ARTICLE11
 
 

mardi 8 juin 2010

Sur le terrain

posté à 19h58, par Timothée Demeillers
28 commentaires

À l’ombre d’Alexandre, une Macédoine identitaire
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Dans le grand casse-tête identitaire des Balkans, la République de Macédoine est au premier plan. Indépendante depuis 1991 et l’explosion de la Yougoslavie, elle est tiraillée entre différentes identités - slave, grecque, albanaise. Pour renforcer la cohésion nationale, les dirigeants n’hésitent pas à sur-jouer la carte historique, notamment autour de la figure d’Alexandre le Grand. Reportage sur place.

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Le train reliant Thessalonique en Grèce à Skopje, la modeste capitale de la Macédoine1, est, selon des dires unanimes, toujours en retard. Embarqué dans ce tranquille convoi d’un autre âge brinqueballant tranquillement sur des rails irréguliers, je n’en sais encore rien. Ni même - ou si peu - sur la valeur symbolique et conflictuelle des montagnes désertes qui m’entourent.
Et puis, à un arrêt improbable, je suis tiré de mon compartiment par quelques passagers tentant de me faire comprendre que je dois aller faire superviser mon passeport par les douaniers grecs. Eux attendent sereinement à l’ombre, dehors. Occupés à plaisanter entre eux, ils jettent un bref regard torve sur mes documents. Les feuillettent tout en poursuivant leur discussion. Et me les rendent rapidement, en me faisant signe de regagner mon compartiment. J’obéis et retourne m’installer consciencieusement à mon siège, attendant le départ du convoi. Qui ne vient pas.
Vingt bonnes minutes plus tard, ces mêmes douaniers reviennent me voir, un passeport américain en main, voulant savoir si ce n’est pas le mien. Puis vont et viennent d’un compartiment à l’autre, s’agitant frénétiquement devant des passagers résignés qui fument leur cigarette aux fenêtres du train. Je rejoins ces derniers. Ils attendent patiemment, le regard fixé sur la bâtisse bétonnée de la gare frontalière grecque qui leur fait face, observant un grand drapeau peint sur le mur avec cette inscription : « Macedonia ». Et en dessous : « Hellas ». Grecque. La Macédoine grecque.

J’entame la discussion, tentant de m’informer sur la raison de cet arrêt interminable à la frontière grecque. « Ils ne nous aiment pas », me répond une femme macédonienne qui travaille en Grèce. « Ils trouvent toujours quelque chose tu sais, juste pour nous faire poireauter ici, à attendre devant leur ‘beau’ drapeau et leur insigne de la Macédoine grecque. Un truc dans le train qui va pas, un bagage suspect, toujours. » Elle baisse la voix soudainement et porte un doigt à sa bouche, en signe de silence : les douaniers repassent pour la seconde fois. À nouveau, ils interrogent du regard - sans grande conviction - chacun d’entre nous, avec le fameux passeport américain à la main : «  C’est le tien ? ». Et tous, à tour de rôle, sans surprise, de répondre d’un mouvement de tête par la négative, sachant pertinemment que le mystérieux voyageur américain n’existe pas. Les douaniers, l’air faussement étonnés, reviennent régulièrement vers moi, le seul étranger du convoi. Ma voisine s’allume une nouvelle cigarette et reprend sur une rapide leçon d’histoire : «  Tout cela est une question de nom. Après la fin de la Yougoslavie, nous sommes devenus indépendants sous le nom de Macédoine, comme on s’appelait avant, sous Tito. Mais les Grecs ne veulent pas que l’on s’appelle comme ça, ils disent que la Macédoine c’est leur territoire. Eux ils nous appellent FYROM2. D’ailleurs sur les cartes qu’ils ont dans les livres de géographie, on n’est parfois même pas mentionnés. Ma fille m’a montré dans son livre d’écolier : rien. À la place de notre pays, il n’y a rien, un vide, des frontières mais pas de nom dedans. Elle était étonnée et ne comprenait pas pourquoi.  » Un de nos voisins nous regarde, méfiant. Elle reprend, plus bas. « C’est fou, hein, tout ça pour une question de nom ! Et d’ailleurs, c’est pour ça que les Macédoniens ne veulent pas changer de nom, parce qu’ils trouvent cela stupide, pensent qu’un nom ça n’appartient à personne. À cause de cela on ne nous reconnaît pas, on nous refuse l’entrée dans l’Europe, dans l’OTAN, partout, à cause du blocage de la Grèce qui veut qu’on en change.  »
Sentant peut-être que le jeu a assez duré, les douaniers font alors de grands signes au chef de gare, qui siffle le départ de notre train, direction la Macédoine (ou la FYROM). De l’autre côté de la frontière, tout se passe plus rapidement ; ma voisine me souhaite un bon séjour et descend du train. A Skopje ce soir-là, le train n’aura que trente minutes de retard. Une broutille.

Quelques jours plus tard, je me trouve à Bitola, la ville la plus importante du Sud du pays, proche de la frontière grecque. C’est ici que les Grecs viennent faire leurs courses et le plein d’essence. Tout y est jusqu’à deux fois moins cher que de l’autre côté de la frontière, surtout en ces temps de crise. Bitola est une petite bourgade agréable, surtout par ce temps printanier. Pourtant, ce qui attire plus particulièrement mon attention, dénotant avec le paisible style pastel des bâtisses, est une place clinquante, d’un niveau de kitsch remarquable3. Des jets d’eau sortant d’un massif bouclier au symbole d’Alexandre le Grand - le soleil de Vergina - , entourés de bancs dorés, de quelques haut parleurs crachant de la musique traditionnelle et bien sûr des drapeaux de la discorde4, ceux qui désignent le jeune État. Je m’installe sur un bancs écaillé et entame la discussion avec un habitant sympathique. Fier, il m’explique que la construction du lieu n’est pas achevée, qu’il reste à ériger une grande statue équestre de Philippe II, le père d’Alexandre le Grand et de la Macédoine, ainsi qu’une installation vidéo présentant sa vie. Exprimant maladroitement une fausse admiration, je lui demande la raison de pareilles dépenses pour quelque chose de si excentrique dans un pays où le salaire moyen mensuel atteint péniblement les 200 €. Et lui de me répondre : « C’est normal. C’est important, tu sais. C’est pour que les Grecs venant ici voient bien que c’est notre histoire. Qu’ils comprennent que nous, les Macédoniens, sommes les descendant de Philippe II, d’Alexandre, né en territoire occupé.  » En territoire occupé, comprenez en Grèce. Fin de la deuxième manche. Un partout.

Retour à Skopje. Ville ravagée par un tremblement de terre en 1964, reconstruite à la va-vite, à coup de béton, déchirée par d’interminables avenues grises et délavées qu’occupent des taxis rageurs. Ici, même les Églises sont transformées en constructions surnaturelles, bétonnées et fluorescentes. Tout semble encore en chantier. Tout, et surtout l’histoire. Archéologue, Dane est très remonté contre les dirigeants politiques du pays, ceux du très populiste parti VMRO. Selon lui, les fonds débloqués dans sa profession ne le sont que pour servir les intérêts identitaires de la jeune République, à savoir s’affilier avec la Macédoine d’Alexandre le Grand. Le but affiché est clair : se défaire de ses embarrassants et envahissants voisins et grands frères slaves, les Serbes et Bulgares5. Alors, depuis quelques années, tout ce qui fleurit dans ce petit pays montagneux sent bon l’Antiquité. Les livres d’histoire réécrits au son de « nos ancêtre les Macédoniens » ; les historiens, linguistes et archéologues commissionnés pour trouver des traces de filiation avec cette période glorieuse ; la langue macédonienne - langue slave - analysée, soupesée, décortiquée, afin d’y dénicher des similitudes avec la langue parlée sous Alexandre le Grand, une des trois langues figurant sur la pierre de Rosette.
Comme toujours lorsque ce que l’on cherche est déjà tout trouvé, les conclusions ne sont jamais bien éloignées de ce que les bailleurs de fond attendent. Et Dane de reprendre : « C’est très certainement en réaction à la politique intransigeante de la Grèce que notre État s’est engagé là-dedans. Il s’agit de provocations réciproques successives. Pourquoi eux, d’ailleurs, ne veulent-ils pas nous voir exister ? Et leur volonté de présenter la Macédoine comme grecque est risible, alors que tous les documents historiques montrent bien que les Macédoniens étaient considérés par les Grecs comme de primitifs barbares. Exactement ce qu’ils pensent de nous aujourd’hui !  »
La rhétorique symbolique s’installe. L’aéroport international est rebaptisé Alexandre le Grand. Ce dernier est lui-même rebaptisé Alexandre le Macédonien, et érigé héros national. Et ces populations du Sud de la Yougoslavie, souvent vues comme bâtardes, vivant sur des territoires revendiqués par leurs voisins, se retrouvent érigées en héritières directes d’un des plus « glorieux » personnage historique (et cinématographique). Depuis quelques temps, les drapeaux colorés poussent à tout va. Même si la démarche est bancale et loufoque, cela fonctionne, crée du consensus, du collant identitaire, du « nous ». Mais aussi du « eux ». Forcément.

Tale est une des seules personnes que j’ai rencontrées qui manifeste régulièrement contre cette politique démagogue du gouvernement, folie identitaire et invention d’une tradition, couplée à une religiosité omniprésente. Le grand projet de reconstruction de la place principale de Skopje, la place Macédoine, est un parfait exemple de ce mélange douteux. « Ils vont y faire la même chose qu’à Bitola en taille XXL, un grand chantier coûteux et démagogue6. Il y a déjà une quantité impressionnante de statues dorées des héros macédoniens, Alexandre en tête, ainsi qu’une imposante église orthodoxe, ceci pour réaffirmer aux Albanais vivant ici que la religion d’État n’est certainement pas l’Islam7. » Mais c’est aussi, de-ci de-là, en ville, quelques autres monuments symboliques, en style néo-antique : un arc de triomphe, des bâtiments rappelant étrangement des temples de la Grèce antique, pluie de colonnes corinthiennes, ou comment recréer de l’ancien avec du neuf, du clinquant-neuf même.

Tale continue : « Et le pire, c’est que tout le monde soutient cette politique et y croit. C’est ahurissant, presque surréaliste. Les gens sont convaincus d’être dans le vrai, certains qu’Alexandre est leur père, que les Albanais sont de dangereux envahisseurs. Cela s’est fait en quelques années… Comme si avoir une glorieuse histoire pouvait être le seul remède à leurs maux, à la crise économique, à leur sentiment d’enfermement, leur impression d’être abandonnés par les instances européennes, leur peur de disparaître devant la menace albanaise. »
Comme si - aussi - les politiques avaient besoin de cette menace étrangère pour apporter des réponses en instrumentalisant l’histoire. Ces mêmes réponses ne font d’ailleurs qu’accentuer la force symbolique de cette menace, et par là-même, leur statut de sauveurs indiscutables. Si bien qu’au final, à observer cette construction identitaire maladroite et agressive, il est difficile d’échapper à un triste sentiment de déjà-vu.



1

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2 Former Yugoslavian Republic of Macedonia.

3 Pour avoir un aperçu visuel (Timothée ayant rencontré quelques problèmes avec son appareil photo), une vidéo de la place est visible ici.

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Le drapeau macédonien reste l’un des nombreux points de tension entre la Macédoine et son voisin grec. Alors que le jeune État, à son indépendance en 1992 avait tout d’abord opté pour le symbole exact du drapeau d’Alexandre le Grand, le soleil de Vergina, la Grèce avait obtenu de son voisin de le faire changer, arguant de violation de la propriété intellectuelle. La Macédoine a donc été contrainte de le modifier pour un drapeau rappelant ce soleil, mais non identique. Tous en Macédoine expliquent cependant que leur drapeau descend en droite ligne de celui d’ « Alexandre le Macédonien ».

5 La construction identitaire dans les Balkans a très souvent une visée double : si elle s’adresse aux siens, elle est aussi bien souvent dirigée vers l’autre, le voisin, l’ennemi duquel on cherche à se dissocier. Dans le cas macédonien, ce « filon antique » intervient à point nommé dans le processus de différenciation des deux voisins slaves, Bulgares et Serbes, qui n’ont jamais totalement renoncé à laisser filer ces populations hétérogènes et ethniquement proches de leurs rêves de Grand État-Nation. Ce processus se heurte cependant de plein fouet avec les positions historiques et identitaires grecques.

6 À ce sujet, voir cette vidéo montrant les projets de développement de Skopje à l’horizon 2014.

7 Outre l’intransigeance grecque, les visées expansionnistes serbes et bulgares, qui souvent contestent la souveraineté macédonienne et sa création artificielle par Tito, la plus grande menace ou crainte semble venir du voisin albanais, ou plutôt des populations albanaises qui représentent 30% de la population du pays. Le traumatisme de la courte guerre civile de 2001 et les tensions et divisions identitaires religieuses et spatiales entre les deux communautés font toujours craindre la résurgence d’un conflit et la partition du pays à l’image du Kosovo. Les Macédoniens reprochent aux Albanais une (prétendue) inquiétante progression démographique, un (prétendu) refus de s’intégrer et les (prétendus) avantages dont ils bénéficieraient.


COMMENTAIRES

 


  • mardi 8 juin 2010 à 23h42, par Manu

    Parfois, comme en ce moment, après la lecture de ce texte ( très intéressant par ailleurs ), j’ai l’impression de devenir misanthrope, comme ça de façon très soudaine, cela ne dure pas longtemps, mais c’est viscéral. Une sorte de pulsion qui me donne l’envie très intense de cracher sur « Homo Homophobe Xenophobe Homo Sapiens », et de lui souhaiter un avenir bien sombre, mais je divague...
    Merci à l’auteur de ce billet.



  • mercredi 9 juin 2010 à 07h49, par Isatis

    Merci ! Un peu d’information sur ce petit pays est bienvenue :)



  • mercredi 9 juin 2010 à 12h05, par sans identite

    Je ne comprend pas bien ou va la critique. Il faut que les Macédoniens soient grecques ? Il faut que défendent son identité ? Ils ont une identité ? Il faut que deviennent européens ? Il faut que se réinventent une identité ?

    • mercredi 9 juin 2010 à 12h15, par sans identite

      Pas compris non plus :

      Je lui demande la raison de pareilles dépenses pour quelque chose de si excentrique dans un pays où le salaire moyen mensuel atteint péniblement les 200 €.

      Combien il faudra qu’il gagnent ? Combien représente 200 euros dans son économie ? Ne pas faire ces dépenses pourra améliorer le minimum vital ? Quel sera le minimum vital souhaitable en Macédoine ? Le smic français par exemple ?

      • vendredi 2 juillet 2010 à 12h19, par Makedonka

        Je suis macedonienne, j’ai trouve par hazard ce texte sur mon pays, je dois feliciter l’auteur a traiter ce sujet et d’avoir si bien presente la realite ici, ca n’arrive pas si souvent, la politique est omnipresente et meme en France, concernant les sujets sensibles comme les relations entre la Macedoine et la Grece, les journalistes ne s’osent pas parler ouvertement et reelement. Je voulais en meme temps preciser, ce qui etait la raison principale d’ecrire ce commentaire, et repondre a la question concernant le niveau de vie en Macedoine et le salaire reel actuel de 200 euros par mois, que ca represente rien, meme que pour vous, en France c’est juste legerement plus cher qu’ici, tout n’est pas bon marche dans mon pays, et 200e suffisent pas a couvrir les besoins de base, de plus, on touche rien quand on est au chomage, sauf dans les cas exceptionnels de pauvrete extreme, quand on n’a personne proche qui peut nous donner logement, un peu d’argent, donc on est oblige a vivre chez ses parents, si on en a un, ou chez ses proches, bureau de recruitment recruite pas, c’est surtout pour la plupart de la population le travail au noir, administration publique est juste pour ceux qui sont adherents de parti politique au pouvoir, ou qui ont paye pour etre embauches sinon on tombe dans l’anonymat parfait, et mourir doucement si on est fier et neutre. Le pays lutte contre la corruption, mais les choses malheuresement changent pas. Smic francais pourrait couvrir le cout de vie bien sur, mais on est loin de ca. La communaute internationale ici presente va pas changer et change pas grande chose, ils ont ses propres interets ici, ils s’ent foutent de la realite et s’ils peuvent aider, de toute facon ce sont autres qui decident, ils ne sont que des acteurs dans ce jeu mene par plus haut.

    • mercredi 9 juin 2010 à 14h58, par un-e anonyme

      Tu comprends pas que l’important, c’est pas d’où on vient mais où on va ? Tu comprends pas que le passé est composé ? Tout ce qu’il y a à comprendre, c’est le compte rendu de l’ambiance très justement restituée (si j’en crois les macédoniens que je connais), d’un pays dont les dirigeants jouent (et semblent gagner...) au jeu de l’instrumentalisation d’une histoire factice...

      • mercredi 9 juin 2010 à 15h12, par un-e anonyme

        Quand à tes questions sur les 200 EUR, joue pas au con... Il te suffit (et pas la peine de disposer des chiffres exacts pour juger) de savoir qu’il s’agit d’un pays plus pauvre que le notre et que « Les autorités de Skopje, capitale de la république de Macédoine, viennent de décider d’ériger une statue d’Alexandre le Grand sur la place centrale. L’œuvre, qui coûte 4,5 millions d’euros, mesurera 22 mètres de haut » (source : Libe)...

        • mercredi 9 juin 2010 à 15h30, par sans identite

          Il te suffit (et pas la peine de disposer des chiffres exacts pour juger) de savoir qu’il s’agit d’un pays plus pauvre que le notre

          Je demandé un peu plus de précision. Car, justement, je ne crois pas qu’il suffit de savoir qu’il s’agit d’un pays plus pauvre que le notre. Qu’est ce que sa veut dire plus pauvre que le notre, d’ailleurs ? Je me demande si il n y a pas dans cet façon de mesurer les choses la façon de faire de Tin Tin. Bon, pour ne pas paraitre agressif, je trouve que dans cet article on s’appuie plutôt sur les lieux communs .

          Je joue le con ? Ouais, peut être, mais bon, j’aurais aimé un peu plus de précision, et d’information.



  • mercredi 9 juin 2010 à 15h14, par Timothée Demeillers

    @ Sans identité1 : Ce texte est avant tout un constat, un constat qui me semble très révélateur de la situation bien sensible dans cette région des Balkans, où se bâtissent des « Etats modernes », où se construit de la tradition, de l’histoire, (et du nationalisme surtout), du « nous » qui vise à se différencier des voisins avec qui l’histoire a souvent été entremêlée ; qui cherchent à construire des Etats Nations homogènes, aux frontières inamovibles héritées de traditions millénaires, dans une région où mixité, cohabitation et flou frontalier ont toujours été la règle. Et si tu cherches absolument une critique, ou « quelqu’un à dénoncer », alors dénonçons les responsables politiques, qui bâtissent leur carrière (font leur « boulot » afin de se faire réélire ?) sur la peur de l’autre et l’instrumentalisation d’une tradition qui n’a rien, mais rien du tout de traditionnelle (comme toute tradition ?) et pour consolider leur Etat créent de la différence, du conflit. Je ne cherche pas dire que les Macédoniens sont Grecs, ni qu’ils doivent défendre leur identité (d’ailleurs c’est quoi une identité ? :-) ) , ni qu’ils devraient devenir Européens, Grecs, Serbes ou tout ce que tu veux, je voulais juste constater un processus qui me semble passionnant et dramatique, parce que ça marche. Au même titre on aurait pu parler de la lecture historique diamétralement opposée du Kosovo selon que l’on soit du coté Serbe ou Kosovar.

    Sinon @ sans identité2, je ne comprends pas trop tes questions. Je ne sais pas ce que 200€ en Macédoine représente par rapport au SMIC, je sais seulement que cette politique TRÈS coûteuse de construction ou d’invention historique dans un pays où le niveau de vie n’atteint pas des sommets, fait ressembler « notre » sulfureux débat sur l’identité nationale à une petite grenadine édulcorée.

    @ Sans identité3 : « Tu comprends pas que l’important, c’est pas d’où on vient mais où on va ? Tu comprends pas que le passé est composé ? » : J’ai pas mieux à dire… :-)

    • mercredi 9 juin 2010 à 15h38, par sans identite

      Ben, je crois que ce que tu viens de dire manqué dans l’article. Quand j’ai demandé ou allez la critique c’est parce que l’article avait l’aire de critiquer quelque chose, mais que on ne savait pas bien quoi. C’est la sensation que j’ai eu après lecture.
      Et sur les 200 euros, bon, je crois que cet type de comparaisons restent flous. Ils vont faire un monument pharaonique pour affirmer son identité alors qu’ils sont pauvres. Bon, et si le salaire serait plus haut, voire correct, ça justifierait l’édification d’un monument pharaonique ?

      Je continue a faire le con. Peut être. Mais sans animosité. Je m’excuse pour le ton franc-tireur.

      s.i.

      • mercredi 9 juin 2010 à 15h58, par un-e anonyme

        « Bon, et si le salaire serait plus haut, voire correct, ça justifierait l’édification d’un monument pharaonique ? »
        Certes non... Surtout pour un truc kitch comme ça... Mais bon c’est d’autant plus scandaleux, rapporté au niveau de vie (même très aproximatif !...)



  • mercredi 9 juin 2010 à 16h17, par HN

    Merci pour cet article.

    Très intéressant comme on peut dire aux gens de regarder derrière eux pour leur éviter de voir le mur qu’ils vont prendre dans la face à cause de leurs gouvernants.

    Marrant de voir que cette technique vieille comme Hérode (non, non, il ne s’agit pas d’un grec ;-)) fonctionne toujours aussi bien quel que soit le pays où on l’applique.

    Ces manies identitaires m’agaçaient auparavant mais commencent vraiment à me faire pitié tellement elles sentent la paresse intellectuelle...



  • mercredi 9 juin 2010 à 16h23, par PPellicer, varan des khlongs

    Article intéressant, bien écrit et instructif. J’avais déjà apprécié l’article sur l’Australie...je ne sais pas combien des membres d’Article XI voyagent, et à quelle fréquence ils le font, mais merci de continuer !

    Concernant la situation dans les Balkans, dire qu’elle est inquiétante serait proverbial. C’est probablement le coin d’Europe le plus touché par le fléau des nationalismes agressifs.
    C’est bien d’expliquer clairement comment ce type de politique naît et « fonctionne ». Toujours étonnant aussi de voir à quel point une partie (importante) du peuple, trouve refuge dans les valeurs les plus conservatrices et soutient les politiques les plus bestiales (et ses représentants les plus démagogues). L’ignorance et la naïveté n’expliquent pas tout. Les bas instincts sont assurément plus faciles à mobiliser que leur contraire.

    • mercredi 9 juin 2010 à 17h00, par la bottine souriante

      ça donne envie d’aller en Macédoine.
      c’est bien de pouvoir faire une pause pour fumer une clope par la fenêtre du train à la frontière

      de quoi se plaignent les voyageurs d’article XI ?

      et si ils allaient faire la chasse aux ricains qui mangent au resto à Athènes avec le drapeau américain sur la table, hein ? y’a pas de témoignages pour ça ?

      ou alors peut-être qu’ils ont pas envie de mourir à 33 ans comme Alexandre et
      qu’ ils pensent à leur retraite.

      c’est pas trop tôt.
      on va y arriver !



  • mercredi 9 juin 2010 à 17h17, par RdM

    D’autres infos sur la Macédoine, photos, textes, documents, cartes, news, etc... sur www.republiquedemacedoine.com .

    Le Webmaster

    Voir en ligne : RepubliquedeMacedoine.COM



  • mercredi 9 juin 2010 à 19h55, par pièce détachée

    Ce « casse-tête identitaire » autour de la figure d’Alexandre se ramifie, précisément au même moment, jusque dans l’Hindou Kouch (vallées de Hunza et du Chitral), aux confins de l’Afghanistan et du Pakistan, où certaines populations affirment également descendre d’Alexandre et de son armée :

    « Les récents travaux du psychosociologue Nikos Kalampalikis montrent [...] [la] présence croissante [d’Alexandre] dans la construction identitaire contemporaine grecque [1]. Sa résurgence dans ce pays semble se faire aux mêmes dates (il y a environ une vingtaine d’années) que celles observées dans l’Hindou Kouch. Le renouveau se manifeste par exemple dans le conflit opposant la Grèce à la république de Macédoine. [...] Dans cette surenchère, les deux parties sont logiquement allées chercher une justification supplémentaire de leur identité chez ceux qu’elles considèrent comme leurs « descendants ». Les financements [grecs] récents accordés au programme d’aide aux Kalash [du Chitral] peuvent se lire à travers ce prisme. Il existe en Grèce des dizaines de documentaires, films ou livres récents traitant des Kalash. De leur côté, les Macédoniens n’ont pas hésité à affirmer que les véritables descendants d’Alexandre se trouvaient en réalité dans la Hunza [...]. En juillet 2008, le prince Ghazanfar Ali Khan et la princesse Rani Atiqa, de la Hunza, ont été invités à Skopje et ont déclaré être « honorés de revenir dans leur pays, la Macédoine » [...]. À la même période, un autre phénomène de récupération s’est greffé sur cette première reprise du mythe. [...] [Les Kalash] ont fini par symboliser, bien malgré eux, les peuples occidentaux en lutte pour leur identité dans un environnement islamique hostile. [...] Dans la construction intellectuelle qui cherche à diviser le monde entre civilisés et barbares [...], les « descendants » d’Alexandre le Grand connaissent donc un succès croissant, comme en témoignent les nombreux reportages ou références postés sur des sites Internet partisans de la défense d’une identité occidentale homogène, qu’elle soit nationale [...] ou religieuse. »

    [1] Nikos Kalampalikis, Les Grecs et le mythe d’Alexandre. Étude psychosociale d’un conflit symbolique à propos de la Macédoine, L’Harmattan, Paris, 2007.

    — Source : Nicolas Autheman, « Nous sommes des descendants d’Alexandre le Grand », Le Monde diplomatique, mai 2010 (sans doute bientôt en ligne sur le site du Diplo).

    Je trouve comme toi, Timothée, que ces processus sont « passionnants et dramatiques ».

    • jeudi 10 juin 2010 à 02h51, par thé

      Pas exactement la même chose car je doute que dans « l’Hindou Kouch (vallées de Hunza et du Chitral), aux confins de l’Afghanistan et du Pakistan, où certaines populations affirment également descendre d’Alexandre et de son armée »,
      on veuille adopter le modèle Etat-Nation

      • jeudi 10 juin 2010 à 14h12, par pièce détachée

        Évidemment non. Mais un tel point d’ancrage aux mythes et aux manipulations — la région fait l’objet de fantasmes tenaces (« Toit du Monde », « tribus perdues, Grèce retrouvée », « nos ancêtres les Aryens », etc.) —, ça vous a tout de suite de la gueule, quel que soit le genre de cuisine auquel on veut se livrer. Même — plus ou moins consciemment — chez les linguistes, les archéologues, les historiens les plus austères. C’est dire.

    • jeudi 10 juin 2010 à 10h15, par HN

      Je vous ai pas dit ? Alexandre le Grand, c’est mon père en fait.

      J’ai donc un droit absolu sur la Macédoine, la Grèce, l’Iran et une partie de la Turquie...
      Alors je voudrais 1000000€, un kebab et du houmous.

      Et vite !!

       ;-)



  • mercredi 9 juin 2010 à 19h58, par fred

    à Thimothée

    Merci pour votre article.

    A l’heure du tgv où personne ne se parle, vous avez mis à profit ce temps (que nous appelons perdu) pour rendre compte d’une situation et prendre contact avec les autres passagers. Je ne connaissais pas du tout ce sujet de discorde entre Macédoine et Grecs...encore une découverte sur A.11 !

    Cette histoire de statue m’a fait penser à une autre polémique autour d’un monument dont j’avais lu un article sur le net : Le Monument de la Renaissance Africaine à Dakar au Sénégal, dressé pour que « L’Afrique émerge de l’obscurité et regarde audacieusement vers l’Occident pour initier un nouveau dialogue, après des siècles d’esclavage et de colonisation » - oui, vaste programme !!! (article journal du Mali).

    Encore quelques lignes de l’article :

    « Le président a dépensé 15 milliards de francs CFA (23 millions d’euros), moi j’encaisse 1 000 francs (1,5 euro) par jour. Il ferait mieux d’aider les gens à vivre. »

    Finalement, en Europe comme au Mali, ces monuments divisent au lieu d’unir, mais n’est-ce pas là le but non avoué de tout culte ?

    Je vais être comme Tela est dire :

    Comme si avoir une glorieuse histoire pouvait être le seul remède à leurs maux

    • mercredi 9 juin 2010 à 21h17, par Varan des khlongs

      Ah ce beau monument dans le style social-réaliste comme on n’en a guère vu que dans les ex « républiques populaires » (ou bureaucraties communistes). Probablement les premières sociétés de l’histoire à avoir complètement aboli l’idée de « beau » le temps qu’elles ont tenu.
      Ça vaut bien 15 petits milliards (même en CFA).

      Et l’architecte est nord-coréen non ?

    • jeudi 10 juin 2010 à 10h19, par HN

      Dans le style mégalo aussi : la Basilique de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire.

      Elle pourrait servir de garage pour la Basilique St Pierre de Rome...



  • jeudi 10 juin 2010 à 10h09, par Lio

    Merci Timothée, votre témoignage résume parfaitement la situation que j’ai pu découvrir il y a 2 semaines lorsque j’étais sur place pour mission d’étude (archéologique). J’avais déjà passé quelques temps en Macédoine en 2006 et 2007 et le changement est ahurissant, trois ans plus tard, au niveau de l’urbanisme !

    Ce projet d’architecture débridée et clinquante au bord du Vardar, sans parler de ces présomptueuses statues, quel horreur...

    • jeudi 10 juin 2010 à 15h45, par la bottine souriante

      somme toute, c’est ironique aussi la République de Macédoine
      compte tenu que les moyens ne sont, en réalité, pas pharaoniques.

      bien entendu que c’est du foutage de gueule leur bouclier social

      ça génère du nous et du eux en béton armé

      pour la bonne raison que ça fait le jeu du règne du profit

      est-ce que maintenant, il serait possible d’aller plus loin ?

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