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mardi 27 octobre 2009

Le Charançon Libéré

posté à 13h53, par JBB
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Histoire d’eau : de la douche présidentielle et de celles des sans-papiers de Loon-Plage
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Funeste parallèle… Au Grand Palais et à l’occasion du somptueux sommet lançant l’Union pour la Méditerranée, une luxueuse douche avait été installée pour l’usage exclusif du président ; las, la pauvre n’a jamais servi. À Loon-Plage, de modestes sanitaires ont vu le jour, réservés à des sans-papiers pour qui se laver est une nécessité absolue. Quoi, tu dis que tu ne vois pas le rapport ?

Tu me connais, Ami : je n’ai pas pour habitude de hurler avec les loups.

Et j’aime aussi à croire que je nage gaillardement dans les eaux claires et pures de l’objectivité la plus absolue, loin de tout biais idéologique et d’un quelconque engagement partisan.

Je ne suis rien d’autre qu’un observateur parfaitement neutre, en quelque sorte.

Et partant : toi aussi, qui fréquente assidument (n’est-ce pas ?) ces lieux.

Adoncque, que je te dise : cette neutralité, notre neutralité, est importante, essentielle, primordiale.

Elle donne plus de force à notre parole : nous ne pouvons être soupçonnés de rouler pour quelques parti, chapelle ou même cagoule.

Mais cette force peut - à l’occasion - se muer en contrainte, lourde responsabilité, épaules pliant sous le poids de l’honnêteté et la charge de l’impartialité, homme libre toujours tu chériras l’amère indépendance, et toutes ces sortes de chose qui - depuis Galilée - font que « le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ».

Dur…

-

Tiens, Ami : prends le débat sur l’intronisation du prince héritier.

Et bien : tu seras peut-être surpris, mais je partage le point de vue de ceux qui, à l’UMP ou ailleurs, dénoncent l’instrumentalisation médiatique de l’affaire et pointent la responsabilité de médias qui font rien tant qu’essayer, envers et contre tout, sans modération ni objectivité, de faire trébucher la majorité présidentielle, les salauds.

À cette aune, je ne peux qu’approuver, quoi qu’il en coûte à mon petit cœur, les déclarations d’un Frédéric Lefèbvre regrettant « ces vilenies quotidiennes (qui) depuis un certain nombre de semaines (…) sont propagées à la fois par l’opposition et surtout par un certain nombre de journalistes ».

Que veux-tu ?

C’est tellement vrai…

À cette aune encore, je ne peux qu’approuver, pour désagréable que soit ce funeste ralliement, la dénonciation par Jean-François Copé de ces « campagnes dans les médias qui sont d’une violence absolument inouïe » et sa proposition que les relations entre médias et politiques soient « revisitées, modernisées, comme cela s’est fait dans d’autres pays »1.

Que veux-tu ?

C’est si évident…

À cette aune enfin, je ne peux qu’approuver, aussi étrange que puisse paraître cet assentiment, la mise en accusation par Xavier Darcos de ces médias qui multiplient les « effort de déstabilisation de notre camp ».

Que veux-tu ?

C’est tellement juste…

-

Mais je ne te sens, Ami, qu’à moitié convaincu.

Tu grommeles, tu chouines, tu traînasses des pieds, tu répugnes à t’aligner sur les positions des ces figures politiques que tu considères comme ennemies.

Ça tombe bien : j’ai pensé à toi.

Et j’ai en ma besace l’exemple parfait, l’illustration ultime, celle qui emportera le morceau et t’obligera à reconnaître la plus élémentaire vérité, te laissant goguenard devant ton ordi, la tête s’agitant de bas en haut à répétition, avec cette simple phrase que tu répéteras en boucle : « Oui, c’est vrai, il y a quand même une putain de saloperie de campagne médiatique orchestrée contre les sarkozystes ; j’ai beau ne pas apprécier ces gens, la plus évidente impartialité m’oblige à le reconnaître ; mais où ai-je bien pu laisser traîner ce bulletin d’adhésion à l’UMP, foutredieu ? »

J’ai pensé à toi, disais-je, et je voudrais que tu te penches sur les prétendues dépenses somptuaires de l’Élysée à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, addition de 171 millions d’euros2 pointée par la très gauchisante Cour des Comptes en un récent rapport.

Adoncque, que constates-tu ?

Un, que le tir provient essentiellement de quelques rares sites3 n’ayant d’autre ambition que de salir notre président bien-aimé.

Deux, que ces médias indignes se focalisent sur l’organisation au Grand Palais du sommet lançant le présidentiel projet d’Union pour la Méditerranée - lequel sommet aura coûté 16,6 millions d’euros pour une journée ; ah que ne vient pas me dire après ça que la France n’est pas grande, hein…

Trois, que ces médias fangeux s’intéressent à de bien triviaux détails, se penchant notamment sur le « coin bureau » réservé au président (coût total : 245 572 euros) et sur la luxueuse douche qu’il comportait ; une douche qui n’aura jamais servi pour l’excellente raison que le Grand Palais se trouve à quelques centaines de mètres de l’Élysée.

Quatre, que ces médias racoleurs n’hésitent pas à fournir une très précise description de l’objet du délit : « Luxueuse et dernier cri, elle possédait une radio, des fonctions « jets » variées (…) Pour qu’elle puisse être utilisée, un ballon d’eau avait été installé, de même qu’un réceptacle pour les eaux usées.« Finalement, »elle n’aurait jamais servi - à croire les ouvriers chargés de vider la fosse… », écrit Médiapart4.

-

Je sens, ami, que tu t’impatientes.

Que tu t’interroges, même : où ça nous mène, tout ça ?

J’y viens, même si c’est un brin tortueux.

Voilà : je constate avec douleur que ces médias précédemment cités ont en matière de douche des indignations bien sélectives.

Et que s’ils traitent - en long, en large et sous le pommeau - de la douche présidentielle, ils font beaucoup moins cas d’autres salles d’eau toutes aussi somptuaires.

Ainsi de ces sanitaires « installés sur l’ancien « terrain des nomades », route de Mardyck » à Loon-Plage, douches financées par la commune, rapporte La Voix du Nord, et destinées à être utilisées par les sans-papiers.

Figures-toi, pas un mot dans les médias sur cette dépense inconsidérée opérée par la puissance publique : 570 € par mois pour la location des sanitaires, quand même…

Rien non plus sur l’utilisation très restreinte qui en sera faite : chacun des migrants n’a droit qu’à « dix minutes de douche ».

Et pas une ligne - enfin - sur la portée très limitée d’installations réservées à quelques « happy-fews » : les sanitaires ne seront ouverts que deux fois par semaine.

Alors ?

Le parallèle n’est-il pas frappant ?

Hein…

-

Plutôt que de lier la luxueuse douche présidentielle et les très modestes installations réservées aux migrants.

Plutôt que de pointer l’inutilité absolue de la première et la totale nécessité des secondes.

Plutôt que de remarquer que l’absence de douche se fait si cruellement sentir dans la région de Calais qu’un migrant en est mort en juin dernier, Erythréen de 20 ans ayant résolu de se laver dans un canal faute d’autre endroit où le faire et qui s’y est noyé.

Plutôt que de constater que l’homme n’usant pas de la somptuaire douche installée au Grand Palais est celui-là même qui n’a eu de cesse d’interdire aux migrants toute possibilité de la plus élémentaire des propretés.

Plutôt que de naïvement m’interroger sur le nombre de sanitaires qu’il serait possible de financer pour les sans-logis et sans papiers avec le seul bac à douche présidentiel.

Plutôt que tout ça, donc, je préfère te faire remarquer, Ami, que certains médias sont décidément de gros salopards : ceusses-là qui s’en prennent au faste présidentiel sont bien silencieux quand il s’agit de dénoncer les considérables dépenses engagées par le respectable maire de Noon.

Franchement : est-ce que tu trouves ça normal ?



1 Ainsi de la Corée du Nord, par exemple, où la modernisation de ces relations a beaucoup fait pour apaiser le climat politique. Kim Jong-Il mon amour, montre-nous la voie !

2 Pour la seule deuxième moitié de l’année 2008. Mazette, on sait vivre, n’est-ce pas ?

3 Médiapart a révélé le rapport et a longuement traité du sujet ; je ne suis pas abonné et ne peux t’en dire que ce qui a été rapporté ailleurs. Notamment sur Arrêt sur Images, qui s’en est fait l’écho et s’étonne, en un billet réservé aux abonnés, du peu de bruit médiatique qu’il déclenche : « Quel impact pour ses révélations très détaillées de Mediapart ? Pour l’instant, il est peu important. »

4 Cité par Arrêt sur Images.


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