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samedi 11 septembre 2010

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posté à 21h16, par ZeroS
18 commentaires

Poétique du cache-misère – Toulouse et le « nettoyage artistique » du Canal du Midi
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A Toulouse comme ailleurs, le même processus d’uniformisation : derrière les bonnes intentions affichées (faire vivre la culture, revaloriser le patrimoine...), les municipalités cherchent surtout à éjecter les indésirables du territoire urbain. En s’attaquant au cas du Canal du Midi célébré par la ville rose, ZeroS en livre un énième exemple, documenté et convaincant.

A-t-on déjà fêté vos vingt ans le jour de vos vingt et un ans ? Jamais ? Alors peut-être que votre entourage vous aime et se montre suffisamment attentif pour éviter ce genre d’étourderie. Malencontreusement, c’est ce qui est arrivé à Pierre-Paul Riquet, le père du Canal du Midi. Ces temps-ci (année 2010), Toulouse festoie dignement autour de sa dépouille pour ses quatre cents ans… L’année de ses quatre cent un ans1. Tyrannie des chiffres ronds, mais mieux vaut tard que jamais !

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Pierre-Paul Riquet Le Magnique

Pour glorifier dignement son Canal, Toulouse a déployé sur ses berges une artillerie lourde de sucreries artistiques qu’elle a (bien) nommé Chemin(s) d’eau. « Poétique du platane » ou « florilège fluvial » : personne ne sait réellement quels justes qualificatifs employer pour désigner cet instant tanné de prestidigitation urbaine.

« Qu’il est loin mon pays, qu’il est loin
Parfois au fond de moi se raniment
L’eau verte du canal du Midi
Et la brique rouge des Minimes »2

«  O moun païs, ô Toulouse, ô Toulouse »… les accents béats de nostalgie droitière et chaleureuse de feu Claude Nougaro, artiste international de renommée locale, nous arracheraient presque des larmes. Cependant, les berges du Canal, des Ponts-Jumeaux au Port Saint-Sauveur3 en passant par la gare Matabiau, relèvent plus des Contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski que de la mièvre prose du jazzman régional, dont l’immense portrait glorifié à l’entrée de la rue Pargaminière fleure bon l’impuissante mégalomanie culturelle de la Ville rose4 nouvellement socialiste. D’ailleurs, les eaux du Canal ne sont pas vertes, mais verdâtres en raison de la stagnation et de l’envasement permanent. Les coûts exorbitants des drainages, de Toulouse à l’étang de Thau, asphyxient la capacité d’intervention des collectivités territoriales et de Voies navigables de France (VNF)5.

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Claude Nougaro : here we rock ! VS Buko en lui-même

De jour, sportifs Décathlon, vieilles bourgeoises décaties, touristes fluviaux et ballots en transit se partagent des résidus de chemins de halage pour, respectivement, entretenir des corps sains, promener des bichons frisés, fuir Toulouse au plus tôt6 et observer le spectacle désuet d’une historique saignée fluviale cautérisée à l’asphalte. Entre chien et loup puis de nuit, les abords du canal deviennent le territoire étrange des prostitué-e-s en tous genres, des sans-abri et de squatters que le quidam ne saurait voir. Ce canal-là dérange et «  si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, eh bien […] »7 les édiles ne savent plus de quels subterfuges user pour soigner l’honnête concitoyen.

La dynastie Baudis et (en suivant) le couple médiocre Douste-Blazy/Moundenc avait transformé le titre de l’ouvrage de Michel Foucault, Surveiller et punir, en principe directeur dilué par un simple adverbe. Surveiller et punir mollement. Les trois dernières décennies menées par un extrême-centre-droit médiocre furent totalement antisociales. Le Canal est resté en friche. A l’occasion, la police tassait les mauvaises herbes. La Dépêche du Midi noircissait ses colonnes « diversion »8. La situation se détériorait. Aucune perspective n’était esquissée. À croire que certains premiers magistrats avaient investi dans les réseaux de prostitution9… Récurrence du retour à l’anormal. Ce n’est qu’à l’approche du chant du cygne de droite qu’a émergé un projet formidable de cages à lapin bon marché estampillées Kaufman & Braud – la ZAC des Ponts-Jumeaux10 – qui n’est pas sans rappeler le meilleur de l’architecture populaire mussolinienne à Rome. Autre époque, mêmes mœurs… la concertation en plus.

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ZAC des Ponts-Jumeaux en 3D
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Architecture populaire néo-mussolinienne

De bouche-à-oreille, une légende urbaine persistante se transmet entre générations. Celle-ci raconte qu’entre le déclin du commerce fluvial et les débuts de la dynastie Baudis, un projet avait été soumis de couvrir l’inutile Canal pour couler le premier boulevard périphérique toulousain digne de ce nom. Il n’en fut rien, bien que cela n’empêcha pas l’arrivée en grande pompe de l’automobile et l’endiguement concomitant de la voie fluviale par quelques tonnes de goudron. Privé d’une vie dense et riche lorsque le rail et la route l’ont emporté sur l’eau, le Canal n’a pas cessé d’être négligé11 jusqu’à l’arrivée triomphante au Capitole d’une faible majorité socialiste gonflée aux bons sentiments et à la volonté infaillible.

Une politique PS municipale de qualité ne peut être que citoyenniste12 et « culturelle » comme pour Lille, Lyon, Montpellier, Nantes, Paris, etc. Toulouse doit se sculpter une image singulière parmi les métropoles (française) qui comptent. Elle bénéficie de la mono-économie du kérosène13 qui lui garantit un avenir radieux au long cours après délocalisation et/ou crise énergétique tel Manchester ou Detroit. Cependant, au sein de la concurrence territoriale globale, il faut rendre les villes attractives14 et parler aux classes créatives – motrices de l’économie immatérielle – comme l’a théorisé le prophète américain Richard Florida15. En ces temps de post-modernité, post-fordisme, capitalisme cognitif, cultural turn et autres gâteries virtuelles, il est de bon ton de brandir l’étendard cultu(r)el, même avec moins d’argent, pour peaufiner l’image de la cité et satisfaire les créateurs. Sous-créatifs, grégaires et autres conservateurs s’abstenir !

Que faire pour reconquérir un territoire non grata16 ? Une interstice misérable ? Un pli urbain ? Une marge récalcitrante ? Envoyer régulièrement les condés pour éradiquer le racolage passif, vider les squats et déloger les campements de sans-abri ? Oui, mais encore ?…

La Canal livre quotidiennement à qui s’y intéresse des chroniques sociales désastreuses. Remémorons-nous, par exemple, quelques usages des hangars désaffectés de la SNCF derrière la gare. Je me souviens de la venue épique de teufeurs sur la radio associative FMR pour appeler au soutien contre leur expulsion imminente. Une année plus tard, un ami en maraude avec Médecins du Monde débarquait non loin de là pour intervenir auprès d’un groupe de migrants roumains fraîchement arrivés dont un membre avait été sèchement planté. Ceux-ci refusaient vigoureusement de se rendre à l’hôpital de crainte d’être expédiés illico presto hors du territoire national. Etc.

Cependant, les dramatiques péripéties qui ont mené à un retour autoritaire de la puissance publique vers le Canal s’incarnent en 2008 à travers le nettoyage d’un camp de sans-abri (résidu du mouvement Don Quichotte ?) qui agaçait les riverains et le responsable des berges (la VNF) et s’exhibait aux yeux de tous les voyageurs qui pointaient le bout de leur nez hors de la gare. Après plusieurs mois d’occupation, la noyade d’une jeune fille aux abords du campement a accéléré la procédure et le relogement manu militari des sans-abris, dont la presse locale a largement fait écho. Ici, la principale problématique ne réside pas tant dans la résolution d’une situation donnée, mais de la manière dont le placebo est administré… c’est-à-dire en ne s’occupant que de ce qui est visible, spectaculaire et dérangeant. Tant pour les élus que pour les médias locaux, peu importe que des logements de fortune pullulent sous des ponts inaccessibles de la Garonne ou du Canal latéral17, puisqu’ils sont silencieux, inodores et invisibles.

Chemin(s) d’eau. Telle est donc l’appellation d’origine instituée de la poétique du cache-misère. Nous ne saurons jamais, des acteurs concernés (élus, techniciens, artistes, etc.), si l’alibi cultu(r)el est issu d’une réelle volonté politique d’oublier et de dissimuler une vie fluviale de peu de vertu ou si le fonctionnalisme ambiant crée une amnésie collective produite par notre société technocratique. Quoiqu’il en soit, malgré les surenchères mémorielles, nous vivions dans un présent de narration qui n’envisage que le futur antérieur et le passé simple. Tyrannie de l’instant ou présentisme 18 ? Peu importe, l’essentiel est de fêter dignement les quatre cents ans de Pierre-Paul Riquet, même si l’histoire immédiate du Canal s’est déjà estompée.

Avant d’enchanter les berges, notamment à la place du campement devant la gare, il fallait les laisser s’aérer, la végétation se régénérer et surtout éviter toute possibilité d’investissement des lieux par de nouveaux nuisibles. Résultat : 300 mètres de grilles métalliques couleur rouille. Une variante locale du green washing.

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Clôt pour cause de « régénération végétale »

Lorsque Dame Nature est de retour, il faut laver plus blanc que blanc ; c’est pourquoi Chemin(s) d’eau fait appel à des artistes. À la jonction de la rue Bayard19, l’espace est envahi par des êtres de grillage à poules et de feuilles séchées de platanes, prénommés Pheuillus. Le peuple des Pheuillus est une installation évolutive de la compagnie Le phun. Et bien sûr, il n’est pas question de savoir quels sont les objectifs des artistes, si tant est qu’ils en aient. Tant mieux, cela permet de valider les préceptes du Maître ignorant et du Spectateur émancipé de Jacques Rancière20. Pourquoi connaître les intentions de prestataires de service puisque dans un mode de gouvernance où règne l’amnésie fonctionnelle, personne n’est responsable de rien21.

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Diaspora du Peuple pheuillu

Peut-on blâmer les membres d’une compagnie qui ont durement lutté à la marge pour la constitution d’un champ des Arts de la rue22, la naissance du concept attrayant des « Nouveaux territoires de l’art »23 et la réalisation de L’Usine, espace onéreux de création aux réminiscences fordistes. De l’angle mort à l’Institution, une vingtaine d’années suffisent pour inventer l’artistic washing et cautionner les faits et gestes « d’un Parti socialiste pour lequel le rose est déjà bien trop rouge »24.

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Les Pheuillus, kézako ?

« Les Pheuillus, créatures anthropomorphes, nous ressemblent moins par leur forme que par leur double condition : ils ont en eux la mémoire des saisons mortes, et ils marchent. »
Cette citation extraite de leur site suffit pour faire des Pheuillus un raccourci cognitif de la condition humaine qui ne se dispense pas d’un joyeux oxymore. Leur mémoire des saisons mortes ne semble pas aussi affûtée qu’ils l’affirment. Au passant alors d’imaginer ce que contemplent les deux petits Pheuillus en bord d’eau. Peut-être le cadavre flottant d’une histoire récente ?

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Petits Pheuillus deviendront grands

La colonisation culturelle est une composante du processus de gentrification et d’homogénéisation sociale des centres villes européens25. À Toulouse, il est possible de douter d’un tel assaut des classes moyennes et supérieures dans le centre-ville26. En réalité, celui-ci n’a jamais cessé d’être bourgeois à l’exception de quelques interstices et poches de résistances27. Le Canal du Midi est encore un point de blocage des politiques publiques d’aménagement. Nonobstant, la pression démographique et immobilière (ZAC de Ponts-Jumeaux, immeubles de la rue Jean Dagnaux28 et agrandissement du Conseil général de Haute-Garonne) va nécessiter de rendre la voie d’eau plus abordable. Faute de vraies ambitions sociales en mode bottom-up et d’une distribution égalitaire des richesses, les marges qui s’y exposent ne disparaîtront pas mais se recomposeront rapidement ailleurs, hors champ.

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Malgré tout…


1 Pierre-Paul Riquet est né le 26 juin 1609.

2 Pour qui désire agrémenter sa culture musicale de quelques chansons ennuyeuses, le répertoire intégral des textes de Claude Nougaro se trouve aisément sur Internet dont « Ô Toulouse ». De manière non prosélyte, afin de ne pas favoriser l’un plutôt que l’autre, je ne vous offre pas de liens. Bon courage !

3 Ponts-Jumeaux :

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Et port Saint-Sauveur :

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4 Cette appellation est largement galvaudée. Elle tient plutôt du marketing territorial patrimonial que de la réalité historique. La couleur « rose » est le résultat d’un lifting architectural récent de l’hyper-centre. Il y a deux décennies et demi la ville était grise.

5 Établissement public français en charge de la gestion, de l’exploitation et de l’entretien des voies fluviales de l’Hexagone.

6 Ces touristes, souvent étrangers, paient très chers leurs séjours et s’intéressent plutôt à l’après Toulouse plus « naturel » et « sauvage ». Cette activité est la seule voie de reconversion économique qui a émergé à la fin des dynasties de bateliers et d’éclusiers dans les années 1960. Il serait intéressant de savoir aujourd’hui combien les collectivités investissent dans l’entretien du Canal et combien elles récupèrent de l’exploitation par des compagnies privées. Y a t-il un effet « payer les passagers pour voyager » comme Le Diplo le soulignait pour l’exploitation de l’aéroport de Carcassonne par Ryan Air ? Alors, trickle down effect territorial ou sodomie du contribuable ?

7 Extrait célèbre d’un discours de Jacques Chirac ayant donné son titre à une chanson de la deuxième fierté artistique locale, de gauche cette fois-ci, Zebda.

8 Afin d’en apprendre davantage sur ce canard local et son patron, Jean-Michel Baylet, élu Parti radical de gÔche, il faut retrouver l’exemplaire n° 19 du Plan B et lire l’article « Les casseroles du patron ne font pas de bruit », p. 6.

9 Clin d’œil sardonique à l’affaire Patrice Alègre où le centre gauche (Jean-Michel Baylet) a essayé de dézinguer le centre droit (Dominique Baudis) dans une macabre affaire de mœurs.

10 Zone d’Aménagement Concerté… un pendant de la démocratie participative au service des promoteurs immobiliers. Kaufman & Braud est le concurrent de Bouygues ou Monnet-Decroix c’est-à-dire, étymologiquement, qu’ils courent ensemble, main dans la main, après s’être partagés les marchés.

11 Malgré tout, le Canal a été classé à l’UNESCO en 1996, ce qui n’est pas sans conséquences sur les obligations d’entretien (et leur coût).

12 La ville de Toulouse a organisé après l’élection de Pierre Cohen en 2008 de multiples assises participatives dont des « Assises de la Culture »… Le succès fut relatif. Ça a fonctionné quant il s’agissait de mobiliser des professionnels méfiants (culture) mais peu lorsqu’il fallait réunir le citoyen lambda (mobilité). Systématiquement, le cadre est imposé du haut vers bas. Le rôle des participants est exclusivement consultatif et le risque est de donner une légitimité « citoyenne » via la « participation » à des politiques qui font la part belle au lobbying des copains. Poudre aux yeux.

13 L’actuelle fortune de l’agglomération toulousaine (+ 20 000 hab/an, chômage inférieur à la moyenne nationale) s’appuie réellement sur un seul secteur d’activité : « l’aviation civile ». Les édiles développent un discours sur la pluriactivité peu probant. La métropole est à la merci des profits des actionnaires d’EADS et des variations du cours du baril de pétrole brut.

14 La ville de Toulouse a brûlé quelques centaines de milliers d’euros en campagne publicitaire et chargés de mission externalisés (dont Olivier Poivre d’Arvor, le frère de) pour être Capitale européenne de la Culture en 2013… Malheureusement : victoire de Marseille par KO grâce à la divine intervention de Nicolas S. en perspective d’un axe économique « euro-méditerranéen » fort et du copinage droitier avec Jean-Claude Gaudin.

15 La revue scientifique en ligne, Metropoles, offre quelques perspectives critiques quant à ce concept. Vous pouvez par exemple lire l’article de Roger Keil et Julie-Anne Boudreau.

16 Une multitude d’espaces des (im)possibles aux fortunes diverses ont émergé dans des quartiers bordant le Canal : feu Clandé, feu le Château, feu Brazil, la Chapelle, les Pavillons Sauvages (feu dit « Chaussas » ?), Cocotte, l’Observatoire, Mix’art Myrys conventionné, etc. Notons qu’une usine importante d’Airbus (celle des ouvriers et non des cadres), qui tourne aux trois-huit, se situe à proximité du Canal.

17 Le Canal latéral est le prolongement du Canal du Midi, qui part des Ponts-Jumeaux jusque Bordeaux.

18 Concept scientifique trendy, notamment développé par l’historien François Hartog.

19 Rue affublée de « mœurs douteuses », qui alimente les fantasmes des honnêtes hommes. Nous regretterons la disparition récente de L’Étincelle, rade nocturne miteux à pickpockets (dixit un ex-serveur), où était servi une délicieuse assiette steak-frites à toute heure de la nuit. Début de la Reconquista ?

20 Le premier est en poche chez 10/18, le second édité par La Fabrique.

21 Idée pas très éloignée de Gouverner sans gouverner du philosophe belge Thomas Berns publié au PUF.

22 Radio Grenouille à Marseille propose une rétrospective sur le sujet.

23 Ils ont une bonne décennie, à partir de quand ne seront-ils plus « nouveaux » ? De la documentation sur les NTA sur le site Artfactories.

24 J’emprunte l’expression à Mr X. qui se reconnaîtra. Merci à lui. Aussi, une couleur verte trop flamboyante semble endolorir les passions artistiques des élus socialistes. En effet, une installation de Chemin(s) d’eau de Dimitri Xenakis, étouffant les platanes, a été contestée par l’association écologiste Les Amis de la Terre, puis lacérée au couteau par de sauvages anonymes. Le même sort sera-t-il réservé aux Pheuillus ?

25 Lire les travaux de Jean-Pierre Garnier (interviewé récemment par Article11, entretien à lire ici) sur la question ou, dans une perspective extra-nationale, ceux de Jordi Nofre di Matei sur Barcelone, qui a publié un récent article dans la revue Sud-Ouest Européen et dont l’entretien sera publié ici un peu plus tard dans le mois.

26 En revanche, les classes moyennes vont rapidement se ruer sur les nouveaux logements sociaux des banlieues proches en pleine réhabilitation via l’accomplissement du Grand plan ville (GPV pour les intimes). Les quartiers Bagatelle, Mirail et Reynerie, à horizon d’une vingtaine d’années, équipés culturellement et proche de la zone franche de Basso Cambo n’auront plus le timbre de la dissonance aux détriments de nouvelles périphéries plus éloignées.

27 Les nombreux étudiants consommateurs sont aussi une composante de la gentrification. À vue d’œil, en place publique, des quartiers comme Arnaud Bernard ou Saint-Aubin semblent populaires. Cependant, pour le dernier, en regardant les prix des produits du marché dominical et les discussions des enfants de CM2 de l’école primaire sur les lycées prestigieux qu’ils souhaitent intégrer (Pierre de Fermat, Saint-Sernin), il y a matière à être dubitatif.

28 Rue du squat des Pavillons Sauvages, dont l’occupation des terrains fut un objet de conflit et de négociation avec les propriétaires-promoteurs et la mairie. La friche conserve un petit tiers de la rue pour ses activités. Le statut est en discussion.


COMMENTAIRES

 


  • Dans la même veine, tout en images : http://collectifkicycol.free.fr/?p=3177



  • Bien incisif tout ça, je m’a régalé ! Et pourtant j’aime l’oeuvre de Nougaro, qui a fini sa vie dans un petit village de l’Aude, peu soucieux de devenir la figure de proue d’une ville qui sut accueillir, à la française, les immigrés italiens...Il a dû sentir, lui aussi, cette odeur de violette entêtante posée sur Toulouse comme un châle sur les épaules d’une vieille catin.



  • bel article bien documenté...mais pourquoi donc sous entendre - toujours - que les artistes sont soumis à la décision du politique...une oeuvre d’art dans l’espace public peut permettre une(re) contextualisation d’un site, et d’être surpris par un autre regard, en l’occurence celui d’un artiste. Vous citez les Pheuillus du Phun...je n’ai pas l’impression qu’ils donnent une image plus positive au canal...mais plus une réalité sensible et une poésie évidente telle que vécue et montrée par la compagnie. Je ne parlerais pas - enfin - de l’aspect « onereux » de l’Usine...à moins que vous ne pensiez que la culture doit avoir un coût, au quelle cas vous devez vous régaler de la politique nationale actuelle du Ministère de la Culture...



  • je dois admettre la démonstration est convaincante.

    Pi le gars semble connaitre la ville largement mieux que ses habitants, dont il semble être quand meme.

    Mais bon, tout ça me laisse un gout un peu amer, notamment en ce défaitisme un peu cynique sur la situation actuelle dans la ville (j’ai pas dit rose).

    Car c’est incontestable, l’entreprise de reconquête de l’espace par les puissants a commencé, rien qu’en quelques années, on a vu le panorama s’étioler.

    Mais il faudrait aussi pour ça ne pas oublier les luttes. Et les victoires.
    Je déborde du cadre du canal, mais l’échec patent de faire du quartier Compans-Caffareli un quartier d’affaire en pleine ville me semble assez marquant, c’est pas si fréquent. Et Arnaud Bernard a toujours une vie plutôt active. Les Minimes aussi à un degré moindre.
    Les squats sont également en plein essor, avec une recomposition au moins aussi rapide que sa décomposition/expulsion. Et l’identité de quartier subsiste malgré tout comme à Marseille.
    Même si ça a été largement exagéré, il subsiste quand meme dans la cité un certaine mélange entre classe aisées et populaires, il n’y avait jusqu’à y il encore quelques décennies pas ce marquage flagrant entre quartier riches et quartier pauvres comme à Paris par exemple. Ville bourgeoise me semble un raccourci simple sur ce côté là.

    Après effectivement, l’histoire universelle de toulouse (merci dell’umbria) n’est pas écrite donc je dis ça ...

    Et sur les pheuillu, autant c’est un clair alibi pour la mairie, autant je ne crois pas la démarche des « artistes » (où ceux que l’on prétend artiste, c’est un autre débat) aussi cynique, ils ont tout simplement suivi l’air du temps, boboisant et lavant plus vert. N’allons pas leur donner plus d’importance qu’ils en ont. Et puis le projet était principalement là pour les touristes, pour le reste, ca nous est passé un peu au dessus de la tete.

    Et pour finir, sur ce point entièrement d’accord avec vous, les banlieues périphériques (spécialement blagnac) c’est vraiment un paradis a nouveaux riches. Avec tout son cortege de controle social et de gentrification. Toulouse en elle même reste dans une situation bâtarde, alors que les banlieues évoluent beaucoup plus vite.

    Bon sur ce, avant de dire des conneries et de chauviniser à outrance, je retourne boire un verre sur les quais de la garonne.

    • @ 22:08 :

      Ce texte a une double perspective : sardonique et critique. Provocation donc, mais pas totalement fortuite.

      Dans le cadre de Chemin(s) d’eau, quelques artistes ont soumis leurs œuvres aux passants - dans leur grande diversité. C’est bien la moindre des choses que d’attendre des retours ! Une réaction, même critique, atteste au moins qu’un des objectifs est atteint : celui de ne pas être totalement ignoré. Rien n’est pire, peut-être, que l’apathie. Le plus grand des mépris aurait été de ne rien écrire.

      Quant aux affres de l’interprétation, je citais J. Rancière parce que dans sa réflexion, il vous permet d’y voir de la poésie et m’offre l’occasion de déceler autre chose (et ça peut totalement être complémentaire). Par ailleurs, le discours sur la re-qualification des lieux, de l’espace public et sa mise en poésie est entièrement construit par les acteurs dans les Arts de la rue. C’est une composante discursive récurrente majeure de la légitimation institutionnelle de cette forme d’expression artistique professionnelle.

      Personnellement, quand je longe le Canal, je n’ai pas nécessairement besoin d’installations artistiques pour saisir la poésie de l’instant ou du lieu, que les éléments qui me soient donnés dépeignent les univers d’un Charles Bukowski ou d’un Claude Nougaro.

      La conception romantique héritée du XIXe siècle des « artistes » - même occasionnellement subvertie - m’ennuie parce qu’elle est essentialiste et ne sert aujourd’hui qu’à défendre les intérêts d’une corporation bien mal en point faute d’être capable de se projeter au-delà de son univers propre et de ses habitudes. La politique culturelle publique actuelle est le fruit d’un rapport de force inexistant. Certains piliers de la profession ne sont pas suffisamment menacés pour être capables de sortir vigoureusement des cadres contractuels établis. En rester au dissensus autorisé suffit. Je précise :

      Spécifiquement, quant aux Arts de la rue et/ou aux Nouveaux territoires de l’art, je pense qu’est à l’œuvre le même processus qui a eu lieu pour les musiques dites « amplifiées » (mais j’espère me tromper). Dans ce dernier cas, l’émergence de structures, de circuits et de réseaux a été portées par des « activistes » durant les années 1980-90. Progressivement ceux-ci ont été remplacés, non sans violence symbolique, par des cadres gestionnaires frais moulus sortis de formations universitaires en « médiation culturelle » afin de gérer des SMAC et autres salles conventionnées aux programmations minables si l’on se permet des détours hors champ, « à côté », dans la multitude que constitue les pratiques « amateurs ». En revanche, les seconds contrairement aux premiers maîtrisent aisément le novlangue issu du management néolibéral qui norme la demande institutionnelle (et la production culturelle) depuis une grosse décennie. Aujourd’hui, les écoles de commerce produisent des personnes plus compétentes encore pour s’occuper de gestion culturelle que les universités...

      Bien entendu des jonctions entre les deux sphères sont nécessaires pour vivifier le stock institué, cependant faute de place une certaine rigidité s’impose. Peut-être est-ce pour cela que les lignes de fuite ne résident pas dans les luttes corporatives - même underground - mais peut-être dans une transformation radicale de l’organisation du travail et par-là même de la représentation dominante de « l’être artiste ». Je parle en terme de dynamique et de processus. A Toulouse, l’Usine et Mix’Art Myrys semblent encore sous des régimes hybrides... à Marseille, la Belle de Mai a perdu de sa superbe de friche artistique autogérée implantée dans un quartier au profit des industries culturelles.

      Les principales métropoles françaises sont dirigées par le parti socialiste. Si le social libéralisme, même au local, soignait autre chose que ce que certains appellent par raccourcis la « classe créative » (même d’extrême gauche), peut-être que les inégalités socio-économiques seraient un tant soit peu diminuées. Les politiques culturelles publiques étatiques sont un échec criant et cela n’a pas commencé durant le règne de Nicolas Sarkozy. Dans la famille « faux-amis », Jack Lang et d’autres édiles socialistes ont leur part de responsabilité dans le marasme actuel.

      @ un toulousain :

      Si j’étais un tantinet taquin, je demanderai que pèse l’institution en cours de quelques lieux (Mix’Art Myrys et Pavillons Sauvages) sous des formes diverses et les vies et morts de quelques squats en mode TAZ face à la vigueur actuelle de l’inflation immobilière (tant financière que matérielle) aux alentours du Canal ? Je serai tenté d’avancer : « fort peu de choses ».

      J’aime Toulouse et reconnais la vivacité passée et présente (et j’espère à venir) des alternatives en tous genres et des subversions populaires du quotidien qui ne se qualifient pas comme telles. J’ai correspondu à un ensemble de « tares » que je relève.

      Quant à Arnaud Bernard, je n’ai pas affirmé autre chose en note de bas de page que ce que tu soulignes (j’émettais des doutes sur Saint Aubin). Idem pour les motifs politiques et artistiques. En revanche, Compens Caffarelli peut tout à fait être rapproprié par les forces politico-économiques. Malgré tout, je ne suis pas pessimiste. Ce texte est à la fois un témoignage acerbe pour qu’une certaine réalité soit considérée et ne fonde pas dans l’oubli ou l’omission et un encouragement à continuer de creuser d’en bas des pistes qui pourraient redonner vie au Canal. Supprimer la route qui l’étouffe ? Réfléchir aux activités économiques qui peuvent s’y développer (hors tourisme) ? Rendre les chemins de halage accessibles ? Etc.

      Je note d’ores et déjà que j’ai l’intention de ne pas en rester qu’à une critique d’une politique de marketing territorial dont les habitants auraient pu se passer mais que j’entends bien à l’occasion mettre en lumière d’autres possibles novateurs et singuliers qui s’épanouissent à Toulouse.

      Afin d’échapper à la critique de réductionnisme, je noterai seulement que Blagnac n’est pas que le paradis de la classe moyenne aisée. Loin s’en faut. D’une part, j’irai chercher les plus riches autant dans l’hyper-centre que sur les coteaux. D’autre part, je gage qu’après la reconquête du Mirail, des poches interstitielles de pauvreté vont se constituer aux périphéries.

      • J’oubliais de soulever l’incohérence des politiques de marketing territorial. L’argument majeur est que promouvoir l’image de la ville sert l’économie locale donc les habitants. Cela s’appuie sur deux croyances : la première selon laquelle l’image d’une ville attire avant des considérations bassement matérielles (travail notamment) et la seconde pour laquelle il y aurait un effet de trickle down effect « magique ». Pour cette dernière, qu’est-ce qui atteste, par exemple, que la monnaie qui circule par le biais des réseaux touristiques est répartie de manière équitable (ne parlons pas d’égalitaire) sur le territoire ? Est-on capable d’apprécier les fuites ? Le souhaite-t-on ? Non, tout le monde n’est pas bénéficiaire de la mise en spectacle des territoires. L’exemple de l’aéroport de Carcassonne est caractéristique d’investissement de collectivités pauvres qui investissent... à perte. Dans un système économique concurrentiel - qui néglige les complémentarités -, tout fonctionne selon le couple gagnant-perdant.

        • de toute évidence, je maitrise pas mon sujet, donc je te laisse le dernier mot (on se tutoie entre concitoyens d’urbanité !). Et puis ça fait aussi du bien d’être bousculé dans ses croyances et projections sur « la ville rose ».
          Un détail cependant, je n’ai pas vu à un seul moment évoquer une dimension fondamentale de la ville, soit la question des étudiants, qui sont quand meme une bonne petite centaine de milliers et qui donnent un aspect assez particulier aux initiatives, en constant renouvellement, avec un suivi difficile, mais assez créatif.

          Enfin vu que tu va nous produire un deuxième papier a ce qu’il semble, j’attendrais la suite.
          Et si jamais t’es disponible pour prendre un godet, ce serait avec plaisir.



  • Quand même, les pheuillus, c’est assez sympa, faut le dire. J’aime bien les voir quand je traverse le canal pour aller prendre le train le matin, à la fin de ma nuit.... Ils sont là, fantomatiques, un peu bizarres...

    Mais à Toulouse, il se passe bien d’autre choses, et bon, je vais me permettre un HS, si vous permettez ! (pas si HS pisqu’on parle de Toulouse, con !) Voyez le lien !

    Venez ! Et venez nombreux !!!

    Voir en ligne : Communiqué de l’assemblée Populaire de PONZAN (TOULOUSE)

    • Je suis à Paris depuis quelques temps... pas suffisamment pour avoir perdu quelques attaches après un quart de siècle d’existence intensément toulousaine. Y revenir c’est même parfois salutaire. Ça permet de déplacer le regard.

      Oui, plus de 100.000 étudiants sur l’agglomération c’est énorme et ça constitue souvent un soutien fondamental quant au dynamisme de la vie culturelle, associative et des espaces autonomes. Après, il ne faut pas se leurrer, la minorité active est négligeable en rapport au nombre global d’étudiants et les boîtes de nuit périphériques font certainement plus le plein d’étudiants que les cafés-concerts et les lieux de déperdition alternatifs.

      D’expérience de nombreuses organisations de concerts de rock’n’roll en tous genres dans plein de lieux... très franchement quand nous étions à la fac, il y avait des étudiants (et encore ça se discute)... ensuite, c’est progressivement un même socle de public militant que tu croises et qui n’a pas grand chose à voir avec le monde estudiantin. Les impératifs professionnels rappellent rapidement à l’ordre les jeunes indisciplinés les moins motivés.

      Les assemblées populaires sont une vraiment chouette idée ! Bon courage.



  • Bonjour et merci pour cet article sur MA ville. ;-)

    Alors moi, je suis carrément au centre du débat, vu que j’habite depuis plus d’une décennie au bord du canal. Donc en plus de la vase et des mauvaises herbes du canal en ce qui concerne le centre de Toulouse, vous pouvez aussi rajouter une bonne pincée de plomb, vu que les boulevards (des Minimes par ex.) sont quasiment des autoroutes...
    Lorsqu’on arrive vers Rangueuil, l’atmosphère devient toutefois moins étouffante et on commence à voir un peu de végétation... « réellement » verte.

    Concernant notre « presse » locale, vous êtes dur. Elle suit directement le troupeau national, ne relatant la plupart du temps que les histoires de chiens écrasés ou... « tatataaan ! » d’insécurité.

    Pour finir, et appuyer encore une fois votre article, les prostitués ont été, comme le laissait présager les lois sur le proxénétisme de l’autre enflure là, légèrement décalées vers les Ponts Jumeaux et autres « sorties » de la ville.
    Il reste tout de même une tribu d’irréductibles « sistas » gauloises devant chez moi qui résiste encore et toujours à la maison poulaga, faisant rouler au pas tous les crevards en quête d’un petit coup... Et comme je suis un gros con de toulousain au volant, je hurle sur ces connards qui sont pas foutus de s’arrêter correctement. ;-)

    Cdlmt



  • « La colonisation culturelle est une composante du processus de gentrification et d’homogénéisation sociale des centres villes européens »
    C’est exactement ça, mais depuis très très longtemps en fait.
    Personnellement, ça fait depuis le début des années 2000 que j’ai déchanté sur Toulouse.
    Mais ce que je viens d’apprendre sur cette nouvelle investigation du canal est particulièrement signifiant : effectivement, après nous avoir pourri le monde, les cités vont recréer des bulles de salubrité environnementale pour momies privilégiées. Super.
    Moi je ne peux plus voir une manifestation culturelle en peinture.
    Avec une subvention on referme la bouche contestataire.
    Merci pour l’article, il est très documenté.



  • Salut, Je note le même passage que le commentaire précédent. A Clermont, Auvergne, où j’habite, la politique de la « ville créative » et l’instrumentalisation de la culture sont analogues. Tout plein d’outils ont été mis en place et pendant quelques années, il n’y avait pas moyen d’aller voir un concert sans être embarqué de fait dans une grande entreprise de promotion de la ville et de la région. ça s’essouffle un peu, à ce qu’il me semble, mais c’est peut-être aussi qu’échaudé, je suis parvenu à esquiver de plus en plus ces spectacles pénibles.
    Depuis deux ans, j’ai tenu un blog sur cette histoire, il est alimenté de façon sporadique, et il est aussi très concentré sur les enjeux locaux, mais enfin, je le signale quand même, peut-être que nos disputes d’ici pourront faire échos aux vôtres ailleurs.

    Voir en ligne : http://lepetitblousonnoir.over-blog...



  • Votre article est intéressant et je viens d’ailleurs le faire suivre à une copine qui semble être d’accord avec vous et je suis convaincue qu’elle m’en sera reconnaissante. Soyez remerciez pour ce billet et le temps pour partager ces opinions. Je serais enchantée d’avoir l’opportunité de lire votre blog à ce propos dans les prochains mois. Cela m’est vraiment très précieux ! Merci encore

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