ARTICLE11
 
 

vendredi 23 juillet 2010

Le Cri du Gonze

posté à 20h33, par Lémi
14 commentaires

Summertime mon cul
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Où l’objectivité musicale déserte devant la canicule et un job d’été pourri. Où - perdu à la réception d’un hôtel sans âme - on vilipende ceux qui osent célébrer l’été gazouillant. Où « Summertime », une des ritournelles les plus ânonnées de l’histoire musicale se voit roulée dans la fange, renvoyée chez sa maman. Et où la conclusion est (presque) catégorique : on ne la pleurera pas.

1/ Summerophobie urbaine

L’été, c’est pourri. Surtout à Paris. Les rues fondent et se brouillent dans la fournaise tandis que les hordes touristiques grassouillent de ci de là, Petit futé à la main ; furets glauques en goguette transformant l’observateur égaré en roquet hargneux. Largement en-dessous du niveau de l’amer. Car, c’est un fait, l’été (surtout quand il est urbain) rend con et minable. C’est scientifique. Flaubert, dans le texte : «  L’été est une saison qui prête au comique. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais cela est.  » Édifiant, nope ? Il faut se lever tôt pour dénicher une citation aussi débile de ce bon Gustave. L’effet summer. Même en parler rend stupide.

Je le redis, pour les sceptiques et les crétins mièvres : l’été c’est pourri. Surtout in Fake Plastic City. Lentement, le bleu vire au gris, qui lui-même vire au blues, work dépressif in progress. Comme l’a chanté le merveilleux Eddie Cochran (qui préférait l’automne, of course) : «  Il n’y a pas de remède contre le blues estival1 ». D’autant que la solitude guette. Au fil des jours, tout le monde s’envole, quitte le territoire goudronné et ses aigreurs du moment ; même les pigeons désertent, fuient vers des cieux moins soporifiques, suivis par tes derniers amis qui baluchonnent en direction de flots azurés (« Ah, tu restes tout l’été sur Paname ? » Silence. « Bah, bon courage, mon vieux, hein. » Andouille).

Sinistrose. Bien sûr, la ville morte et prostituée dégage une beauté particulière, ghost town fluo, mais c’est une beauté fade, périmée, comme une vieille trop fardée. Paris l’été, c’est un mixte entre Liliane Betencourt et Mickey Maousse Land, grabatisme kitsch à fond les ballons. Ajoutez à ce tableau fondu/enchaîné, en fond sonore, l’écoute compulsive de « Summertime », chanson guimauve cramée, standard absolu pour Rotary-men anisés plongés dans des réminiscences de paradis passés, et vous comprendrez que l’auteur de ces lignes/veilleur de nuit/pingouin hirsute dépérisse dans la torpeur nocturne, chassant le spleen en glapissant des strophes désabusées, soi-disant joyeuses, alors même qu’il veille sur son trois étoiles sirupeux : «  C’est l’été / et la vie est facile / les poissons bondissent / et le coton est florissant2.  » On lui dira.

2/ Summerophobie musicale

Bon, marre des geignements. Changement de direction. Exit Lémi caniculant à la réception d’un hôtel clinquant et ses considérations oiseuses sur les entrailles de la grande ville, zoom sur la musique. Et là, tout de suite, une question s’impose : est-ce parce qu’une chanson a eu des interprètes de génie qu’il faut tout lui pardonner ? Qu’il faut oublier ce qu’elle charrie, son origine lénifiante ? Nope. Ce n’est pas parce que Billie Holiday (ci-dessus), Miles Davis, Ella Fitzgerald,Big Mama Thornton, voire Morcheeba ouSam Cooke, ont plongé leurs antennes lumineuses dans la potion « Summertime » qu’elle n’est pas frelatée. Transformer la boue en or, ils savent faire, ces limpides. Il n’en reste pas moins que c’était de la boue, au départ.
«  Ton père est riche / Ta mère présente bien / Alors du nerf petit bébé / Ne pleure pas3.  » A-t-on déjà vu paroles plus niaises ? Univers moins prolifique ? Jamais, on est bien d’accord. Écrite dans les environs de 1927 par Ira Gershwin et Dorothy Heyward, pour l’opéra Porgy & Bess (chiantissisme, et si pétri de bonnes intentions qu’il révulserait la plus sirupeuse des nonnes touchées par la grâce) de Georges Gershwin, « Summertime » est une chanson volontairement simplette, de celles élaborées pour te grignoter le cerveau avec une constance de castor maniaque. Quelques notes, et paf : le ver est dans le fruit, l’incisive dans l’érable. Se présentant comme une berceuse (chantée trois fois à des bambins dans Porgy & Bess, lourdingue insistance), ladite rengaine a cette capacité de détournement absolu du moindre chiard patrouillant aux environs, pire que Goldorak : combien de nourrissons ricains rendus éternellement stupides parce que leurs parents leurs chantaient « Summertime » en croyant bien faire ? Des pleines brouettes, à l’évidence.

3/ Relaps

Mhh. Remords nocturnes. L’impression d’avoir profané une chose aimée, détricoté le yahou. Soyons francs : la nuit je mens (je prends des trains à travers la plaine), ou en tout cas, j’exagère. Et là, ma furie anti-summertime s’éteint vite, se dégonfle. Rétropédalage, en douceur. Ok, je n’aime pas Gerswhin. Ni Porgy & Bess. Mais pour ce qui est de « Summertime », j’avoue une addiction d’ampleur pharaonique, une dépendance aggravée. Et, sur la longueur, difficile de détester une chanson qui prend tant de place dans tes neurones. Il y a dans cette mélodie quelque chose d’hypnotique, de l’ordre de la berceuse pour adultes, de la ritournelles indécrustable. Comme un papillon sur la flamme, on y revient en chantonnant. Il suffit de scruter la liste effarante des reprises enregistrées de ladite chanson (ici) pour comprendre qu’elle dépasse l’analyse rationnelle, s’est faite grand manitou musical, lumière qui éblouit. Il n’y a plus à rien faire : c’est dans tes gènes, désormais. Et, du coup, tête baissée, tu écoutes en boucle la version Billie Holiday, notamment ce passage où la chrysalide humaine s’annonce papillon («  Un de ces matins / Tu te réveilleras en chantant / Tu déploieras tes ailes / Et tu t’empareras du ciel »4), et tu rebondis vaincu sur la suite, quand les parents veillent sur le marmot endormi (« Mais jusqu’à ce matin là / Il n’y a rien qui puisse te blesser / Tant que papa et maman veillent sur toi »5). Niais, peut-être, mais...

Deux dernières banderilles adulatrices pour désamorcer la bombe persifleuse avec doigté, sous forme d’injonctions : primo, se plonger dans la version live qu’en donna Janis Joplin un soir de concert suédois (Stockholm 1969), d’une intensité chair-de-poulesque :

Secundo, embrayer sur la version Ella Fitzgerald/Louis Armstrong et se rouler mentalement dans les affres de l’admiration sans bornes, écoutilles chavirées :

4/ Re-relaps : le triomphe de Will Smith et du barbecue proustien

Ceci dit, il reste une gêne. Malgré Ella, Janis & Louis. Un caillou dans l’escarpin auditif. Comme si, même en voguant dans la perfection de l’interprétation, la chanson gardait un caractère putassier, trop simpliste et élitiste. Une langueur poisseuse et aristocrate, l’équivalent de Gatsby le magnifique transposé en mélodies. C’est comme Kind of blue de Miles Davis, ou bien les scies pâteuses de Dave Brubeck : c’est agréable, convaincant, et même musicalement révolutionnaire (pour le premier), mais ça manque de corps, de yahou, ça dévertébrise tous azimuts. Une limace mélomane y trouverait son compte.
Du coup, pour ceux qui (comme moi) ne seraient pas tout à fait convaincus, oscilleraient entre dégoût du sirupeux estival et reconnaissance de l’oreille, j’ai dans mes bottes, outre un montagne de questions, une autre chanson intitulée « Summertime », signée Will Smith. Avec, pour le coup, nonobstant une certaine pauvreté musicale (qui, avouons-le, a son charme), des paroles qui resteront gravées dans le marbre et dans ta mémoire, madeleine de Proust post-moderne en étendard : « Tu es invité à un barbecue qui commence à quatre heure / tu t’assois avec tes amis, et tous vous y songez / à ces jours de votre enfance et à votre premier baiser / et de me rémemorer ces souvenirs me fait me demander / comment donc l’odeur du grill peut bien répandre la nostalgie.6 »

Verdict évident : Gershwin 0 / Will Smith 1.

Et à ceux qui penseraient que tout ça relève d’une mauvaise foi évidente doublée d’un goût kitschophile plus que suspect, voire que ce billet clapote dans la profanation caractérisée, je réponds : c’est pas tous les jours que c’est quasiment repos estival (oui oui, A.11 ferme ses portes incessament sous très soon jusqu’aux environs de fin août). Fallait bien marquer le coup pour cette dernière chronique musicale avant un bail.

-

Ps A11 : Lémi étant parti baguenauder pour le week-end, loin de son hôtel, il ne pourra répondre aux éventuels commentaires.



1 There ain’t no cure for the summertime blues.

2 Summertime / And the livin’ is easy / Fish are jumpin’ / And the cotton is high.

3 Your daddy’s rich / And your mamma’s good lookin’ / So hush little baby / Don’t you cry.

4 One of these mornings / You’re going to rise up singing / Then you’ll spread your wings / And you’ll take to the sky.

5 But till that morning / There’s a’nothing can harm you / With daddy and mamma standing by.

6 You’re invited to a barbeque that’s starting at 4 / sitting with your friends cause y’all remincise / about the days growing up and the first person you kiss / and as I think back makes me wonder how / the smell from a grill could spark up nostalgia.


COMMENTAIRES

 


  • vendredi 23 juillet 2010 à 22h04, par ZeroS

    Tout ça ne serait-il pas la faute d’Antonio Vivaldi ? Quatre Saisons, mais l’été n’était-elle pas la plus vile : frivole, légère et mièvre ?

    « Ah, tu restes tout l’été sur Paname ? » « Bah, bon courage, mon vieux, hein. » : telle est la condition servile de 60% des Français.



  • vendredi 23 juillet 2010 à 23h42, par Soisic

    Un des plus beaux « Summertime » (à mon avis...) : celui de Chet Baker...



  • samedi 24 juillet 2010 à 01h21, par NaOH

    Et celui-là, tout-à-fait génial :

    http://www.youtube.com/watch?v=e5fP...



  • samedi 24 juillet 2010 à 08h56, par Lancien

    Bah ! Moi, les paroles de Summertime ne me gênent pas vu que je n’en comprends pas un seul mot ! Mais que j’aime cette oeuvre de Gershwin et tous ses géniaux interprétes.



  • dimanche 25 juillet 2010 à 15h35, par vince

    Des niaiseries, les paroles de « Summertime » !
    Je ne suis pas d’accord. Si l’on considère , avant d’analyser la valeur littéraire du texte, le narrateur supposé, alors ce poème devient un pur chef d’œuvre. Quand je l’écoute, j’entends la berceuse qu’une esclave raconte à celui qui dans quelques prendra la relève de son père esclavagiste, et mes poils se dressent, l’émotion m’assaille. Bref, je ne vois rien de niais dans tous cela...
    La traite des noirs mon cul, oui !



  • dimanche 25 juillet 2010 à 17h34, par silversamourai

    Bonjour Lemi,

    ....pourquoi des génies de l’interprétation ,musicale,ont-il tenus à vouloir transmettre cette œuvre !?

    ....peut-être ont-ils senti la richesse d’un fond symbolique vivifiant sous la forme naïve de ce texte....

    Summertime,
    And the livin’ is easy
    Fish are jumpin’
    And the cotton is high

    la verticalité des rayons ardents du soleil....supprime l’altérité féconde(pour la pensée) de l’ombre...
    pour nous proposer une dimension d’émerveillement premier face à la création...
    ....émerveillement qui ouvre à la curiosité.....et à son expression....

    Your daddy’s rich
    And your mamma’s good lookin’
    So hush little baby
    Don’t you cry

    ....découverte des apparences d’une première (double) altérité....originelle.....
    ...rien de merveilleux dans cette origine....dans le langage.... des apparences...
    ....traumatisme...début de communication...pleurs....appels...
    ....réponses !!!???....
    ....dans ce nouveau monde (les relations humaines) ....d’autres langages peuvent
    exister....
    .....écoute mon chant consolateur....

    One of these mornings
    You’re going to rise up singing
    Then you’ll spread your wings
    And you’ll take to the sky

    ....nous nous inscrivons dans une temporalité....
    ....tu découvrira le langage particulier qui est le tien .....le chant est le mien...
    ...alors tu sera libéré de la pesanteur des apparences....
    ....et un nouvelle dimension..... s’offre à toi....

    But till that morning
    There’s a’nothing can harm you
    With daddy and mamma standing by

    ...nouvelle inscription(importance de la réitération...) de la de la temporalité (terrestre) qui nous échoit...
    .... affirmation de la fonction protectrice de la re-co-nnaissance de son origine (amour...sexué...:dans la
    1ére strophe les parents étaient envisagés séparément)....
    ....pour que l’envol promis ne s’écrase pas contre le mur des apparences....

    Je vous remercie de m’avoir donné envie de me pencher sur ce poème .

    Cordialement,

    Claude Cimon

    • dimanche 25 juillet 2010 à 17h48, par silversamourai

      nouvel essai de mise en page de la part d’un débutant !!!

      ....pourquoi des génies de l’interprétation ,musicale,ont-il tenus à vouloir transmettre cette œuvre !?

      ....peut-être ont-ils senti la richesse d’un fond symbolique vivifiant sous la forme naïve de ce texte....

      Summertime,

      And the livin’ is easy

      Fish are jumpin’

      And the cotton is high

      la verticalité des rayons ardents du soleil....supprime l’altérité féconde(pour la pensée) de l’ombre...

      pour nous proposer une dimension d’émerveillement premier face à la création...

      ....émerveillement qui ouvre à la curiosité.....et à son expression....

      Your daddy’s rich

      And your mamma’s good lookin’

      So hush little baby

      Don’t you cry

      ....découverte des apparences d’une première (double) altérité....originelle.....

      ...rien de merveilleux dans cette origine....dans le langage.... des apparences...

      ....traumatisme...début de communication...pleurs....appels...

      ....réponses !!!???....

      ....dans ce nouveau monde (les relations humaines) ....d’autres langages peuvent
      exister....

      .....écoute mon chant consolateur....

      One of these mornings

      You’re going to rise up singing

      Then you’ll spread your wings

      And you’ll take to the sky

      ....nous nous inscrivons dans une temporalité....

      ....tu découvrira le langage particulier qui est le tien .....le chant est le mien...

      ...alors tu sera libéré de la pesanteur des apparences....

      ....et un nouvelle dimension..... s’offre à toi....

      But till that morning

      There’s a’nothing can harm you

      With daddy and mamma standing by

      ...nouvelle inscription(importance de la réitération...) de la de la temporalité (terrestre) qui nous échoit...

      .... affirmation de la fonction protectrice de la re-co-nnaissance de son origine (amour...sexué...:dans la

      1ére strophe les parents étaient envisagés séparément)....

      ....pour que l’envol promis ne s’écrase pas contre le mur des apparences....

      Je vous remercie de m’avoir donné envie de me pencher sur ce poème .

      Cordialement,

      Claude Cimon .





  • lundi 26 juillet 2010 à 11h37, par HN

    Chronique d’un asocial :

    Une ville vidée de ses habitants... Une ville géante pour moi tout seul...
    Mais que demande le peuple ?

    L’asphalte, les trottoirs dégagés, c’est le rêve !!

     ;-)

    • lundi 26 juillet 2010 à 17h50, par syrinx

      Blues

      Si la Nuit cache le jour alors inversons la Nuit et la jour. « La fécondité de l’ombre », celle que l’imaginaire transporte vers le jour, transforme la douleur des jours de soumissions obligatoires sans droits, jusqu’à la lumière et pourquoi pas, sans fard.
      Ailleurs au-delà de leurs limites, tout à notre aise, dans un songe, une sensation plutôt et certitude parfois D’avoir repris notre âme volée, envolée, retrouvée, en soi, dans la solitude ou à l’Autre, se croiser, savoir, dire, avec seulement, délice.

      L’europe va tranquillement et irrémédiablement vers la décadence dans l’outrance du capitalisme et la France atteint le grotesque des « mazarinades » (qui me tentent ici aussi) et des frondeurs.
      L’individu seul, ne vaut rien, mis à part quelques rares personnes. Il trafique, manigance, use de ce qu’il imagine de pouvoir, d’ascendance, de perversion, contre sa propre impuissance.
      Il ne sait plus se tenir, le vernis craque. A ceux du pouvoir il ne leur reste plus que l’insulte.

      Blues. Recommencer toujours, là, comme d’amour neuf, toujours autre rafraichissant. Comme toujours, une première fois. Le désespoir est dehors. Le Délice est libre.
      Le roi est mort dans les fastes de l’Élysée
      couper-lui la tête, s’il lui en reste une …

      Blues again, parce que Paris semble s’endormir mais le passage des héros ne demande qu’à s’ouvrir davantage et tout fourmille, hors de, dans le silence, sans vous (?), sans eux, à leur insu il se trame une autre toile. Nous sommes lié de tout temps pour la justice, c’est une plainte, une accusation, un chant.

      Merci

      s.



  • lundi 26 juillet 2010 à 17h22, par Pilou

    Parfaitement ok avec l’appréciation chair-de-poulesque du Summertime de Janis Joplin, bouleversante d’émotion (sans doute du à sa voix magnifique !). Un petit Little girl blue saura terminer la session de chair de poule du jour... Bonnes vacances.



  • mercredi 28 juillet 2010 à 18h55, par Guy M.

    Parole du plus mauvais saxophoniste de ma génération : Summertime, c’est pas trop fatigant à jouer...

    Mais, au lieu de raconter ma vie, je ferais mieux de te signaler la version étonnante qu’en a enregistrée Albert Ayler, au saxophone ténor, en compagnie de Niels-Henning Orsted Pedersen à la basse et de Ronnie Gardiner à la batterie. C’était en janvier 1963, dans les studios de la radio danoise, et cela se trouve sur l’album My Name is Albert Ayler.

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

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