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samedi 14 février 2009

Entretiens

posté à 09h07, par Lémi
14 commentaires

Retort : « Ils firent un désert et le nommèrent paix »
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Le tableau est noir, très noir. Et le propos essentiel. Retort, groupe informel d’activistes américains opposés à l’ordre capitaliste des choses, auteur du très recommandé « Des Images et des Bombes », a accepté de répondre aux questions d’Article11. Entre dénonciation sans concessions de l’Empire post-11 septembre, dégonflage de la baudruche Obama et mise à nu du néo-libéralisme guerrier, entretien fleuve.

Ils ont écrit, à quatre mains, le livre contemporain le plus percutant sur les tribulations sanglantes de l’impérialisme américain, entre guerre de l’image et néo-libéralisme guerrier : « Des Images et des Bombes. Politique du spectacle et néolibéralisme militaire » (éditions Les Prairies Ordinaires). Dans cet ouvrage (que nous avions déjà abordé ici) essentiel, ils mêlent avec virtuosité Debord et Hobbes, Nietzche et Milton, sautant d’une référence à l’autre pour dresser un état des lieux sans concession de la politique étrangère américaine et de ses conséquences désastreuses.

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« Ils », c’est Retort, un groupe d’intellectuels et d’agitateurs américains basés à San Francisco et soucieux de dénoncer un « ordre actuel des choses » qu’ils rejettent en bloc, sans concessions.
Le collectif a gentiment accepté de répondre à quelques questions, par mails évidemment. Lecture instructive pour qui se leurrerait encore sur l’état du monde et sur les « promesses » de changement d’Obama. Mais aussi pour ceux qui, encore et toujours, cherchent des raisons d’espérer et des moyens d’agir1.


Membres, acte de naissance, actions initiées : pouvez-vous présenter votre collectif ?

Retort est une réunion d’antinomiens, qui a pour base la baie de San Francisco. Nous ne sommes pas un collectif, nous n’avons pas de programme explicite ; nous sommes plutôt une équipe hétéroclite - écrivains, artisans, professeurs, artistes, scientifiques, poètes - rassemblée dans un réseau d’amitiés enrichissantes et partageant le même antagonisme envers l’ordre présent des choses. Nous nous sommes rencontrés régulièrement tout au long des deux dernières décennies, principalement pour manger et boire ensemble - nous sommes heureux de le confesser - mais aussi pour discuter de politique, d’histoire, d’esthétique, des termes et techniques d’oppositions au capitalisme - par la racine ou par les branches -, de l’Empire, ou des différentes versions de barbarie en stock à notre époque. Nous cultivons un profond amour des bistrots et tavernes urbaines, ainsi qu’une tendance à favoriser le plein-air (ballades, arrière-pays, piques-niques sur bâches, baignades dans des lieux sauvages…). Nous avons produit des pamphlets et des brochures pour des occasions particulières et, de temps en temps, nous organisons des réunions publiques - lectures, banquets, soirées cinéma etc. Il y a des collaborations de tous genres à l’intérieur du groupe.

Par ce nom, « Retort » (« riposte »), nous reconnaissons que nous sommes engagés dans une conversation très large dont nous rejetons les termes et les suppositions, et que nous restons au sol, de manière rhétorique ou pas, sans que nous puissions faire autrement. Nous sommes forcés de passer une grande part de notre temps - beaucoup trop, vraiment - en réfutations, dénégations, répliques juridiques. En un mot, à « riposter » (« RETORTing »). Celà fait également référence à un obscur journal non-sectaire des années 1940, qui portait ce nom et que nous songions sérieusement à faire revivre. Il était édité et publié depuis une cabane de Bearsville, dans l’état de New-York, un hameau près de Woodstock. La presse utilisée pour l’imprimer avait appartenu à un agitateur anarchiste, l’éloquent Carlo Tresca, avant qu’il ne soit assassiné dans les rues de Manhattan, peut-être par des agents de Mussolini. Cette publication était anti-étatique, anti-militariste, et publiait des essais sur l’art, la politique et la culture, ainsi que de la poésie. Dans le premier numéro, il y avait ce poème de Kenneth Rexroth qui commence ainsi :

"Maintenant à Waldheim là où la pluie
Est tombée négligemment, inconsciemment
Pour toute la diabolique jeunesse du siècle
Là où maintenant reposent les rives de roses noires
« 2

Ce journal, Retort, publiait également The convinct’s Compendium of Useful Information3, compilé par des opposants à la guerre, principalement ceux emprisonnés pour avoir refusé de collaborer soit avec l’Etat, soit avec les « églises de la paix » anabaptistes qui avaient conclu un accord avec le gouvernement américain : elles s’occupaient des camps de travail pour objecteurs de conscience situés à la campagne. Au final, Retort est un vaisseau alchimique qui fermente, distille transforme. C’est fragile, cela ne marche pas si l’on n’ajoute pas de feu, il y a des problèmes avec les théories sous-jacentes, mais il y a des explosions occasionnelles de magie.

« Au final, Retort est un vaisseau alchimique qui fermente, distille transforme. C’est fragile, cela ne marche pas si l’on n’ajoute pas de feu, il y a des problèmes avec les théories sous-jacentes, mais il y a des explosions occasionnelles de magie. »

Comment vous est venue l’idée du livre, Des Images et des bombes ?

« Afflicted Powers » (« Des Images et des bombes » dans sa traduction française) a fait suite à une brochure intitulée « Ni leur guerre, ni leur paix », produite par Retort pour les manifestations anti-guerre du printemps 2003. Ce fut écrit dans l’urgence, dans le but de faire concurrence aux slogans qui, nous le savions, allaient dominer les marches - c’est à dire « pas de sang pour le pétrole » et « paix ». Des dizaines de milliers de ces brochures ont fait leur chemin autour du monde et nous avons reçu de nombreuses réactions de gens demandant que nous développions ce qui était, c’est sûr, compressé et rhétorique. Nous avions l’intention d’écrire un pamphlet qui aurait été distribué à travers nos propres réseaux, mais cela gonfla et prit la forme d’un manuscrit finalement publié à Londres par Verso. Le ton d’Afflicted Powers porte la marque de son origine en tant qu’intervention de rue ; un critique le décrivit comme « venimeux et poétique » - pas de plus grand compliment. Chomsky caractérisa précisément le livre comme « moitié analyse, moitié manifeste », et nous fûmes heureux qu’Harold Pinter écrive à propos : « Une analyse détaillée de la relation entre les Etats-Unis et le monde. Pas une pierre qui ne soit retournée. Les vers mis en lumière sont grotesques. »

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Les leaders d’Al Qaida souhaitaient la victoire de Bush aux élection de 2004 au motif que son action aurait été « davantage inspirée par la force que par la sagesse. » En 2008, les mêmes ont dit vouloir la victoire de Mc-Cain, l’Amérique demeurant « l’ennemi parfait » avec un conservateur à sa tête. L’élection d’Obama est donc une défaite pour Al Qaida ?

Sûrement pas. La victoire d’Obama fut, c’est certain, une défaite domestique et symbolique pour les suprémacistes blancs américains. Ce fut aussi une rebuffade pour la caste militaire que McCain symbolisait. Beaucoup d’officiers des troupes américaines sont ainsi des descendants des migrants protestants irlando-écossais, qui ont fait également une grande part du sale boulot pour l’impérialisme anglais.
D’un autre côté, si les leaders d’Al Qaida croient maintenant qu’ils ont besoin d’un conservateur à la Maison Blanche pour constituer le « parfait ennemi » - et nous ne pensons pas qu’ils soient stupides à ce point - alors ils ont trop regardé la télévision américaine. Ou peut-être pas assez… Après tout, Obama s’est lui même engagé publiquement, à la télévision, à étendre la guerre en Afghanistan, et si nécessaire à bombarder le Pakistan sans concertation. Même Bush a hésité quand il a entendu cela durant la campagne de 2008… Il ne faut jamais sous-estimer l’extrémisme des Néo-libéraux4 - historiquement, le décompte global des victimes des administrations « néo-libérales » capitalistes dépasse même les bains de sang mis en place par les communistes d’état, les fascistes et la grande galerie des tyrans à poigne de fer. Il faut noter, bien sûr, que concernant le Moyen-Orient et le monde islamique, Obama a déjà juré sa loyauté à l’Etat sioniste. Et il sait parfaitement que - sans vouloir manquer de respect à Israël - si vous voulez les moyens, vous voulez les fins. A savoir, cette gamme complète d’ethnocides actuellement en cours en Palestine.

« Après tout, Obama s’est lui même engagé publiquement, à la télévision, à étendre la guerre en Afghanistan, et si nécessaire à bombarder le Pakistan sans concertation. Même Bush a hésité quand il a entendu cela durant la campagne de 2008… Ne jamais sous-estimer l’extrémisme des Néo-libéraux. »

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Dans Afflicted Powers, votre analyse accorde une grande part au concept de « spectacle » théorisée par Guy Debord. Avec Obama aussi, cette notion semble opérante : il serait la représentation personnifiée du spectacle dans un sens « positif » un peu mièvre, pas loin d’Hollywood. Après avoir été défait en Irak, est ce que l’impérialisme américain ne cherche pas à « adoucir » son image, de manière à pouvoir continuer le boulot ?

D’abord, Obama est intégralement dans l’idée de politique spectaculaire - comment pourrait-il ne pas l’être ? Considérez ces photos mises en scène sorties tout droit d’un album de Leni Riefenstahl, ce logo « soleil levant » réminiscent du drapeau Hinomaru - qui fut banni pour ses significations militaristes durant l’occupation du Japon - , cette jeune femme musulmane bousculée hors de scène par des vigiles à un rassemblement démocrate parce qu’elle portait un foulard, etc.
Le tortureur en chef Rumsfeld écuma un jour de rage devant le club de presse de Washington en évoquant la difficulté de gérer les affaires de l’état dans un monde de caméras de téléphones portables, d’Internet, de cycles d’infos de quatre heures et d’Al Jazeera : il produisait ainsi sa propre théorie - vulgarisée, c’est certain - du spectacle.
Notre livre porte précisément sur les contradictions du militarisme néo-libéral dans les condition de spectacle induites par la nouvelle matrice à produire des images. Il y aura, c’est sûr, quelques changements avec Obama - spécialement dans l’organisation des apparences. Par exemple, Guantanamo, l’inacceptable visage de la torture d’état, sera fermé5 ; mais au fond, le goulag persistera, et le militarisme pourrait même être étendu sous la présidence Obama.

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Nous pensons également qu’il est important de réfuter le côté simpliste de votre formulation : « après avoir été défait en Irak. » Comme nous le développons largement dans le chapitre « Permanent War » (qui n’est malheureusement pas reproduit dans la version française), il y a beaucoup de points par lesquels l’occupation de l’Irak a servi les intérêts néolibéraux - particulièrement américains - , même si sur d’autres aspects cela s’est révélé un désastre. Ces débats sur l’usage de la force sans modération, l’imposition d’une volonté hégémonique, l’établissement d’avant-postes militaires, etc., pourraient se résumer par l’expression : « L’Etat américain et ses clients du capital ont pu faire ce qu’ils voulaient, même s’ils n’ont pas pu obtenir tout ce qu’ils voulaient. »

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Depuis le 11 septembre, ceux qui étaient les spécialistes incontestés de la manipulation par le spectacle savent qu’ils sont vulnérables. Leur ennemi a appris comment se battre sur ce terrain, et avec une grande efficacité : le 11 septembre en est la preuve. La réaction des Etats-Unis fut essentiellement militaire (guerres en Afghanistan et Irak, menaces contre l’Iran, la Syrie, La Corée du Nord…). En cas de nouvelle attaque terroriste, à quoi faut-il s’attendre ?

Connaissant l’histoire des USA, on peut parier qu’un deuxième attentat du style du 11 septembre produirait encore une fois une très violente réponse de l’Etat américain, et serait supportée par la part importante d’éléments chauvins de la population. Nous hasardons deux prédictions : à l’étranger, dans n’importe laquelle des aventures militaires à venir, les victimes seront comme d’habitude, et en très grande majorité, des non-combattants ; sur le front intérieur, dans notre propre pays, il y aura des assauts plus poussés au niveau des libertés civiques - concernant le caractère privé des correspondances, sur l’Habeas Corpus, le droit de rassemblement, le droit à la ville (« right to the city »), et ainsi de suite. Bien sûr, ces droits ont toujours été régulièrement et sérieusement ébréchés, ce n’est pas une grande nouvelle, par exemple pour ces américains régulièrement contrôlés pour « conduite de voiture alors qu’ils sont de race noire ».
Concernant la future politique étatique, quel que soit le degré de belligerence entre les cliques au pouvoir, le point crucial est que l’appareil stratégique de l’Empire « vacille toujours dans la direction de l’intervention militaire », quoi que l’administration Obama puisse dire sur la « diplomatie de la force intelligente » comme arme principale.

« (...) Le point crucial est que l’appareil stratégique de l’Empire ’vacille toujours dans la direction de l’intervention militaire’, quoi que l’administration Obama puisse dire sur la ’diplomatie de la force intelligente’ comme arme principale. »

Un des chapitres de votre ouvrage traite de l’émergence du terrorisme islamique révolutionnaire, de ces gens qui ont appris à utiliser les techniques de la modernité et le pouvoir de l’image. Bien évidemment, vous rejetez en bloc leurs méthodes. Mais dans le même temps vous semblez dire que ce sont les seuls capables de déstabiliser l’impérialisme américain et le modèle capitaliste. Vous pensez que l’opposition occidentale à la marche actuelle des choses devrait s’inspirer sur certains points des analyses de l’Islam révolutionnaire ?

Aucun assassin, aucun propagandiste de la force, n’a jamais atteint l’impact des aviateurs qui attaquèrent le World Trade Center en 2001 ; et pourtant, nous étions dès le début sceptiques sur les conséquences de cet attentat, pas réellement déstabilisatrices pour l’hégémonie ou pouvant mener à un véritable échec stratégique. Sans doute l’événement a-t-il marqué l’arrivée dans le centre névralgique du capitalisme mondial d’un nouveau modèle d’avant-garde, réussissant une forme de détournement de l’appareil de la modernité. Notez que les avions qu’Atta et son équipe transformèrent en lance-missiles furent en fait conçus pour être des armes de destruction massive : l’entreprise Boeing reconfigura les vieux bombardiers utilisés pour lâcher des déluges de feu sur les villes européennes et japonaises durant la Seconde Guerre mondial en vue de les adapter au tourisme de masse et aux voyages professionnels dans les années 1960. Atta lui-même était un urbaniste (Au Caire et à Alep), dégoûté par la « disneyification » émergente et l’échec du développement national séculaire en Egypte et dans le tiers-monde. Il avait raison ; Dubaï est un visage de la globalisation néolibérale, les bidonvilles géants en sont un autre.

En même temps, il est nécessaire de reconnaitre la relation amoureuse qu’entretient al-Qaida avec l’image utilisée comme arme politique. Même dans leur rejet de l’Occident, les avants gardes islamiques affichent une maîtrise totale du monde virtuel et des nouvelles techniques de diffusion. C’est un aspect du mélange actuel entre atavisme et nouvelle ultra-modernité que ceux qui s’opposent autant à l’Empire qu’au Jihad, que nous considérons comme deux virulentes mutations du « bien », doivent prendre très au sérieux. « Très au sérieux », non pas à cause des troubles qu’ils traînent dans leur sillage, ou pas seulement à cause de cela, mais parce que les avant-gardes révolutionnaires de la Terreur parlent comme personne d’autre des vérités de la modernité, d’une manière qu’aucun langage de la raison n’ose faire. C’est pourquoi nous affirmons que c’est au niveau de la modernité elle-même qu’une critique stratégique de gauche doit s’enchasser. Bien sûr, tactiquement, nous avons besoin d’un programme anti-capitaliste qui ferait le lien entre les opprimés (« commoners ») du Nord et ceux du Sud, qui ferait campagne contre les racines mêmes de l’impérialisme, et qui refoulerait les récents épisodes d’enclosure et d’accumulation primaire.

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« (...) Il est nécessaire de reconnaitre la relation amoureuse qu’entretient al-Qaida avec l’image utilisée comme arme politique. Même dans leur rejet de l’Occident, les avants gardes islamiques affichent une maîtrise totale du monde virtuel et des nouvelles techniques de diffusion. »

Je sais que certains chapitres du livre original ne sont pas présents dans l’édition française. De quoi traitaient-ils ?

Il y a deux chapitres d’« Afflicted Powers » qui n’ont pas été inclus dans sa traduction française, « des Images et des bombes ». Un chapitre intitulé « Guerre Permanente » affirme l’importance centrale du militarisme dans toute analyse du monde contemporain. Nous passons en revue les enregistrements historiques de l’incessante et continuelle belligérance des Etats-Unis, de manière à faire taire les prétentions de ceux qui font la différence entre un Etat aux mains d’un « parti de la guerre » et un autre aux mains d’un « parti de la paix » et de la diplomatie. Il est suivi d’un chapitre intitulé « le Futur d’une Illusion », qui s’attaque aux relations entre les Etats-Unis et l’Etat d’Israël, et essaye de casser le silence presque total sur la généalogie de cette relation et ses dynamiques, ainsi que sur le rôle de cette relation dans le moment impérialiste présent. Nous soutenons qu’Israël est non-seulement un « Etat-raté », si on recourt au langage du FMI, mais qu’il a aussi cessé depuis longtemps d’être un atout stratégique ; même comme mirage dans le désert, c’est maintenant un échec, vraiment un sérieux handicap pour les gérants de l’Empire. A ce niveau du spectacle, cela a tourné au désastre ; les images de vergers d’orangers et de « fleurs dans le désert » ont été remplacées par celles de la destruction au bulldozer des vergers d’oliviers, et maintenant par les scènes de massacres en masse d’innocents à Gaza, lesquels n’ont même plus l’option de devenir des réfugiés.

« A ce niveau du spectacle, cela a tourné au désastre ; les images de vergers d’orangers et de ’fleurs dans le désert’ ont été remplacées par la destruction au bulldozer des vergers d’oliviers, et maintenant par les scènes de massacres en masse d’innocents à Gaza, lesquels n’ont même plus l’option de devenir des réfugiés. »

Nous sommes ravis que Les Prairies Ordinaires aient publié ce livre en France, et nous comprenons que les exigences de format requièrent certaines excisions. Cependant, le débat qui est au cœur d’Afflicted Powers concerne précisément les nouvelles conditions très complexes dans lesquelles les intérêts bruts de l’impérialisme et les conflits géostratégiques entrent en collision avec les récents développements dans les rouages, la production et la gestion de l’image-monde. Avec l’omission de ces deux chapitre, notre argumentaire est - pour les lecteurs français - déséquilibré et incomplet, sur des points importants.

Qu’en est-il des intellectuels américains ? A part Howard Zinn ou Noam Chomsky, est ce qu’il y a d’autres « voix » qui jouent un grand rôle dans l’opposition à l’ordre des choses ?

La figure de l’intellectuel comme opposant publique a plus ou moins disparu pendant la chasse aux sorcières anti-communiste, en partie via ces carrières qu’on a détruites, en partie via l’impossibilité d’accéder au quatrième pouvoir. L’essai de Chomsky, « La responsabilité des intellectuels », l’a rendu célèbre pour sa critique de la guerre du Vietnam, mais il faut rappeler qu’au moment où le livre a été publié, en 1967, Chomsky était tranquillement titulaire d’un poste au Massasuchett Institute of Technology6 (MIT) pour son travail novateur en linguistique mathématique. Le MIT était financé par l’US Navy et l’Army Signal Corps

Plus généralement, l’explosion soudaine d’énergie contestataires dans la zone de la baie de San Fransisco au cours des années 1960, captée à travers les voix de Huey Newton et de Mario Savio, qui ont fait le lien entre les revendications des Black Panthers et du Free Speech Movement, a vite été étouffée ou supprimée. Le petit nombre de ceux accueillis dans la nouvelle académie modèle, multi-culturelle, tira parti de ces luttes, mais les voix noires radicales comme celles d’Angela Davis, d’Adolphe Reed et de Ruth Wilson Gilmore ont été occultées dans les médias principaux. Les journaux « underground » de la contre-culture furent soit fermés soit « normalisés » vers le milieu des années 1970. Depuis, les discours publics ont été dominés par l’agenda des « think-thanks » conservateurs et néo-libéraux, fondés comme une réplique directe aux événements de la fin des sixties. La réaction s’installa et Chomsky, par exemple, se retrouva exclu des pages de la New York review of Books. Il se passa la même chose avec son collègue anarchiste Howard Zinn, qui enseignait à l’université de Boston, de l’autre côté de la rivière par rapport au MIT. Même s’il était terriblement populaire auprès des jeunes étudiants qui accouraient en masse à ses cours sur les libertés civiles, Zinn fut perpétuellement malmené et humilié par l’administration universitaire. C’est très tardivement que Zinn a gagné une reconnaissance au niveau national, suite à l’extraordinaire succès de son ouvrage « Une Histoire populaire des Etats-Unis », qui continue à se vendre à 100 000 exemplaires par an. Ironiquement, la mise à l’écart des voix critiques en Amérique signifie que l’effondrement des ventes des journaux principaux n’a pas les conséquence qu’il aurait ailleurs, en Inde par exemple.

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Ce qui est beaucoup plus dangereux pour les voix de l’opposition, c’est l’implosion des librairies indépendantes et du réseau de lieux pour lire, se réunir et discuter. Ceux qui s’enthousiasment pour la vie virtuelle sont apparemment tellement focalisés sur leurs écrans, ou alors leur tête est perchée tellement haut dans la blogosphère, qu’ils n’ont pas remarqué ce vide grandissant dans les environs, et le peu qui reste de l’espace public. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que les voix critiques en circulation se trouvent essentiellement sur Internet. Quelques-unes parviennent à s’échapper du ghetto ; Mike Davis et Naomi Klein viennent à l’esprit parce qu’ils combinent des analyses tranchantes avec des recherches sérieuses. Ils attirent l’attention parce que le journalisme d’investigation est quasiment mort.

« Ceux qui s’enthousiasment pour la vie virtuelle sont apparemment tellement focalisés sur leurs écrans, ou alors leur tête est perchée tellement haut dans la blogosphère, qu’ils n’ont pas remarqué ce vide grandissant dans les environs, et le peu qui reste de l’espace public. »

Au-dessous de ce seuil d’une certaine notoriété publique, il y a une liste beaucoup plus longue - il serait injuste d’y piocher seulement quelques noms - composée de ceux dont la pensée et l’œuvre aident à reconquérir le passé et qui forgent des outils pour clarifier et théroser la situation actuelle. Et, bien sûr, il peut y avoir certains écrits dont l’utilité, usant du temps comme arme, se situe un peu plus loin dans le futur. Un bon échantillon de ces « autres voix » peut être entendu en se rendant sur les archives en ligne d’« Against the Grain », un programme possédant un grand éventail d’entretiens très fouillés et qui se trouve sur les ondes de Pacifica Radio, le seul réseau audiovisuel indépendant aux Etats-Unis. Depuis sa fondation en 1946, Pacifica a lutté pour survivre dans un environnement politique hostile.

Enfin, le monde de l’édition est désormais globalement congelé. C’est pourquoi nous sommes grandement redevables aux efforts courageux et constants de petites structures comme Autonomedia à New-York et AK et PM Press dans la zone de la baie de San Francisco, qui continuent à procurer une plate-forme pour les voies radicales.

Vous donnez l’impression d’avoir été réellement impressionnés par les manifestations de février et mars 2003 contre la guerre en Irak, pas seulement aux Etats-Unis mais tout autour du globe. Pour vous, il y avait alors une « multitude » qui commençait à se lever contre le néo-libéralisme militaire américain. Six ans plus tard, est-ce que cette « multitude » continue à se développer ? Est-ce que vous êtes encore optimiste ?

Nous n’avons jamais été optimistes. Cependant, nous voulions insister sur le fait qu’à un moment qui est normalement le moment en or pour l’Etat - l’heure de mobilisation pour la guerre, qui stimule une unanimité de chiens d’attaque, composée de peur, d’agressivité et de xénophobie - , des millions de personne ont simplement refusé de croire ce que les seigneurs de guerre leurs disaient et ont essayé de stopper un conflit avant qu’il ne commence. Sans succès, évidemment ; nous soutenons dans « Afflicted Powers » que le mouvement anti-guerre a rapidement décliné, d’abord parce que l’omniprésent slogan « No Blood for Oil » (pas de sang pour le pétrole) a entraîné une grande confusion concernant les relations des Etats-Unis avec l’économie politique mondiale du pétrole - une histoire complexe, c’est certain. Et deuxièmement, parce que marcher et s’organiser sous la bannière « Peace » implique une méconnaissance des dynamiques du militarisme et de la modernité. Près d’un siècle plus tôt, Randolph Bourne avait prévu ce fait établi, inquiétant, qu’avec une armée en état de marche, un impôt sur le revenu et une industrie de guerre, l’Etat a seulement besoin d’un consentement tacite, tel que le concevait Gramsci, ou d’une inconscience de la population. La paix en tant que cadre oppositionnel est condamnée à finir dans la démoralisation et la confusion : en réalité, dans les conditions actuelles, la paix signifie la guerre par d’autres moyens. C’est la paix des « processus de paix » et de la « pacification ». La paix des cimetières, du genre de celui qu’ils construisent aujourd’hui à Gaza.

« La paix en tant que cadre oppositionnel est condamnée à finir dans la démoralisation et la confusion : en réalité, dans les conditions actuelles, la paix signifie la guerre par d’autres moyens. C’est la paix des ’processus de paix’ et de la ’pacification’. La paix des cimetières, du genre de celui qu’ils construisent aujourd’hui à Gaza. »

Concernant l’idée de « multitude », nous ne souscrivons pas au point de vue, présenté ces derniers temps par une tendance post-léniniste franciscaine et populaire, selon lequel, de la même manière que la machine à vapeur des usines victoriennes a produit un prolétariat conscient, les réseaux informatiques produiraient une multitude néo-spinoziste qui jouerait cette fois le rôle du fossoyeur. Cette fantaisie millénariste est l’autre face de la « mode-cyber » générée dans les moulins à relations publiques du capitalisme à la Silicone Valley pour la consommation de Wall-Street.

C’est vrai que dans le sillage cahotant des états « ratés », des thérapies de choc du FMI et de la nouvelles séries d’enclosures mondiales du néolibéralisme, un mouvement non-avant-gardiste est en train d’émerger lentement. Les lieux et les modes de résistances sont - doivent être - aussi hétéroclites et protéiformes que les lieux et modes de nouvelles enclosures. L’époque de la nostalgie envers l’entrée de l’usine et de la fétichisation pour le lieu de production s’est envolée depuis longtemps. La tâche urgente et nécessaire, c’est de connecter les luttes dans tous les lieux, au Nord et au Sud, incorporés dans les circuits du capital - dans les lieux de production, de reproduction, de consommation et d’expropriation. Cela signifie, par exemple, de comprendre, puis d’articuler les intérêts communs, par exemple, des paysans sans terre du mouvement « Sem Terra » en Amérique du Sud et du mouvement « Open Source » de la baie de San Francisco, qui s’attaque aux catégories actuelles de la « propriété intellectuelle » en les considérant comme la forme d’enclosure responsable de l’agro-business des OGM et du fiasco du biofuel. En dehors des problèmes pratiques auxquels font face les réseaux horizontaux et transnationaux comme ceux de résistance au G8 ou le Forum Social Mondial, il y a un important travail de théorisation à accomplir. Au niveau conceptuel, si le système matérialiste a ses subtilités métaphysiques et ses raffinements théologiques, ce que nous appelons « la forme commune » (« common form ») a aussi ses énigmes philosophiques, qui nécessitent notre attention. Il nous faut écouter les opprimés survivants de la planète et nous assurer l’aide d’anthropologistes et d’historiens du peuple, de l’usufruit et du droit d’accès à la propriété (« coincident use-rights »).

Dans la préface à l’édition française, vous expliquez que la vision de l’Europe comme un pôle d’opposition à l’hégémonie américaine est une illusion. Pour vous, l’Europe s’est plus ou moins alignée sur la puissance américaine et le néolibéralisme militaire.
En France, il y a eu l’élection de Sarkozy, président résolument atlantiste. C’est une confirmation de votre point de vue ? L’Europe dans son ensemble ne serait qu’un outil de la stratégie américaine ?

Ce n’est pas seulement une « illusion », cela joue un rôle à l’intérieur du spectacle de la fausse opposition. Cette imagerie spectaculaire permet à certains en Europe d’affirmer qu’une telle collusion, profonde et inébranlable, n’existe pas, quand ils seraient autrement forcés d’admettre leur complicité avec le néolibéralisme militaire américain et leur entière participation au projet néolibéral plus large en Europe même. Ce n’est pas affirmer que l’Europe est un « outil de la stratégie américaine », mais plutôt que les Etats européens sont des partenaires à part entière des USA dans les stratégies capitalistes mondiales, parfois militaristes, parfois non. Sarkozy et son « atlantisme » - c’était bien sûr aussi le terme utilisé par Blair - représentent juste une autre figure de bois peinturlurée sur le manège de l’auto-représentation européenne. Schroeder et Merkel, Chirac et Sarkozy, Blair et Brown, Berlusconi et Prodi, Simitis et Karamanlis : quel que soit celui qui dirige le cheval peinturluré, le manège ne va nul part. Aucun de ces Etats européens ne s’est engagé dans la moindre opposition significative au militarisme américain, alors que chacun d’eux a implacablement imposé sa propre - et celle des USA - néo-libéralisation interne.

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C’est finalement aux citoyens qu’incombe la tâche de résister à la néo-libéralisation, qu’elle soit militariste ou interne, ainsi que les insurgés grecs l’ont montré récemment - non seulement par leur volonté de se battre dans la rue mais par leurs actions spécifiquement ciblées, comme l’actuelle protection des émigrés et le blocage dans le port d’Astakos d’armes américaines destinées à Israël.

« Schroeder et Merkel, Chirac et Sarkozy, Blair et Brown, Berlusconi et Prodi, Simitis et Karamanlis : quel que soit celui qui dirige le cheval peinturluré, le manège ne va nul part. Aucun de ces états européens ne s’est engagé dans la moindre opposition significative au militarisme américain, alors que chacun d’eux a implacablement imposé sa propre - et celle des USA - néolibéralisation interne. »

Il y a un aspect de votre livre qui est plutôt inhabituel dans les ouvrages politiques : comme les Situationnistes, qui semblent avoir exercé une grande influence sur votre analyse, vous utilisez la force de la poésie pour exprimer vos idées - la citation de Milton7, récurrente dans le livre, en est une illustration parfaite.
Globalement, l’arrière-plan théorique de votre livre est assez étendu. De Marx à Debord en passant par Burke Polyiani ou Milton, vous refusez toute approche mono-centrée. C’est important pour vous de vous référer à la littérature, comme une manière de refuser l’ennui se dégageant de la plupart des livres politiques ?

Une partie de la réponse se trouve évidemment dans le fait que c’est un projet collectif, avec un large groupe actif supportant les quatre auteurs, chacun apportant son expérience particulière et son corps de connaissances. Du quartet qui s’est assis pour ébaucher et écrire « afflicted Powers », deux sont historiens et les deux autres sont très intéressés par l’histoire. C’est sans doute une déformation propre aux historiens de s’attaquer aux débarras du passé, mais, franchement, nous n’aurions pu imaginer embarquer sur un tel projet sans l’assistance de Rosa Luxembourg, de Randolph Bourne ou d’Hannah Arendt. Et sans Nietzche entre les mains, une critique de la modernité aurait été beaucoup plus difficile à élaborer. Edmund Burke et Thomas Hobbes formèrent une part essentielle de la trousse à outils analytique. Milton, qui contribua à forger un langage politique radical dans les décennies révolutionnaires du 17e siècle, nous donna le titre de l’ouvrage, et fut une source d’inspiration continuelle et pas seulement parce que son grand poème fut écrit dans le visage de la défaite.

Et, bien sûr, l’indélébile citation de Tactite, « Ils firent un désert et le nommèrent paix », nous parla à travers les siècles. Ce sont des mots qu’il plaça dans la bouche d’un guerrier gallois à la veille d’une bataille contre les légions romaines dans les montagnes écossaises, à la lointaine frontière Nord/Ouest de l’empire. Nous avons besoin de Tacite pour nous rappeler quel genre de paix, ainsi que le nous disions plus tôt, recherchent les maitres de guerre. Une grande partie de l’œuvre de Pierre Vidal-Naquet, l’historien de la Grèce ancienne, abordait la violence d’Etat et l’assassinat de la mémoire, des thèmes centraux dans le spectacle. Il fut inspiré par une ligne de Chateaubriand qu’il trouva retranscrite dans le journal intime de son père, avant sa déportation à Auschwitz : « Néron triomphe en vain, comme partout ailleurs dans l’Empire qui avait déjà vu naitre Tacite. »

« Et, bien sûr, l’indélébile citation de Tactite, »Ils firent un désert et le nommèrent paix« , nous parla à travers les siècles. (...) Nous avons besoin de Tacite pour nous rappeler quel genre de paix (...) recherchent les maitres de guerre. »

Vous avez raison concernant l’ennui se dégageant des livres politiques. Mais, qu’est-ce qui n’est pas ennuyeux ? Les divertissements de la vie moderne sont trois fois narcotiques, et la modernité en général est une vaste blessure de stress, toujours répétée. Néanmoins nous semblons être au seuil de périodes intéressantes, et il y a des raisons de dresser l’oreille. C’est selon nous une période propice pour élaborer des concepts neufs, aussi bien que pour rénover impitoyablement de vieux concepts à la lumière de nouveaux terrains cauchemardesques. Nous surveillons les dédoctions fraiches et les ferment de notre laboratoire de la zone de la baie de San Francisco. Sans être optimistes, nous sommes encouragés par des signes de masses rassemblant les légions affligées et - qui sait ? - se confédérant pour nuire à l’ennemi.


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"Rassemblant nos légions affligées,
examinons comment nous pourrons dorénavant nuire à
notre ennemi, comment nous pourrons réparer notre perte,
surmonter cette affreuse calamité ;
quel renforcement nous pouvons tirer de l espérance,
si non quelle résolution du désespoir.
"
(John Milton, Le Paradis perdu, Tome 1)



1 Cet entretien a été traduit (de l’américain au français) par votre serviteur, aka Lémi. Il a été rédigé par Retort il y a environ trois semaines, il faut donc replacer certaines déclarations dans le contexte de l’actualité de l’époque. Pour certains termes qui me paraissaient ambivalents j’ai placé de ma propre initiative les termes originaux, en anglais, entre parenthèses.

2 Traduction évidemment approximative par votre serviteur, peu versé dans la traduction de poésies. L’original : »Now in Waldheim where the rain/ Has fallen careless and unthinking/ For all an evil century’s youth, / Where now the banks of dark roses lie..."

3 Traduction approximative : « Le recueil d’informations utiles sur les prisonniers ».

4 Le terme utilisé par Retort est « liberal » : dans l’acceptation outre-atlantique, cela ne recouvre pas exactement la même définition que « libéral ». Voir cet article de Rue 89 soulignant la différence, pas toujours claire.

5 L’actualité est bien sûr venue par la suite confirmer cette affirmation.

6 Université située à Cambridge, au Nord de Boston.

7 "Rassemblant nos légions affligées, examinons comment nous pourrons dorénavant nuire à notre ennemi, comment nous pourrons réparer notre perte, surmonter cette affreuse calamité ; quel renforcement nous pouvons tirer de l espérance, si non quelle résolution du désespoir." (John Milton, Le Paradis perdu, Tome 1)


COMMENTAIRES

 


  • samedi 14 février 2009 à 11h17, par tgb

    Sacré boulot - et merci de bâtir des ponts entre cette Amérique là et nous - comme quoi il n’y a pas d’antiaméricanisme primaire il y a juste ces américains sûrement plus proches de nous que nous des militants UMP et un empire économiquement culturellement colonisateur à l’idéologie néo conservatrice ou néo libérale , (bref Sarko ou Royal pour faire simple ici) que nous comme eux ne cessons de combattre.

    Voir en ligne : http://rue-affre.20minutes-blogs.fr/

    • samedi 14 février 2009 à 20h36, par Lémi

      Oui, cette idée d’une Amérique forcément lointaine et étrange, dans laquelle ce qui se passerait ne pourrait se comparer à ce qui se passerait sous nos latitudes (genre, ces satanés Yankees ont leur propre règle, n’essayons pas de comprendre) m’apparait contre-productive au possible. Une facon de réfuter toute possibilité de « confédération » en dehors des frontières en vue de « nuire à l’ennemi. »
      Le « pont », dialogue constructif entre des gens qui partagent un même refus du système actuel, voilà une idée qui me plait bien. Et qui légitime à mes yeux ce « sacré boulot » que tu évoques, effectué dans des conditions pas forcément parfaites (la dance bolivienne en fond sonore, parfois un tantinet perturbante)...

      « sûrement plus proches de nous que nous des militants UMP » : Oh que oui...



  • samedi 14 février 2009 à 11h19, par Françoise

    Extrêmement intéressant. Merci Lémi de donner une place à une de ces « voix » qu’on tentent toujours de faire taire.

    S’il n’y avait qu’une pensée à retenir je choisirai celle-ci : […] c’est au niveau de la modernité elle-même qu’une critique stratégique de gauche doit s’enchasser.

    Pour mi ce qu’on baptise « modernité » n’est jamais que l’amplification par des moyens de plus en plus sophistiqués et dangereux d’une barbarie (politique, économique et guerrière) qui détruit les hommes et la planète.

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com/

    • samedi 14 février 2009 à 11h23, par Françoise

      (Désolée d’avoir perdu en route le « o » de « Pour moi ce... »)

      • samedi 14 février 2009 à 12h52, par América No Invoco Tu Nombre En Vano

        Oscillant entre la dénonciation scientifique de la « critique aristocratique de la modernité » (Pierre Bourdieu) et l’affirmation d’une spécificité de l’art, seul à même de présenter une vision totale du monde (Hermann Broch, Robert Musil, etc.), on peut comprendre une certaine tension à lire ces lignes de « Retort », comme en fait devant à peu près tout ce que produit Article XI, dans sa générosité à proposer des lectures.

        Par exemple : la métaphore de « l’Empire » devrait pouvoir rester ce qu’elle est : une métaphore : qui de plus est américano-centrée...

        Bravo pour toutes ces tentatives si riches !

        • samedi 14 février 2009 à 21h01, par Lémi

          @ Francoise :
          « donner une place à une de ces « voix » qu’on tentent toujours de faire taire », c’est un peu l’objectif de ce site, enfin je crois (un des objectifs, en tout cas), donc merci du compliment,
          Concernant la « modernité », je suis plutôt d’accord avec toi. C’est la tarte à la crème qu’on nous renvoie à chaque critique du système (mais alors, tu es contre la « modernité » qu’ils balbutient, effarés qu’on puisse être aussi barbare ?), comme si critiquer la modernité c’était critiquer l’humanité dans ce qu’elle a de plus scintillant. Bordel ! La modernité c’est Gaza et le creusement exponentiel des inégalités planétaires, c’est le contrôle étatique toujours plus poussé et la bulldozerisation des cultures, cette planète qu’on dévaste et la vie qu’on nie... Alors oui, merci à Retort pour pointer ces pistes, elles m’apparaissent plus que nécessaires dans ces périodes glaciales (il y a un passage du livre, qui dit, de mémoire : « Au cours de son histoire, jamais l’humanité ne s’est autant approchée de l’idée d’enfer... », j’agrée plutôt).
          Pour ta coquille, je n’avais même pas vu, donc pas de désolée qui tienne

          @ América No Invoco Tu Nombre En Vano (gosh ! joli pseudo)
          « générosité à proposer des lectures », merci beaucoup, joli compliment,
          Et si, effectivement, il y a des passages qui peuvent provoquer une certaine « tension » dans les propos de Retort, je trouve que ce n’en est que plus bienvenu. C’est d’ailleurs ce qu’ils martèlent dans leur livre : « nous ne détenons pas UNE vérité, nous cherchons à faire avancer les choses, le débat, à provoquer des étincelles ». Un relais intellectuel plutôt qu’un manuel théorique, je trouve ça admirable. Des « tentatives » parfois balisées d’erreurs, certes, mais des tentatives, c’est ce qui compte...

          • dimanche 15 février 2009 à 11h38, par América No Invoco Tu Nombre En Vano

            Ce qui est beaucoup plus dangereux pour les voix de l’opposition, c’est l’implosion des librairies indépendantes et du réseau de lieux pour lire, se réunir et discuter. Ceux qui s’enthousiasment pour la vie virtuelle sont apparemment tellement focalisés sur leurs écrans, ou alors leur tête est perchée tellement haut dans la blogosphère, qu’ils n’ont pas remarqué ce vide grandissant dans les environs, et le peu qui reste de l’espace public. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que les voix critiques en circulation se trouvent essentiellement sur Internet. Quelques-unes parviennent à s’échapper du ghetto ; Mike Davis et Naomi Klein viennent à l’esprit parce qu’ils combinent des analyses tranchantes avec des recherches sérieuses. Ils attirent l’attention parce que le journalisme d’investigation est quasiment mort.

            Ici on voit bien la filiation avec le bien-aimé Henry David Thoreau : un point de vue situé dans le temps et l’espace social qui est le sien, une agonistique ancrée dans ce qui se passe au plus près de sa propre création : l’état des livres, mais aussi de l’écriture, et de l’exression, le besoin vital de partager à l’air libre les points de vue : une écologie du vivre et du penser .



  • samedi 14 février 2009 à 13h02, par JBB

    Bonjour à tous

    Juste une précision : Lémi étant paumé dans la steppe bolivienne (Quoi ? Il n’y a pas de steppe en Bolivie ?) et pour un bref temps loin de toute connexion internet, il ne pourra pour l’instant répondre à vos éventuels commentaires ou participer à la discussion. Mais basta : vous n’avez pas besoin de ce vil ostrogoth pour faire vivre le débat !

    • samedi 14 février 2009 à 21h06, par Lémi

      Héhé,
      Ces « steppes » (inculte !) sont plus technologisées qu’il n’y paraît au premier abord...
      « Vil ostrogoth » ? Il y a pire comme insulte, maldito hermano (« cara de huevo » me semble plus approprié, en l’occurence).



  • samedi 14 février 2009 à 18h17, par wuwei

    « Nous cultivons un profond amour des bistrots et tavernes urbaines... »

    Avec ça comme introduction je me suis dit que forcément le reste devait être passionnant et c’est le cas !
    Bravo et merci à eux et à toi.

    • samedi 14 février 2009 à 21h13, par Lémi

      Effectivement, avec une telle déclaration en préambule, on sait qu’on est sur de bon rails (smiley vodka)...
      « Merci à eux » : oui, ils ont vraiment pris la chose au sérieux, je leur en suis plus que reconnaissant.
      Merci des compliments...

    • dimanche 15 février 2009 à 23h22, par nterr

      C’est marrant, moi j’ai commencé par lire « écrivains, artisans, professeurs, artistes, scientifiques, poètes ». Ca a plutôt eu pour effet de m’agacer les naseaux que de me flatter l’hypothalamus. Disons que ceci n’est pas exactement « hétéroclite » : ouvriers, paysans, chômeurs...?

      Bon, je vais quand même lire la suite :-)

      • lundi 16 février 2009 à 04h05, par América No Invoco Tu Nombre En Vano

        @ nterr

        Si je puis me permettre, votre propos me paraît très intéressant, et suscite un petit commentaire chez moi.

        Car je crois justement que là réside une véritable question, très difficile.
        Les livres, particulièrement ceux qui se veulent d’émancipation, de libération, etc., s’adressent à qui ? sont faits par qui ? pour qui ? quels individus les rendent possibles, y compris éditeurs, diffuseurs, libraires, bibliothéquaires, professeurs et enseignants qui en parlent et étudiants (collégiens et lycéens, etc.) qui les étudient, quels lecteurs et lectrices.

        Un livre qui voudrait non pas seulement « comprendre le monde, mais le changer », n’est-ce pas justement dans la pratique matérielle de sa fabrication, sa diffusion et sa consommation, et puis sa transmission par la parole que cela le rend possible.

        Alors, si un livre qui veut contribuer à changer le monde, est écrit par des « écrivains, artisans, professeurs, artistes, scientifiques, poètes » (ce qui est éminemment hétéroclite, ne vous en déplaise, en général un livre est écrit par un biologiste, très original par un biologiste et un philosophe, carrément incroyable par un biologiste, un philosophe et un poète !), bref, par des « intellos » et pas des « ouvriers, paysans, chômeurs ».

        Mais c’est vrai que c’est une question !

        Peut-être « Retort », une Riposte, tout en étant des gens usant d’un métier intellectuel ou artistique, n’a sufisamment conscience d’appartenir eux-mêmes à une classe sociale, pour ainsi dire, et de répercuter eux-mêmes à leur corps défendant certains schèmes de représentation propres à leurs habitus, pour parler ainsi. C’est tout à fait probable. Et je comrprends que cela puisse vous déçoivevoir.

        Sans parler des « artisans », qui ne doivent pas être à proprement parler des carrossiers de Detroit, ou des Coréens défendus par Clint.

        Ou simplement on veut plus de populaire dans nos lectures, ce qui est légitime en soi, c’est justement mon propos : vous devez alors apprécier François Rufin, par exemple, journaliste « populiste », selon sa présentation.

        Mais justement en étant sceptique par avance, il est intéressant de savoir ce que vous en penserez, j’espère être assez clair.

        Bonne lecture.

        @ tous

        Je propose le visionnage de cette vidéo, « Les médias et la crise », par Frédéric Lordon dans un jeudi Acrimed à la Bourse du Travail, ou la "Mondialisation heureuse et ses poètes déculottés avec brio".

        Mais personnellement je dois dire avoir été assez impressionné par l’audace de ces gens de San Francisco, et je rends grâce à Lémi de m’avoir fait connaître assez joliment leur existence, et m’en irai probablement lire leur livre, en anglais (les chapitres manquants !).

        Virtud Verdad y Paz en en el mundo
        Vayan con Dios

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