ARTICLE11
 
 

jeudi 2 juillet 2009

Le Cri du Gonze

posté à 15h25, par Lémi
8 commentaires

« Ya Basta ! » Retour sur la révolte des Indiens de l’Amazonie péruvienne
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Il y a un mois, au fin fond de l’Amazonie péruvienne, des communautés indiennes se révoltaient contre l’exploitation de leurs terres par des entreprises privées et contre la politique du gouvernement d’Alan Garcia sur la question. Après de violents affrontements, le gouvernement a - un peu - reculé. Tout sauf anodin dans un continent en pleine mutation.

Enfer et damnation ! Il y a des articles que l’on commence et puis qu’on laisse traîner dans les entrailles d’un disque dur déjà surchargé. Et puis, un jour, on tombe dessus et on se dit que c’est dommage mais trop tard. Pour celui-ci, la date de péremption ne me semblait pas dépassée et je me suis contenté de le réactualiser un peu ; je vous laisse seuls juges de la pertinence de la manoeuvre…

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Barricades à Yurimaguas, Amazonie péruvienne, juin 2009

Il y a un mois environ, des échos de lutte sanglante nous provenaient du fin fond de l’Amazonie, du Pérou plus précisément. Par bribes. A lire les rares infos disponibles, on avait du mal à se figurer ce qui s’y passait exactement. Quelques tribus indiennes s’étaient révoltées contre l’avancée toujours plus marquée d’entreprises privées (parrainées par le gouvernement), souvent étrangères, dans leurs territoires ancestraux1. Après un massacre aux contours plutôt flous (voir cet article de rue 89 & cet autre du même Rue 89 revenant en images sur l’affrontement), les policiers matraquant avec une ardeur sanglante (on parle de 60 morts chez les indiens, beaucoup moins selon le gouvernement) et les indiens répliquant sans faire dans la dentelle (24 policiers tués dont certains alors qu’ils étaient retenus prisonniers), le gouvernement très réactionnaire d’Alan Garcia2 serait quelque peu revenu sur les concessions accordées aux entreprises étrangères. Voire, champagne !, aurait fait marche arrière sur la question, acceptant d’abroger les deux décrets les plus polémiques et éco-destructeurs.

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Manifestation d’Indiens à Yurimaguas

En temps normal, on n’entend pas vraiment parler de ce genre de mouvements : que voulez-vous, les indiens d’Amazonie n’ont pas le charisme des combattants du Chiapas (aucune cagoule à se mettre sous la dent), et surtout, assez peu de moyens pour faire entendre leurs voix. Cette fois-ci, les événements ont basculé dans la violence, il y a eu des morts et des combats médiatico-croustillants (notamment la mise à mort rituelle de policiers capturés) et ça a généré quelques éclairages de l’actualité. Mais personne n’a semble-t-il cherché à faire entrer dans une perspective élargie la rébellion de ces tribus indiennes du nord-est péruviens. Et pourtant, leur action s’inscrit dans un mouvement d’ordre beaucoup plus global qui a vu depuis une cinquantaine d’années les communautés indiennes de toute l’Amérique du Sud aiguiser leurs revendications, refuser le statu quo raciste d’antan et bousculer une ségrégation qui sévissait depuis très longtemps.

Au commencement était le « Ya Basta ! »

Il y a environ 45 millions d’indiens (sont généralement considérés comme Indiens les personnes s’en revendiquent lors d’un recensement) en Amérique Latine, soit 10% de la population totale. A cela, il faut ajouter un nombre considérable de métis (en poussant les choses, on pourrait d’ailleurs considérer que toute l’Amérique Latine est métis). Jusqu’aux années 1960, les Indiens étaient traités comme des sous hommes dans la majorité des pays du continent. Socialement, ils n’étaient rien. Politiquement, ils n’étaient rien. Et économiquement, ils constituaient une main d’œuvre fort appréciable car quasiment corvéable à merci. Il a fallu un certain temps pour qu’émergent véritablement des mouvements indigènes soudés et cohérents. Yvon Le Bot le rappelle dans son indispensable étude « La Grande révolte indienne3 », le processus a été long, et est loin d’être fini. Et, pour les indiens, le racisme latent a été un ennemi de tous les jours :

Le racisme constitue une fracture majeure au sein des sociétés latino-américaines, en dépit – et souvent à la faveur – du déni qui prédomine. Les mouvements indiens sont précisément des tentatives de soulever cette chape du déni et de sortir du mépris et de l’invisibilité. « Nous étions invisibles et il a fallu que nous nous couvrions le visage pour que l’on nous voie et que l’on nous entende », disent les zapatistes. Ceux qui refusent de reconnaître le racisme ne reconnaissent pas non plus de légitimité aux mouvements qui le combattent.

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Le mouvement indien a mis du temps à s’affirmer sur le continent. Il a été essaimé d’épisodes désastreux, voire de génocides. Au Guatemala, dans les années 1970/1980, des dizaines de milliers de personnes furent massacré pour leur appartenance à la race indienne. C’est l’exemple le plus sanglant (certains historiens se battant pour que l’on reconsidère officiellement cette triste période sous le nom de génocide), c’est loin d’être le seul. Mais depuis quelques années, le mouvement indien a largement progressé, a multiplié les avancées, notamment concernant la défense de territoires ancestraux menacés par des intérêts économiques. Ainsi, en Equateur, et pour la première fois, une grande Entreprise pétrolière, Texaco, est la cible de poursuites judiciaires lancées par des communautés amazoniennes l’accusant de vandalisme écologique. Jugement attendu. Un autre exemple positif provient du Brésil ou Lula a signé un décret (récemment entériné par la Cour Suprême) faisant passer une grande partie de l’Amazonie brésilienne (13%) sous l’appellation « Territoire indien », bloquant ainsi l’avancée des chercheurs d’or, entreprises forestières et autres saccageurs de biodiversité.

Et surtout, le triomphe électoral de l’indien Aymara Evo Morales devenu président de Bolivie sur un programme ouvertement « indianiste », a marqué les esprits et focalisé l’attention internationale sur la justesse d’un combat auparavant méprisé (ou, au mieux, ignoré). L’indien n’est plus seulement une icône touristique pour tintinophiles en vadrouille (« Donde esta el templo del sol ? »), on lui reconnaît des droits autres que celui d’être photographié à côté de ses lamas, notamment concernant la préservation de son territoire et de sa culture (les nouvelles constitution de Bolivie et d’Equateur, récemment approuvées par référendum, accordent ainsi une grande place à ces revendications). Attention, ne pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : il reste énormément à faire sur la question. A l’exemple de la révolte des Zapatistes du sous-commandant Marcos au Chiapas (lancée le premier janvier 1994) qui a su parfaitement (trop ?) attirer l’attention des médias, le bilan est positif mais les avancées parfois très lentes…

La condition indienne au Pérou : racisme & co

Le Pérou est un cas particulier au sein des mouvements pour les droits des indiens. Alors qu’outre la Bolivie, des nombreuses avancées ont essaimé ces dernières années (citons l’Equateur de Correa, qui a déçu sur la question mais reste plutôt encourageant en la matière, ou le Paraguay de Fernando Lugo, bonne surprise progressiste de la géopolitique du continent) à la faveur des mouvements sociaux et de la progression de la gauche, les communautés indiennes au Pérou restent largement stigmatisées, considérées comme inférieures. Pourtant, elles représentent une portion non négligeable de la population : environ 250 000 répartis en une quarantaine de groupes ethnolinguistiques. Il n’empêche, Yvon le Bot le rappelle, il existe au Pérou « un racisme très prégnant. » :

Le Pérou constitue un cas particulier. Une combinaison de violence et de racisme y a marginalisé et étouffé la renaissance indienne. L’exaltation du passé inca va souvent de pair avec une attitude autoritaire et condescendante à l’égard des indiens d’aujourd’hui, y compris chez des hommes politiques métis.

C’est que les mouvements sociaux accusent là-bas un fort retard sur nombre des pays voisins, la responsabilité en incombant à moitié au guérilleros sanglants (et forts peu sympathiques, plus narco-trafiquants que révolutionnaires) du Sentier Lumineux et aux pouvoirs réactionnaires qui se sont succédés à la tête du pays (Fujimori powa) :

Au Pérou, dans les années 1970, la politique nationale-populaire du gouvernement du général Velasco, la formation d’organisations indiennes en Amazonie (regroupées dans l’Association interethnique de développement de la forêt péruvienne, AIDESEP) et les mobilisations paysannes indiennes dans les Andes avaient débouchés sur d’importantes récupérations de terres et de territoires. Cette dynamique a été balayé dans les années 1990 par la lutte pour le pouvoir que Sentier Lumineux et l’état se sont livrés sur le dos des secteurs les plus déshérités de la population.

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Le « sympathique » Alan Garcia

Dans ce désert contestataire, les premières velléités de rébellion ont donc été très tardives. Yvon le Bot, encore lui (son livre est une mine), le rappelait : « Ce n’est que récemment, en 2008, que l’on a vu ressurgir, en Amazonie […] de fortes mobilisations qui ont mis en échec les mesures du gouvernement d’Alan Garcia visant à privatiser les terres. »

La rébellion victorieuse des indiens de la Selva (la partie péruvienne de la forêt amazonienne) guidés par leur leader Alberto Pizango (à la tête de l’AIDESEPS) est donc une très bonne nouvelle, le signe d’une volonté d’en finir avec les concessions et le défaitisme. Le recul du gouvernement d’Alan Garcia, revenant finalement sur les deux décrets les plus contestés (ceux qui ouvraient tout grand l’amazonie péruvienne aux intérêts de grands groupes privés (bois, mines, pétroles) déjà très présents dans la place), est tout sauf anodin. La lutte est loin d’être terminée, mais les indiens du Pérou ont démontré qu’ils comptaient bien s’inscrire dans ce mouvement de fond qui contribue à faire de l’Amérique Latine le continent porteur d’espoir d’une humanité découragée. Comme le soulignait TGB dans le très bon rue Affre, ici : «  Car s’il est un espoir de changement quelque part, c’est bien ce retour de l’indianité et de leurs représentants, luttant pour recouvrir terres, droits et maîtrise de leur destin et arrachant peu à peu les pouvoirs exorbitants des mains des colonisateurs. Une juste revanche sur le génocide indien. » Pas mieux…



1 La contestation indienne qui a débouché sur les violences du 05 juin se focalisait essentiellement sur l’application d’un dizaine de décrets (et deux lois) pris par Alan Garcia en 2007-2008, censés faciliter l’application du traité de libre commerce (TLC) signé par Garcia avec Georges Bush. Ces décrets ouvraient l’ensemble de l’Amazonie péruvienne (plus de 60% du territoire national) à la propriété privée et aux transnationales forestières, minières et pétrolières. 70% de la Selva (nom de la partie amazonienne du Pérou) a ainsi été divisée en lots confiés à des multinationales. Au détriment de tout ce qui pouvait exister auparavant, réserves nationales ou communautés indiennes. Le point final à un processus d’exploitation draconien. Comme le rappelle ce très bon article d’Alter info : « De nombreux lots sont, selon l’Organisation des droits de l’environnement et des ressources naturelles (DAR : Organismo Derecho, Ambiente y Recursos Naturales), se superposent sur des réserves nationales, des forêts protégées, des réserves communales ainsi que des centaines de communautés natives. Le cas n’est pas isolé car depuis de nombreuses années le gouvernement agit de la sorte, par exemple, en 2003 avec l’entreprise Repsol dans la région de Cusco, sur la réserve communale Matsiguenga. En 2005, avec La Burlington, dans la région de Loreto sur la zone réservée Pucaro. En 1987, dans la région de San Martin sur les bois protégés de l’Alto Mayo. La liste est encore longue, commence en 1987, puis 88, et reprend en 97, jusqu’à aujourd’hui. »

2 Avec la Colombie, le Pérou est un des derniers pays d’Amérique du Sud gouverné par la droite. A noter : Garcia a été élu en 2006 alors qu’il avait déjà effectué un mandat catastrophique entre 85 et 90, ils sont fous ces péruviens.

3 Editions Robert Laffont, 2009.


COMMENTAIRES

 


  • vendredi 3 juillet 2009 à 13h03, par tiétienne 3000

    salut
    ci-dessous je copie le bulletin éléctronique de survival international du 2 juillet, qui n’est pas aussi heureux. Je crois que je vais me fendre d’une lettre de soutien (ci-dessous) même si kouchner (du riz et des armes) est membre de survival intrenational :

    PÉROU : Le gouvernement se prépare à enquêter sur les violents affrontements de Bagua
    Le gouvernement péruvien se prépare à enquêter sur les tragiques affrontements qui ont eu lieu en Amazonie au début du mois dernier et qui ont fait plus de trente morts, une centaine de blessés et de nombreux disparus.
    Pour en savoir plus et pour agir : http://www.survivalfrance.org/actu/4722

    « Le profit avant tout » : Le gouvernement péruvien a donné son feu vert à Perenco, une compagnie franco-britannique, pour exploiter le pétrole en Amazonie, moins de deux semaines après qu’une trentaine de personnes soient mortes dans les manifestations contre l’exploitation de la forêt amazonienne.
    Pour en savoir plus : http://www.survivalfrance.org/actu/4711
    Agissez ! Ecrivez une lettre en soutien aux Indiens du Pérou : /www.survivalfrance.org/agir/lettres/indiensperou>

    • Merci pour les liens. Il est certain que le léger recul du gouvernement est loin de signifier un réel changement de politique, ces informations le prouvent. Juste, les indiens ont pu se prouver qu’ils n’étaient pas impuissants face à la marche morbide des choses, c’est déjà précieux.



  • Merci pour ce rappel des faits, et Bravo à ces peuples dignes !

    • Ouaip, la « dignité » semble un concept encore vivant en Amérique du Sud, dans certaines luttes en tout cas. Je ne suis pas sûr que je dirais la même chose pour notre Occident endormi. Après, il faut parfois se méfier de l’idéalisation ethnodécentrée, notre regard est forcément biaisé...



  • Les nations se soulèvent et se rebellent contre des banques finissantes ! .

    Par ce que ?!, diriger par, et pour des feignants. Donc nous !?

    Disons que si tu voies un homme qui vient et veut acheter un tas de terre
    dit lui !, ...

    Le partage est plus nourrissant que l’argent’ ?!.

    disons que ! se que « l’ont » écrit ici depuis un certain temps et « incongrue »

    http://www.youtube.com/watch?v=jiKY...

    • Le lien ne marche pas. Mais sinon, tout d’accord (ou presque), longue vie aux fouineurs d’incongru(e) !

      • mardi 7 juillet 2009 à 08h18, par EMPIRE NEOCONSION OUT

        http://stanechy.over-blog.com/

        Vendredi 3 juillet 2009

        PEROU : ESCLAVAGE IMPERIAL…

        « Le jour n’est pas loin où trois bannières étoilées marqueront notre territoire depuis trois points équidistants : l’un au pôle Nord, l’autre au canal de Panama et le troisième au pôle Sud.

        Tout l’hémisphère nous appartiendra alors de fait, comme il nous appartient moralement aujourd’hui, du fait de la supériorité de notre race… ».

        William Howard Taft

        27° Président des USA - (1909-1913)

        ILS N’ONT RIEN VU, RIEN ENTENDU, RIEN DIT…

        Les trois petits singes ?...

        Non. La “Communauté Internationale”, ce travestissement de l’Empire et de ses vassaux, avec ses trompettes : les “grands médias”.

        Il est vrai qu’en juin 2009, les fanfares médiatiques se sont époumonées, à s’en faire éclater les tympans, lors de la tentative de putsch organisée pour renverser le président réélu en Iran. Atteignant leur paroxysme avec la montée au ciel de l’angélique Michael “Bambi” Jackson…

        Pas de place pour ce “détail” : des massacres de civils au Pérou. “L’actualité” dicte, chez ces “grands professionnels” et ces Belles Ames, ses priorités, parait-il…

        Pourtant, en ce 21° siècle, le Pérou, encore une fois, vient d’endurer massacres et tueries (1). Des protestataires contre la spoliation, la misère, le mépris, les accablant, tués par les forces de sécurité de la dictature d’Alan Garcia (2).

        Chiffre occulté des victimes de ces dernières semaines : une quarantaine au minimum, bilan officiel. Plus certainement, une centaine. Des observateurs évoquent plusieurs centaines (3). Les forces de police ayant pour habitude de faire disparaître les corps, en les jetant dans les nombreux rapides et rivières dans cette région amazonienne du pays.

        REVOLTE DES ESCLAVES

        Régime encadré par une oligarchie, aussi richissime que corrompue, au service de l’Empire. Camouflé en “Démocratie”, aux élections systématiquement truquées. Au “Libéralisme Economique” servant de paravent à un des pillages les plus effrénés des pays occidentaux. Pour toutes ces raisons, soutenu par la Communauté Internationale…

        Car, le Pérou est un des pays les plus riches du monde, dans le foisonnement de ses ressources minières et énergétiques, avec des populations parmi les plus pauvres. “Clochards assis sur un banc en or”, comme les Péruviens se décrivent eux-mêmes, dans l’autodérision du désespoir…

        Il y a deux ans dans ce même blog, pratiquement jour pour jour, j’attirais l’attention sur l’effroyable répression écrasant les Péruviens, dans un billet (4) intitulé, Pérou : Jungle et Sable …

        Tout le mois de juillet 2007, ce n’était que blocage des routes, grèves, manifestations, dans toutes les provinces du pays, exaspérées par l’injustice économique et sociale. Sur fond d’assassinats, d’enlèvements, de disparitions de “leaders” syndicaux ou, tout simplement, de “citoyens”. Par des “escadrons de la mort”, formés depuis des décennies, à ce genre de pratiques dans les écoles des services spéciaux occidentaux.

        REVOLTE CONTRE UN REGIME, UNE CASTE, DETESTES.

        Une minorité blanche qui jouit de tous les privilèges, rentes de situation et richesses du pays. Descendante des colons espagnols, mais aussi d’autres pays européens. Perpétuant un système colonial inchangé depuis l’arrivée des conquistadors, au 15° siècle, sur le continent américain.

        Caste méprisant les métis. Et, encore plus, les amérindiens des Andes ou d’Amazonie constituant la majorité de la population. Schéma de comportement raciste similaire à celui de beaucoup de pays d’Amérique latine. Remarquez-le dans les médias : on ne les appelle pas Péruviens, Boliviens, Equatoriens, ou autres, mais “indiens”. Comme s’il s’agissait d’une sous-catégorie d’hommes ne méritant, à l’exemple de leurs homologues d’Amérique du nord, que l’oubli et le confinement dans des “réserves”…

        Caste exécutant servilement les décisions d’une métropole européenne, espagnole dans un premier temps. A présent, depuis l’indépendance de principe obtenue au 19° siècle, au profit des multinationales et autres variations de la prédation du “capitalisme sauvage” occidental, sous les différents habillages du “Libéralisme Economique”. Le dernier ayant pour cache-misère l’appellation de “mondialisation”. Ou, de “globalisation” en anglais, avec un “z” en anglais des USA (5).

        Le pays s’était soulevé en 1980, sombrant dans une guerre civile d’une vingtaine d’années. Mais la caste au pouvoir, forte de l’appui sans limite des USA, refusant une remise en cause des privilège et pillages, s’est uniquement préoccupée de diaboliser le principal mouvement de révolte : Le Sentier Lumineux. Présenté, par les spécialistes de la “guerre psychologique” et de la désinformation, à longueur de communiqués, documentaires et mises en scène, en organisation “sanguinaire”. Et, comble de l’horreur : maoïste !...

        Justifiant une répression “industrielle”. Des dizaines de milliers de victimes, dans des conditions atroces. Tous les cadres, notamment les instituteurs dans les campagnes, susceptibles de pouvoir encadrer la révolte, méthodiquement assassinés. La terreur sauvage instaurée dans les villages et communautés.

        Répression dont les historiens auront un jour, d’ici une génération ou deux probablement, la liberté d’écrire une version différente de celle imposée par l’idéologie impériale actuelle. Se posera inévitablement l’accès à des archives introuvables, car détruites au préalable par les services spéciaux occidentaux, suivant la pratique connue. (6)

        Révoltes d’esclaves, abandonnés à la misère, la malnutrition, sans système d’éducation, de santé. Ne parlons pas de “services publics”… Esclaves qui malgré massacres, atrocités et terreurs continuent à se révolter.

        Les violents affrontements du mois de juin 2009, entre les Péruviens d’Amazonie et les milices, ou commandos de tueurs, du dictateur Alan Garcia, sont l’aboutissement d’un conflit qui dure depuis le mois de janvier dernier. Leur refus des lois votées par les “parlementaires” soucieux de ratifier le Traité de Libre Echange (bilateral agreement) dicté par les USA au Pérou, le 8 décembre 2005.

        L’Amazonie péruvienne, dans le cadre de ce traité colonial, a été divisée, répartie, en concessions de prospection et d’exploitation, énergétique et minière, sans consulter la population propriétaire de ces terres collectives. Pratique d’expulsion des terres en usage au 19° siècle à l’encontre des Sioux, Apaches et autres peuples d’Amérique du nord. Ou en Kanaky et ailleurs, par la France. Pour nous limiter à quelques exemples. Quand on détient la force, pourquoi se gêner ?…

        Schéma classique qu’ont eu à subir, et subissent encore, les amérindiens en Bolivie, Equateur, Colombie, et dans d’autres pays latino-américains. Inti, un des responsables des communautés péruviennes Aguarunas concernées, rappelle que depuis 25 ans elles réclament les titres officiels de leur propriété. A ce jour, seuls 2 km (oui : deux !) ont été enregistrés…

        La conséquence immédiate de ce vote était la confiscation des terres amazoniennes appartenant à ces populations au profit des compagnies pétrolières et gazières internationales, malgré étiquettes et appellations “latinisées”, via des cascades de filiales. D’où l’explosion de colère, née du désespoir face à l’injustice du vol de leurs terres ancestrales, à 1000 km au nord-est de Lima, à Bagua.

        Preuve, une fois de plus, que le droit de propriété est “sacré” dans le Libéralisme Economique. Mais, pas pour ceux considérés comme des sous-hommes. Eux, n’ont droit qu’à la spoliation.

        Voyant que la répression et la diabolisation du mouvement de protestation, loin de terroriser, provoquaient un durcissement des revendications, le pouvoir a pris peur. Le Congrès a annulé deux des lois d’application du traité de libre-échange, par 82 voix contre 12, après un débat de 5 heures. Cinq heures de débat pour statuer sur une spoliation…

        Décision fêtée comme une victoire par les protestataires (7). Les plus lucides, toutefois, savent que c’est “reculer pour mieux sauter”. Les groupes multinationaux, notamment du pétrole et du gaz, des exploitations minières, des bois exotiques, vont revenir à la charge. Pour ces prédateurs, il ne s’agit que d’un repli tactique avant d’imposer leurs intérêts sur les fabuleuses terres amazoniennes. Par tous les moyens. Ils en ont vu d’autres et en ont dompté d’autres…

        ALIENATION DES NOTABLES

        A la souffrance de la spoliation et de l’humiliation permanentes, vécue dans la violence, le peuple péruvien en endure deux autres, communes à bien des nations : la confiscation de sa parole et la négation de son identité, par la caste au pouvoir. Ne diffusant à l’extérieur du pays que la représentation voulue par ses maîtres occidentaux, dont elle n’est que le “fondé de pouvoir”, dans ce qu’ils considèrent comme une colonie.

        Ainsi écrivains, artistes et intellectuels, membres de cette caste, n’auront accès à la promotion du monde médiatique occidental qu’après avoir prouvé leur allégeance à l’idéologie, la rhétorique, avec ses silences, imposées par l’Empire.

        L’écrivain Mario Vargas Llosa, à la double nationalité péruvienne et espagnole, est le parfait représentant de cette caste de privilégiés s’identifiant à l’Occident. N’hésitant pas à exprimer son sentiment de supériorité raciste à l’égard de “l’Autre”, jusqu’à y inclure sa propre nation et son peuple, considérés comme “arriérés”.

        Il s’est même rêvé un destin de président. Se portant candidat à une élection, dans une campagne électorale où il se révéla incapable de parler et de comprendre les principales langues de son pays. Encore moins, ses problèmes, ses urgences, ses priorités. S’y ridiculisant.

        En 2005, une des plus fanatiques organisations de l’extrême-droite US, l’American Enterprise Institute, connue pour son acharnement obsessionnel dans la propagation de l’idéologie du “choc des civilisations”, lui a décerné l’Irving Kristol Award. Le discours qu’il prononça lors de la remise de son prix est un modèle du genre : Confessions of a liberal. L’exaltation arrogante de La Loi du Plus Fort…

        Il fut de toutes les campagnes de propagande justifiant la destruction de l’Irak, de l’Afghanistan, du Pakistan, les bombardements aveugles au Liban ou sur Gaza. Multipliant dans des chroniques, entretiens journalistiques, radiophoniques, télévisuels, les déclarations méprisantes ou diffamatoires sur Cuba, le Venezuela, la Bolivie.

        Systématiquement, contre toutes les tentatives de rénovation des systèmes politiques à la recherche, en Amérique latine et sur d’autres continents, d’une meilleure répartition des richesses nationales ou d’une diminution de l’injustice sociale. N’hésitant pas à en rajouter, à chaque occasion, dans le délire “néoconservateur”. A 73 ans, on le découvre chantant les louanges de Berlusconi… (8)

        Forcément, l’Empire et ses vassaux adorent ces écrivains, artistes et intellectuels. Ils nourrissent, à peu de frais, sa propagande. Aux antipodes de ceux engagés dans la défense de la dignité humaine, de la justice, tels Oswaldo Guayasamin, Ngugi wa Thiong’o, Mahmoud Darwich ou Harold Pinter.

        Leurs prosternations permanentes devant “les vertus” de l’Occident, dans la condescendance, si ce n’est le mépris, à l’égard des peuples, religions, croyances ou cultures, de leur nation d’origine, provoquent l’extase de nos cercles littéraires, “culturels” et académiques, animés par les Précieuses Ridicules de service.

        La trahison, l’abjection des clercs. Voie royale, impériale, pour se voir encensé et couvert d’honneurs. (9)

        JUSQU’AU PATHETIQUE.

        Vargas Llosa, entre autres colifichets et breloques honorifiques, est titulaire de 40 doctorats Honoris Causa, décernés par des universités complaisantes ou complices…

        La nouvelle génération de cette caste ?... Plus habile, dans le marketing de ses privilèges et le positionnement de son image.

        Un exemple : la nièce de Vargas Llosa, Claudia Llosa, vient d’obtenir à 33 ans l’Ours d’Or du meilleur film au festival de Berlin pour son second long métrage : “Fausta – La teta asustada”. Hissé, dans le dithyrambe des critiques cinématographiques, cornaqués par les spécialistes en “communication” véhiculant le “dossier de presse”, au rang de chef-d’œuvre du cinéma péruvien et latino-américain !…

        Film, exploitant le fond de commerce du malheur des autres peuples en vogue en Occident, pour montrer une nation, et sa langue quechua, vivant dans la misère matérielle et psychologique. Mettant en scène une jeune fille traumatisée par le décès de sa mère, violée, comme beaucoup “d’indiennes” lors de la guerre civile. Vivant dans un quartier pauvre, femme de ménage chez de riches bourgeois, raffinés, concertistes.

        “… Autant dire qu’on navigue ici, à la fois médusés et éblouis, en pleine monstruosité latino-américaine”, nous dit le dossier de presse en rabatteur de cabaret.

        Evidemment, dans ce genre de film, n’est jamais expliqué, évoqué, le pourquoi de cette “monstruosité”. Occultant, avec soin, les causes de la souffrance des peuples latino-américains, depuis des siècles. Six siècles.

        Astucieusement, cyniquement, on l’exhibera au contraire, comme dans les attractions foraines de nos ancêtres, femmes à barbe ou à deux têtes. Bâtissant fortune et renommée, sur l’exploitation du filon inépuisable du misérabilisme. Laissant entendre que c’est la faute aux pauvres s’ils sont misérables. Ils sont arriérés, incapables d’évoluer, car pétris de croyances et de superstitions. Comprenez-vous ?... Immergés dans le culte de la violence, de la mort. Réfractaires aux Lumières de l’Occident.

        Ne délivrant sur le “marché” de l’Occident qu’une vision formatée, rassurante, sur les bienfaits de sa civilisation et la nécessité de les imposer. Au besoin par la force, la sauvagerie. Dans le carnage, la torture et l’humiliation. Vision réductrice, de peuples et de leurs cultures, par une caste justifiant ses préjugés, consolidant ainsi sa prédation, sa violence et celles de ses suzerains.

        On ne parlera donc pas du Pérou, dans les médias. Pas “d’envoyé spécial”. La Communauté Internationale ne se mobilisera pas pour condamner truquages électoraux, corruption, atrocités de ses dirigeants. Pas de campagnes hystériques sur les droits de l’homme, la dignité de l’être humain, l’égalité de l’homme et de la femme, la fiabilité des élections, la liberté d’expression.

        NON. JAMAIS.

        Tout au plus, sera-t-il permis un apitoiement mondain et fataliste sur le malheur de son peuple. A l’occasion d’un film, un roman ou les propos des représentants de la caste au pouvoir. Qui, évidemment, n’en sont pas responsables, ni coupables.

        LE PEROU N’EST PAS L’IRAN.

        Sa caste au pouvoir, n’est pas seulement “occidentalisée”. Mieux encore, l’idéal, le must : elle est considérée comme “blanche et occidentale”, à l’identique d’une Ingrid Betancourt. Donc, par définition : irréprochable.

        Aux ordres de l’Occident, engraissée par sa collaboration, de génération en génération, sans aucune velléité de contester le pillage, la soumission, la négation de son pays, de son peuple et de sa culture…

        Qui, en fait, lui sont totalement étrangers.

        Reproduisant le modèle de ces notables romains, possédant d’immenses domaines dans les colonies de l’Empire édifié par Auguste. Leur vie était à Rome, même si leurs faramineux revenus et privilèges provenaient de ces contrées et terres mises en valeur par le travail des esclaves.

        L’ordre règne au Pérou, sous l’implacable esclavage “Libéral”, dans le silence complice de la Communauté Internationale.

        Silence Solidaire, tant apprécié de l’Empire…

        (1) Bain de sang au Pérou : “Survival” demande le retrait des compagnies pétrolières, communiqué de presse de “Survival International”, 8 juin 2009.

        (2) Carlsen, Laura, Victory in the Amazon – Defeating the US-Peru Trade Pact, Counterpunch, 22 juin 2009, http://www.counterpunch.org/carlsen...

        (3) “… des centaines de personnes ont disparu et, d’après les informations commençant à circuler, la police aurait jeté les corps des manifestants tués dans les rivières afin de dissimuler le nombre des victimes…”, “… hundreds remain missing and reports that the police threw the bodies of the protestors in the river to hide the real death toll have begun to circulate…”, Carlsen, Laura, Op. Cit.

        (4) Pérou : Jungle et Sable…, 3 août 2007.

        (5) Lire, et relire, l’ouvrage fondamental de Joseph Stiglitz (Prix Nobel d’Economie 2001 et ancien directeur des études économiques à la Banque Mondiale) : Globalization and its discontents, Penguin Books 2002.

        (6) J’ai évoqué, à titre d’exemple, le difficile travail des historiens, du fait de la destruction des archives, sur les atrocités britanniques au Kenya lors de la répression de la révolte Mau-Mau, dans un texte sur Ngugi wa Thiong’o…

        (7) Peru Indians hail ‘historic’ day - Indigenous groups in Peru have called off protests after two land laws which led to deadly fighting were revoked, 19 juin 2009, http://news.bbc.co.uk/2/hi/8109021.stm

        (8) Victor de Sepausy, AFP, 21 mars 2009, http://www.actualitte.com/actualite...

        (9) Cf. les textes :

        => Prix Littéraire et Littérature Coloniale…

        => Tahar Ben Jelloun et les Talibans : Tartarin et les Lions…

        Photo : Péruviens de la région de Yurimaguas (nord-est du Pérou) bloquant une route lors d’une manifestation le 9 juin 2009, AP/Karel Navarro.



  • vendredi 10 juillet 2009 à 16h31, par Gonthier

    Les progressistes réunionnais soutiennent la lutte des Indiens du Pérou...
    En revanche on attend toujours la réaction de l’Internationale socialiste, dont sont membres le Président Garcia & son parti.

    F. Gonthier.

    Voir en ligne : Massacre à la Courbe du Diable

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