zizou, Zizou’ depuis le début du match jusqu’à ce qu’ils marquent. Quand on a marqué, on a hurlé ’allez les Bleus !’ pendant une demi-heure et toute la mi-temps, on a cru qu’ils allaient nous égorger comme des moutons le jour de l’Aïd. Mais on a tenu bon. et on s’est vraiment bien marrés avec les gars de Saint-Denis… Mais le pire c’était le lendemain matin…

- Comment ça ?

- T’as entendu c’ qu’il a dit Bayrou ?

- Vite fait…

- Tu sais, Ubi, je regarde tous les jours Télématin avec William Leymergie parce que ma mère elle aime bien et ça lui fait plaisir que je sois avec elle. Là, pour la première fois depuis trois semaines, Leymergie il a pas ouvert le journal sur la crise mais sur les sifflets des arabes. Et pour la première fois depuis trois semaines, ma mère elle a arrêté de cracher sur sa pauvreté mais elle s’est souvenue qu’elle était arabe. Il a capté Bayrou, c’est du bluff pour faire croire que…

- …

- Tu sais, en fait, ceux qu’ont sifflé, c’était des gosses des MJC du 93 qu’ont des places gratos pour remplir le stade contre des équipes de merde. Parce que la télé elle aime pas trop les sièges vides, alors avant le match contre les pays minables, elle file des places gratos à tout le monde. Et les mômes ils sifflent n’importe quoi. Et c’est pas la Marseillaise qu’ils sifflent, c’est Sarko. Tu sais, Ubi, chuis Français, je vote à toutes les élections même celles où je comprends rien, chuis aussi Français que toi…

- Yep yep, je sais, Ayoub, pas besoin de me le dire…

- Nan mais si, c’est important, quoi. ’Fin voilà quoi, surtout encore plus avec l’autre con de chauve qu’était dans le rugby avant : ’Refuser de faire jouer l’équipe de France contre les pays du Maghreb, ou alors seulement en province’. Franchement ça veut dire quoi ? Il nous prend pour qui ce connard ???

- Clair que c’est un fils de pute.2

- Sérieux Ubi, tu sais c’qui va se passer, s’ils arrêtent les matches juste parce qu’on siffle la Marseillaise, la prochaine fois que je vais au stade, je siffle juste pour voir ce qui va se passer et si l’autre con de Sarko il aura les couilles de faire ce qu’il a dit. Et là, on va rigoler. Je l’ai jamais fait, mais faut pas non plus qu’on se foute de ma gueule.

- (Éclat de rire intersidéral)

- Parce que tu sais ce qu’ils vont nous faire d’ici deux semaines si la crise continue ? Ils vont sortir en skrèd deux-trois pitbulls de la SPA de Gennevilliers, ils vont te les foutre à la sortie d’une école, y en a un qui va mordre, et ça va te faire trois jours de une dans les journaux. Et même qu’avec un peu de bol, quelqu’un aura vu qu’un arabe tenait le pit’ en laisse… »

« La banlieue est-elle maudite ? »

Ouais, grave, et surtout, elle t’emmerde.

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1 Pour mémoire, la première partie de ce mythique doc de la bande à Kourtrajmé vers 2005-2006 où le Xavier se signale par sa lucidité et son ouverture. Et les deux parties suivantes ne sont pas non plus à piquer des hannetons...

2 Oui, je sais, l’éducateur outrepasse sa fonction dans cette réplique éternelle.


COMMENTAIRES

 


  • hoho, ben moi elle m’emmerde pas la banlieue, elle me poigne.

    Et vos articles me sont salutaires, moi qui suis « sur la même planète mais pas du même monde » j’apprends bien mieux qu’avec n’importe quelle étude socio.......... ou un discours de Madame Amara !

    • Yep, moi aussi je suis bien captivé par vos reportages balieusards. Ca fait du bien de garder un pied sur le terrain justement.

      Et c’est hallucinant la manière dont Sarko a réussi justement à se faire haïr des banlieues jusqu’à amener une confusion entre les valeurs de la République et son style présidentiel insupportable.



  • @ isatis : Il n’y a qu’un seul monde, celui qui n’est pas décrit dans le 13 heures de JP Pernault... Plus sérieusement, Amara a trahi la cause depuis bien longtemps (pour peu qu’elle l’ait déjà servi... parce que bon, Ni Putes Ni Soumises comme satellite du P« S », je vois guère que SOS Racisme qui puisse rivaliser !)

    @ piem : Justement, je crois qu’il n’y a là aucune confusion dans les quartiers populaires. Ici, se place encore un peu plus qu’ailleurs la question de l’honneur, de l’intégrité et de la fidélité à la parole. Et ce qui ne passe pas et n’est jamais passé, c’est cette trahison du langage prononcé en public. Les habitant-e-s de la Dalle d’Argenteuil attendent autant que les ouvriers de Gandrange le retour du Messie. Sauf qu’Argenteuil, c’est aussi le Neuhoff, les 4000, le Luth, Lille Sud, les Minguettes, et j’en passe. Et que cette solidarité inconsciente entre opprimés fait très vite la différence ceux qui parlent et ceux qui sont. Et qu’on l’attend encore, le Messie. (Ce fait un bail depuis nov. 2005, quatre ans qu’il doit revenir... Wait and wait...)



  • Le foot est le cadet de mes soucis. Le 93 je connais j’y suis né il y a longtemps et on y chantait l’internationale assez souvent avec les camarades du parti. Les fins de mois c’était le 10, le peu qu’on mettait à notre disposition ( stade, patronage laïc du jeudi avec sport, station de bus , train de banlieue etc...) on passait pas notre temps à le dézinguer pourtant nous étions aussi victimes d’ostracisme envers les « démunis » Du chômage il y en avait, le lycée c’était pour les bourgeois, les jeunes allaient au taf dès 14 ans sans qu’on leur demande leur avis ni qu’on s’inquiète de leurs états d’âme. Ces vieux dont je fais partie ont participé à 68 pour que ça change, mais ils ne sifflaient pas la marseillaise parce qu’ils avaient appris à l’école qu’avant d’être l’hymne national c’était le chant de jeunes pauvres qui s’étaient mobilisés pour se battre contre la réaction ( les royautés étrangères) qui voulait liquider la république. L’histoire c’est important pour devenir un citoyen éclairé , nous qui étions des citoyens de seconde zone, nous nous sommes servis de l’école pour nous sortir de la mouise. Pourtant les profs n’étaient ni meilleurs , ni pire qu’aujourd’hui, pourtant les parents étaient absents parce qu’au boulot, ou chômeurs déprimés. Nos perspectives d’avenir n’étaient pas plus réjouissantes que celles d’aujourd’hui malgré les trente glorieuses dont on nous rebat les oreilles. Ce sont les bourges qui en ont profité. Mais nous nous sommes pris en main nous mêmes. Nous n’avons pas attendu les travailleurs sociaux , qu’on pleure sur nôtre sort, qu’on nous donne toutes les bonnes raisons d’attendre en soutenant les murs de nos baraquements que la manne tombe du ciel en accusant le monde entier de racisme ou de je ne sais quoi.Vous éducateurs de rue , apprenez leur la conscience citoyenne et politique c’est ce qui leur donnera le plus de chance de devenir acteurs positifs de leur vie. Les représentant politiques de notre époque n’étaient pas plus glorieux que ceux d’aujourd’hui, ce ne sont pas les individus qui comptent ce sont les idées, apprenez à vos jeunes la décroissance , l’écologie , le respect des valeurs de la laïcité de la démocratie, aiguisez leur esprit critique vis à vis des médias , des modes de la surconsommation, liberez les de l’emprise des croyances, mais ne les plaignez pas , ne les excusez pas, ne perpétuez pas cet éternel angélisme qui les entrîne dans une attitude primaire de refus de se prendre en charge. Avant de me traiter de vieux con réac et raciste sachez que je vote encore aujourd’hui à l’extrême gauche. Bien cordialement

    • vendredi 12 juin 2009 à 12h01, par Max Galop

      le post ci-dessus reste par endroits très marqué par le charabia tricolore du PC. Ainsi par exemple là où il dit : « Ces vieux dont je fais partie ont participé à 68 pour que ça change, mais ils ne sifflaient pas la marseillaise parce qu’ils avaient appris à l’école qu’avant d’être l’hymne national c’était le chant de jeunes pauvres qui s’étaient mobilisés pour se battre contre la réaction ». En réalité, à la date de 1968, il y a longtemps que l’obscène Marseillaise était devenue le chant de ralliement de la réaction, et elle était clairement perçue comme telle.

      • samedi 13 juin 2009 à 10h45, par un-e anonyme

        Désolé je ne participe pas au charabia tricolore du PC, la marseillaise est le chant de ceux qui se sont mobilisés pour la république c’est juste simplement un fait historique. Que des connards de réacs contre lesquels je me suis toujours battu l’utilisent à leur profit c’est la réalité d’aujourd’hui, et il s’agit bien d’un horrible chant guerrier en totale contradiction avec mes sentiments pacifistes et humanistes. Je suis avant tout européen et citoyen du monde, les hymnes me sont indifférents au même titre que tous les symboles de l’aliénation de l’esprit ( religions, dogmes, etc...) . Que les amateurs de jeux du cirque sifflent la marseillaise me désole, ils l’auraient sifflée dans une manif contre le gouvernement actuel j’y aurais vu un symbole politique.
        J’aimerais seulement que tous ces gens, tous ces jeunes gens mettent le même enthousiasme à s’intéresser à la vie publique, à la vie politique pour que les choses changent. Je le repète ils ne sont guère plus démunis que nous à l’époque pour faire ce choix .

        • samedi 13 juin 2009 à 11h25, par M. Galop

          ... la méthode Coué, n’y changera rien : il y a longtemps que la marseillaise n’est plus « le chant de ceux qui se sont mobilisés pour la république ».



  • @ 11 h 00 : Nous sommes bien d’accord qu’il y a eu un abandon complet par le Parti, les patronages laïcs et les chrétiens de gauche (type JOC) des quartiers populaires depuis la fin des 60’s. Du coup, ce qui faisait encore lien social a complétement disparu. Rien que l’inscription d’un gosse dans un club de sport doit de faire maintenant à l’autre bout de la ville et plus au pied de l’immeuble. De quoi motiver du monde.... Et si les jeunes allaient au taf dès 14 ans, c’est qu’il y avait encore des usines pour embaucher (je vais pas te faire un dessin de la situation économique actuelle)...

    T’as partcipé à 68 pour que ça change, ces jeunes (ou certains d’entre eux) ont participé à novembre 2005 pour la même raison. Et quid de la réaction du Parti et de l’extrême gauche (y compris CNT et FA) ?

    Non, nous n’avons, en tant qu’éducateurs, strictement rien à leur apprendre. Proposer, oui. La différence est fondamentale. Je ne suis pas un prosélyte, quant à l’esprit critique, rassure-toi, ils l’ont très bien sans nous. Et si j’avais fait preuve d’angélisme ou de rudesse, je doute que je pourrais encore bosser sereinement là où je suis.

    Certains jeunes, comme toi à ton époque, s’en sortent très bien sans éducateurs et c’est tant mieux !

    On essaie juste de bosser avec ceux qui sont le plus en rupture par rapport aux systèmes traditionnels, et s’ils ne veulent pas nous voir ou n’acceptent pas notre présence, ne t’inquiète pas qu’ils se démerdent très bien pour nous le faire savoir. Et nous n’avons rien à en dire.

    Quant à la Marseillaise, il arrive à certains de la chanter aussi : crois bien que les idéaux de la Républqiue sont encore vivaces.

    Que les amateurs de jeux du cirque sifflent la marseillaise me désole, ils l’auraient sifflée dans une manif contre le gouvernement actuel j’y aurais vu un symbole politique.

    Pour finir, je doute que le stade soit en retrait de la vie publique, il n’y a plus guère que là que la Marseillaise soit jouée (ok, y a bien le 11 novembre aussi) et le Canard relate religieusement les apparitions du Nabot-à-talonnettes au stade et les expédients qu’il utilise pour que ni elle ni lui, ne soit sifflée. Et si c’est pas politique...

    @ Max Galop : Toutafé d’accord. Le choix de la Marseillaise ou de l’Internationale dans le répertoire des luttes est absolument passionant. A ce sujet, le « Cent ans de chanson française » de Calvet et Brunschvig est vraiment éclairant :

    « Jusqu’en 1870, tous les courants d’opposition s’approprièrent la Marseillaise. Mais à mesure que le prolétariat accédait à l’autonomie de pensée, d’action et d’organisation, il tendait à rejeter les symboles qui n’exprimaient pas sa situation et ses espoirs. (...) Marseillaise et Internationale ? En fait, la question ne se pose guère sur le terrain : lors des grèves, des manifestations ouvrières ou d’opposition à celles-ci, on ne marie pas, on choisit. Ainsi, près de deux siècles après sa création, chanter ou ne pas chanter la Marseillaise reste un acte chargé de sens politique. »

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