ARTICLE11
 
 

samedi 15 décembre 2012

Sur le terrain

posté à 13h08, par Pierre Souchon
2 commentaires

Trois billets pour Sousse

Il y a eu la belle lutte, la révolution, la fuite de Ben Ali, les médias du monde entier tournés vers la Tunisie. Et puis, l’excitation est retombée, le quotidien est revenu ; les médias sont partis, les militants sont restés. Avec leur histoire, leurs combats, leurs stigmates. À l’image de Wael et Jawaher, qui luttaient déjà bien avant la chute du régime et en ont payé le prix fort.

Cet article a été publié dans le numéro 10 de la version papier d’Article11

*

« Trois billets pour Sousse, s’il vous plaît.
- C’est 24 dinars. »
Wael s’approche du guichet de la gare de Tunis, ce 26 mai.
« Non, prends-en juste deux, Pierre. Jawaher a une carte ’’handicapée’’.
- Ah d’accord… Deux billets, excusez-moi. »

On a sauté dans le train en marche. Elle y tenait absolument, Jawaher, à m’emmener à Sousse et puis à Monastir. Wael, son mec, m’avait fait miroiter du vin blanc très frais avec des poissons tout juste pêchés à s’envoyer en bord de mer – ça m’avait enfiévré tout à fait. Le train du littoral produisait un bordel assourdissant, et dedans tout le monde fumait. J’ai apporté une contribution massive à la tabagie ferroviaire, regardé les oliviers défiler et le couple s’endormir à côté de moi. Ils militent au grand jour, maintenant, eux qui avec leurs 25 ans n’avaient connu que la clandestinité : leur organisation, le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), a été légalisée le 18 mars 2011, deux mois après la chute de Ben Ali. Sous la dictature, leur seul engagement public était syndical : membres de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET), ils bataillaient dans leur fac de lettres – aujourd’hui, la castagne continue.

Les contrôleurs se pointent, Jawaher tend sa carte plastifiée : ils lui font un salut discret.
« Je savais pas que t’étais handicapée, Jawaher...
- Mais je suis pas handicapée ! C’est la carte de blessé de la Révolution… J’ai reçu une balle dans la jambe pendant une manifestation. Tous les blessés ont droit à cette carte, elle leur donne un accès gratuit aux transports et aux soins médicaux.
- Oui, c’est gratuit pour les handicapés, résume Wael.
- Mais arrête ! Il est insupportable avec ça ! Tu sais quoi, Pierre ? J’ai longtemps réfléchi avant de faire la demande, mais j’ai fini par me décider : mes parents ont à peine de quoi me payer à manger. Alors si je peux économiser le train et la santé, parce qu’on m’a tiré dessus, je le fais ! C’est tout ! Non ?
- Si ! C’est très bien d’être handicapé, confirme Wael.
- Il est impossible ! J’en peux plus, de ses histoires ! Lui aussi, il y aurait droit s’il voulait ! Ils l’ont mis en prison deux semaines avant la chute de Ben Ali, et ils lui ont brisé la jambe à coups de barre de fer. Il a eu des fractures pas possibles, il s’est traîné pendant des mois, mais il ne veut pas faire la demande ! Rien ! Il refuse !
- Pourquoi tu veux pas, Wael ?, je demande.
- On ne milite pas pour avoir un gain ou des passe-droits. On va fumer une clope ? »

Entre deux wagons, il m’offre une Crystal. C’est une gigantesque saloperie, ces clopes brunes ou blondes, on ne sait plus, on les tousse, on les crache, et même quand je fumais l’herbe sèche du pré dans des feuilles A4 avec mes cousins, c’était vachement meilleur. Wael, lui, s’enfume aux Crystal à hauteur de quatre ou cinq paquets par jour. « C’étaient les cigarettes les moins chères en prison. Les autres, les Merit, les Mars, je te parle pas des Marlboro, elles étaient hors de prix. Et si jamais t’en avais, on te les piquait tout de suite. Alors je fumais des Crystal, sans arrêt, il n’y avait que ça à faire. Une fois relâché, j’ai essayé de fumer d’autres clopes, meilleures, mais ça n’a jamais marché : elles m’enflammaient la gorge. »

Il en allume une deuxième. « Tu vois, c’est peut-être bizarre, mais c’est ça, le pire, en prison, dans les postes de police. L’ennui. Comment… Putain ! »
La porte du train vient de s’ouvrir en grand sur les rails. Wael se marre : « Viens ! » On s’installe côte-à-côte, jambes dans le vide. Sous nos yeux, la nuit marche doucement. « Ça se passe toujours pareil. Tu es arrêté, on t’emmène au poste de police. Là, il y a des agents. Ils te torturent. Tu dis rien. Ils te torturent. Et tu ressors au bout de quelque temps - ou tu vas en prison. Là, tu fais la grève de la faim pour être libéré. Tout le temps la même chose. Alors le truc, c’est de trouver quelque chose pour tuer le temps, pour t’amuser, parce que l’ennui, c’est vraiment terrible. »
Wael a fait trois séjours de plusieurs mois en taule, pour ses activités syndicale et politique. Il a été arrêté plus d’une centaine de fois, torturé autant, de toutes les façons. « Et pourtant Ben Ali se permettait de déclarer : ‘’En Tunisie, il n’y a pas de prisonniers politiques.’’ J’ai ainsi été arrêté et inculpé pour avoir frappé un policier, provoqué une émeute, insulté un directeur d’université, empêché la circulation… Des délits bidons, de droit commun, qui permettaient ensuite aux autorités de dire que le leader syndical était un voyou.
Pourquoi on te torturait ?

Parce que j’étais responsable de l’UGET, et surtout numéro un de l’Union de la jeunesse communiste de Tunisie1. Ils voulaient tout savoir.
- Mais pourquoi tu ne disais rien ? Ça explose, la torture, non ?
- Non, ça fait pas mal. C’est quand je retournais dans ma cellule que je me rendais compte que j’étais brisé de partout, que je n’arrivais plus à bouger. Mais sur le moment, je ne ressentais rien. Parce que je savais que j’avais raison. C’est ça le plus important : être sûr d’avoir raison. Et leur dire : ‘’Toi, tu me défonces pour 200 dinars par mois. Moi, je me bats pour tes enfants. Fais-toi plaisir.’’ Sentir qu’ils n’avaient pas de prise les énervait beaucoup. À partir du moment où tu sais que tu ne parleras pas, quoi qu’ils fassent, tu te dis que ça va être très long. Il faut alors tuer l’ennui, trouver des jeux.
- Des jeux ? 
 »

À côté de nous, Jawaher fume consciencieusement. « Ça les rendait fous, de ne pas arriver à faire parler Wael. Ils ont donc essayé d’autres trucs. Un jour, alors qu’il était en prison, ils sont venus m’arrêter avec un jeune camarade qui n’avait jamais eu affaire à la police. Il était terrifié. On nous a emmenés tous les deux dans une pièce où Wael était menotté à un mur. Ils nous ont attachés, ont commencé à me tabasser sévèrement. Wael ne disait rien. Puis un flic a annoncé : ‘’Regarde-la bien, ta copine. Maintenant, on va tous la baiser.’’ Il a répondu : ‘’Allez-y, vous avez baisé tout le peuple tunisien.’’ Les flics lui ont collé une énorme torgnole, il était déjà défiguré. ‘’Ton copain, là, ton petit camarade de merde, on va le tuer.’’ Tu l’aurais vu, le petit en question : le pauvre, il pleurait comme un gosse sur sa chaise… Wael a dit : ‘’Allez-y, le Parti a besoin d’un martyr.’’ Ils nous ont foutus dehors. Wael crachait du sang… »

Et Wael d’expliquer : « C’est pour jouer. Quand je parle avec mes camarades qui ont été torturés, ils me disent qu’ils pensaient à Nabil Baraketi2, au Parti, à la cause… Moi, pas du tout. Je me demandais comment passer le temps, parce que c’était long. J’essayais donc d’inventer des nouvelles blagues. ‘’C’est qui ton supérieur ?’’, me demandait un flic qui me torturait. ’‘C’est lui’’, j’expliquais en montrant un autre flic dans la pièce. Le greffier disait aux deux autres : ‘’Je le note, ça ? – Non, ne le note pas ! C’est des conneries !’’ Je répondais : ‘’Tu peux le noter, mon camarade n’a pas peur de toi, c’est un bon militant. – Je suis obligé de le noter, sinon je peux perdre ma place… – Mais ne le note pas ! Je suis pas communiste ! – Tu es sûr ?’’ Et ils se mettaient à s’engueuler… J’étais très content d’avoir trouvé ce jeu. »

Au bout du compte, c’est devenu vraiment pénible, la prison et toutes ces histoires, parce que comme tous les flics de Sousse et de Tunis savaient qu’il n’y avait rien à en tirer, ils lui foutaient une paix royale, à Wael. Alors il s’emmerdait fortement en prison, et au poste où il retournait sans arrêt, on lui apportait tout ce qu’il voulait, une télé, des Crystal à pleins paquets, des couvertures et tout le merdier, et on l’oubliait dans ses huit mètres carrés. Il en était réduit à dire qu’il ne voulait rien manger d’autre qu’un poulet particulier avec une sauce très compliquée pour les emmerder. Il n’y en avait pas dans la prison, tout le monde s’arrachait les cheveux, avec l’autre qui voulait seulement bouffer son poulet distingué, et ils finissaient par aller le chercher, le poulet et sa sauce sophistiquée, dans la ville côtière que Wael avait désignée...

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Zoo Project in Tunis, avril 2011

Le train ralentit dans un bruit de tempête. « Aaaaah ! Sousse ! Ma ville ! » C’est en bord de Méditerranée que la mère de Wael, Hamida, nous invite à manger. Il est classe, le resto, et il faut voir l’autre ahuri qui rentre là-dedans au milieu des Européens en goguette, avec un tee-shirt jusqu’aux genoux, un jean qui n’a plus d’âge, son mètre cinquante mal rasé, entouré d’un permanent halo de fumée – sa mère lui dit de se redresser, tout de même, et lui fait une énorme bise. Elle a trois fils, elle les aime tous, mais Wael, c’est particulier, c’est son aîné, c’est son mignon péché ! «  Il a un je ne sais quoi ! Pierre, tu ne trouves pas ? C’est son sourire ! Ah ! À chaque fois qu’il était détenu au commissariat, j’allais faire des scandales ! Jusqu’à le voir ! Il fallait que je le voie ! Je les menaçais ! Et je le voyais ! Alors, il me faisait le sourire, le beau sourire de Wael, tu sais ? Je partais rassurée. Il avait toujours l’air content. Mais s’il faisait la grève de la faim, je ne pouvais pas manger, j’avais l’appétit complètement coupé ! Je cessais de m’alimenter ! Moi aussi ! Je ne pouvais pas manger pendant que lui se battait ! »

Ancienne cadre du PCOT, Hamida a abandonné son engagement politique pour se consacrer à la Ligue tunisienne des droits de l’homme. « Qu’est-ce que tu veux, c’est une bourgeoise, m’explique Wael. Elle est médecin…
Arrête, Wael ! Tout est lié, les droits humains, les droits économiques, sociaux…, elle rétorque.
- Les gens n’ont pas de quoi manger. On s’en fout, de la torture et des droits machins. C’est un truc de bourgeois.
- En attendant, il faut que tu demandes ton amnistie, tu y as droit. Parce que s’il y a un retour en arrière, on te remettra en prison en disant que tu avais des procès sur le dos, que tu étais un voyou…
- Tout le monde sait que c’était politique. Je ne vais pas demander réparation, c’était normal. S’ils veulent me remettre au trou, ils le feront. »

Hamida a l’air dépassée. Pourtant c’est elle qui l’a ainsi fait, son aîné. Qui le trimballait dans toutes les manifs, qui l’emmenait bébé dans les réunions clandestines… « C’est rare, m’éclaire Jawaher. À cause des persécutions, les militants du PCOT ont vécu des existences difficiles. Forcément, l’énorme majorité a éduqué ses enfants à la bourgeoise, dans des lycées privés, avant de les envoyer étudier à l’étranger, pour qu’ils échappent à l’enfer qu’ils avaient connu. Ce qu’a fait Hamida avec ses fils est presque unique. » Le frère cadet de Wael, Nabil, s’installe à la table. Réceptionniste dans un hôtel de Monastir avec son bac + 3, il est payé 200 euros mensuels pour six jours de boulot par semaine. Il sort juste du travail, enlace sa mère. C’est un miracle, il m’assure, une mère tunisienne comme ça. Qui accepte sa copine alors qu’ils ne sont pas mariés, qui est éclairée, libérale – divorcée, elle a élevé ses enfants seule. « Oui, mais je ne vais rien vous laisser. Je ne sais pas ce que j’ai fait de mon argent…
- Qu’est-ce tu racontes ? C’est toi, le trésor, dit Wael.
- Et puis, ton argent, Naïma sait ce que tu en fais, rigole Nabil.
- Ah oui... Ce matin il manquait encore dix dinars dans mon sac.
- C’est qui, Naïma ?, j’interroge.
- La bonne, m’explique Hamida. Elle nous vole.
- Ah bon ?
- Oui, elle vole tout ce qu’elle peut, dit Nabil. Hier, je faisais la sieste, et elle était en train de me faire les poches. Ça m’a réveillé, alors elle a sorti mon téléphone de mon jean en me disant : ‘’Tu as un appel !’’
- Je ne voulais plus qu’elle me vole, alors je dormais avec mon portefeuille sous mon oreiller, raconte Hamida. Mais elle me soulevait la tête doucement, et elle prenait l’argent sans me réveiller. Maintenant, je dors avec mon portefeuille sous mon dos : elle n’y arrive plus.
- Tu dors avec le portefeuille sous ton dos pour que la bonne ne te vole pas ?
- Oui !
- Ça fait longtemps qu’elle travaille pour vous ?
- Dix-sept ans. Elle fait partie de la famille.
- Et elle vous vole souvent ?
- Ah oui, tout le temps, dit Nabil. Elle m’a volé seize téléphones portables.
- Tu rigoles ?
- Non, je te jure ! Quand elle arrive le matin, il ne faut pas la déranger pendant une heure, sinon elle t’attaque. Elle est dans la cuisine, elle boit son café, elle fume huit ou dix cigarettes, et elle écoute de la musique traditionnelle dans son walkman. L’heure suivante, elle commence le ménage.
- Mais elle le fait bien ?
- Surtout la surface, explique Hamida. Les lits, elle fait bien les lits. Pas trop le reste.
- Tu la payes bien ?
- Plus du double du salaire habituel d’une bonne. C’est un principe. »

Je m’étonne : « Tu la payes vachement bien, elle fait presque pas le ménage, elle vous pique plein de fric, et tu la vires pas ?
- Y a que Wael qu’elle vole pas. Parce que lui, il lui dit. Il lui demande de lui rendre son argent ou son téléphone. Mais nous, on n’ose pas.
- Elle n’aime pas les animaux, non plus, raconte Nabil. On a eu trois chiens, elle les a tous chassés.
- Comment ça ?
- Elle les met dehors et on les revoit plus. Et quand on lui demandait : ’‘Mais il est où, Paffy ? – Ah, il a dû sortir, j’avais laissé la porte ouverte.’’
- Elle a même volé les poissons de l’aquarium, pour les revendre. Mais elle nous a dit que le chat les avait bouffés. D’ailleurs, le chat, elle l’a chassé aussi, après. »
Je n’arrive plus à m’arrêter de rigoler. «  Mais elle est très gentille, dit Hamida. Quand Wael était en prison, elle pleurait avec moi.  » C’en est trop je m’accroche à la table : «  Ah, c’est sûr Naïma elle est sympa ! Elle pleure avec toi parce que Wael est en cabane !  » Mais c’est Nabil qui m’achève : le fils de Naïma était au chômage, alors il lui a trouvé du boulot ! Il l’a recommandé à ses patrons ! Le fils est devenu videur dans son hôtel ! Mieux payé que Nabil !

Dans la société tunisienne, une bonne est traitée comme de la merde, assure Hamida. Elle n’a pas le droit de fumer, de parler, de faire quoi que ce soit. Elle doit juste obéir, et si quelque chose disparaît dans la maison, elle en est forcément responsable. Hamida refuse de se comporter comme ça. D’ailleurs, elle a beaucoup de respect pour Naïma : cette fille de la campagne a été mariée très jeune à un type de son village qui l’a rapidement trompée. Elle a divorcé avec son gamin à charge, s’est tirée avec son courage, sous les regards réprobateurs de tout le monde. Pour nourrir le petit, interdit suprême, Naïma s’est prostituée pendant des années – puis s’en est sortie par le ménage, grâce à Hamida qui l’a embauchée. « C’est une combattante.  » Wael, lui, s’en fout complètement : « On aurait dû la virer depuis longtemps, mais enfin, c’est les histoires de maman... »
Seule Naïma a les clés de l’appartement familial. Eux n’en ont pas, ils ne ferment jamais la porte, ouverte à tous les vents. C’est pourtant la seule baraque du voisinage qui n’a pas été cambriolée. C’est qu’Hamida va où tous les autres médecins ne se risquent pas – dans les quartiers de bandits, de clochards, de voyous, soigner les gens pour rien du tout. Du coup, sa maison est un sanctuaire.

À deux heures du matin, on a poussé la porte, au cinquième étage. Avec Wael, on s’est installés sur la fenêtre de sa piaule pour fumer une dernière clope. On regardait les lumières du port. «  Je passe mon temps à jouer aux jeux en réseau… Je crois que je fais une dépression. C’est dur, de sortir de clandestinité… De voir ces nouveaux mecs arriver… ‘’Vous êtes super cool, au PCOT ! C’est quand, la prochaine réunion ? Je peux venir avec mon chien ?’’ Aujourd’hui, c’est sympa, de militer… Tout le monde milite…  » Il se souvient de ces dames qui l’appelaient quand il était persécuté. Josiane, Catherine, Juliette… Elles travaillaient dans des associations qui lui proposaient de venir en France, de lui financer des études, un logement, de lui obtenir l’asile politique. « Elles étaient très gentilles...
- Mais tu leur disais quoi ?
- Je veux pas quitter ma Tunisie.  »



1 UJCT, organisation de jeunesse du Parti communiste, interdite sous Ben Ali.

2 Militant communiste mort sous la torture le 8 mai 1987.


COMMENTAIRES

 


  • lundi 17 décembre 2012 à 07h03, par ZeroS

    J’aime beaucoup les reportages de Pierre Souchon. Bien écrits et toujours vivants. Merci !



  • samedi 22 décembre 2012 à 13h59, par le journal de personne

    Moncef Marzouki
    Quelqu’un en face de Personne...

    http://www.lejournaldepersonne.com/2012/12/moncef-marzouki/

    Café de la Mare
    Non, ce n’est pas le nom d’un café
    Mais le nom d’une composition musicale
    Café de la Mare, parce que le café se situait près de la mer
    À la Marsa, pas loin de Carthage...
    L’endroit idéal pour lire dans le marc du café.
    C’est là que j’ai interviewé Marzouki.

    Avec l’odeur de la mer, pour recueillir la confession d’un président intérimaire
    Élu au suffrage universel grâce à un calcul très particulier
    Il me disait qu’il était difficile de mener sa barque à bon port
    Quand on place la barre trop haut,
    Vous vous retrouvez avec tout sur le dos
    Le théologique est une chose, l’éthique, une autre.
    Mais, pour moi, la politique est première
    Mais j’ai du mal à le faire admettre aux deux forces qui se partagent ce pays
    Les islamistes d’un côté et les opportunistes de l’autre.
    (les Khobzistes, comme on dit)
    C’est une lutte sans classe... une lutte de rapaces...
    Les aigles de Carthage veulent en découdre avec le pouvoir et ses rouages...
    Les premiers parce qu’ils aspirent soit disant à une toute autre fin pour l’homme
    Et les seconds parce qu’ils réclament soit disant du pain pour tous les citoyens.
    Le problème : c’est qu’il y a des menteurs dans les deux camps... ce sont les mêmes
    Le Coran dit : Mounafikines... ceux qui prétendent savoir ce qu’il y a dans votre cœur alors qu’ils ignorent ce qu’il y a dans le leur.

    Comment expliquer aux petites gens que la Révolution n’est pas une solution dans la mesure où elle ne peut apporter de solution. Jamais.
    Je dirais même que la Révolution ne peut être que la restauration des problèmes :
    Elle ouvre une nouvelle ère : celle des galères
    Ce n’est pas de la comédie, c’est comme dirait l’autre : la naissance de la tragédie.
    C’est à dire, celle du conflit entre le bien et le bien !
    Mon peuple n’est pas mûr, je le sais, pour digérer des fruits qui ne le seront jamais :
    La croissance, le plein emploi, la prospérité resteront des entités abstraites tant qu’on n’a pas compris que la réalité est un travail permanent... d’ajustement ou de réajustement entre politique et économie. Entre sens et finance.
    Les jeunes notamment ne regardent pas les forces dont ils disposent mais seulement les buts qu’ils visent... des buts, je veux bien, encore faut-il les marquer.
    Remarquez, je n’ai rien contre l’utopie... mais il y a un moment où l’inconséquence tue.
    La politique, c’est ma vie... mais c’est aussi ma mort... Je le sais.
    C’est... c’est une ligne de crête entre deux abîmes :
    Le Coran d’un côté et le courant de l’autre... sans jeu de mots.
    Le courant qui fait courir et qui est loin d’être un fleuve tranquille... c’est l’air du temps, celui que le tunisien moyen découvre entre autres, à la télévision et qui lui imprime dans le subconscient toutes les valeurs de l’occident... mais les contre-valeurs aussi.
    Les marques et les sous-marques. Mais ce sont hélas les sous-marques qui restent gravées dans sa mémoire collective.
    Les déchets... les sous-cultures qui se substituent à son inculture...
    Pas d’issue. Plus d’issue. Le mur est grand et on ne peut faire autrement que de foncer dedans.
    Pendant ce temps, comme hier à Sidi Bouzid, on agite sous mes yeux, le drapeau noir de l’islamisme radical... comme seule sortie possible de crise. Pour les très bas comme pour le très haut.
    La charia je veux bien... un état théocratique... allech lé, pourquoi pas ? Seulement voilà ...
    Je sais que ces gens-là, n’y croient pas un seul instant.
    C’est le pouvoir pour chacun qu’ils veulent, et non le devoir pour tous comme ils le prétendent.
    Et pas pour servir Dieu, mais le pouvoir pour le pouvoir...

    Le tunisien est futé plutôt que borné.... même lorsqu’il vous donne l’impression de ne pas savoir où il en est...il sait où il veut aller, là où son ventre l’emmène.
    C’est toujours très calculé... c’est la raison pour laquelle je n’ai pas l’air d’avoir la Foi parce que je mène quotidiennement un combat contre la mauvaise Foi...

    Quel drôle de pays... où l’on sait plus que nulle part ailleurs : qu’il faut d’abord enculer son voisin avant de lui serrer la main...
    En Tunisie, on n’est pas dupes... les droits de l’homme, la liberté, l’égalité, la solidarité...
    On sait, je ne sais comment on le sait mais on le sait : que ce sont de vulgaires marchandises... de la vaseline qui a moins de valeur qu’une berline.

    Et il a été interrompu par un coup de fil...
    Il m’a promis de revenir sur le sujet !

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