ARTICLE11
 
 

samedi 20 juin 2009

Le Cri du Gonze

posté à 11h50, par Lémi
12 commentaires

« Sister Ray » et le Velvet : ce jour béni où tes oreilles commencèrent à saigner
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Ça commence comme ça, généralement, l’addiction aux musiques déviantes : tu écoutes un morceau qui a tout pour rebuter tes oreilles, un attentat aux bonnes mœurs musicales, et tu te retrouves scotché d’admiration, à réécouter en boucle ce papier de verre mélodique en geignant de plaisir. Bien sûr, ça ne marche qu’avec des purs morceaux de génie. « Sister Ray », du Velvet, est de ceux-là.

C’est une chanson qui se passe très bien d’images. Pourquoi chercher à illustrer visuellement ce qui frappe aux oreilles avec une telle puissance ? Il faudrait être alchimiste et magicien pour réussir à retranscrire la puissance de « Sister Ray » en images1. Il faudrait être Lou Reed ou son équivalent. C’est plutôt rare. Du coup, je comptais te mettre seulement la piste audio comme illustration à ce billet. J’ai dû abandonner, cet empaffé d’interface Spip estimant que 17,27 minutes n’est pas un temps approprié pour une chanson. Adoncques me suis rabattu sur la version vidéo et live ci-dessous, incomplète (Youtube itou estime que 17,27 minutes, c’est un peu too much) et tronquée (la deuxième partie est ici). Bof. En même temps, si tu n’as pas sous la main le CD des Velvet contenant la pépite, « White Light Withe heat », je ne peux rien pour toi.

Donc, « Sister Ray ». Il est de notoriété publique que c’est à la suite de l’écoute de ce chef d’œuvre que Lester Bangs2 aurait décidé, excité comme un pangolin sous amphét, de se lancer dans le dur apostolat de rock-critic, détruisant par la même occasion l’armoire de son appartement (il y a certaines rencontres musicales trop dévastatrices pour ne pas les extérioriser). Il est de notoriété privée que dans des cercles proches du plumitif torchant ces quelques paragraphes, il y a des tarés qui peuvent s’infliger quotidiennement une dizaine d’écoute des 17,27 mn de « Sister Ray » et en tirer un plaisir toujours renouvelé (pervers ? pervers). Perso, on est jamais allé jusque là, dilettante que l’on est en matière de distorsion bruitiste et de « noise » ramone-oreilles. On ne l’a jamais écoutée plus de trois ou quatre fois par jour, à doses homéopathiques3. Pas une raison pour ne pas crier au chef d’œuvre définitif. Il y a eu « Sister Ray », son orgue gras et débordant (John Cale aux manettes), ses guitares lancinantes, ses paroles terrifiantes de junkie parano (« Et maintenant, qui donc toque / Qui donc toque à la porte de ma chambre / Ce pourrait être la police / Ils veulent m’amener faire une ballade / Mais je n’ai pas le temps4 »), ses montées dézinguées, et puis … il y a eu des suiveurs par douzaines se trimbalant une dette gigantesque envers la bande à Lou Reed & John Cale. On mentionnera en passant l’annonce passée par les très bons Buzzcocks, punk anglais de la première heure, à l’heure de former leur groupe : « Recherche musiciens pour reprendre « Sister Ray » du Velvet Underground. » Paf. Au commencement était « Sister Ray ».

Le contexte ? 68, le rock sommeille un peu. MC5 et les Stooges fourbissent leurs armes (pour les premiers la claque Kick Out the Jams qui sortira en 69, pour les seconds, l’uppercut The Stooges qui sortira la même année) et s’apprêtent à jaillir sur le rock mou comme Rommel sur l’Afrique. Il y a bien eu le premier album du Velvet, en 1967, The Velvet Underground & Nico, mais il est passé un peu inaperçu auprès du grand public (à sa sortie en tout cas), connaisseurs only (comme le dira Brian Eno : «  Il n’y a peut être que 1 000 personnes qui ont acheté le premier album du Velvet Underground, mais chacune d’entre elles a ensuite fondé un groupe. »). Et puis, ce premier album, « The Velvet underground and Nico », très wahrolien (le vampire emperruqué imposa la chanteuse Nico, ex-mannequin teutonique, ainsi qu’une pochette à banane passée à la postérité), ne reflétait pas vraiment l’atmosphère électrique et malsaine des concerts du Velvet. Trop pop, trop travaillé. Lou Reed et John Cale, beaucoup trop egotiques pour accepter longtemps la tutelle de Warhol finissent par s’en détacher. Et sortent White Light / White Heat, décalcomanie musicale de l’essence du Velvet. Du bruit du bruit du bruit, avec des accents pop par moments. Lancinant, répétitif, tout sauf sexy, ultra-sexy donc. Un condensé de rock grillé à blanc, éclairé du néon dont on fait les salles opératoires et shooté aux tranquilisants. Et pour couronner le tout, la dernière piste : “SISTER RAY” (à noter, c’est ainsi que Lou Reed nommait ses seringues à l’époque…), hymne absolu au débordement musical. Un bordel fantastique, répétitif et envoûtant, usant jusqu’à la lie l’imaginaire obsessionnel de Lou Reed, à savoir la drogue, l’homosexualité, la violence. Avec toujours, cette chute, « Just Like sister ray says… »

Dans la grande kyrielle des envoûtés qui se sentirent obligés de reprendre la chanson, on va se contenter de citer quelques noms. D’abord Joy Division, un groupe qui ne pouvait décemment faire comme si « Sister Ray » n’avait pas existé. Est-ce que le pape fait comme si Dieu n’existait pas ? Ici (ci-dessous), Ian Curtis & co reprennent la chanson lors d’un concert en 1980. Pas de trahison notable, mais rien de vraiment génial là-dedans, en comparaison de la déflagration originelle.

Joy D.

Il y eut Suicide, aussi. Comme, je sais pas trop pourquoi, leur version est interdite de transposition sur ces pages, je me contente de balancer le lien, c’est ici. Alan Vega & Martin Rev, les deux tarés lumineux composant le groupe, s’en sortent avec les honneurs. En même temps, le contraire aurait été étonnant, personne n’ayant jamais sonné plus « Sister Ray » que Suicide (oui, c’est un peu débile comme appréciation. Tant pis, je laisse, ça me permettra de voir si y’en a qui suivent jusqu’au bout).

Et puis, parce que l’influence de la pépite du Velvet ne se manifesta pas que par des reprises, profitons-en pour balancer le magnifique « Roadrunner » de Johnathan Richman & the Modern Lovers (1976). Plus court et élancé, on y retrouve quand même pas mal de la chanson, notamment l’orgue à la John Cale, le chant psychopathe et l’aspect répétitif et lancinant de l’ensemble. Et puis - l’avouerais-je ? -, j’ai un faible pour Johnatan Richman, et l’occasion ne se représentera peut-être pas de sitôt de le proclamer en ces lieux…

« Roadrunner »


1 A titre d’exemple, tu peux voir ici le résultat d’une tentative que l’on qualifiera sobrement de ratée, voire d’agressivement laide…

2 On a beaucoup parlé de Lester Bangs dans ces pages, trop peut-être, on en a bien conscience. Mais on y peut rien, il s’invite toujours dans cette chronique musicale, par la bande, l’horrible.

3 En même temps, ça suffit généralement pour te brouiller définitivement avec tes voisins.

4 « Now, who’s that knocking / Who’s that knocking on my chamber door / Now could it be the police / They’ve come to take me for a ride ride / Oh, but I haven’t got the time »


COMMENTAIRES

 


  • J’avais bien posté un bête de commentaire mais Article XI a considéré que 12000 signes, c’était un peu trop.

    Blourg.

    Dont acte.

    • « Blourg » : tout pareil.
      pour le reste, je te l’accorde, Proust n’aurait pas fait bon ménage avec A.11. Dès qu’on veut un peu pousser les choses, on est techniquement limité. Frustrant. Mes 325 pages (corps 8) sur la situation en Iran et les marins pêcheurs du Lot & Garonne resteront donc cantonnées aux entrailles de mon ordi...



  • Duck et Sally à l’interieur

    Ils préparent les shoots pour le club des cinq

    Qui regardent fixement Miss Rayon

    Qui est très occupée à lécher sa porcherie

    Je cherche ma veine

    Je disais faudrait pas que je me loupe

    Je disais faudrait pas que je me loupe

    Ouaouh, juste comme Sister Ray disait

    Envoie la purée

    Rosie et Miss Rayon

    Elles sont occupées à attendre son dealer

    Qui vient juste de rentrer de Caroline

    Elle a dit qu’elle n’aimait pas le temps qu’il faisait

    Elles sont occupées à attendre son marin

    Qui est en train de boire vêtu en rose et cuir

    Il arrive tout juste d’Alabama

    Il veut trouver un moyen de se faire quelques dollars

    Je cherche ma veine

    Je disais faudrait pas que je me loupe

    faudrait pas que je me loupe

    Ouaouh, juste comme Sister Ray disait

    Joue avec

    Cecil vient d’avoir son nouveau flingue

    Il arme et tire trois quatre fois

    Il le braque sur le marin

    L’abat raide mort sur le sol

    Ouaouh, tu devrais pas faire ça

    Tu te rends compte que tu vas tacher la moquette

    Hé tu te rends compte que tu vas tacher la moquette

    Et au fait t’as pas un dollar

    Oh non mec, j’ai vraiment pas le temps-temps

    Trop occupée à sucer une quéquette

    Trop occupée à sucer une quéquette

    Ouaouh, elle fait juste comme dit Soeur Ray

    Je cherche ma veine

    Je disais faudrait pas q-q-q-que je me loupe

    Pas q-q-q-que je me loupe

    Oh, vas-y, vas-y,juste juste, juste comme Sister Ray disait...

    Mais qui est-ce qui frappe !

    Qui frappe à la porte de mon logement

    Serait-ce la police ?

    Ils arrivent et m’emmènent faire un tour-tour

    Oh mais j’ai pas le temps-temps

    Hey-hey-hey elle est occupée à sucer ma quéquette

    Elle est occupée à sucer ma quéquette

    Ouaouh, alors vas-y juste comme dit Sister Ray

    Je cherche ma veine

    Faudrait pas que je me loupe

    Faudrait pas que je me loupe

    Juste comme oh juste comme ouaouh , juste comme Sister Ray disait

    Envoie la purée Jim !

    traduction : Sophie Couronne et Larry Debay

    Sister Ray était le nom donné par Lou Reed à sa seringue



  • J’avais oublié (quel con !) alors un grand merci à toi pour me rappeler cet indispensable.



  • BiBi a été bercé par le Velvet... Pas que des riffs lancinants, aussi des chansons légères au goût de soufre ( une des préférées de BiBi : « Pâle Blue Eyes »). Dans le fond de la Province, on se jetait sur tout e qui trainait sur NYC. On avait R et Folk et Best. Et parfois des perles : sur la deuxième chaine, Pop2, une émission du regretté Freddy Hauser. Lou Reed, Nico et John Cale ( si les souvenirs sont bons) en acoustique au Bataclan en 72. Un take A Walk on the wild side magique. BiBi élevé aux voix trainantes, Lou Reed, Leonard Cohen, Dylan. Bravo pour l’article.

    Voir en ligne : http://www.pensezbibi.com

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