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samedi 3 octobre 2009

Littérature

posté à 08h03, par Lémi
6 commentaires

Ce « joli » moi de juillet : 68 au Mexique, raconté par Paco Ignacio Taibo II
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On l’oublie trop souvent, mais l’année 1968, synonyme de barricades dans l’hexagone, a vu s’enflammer bien d’autres villes que Paris. Dont Mexico, où le mouvement étudiant a pris une belle ampleur, avant que d’être noyé dans le sang. Un épisode peu connu de la deuxième moitié du 20e siècle. Et l’occasion pour Paco Ignacio Taibo II de revenir sur un moment décisif de sa jeunesse.

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« Aujourd’hui, le mouvement de 68 est un fantôme médiatique de plus, un des fantômes les plus irréductibles, les plus insomniaques de tous ceux qui hantent notre terre. Il se peut que ce fantôme, aussi jeune soit-il, jouisse encore de sa bonne santé et vole au secours de notre génération chaque fois qu’on fait appel à lui. »
(Paco Ignacio Taibo II)

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Je t’entends déjà soupirer, lecteur blasé. Encore un livre sur 68 ? Est-ce que les anciens combattants repentis vont enfin nous lâcher le slibard avec leurs souvenirs ? Est-ce qu’on pourrait passer à autre chose ? Mai 68, Dany le Pitre, le « gentil » préfet Grimaud, Paris qui refleurit, blablabla, j’en peux plus de ces conneries, grommelles-tu.

Hop, hop, hop : je t’arrête tout de suite. Certes, ta réaction est compréhensible, tant la célébrations des quarante ans de mai 68 a été la goutte d’eau médiatique qui a fait déborder la barricade. Mais quand même, tu fais erreur. Si c’est bien de 68 dont il s’agit, si l’on parle bien de révolte populaire dans cet ouvrage du joliment moustachu Paco Ignacio Taibo II, il n’y est pas question des boulevards de Saint-Germain, mais des rues de Mexico. Et il ne s’agit pas du joli mois de mai, mais du joli mois de juillet mexicain. Celui-ci, j’imagine que tu le connais un peu moins, non ?
Juillet 68 a pourtant joué un rôle tout aussi important que son équivalent français, voire supérieur, dans l’éducation politique de toute une génération de Mexicains. Surtout : à la différence de notre 68 hexagonal, il s’est enraciné durant plusieurs mois et fut suivi d’une répression féroce, sans pitié, que l’État mexicain s’est longtemps efforcé de dissimuler. De Mexico 1968, du coup, la psyché collective (cette catin ingrate) a surtout retenu les Jeux olympiques, pas la révolution en marche. Voilà - entre autres - une bonne raison de lire ce livre.

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Pour Paco Ignacio Taibo II, écrivain qui ne cesse d’étonner, ce livre est d’une importance capitale. Ce n’est pourtant pas celui qui relève du travail de recherche le plus impressionnant (voir ses biographies monumentales de Che Guevara ou de Pancho Villa, et ses ouvrages co-écrits avec le sub-commandante Marcos, entre autres), mais c’est le bouquin qu’il a eu le plus de mal à écrire. En 1968, Paco était étudiant, gentiment politisé, bon vivant et pas vraiment préoccupé du cours de l’histoire. Après 123 jours de révolte et la défaite sanglante qui leur tint lieu de point d’orgue, Paco Ignacio Taibo II est devenu autre, hanté par ce mouvement et par la frénésie des jours qui l’ont composé.

Il le dit lui-même, d’ailleurs : s’il a voulu être écrivain, c’est en grande partie à cause de ces souvenirs accumulés en 1968, entassés dans sa mémoire et dans des cahiers poussiéreux qui ne l’ont jamais quitté. Et aussi en souvenir des massacres d’octobre de cette même année, qui ont tragiquement mis fin à l’insurrection étudiante.

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Étrangement, pourtant, le récit de ces jours fondateurs s’est toujours dérobé à lui : « Je n’ai jamais pu écrire ce roman. C’est vraisemblablement un roman qui ne veut pas être écrit », explique t-il. À la place de ce roman inaccouché, donc, il a donc réalisé 68, ouvrage où il livre pèle-mêle des souvenirs fragmentés en courts chapitres, comme des carnets réécrits. Ce n’est plus le roman des événements, c’est le roman de ces événements vécus par le jeune Taibo. Cela n’en est pas moins précieux.

Ce que Taibo raconte ici, c’est son initiation à la politique, sa prise de conscience. Sa joie de participer à un mouvement qui faisait l’histoire (il reprend ainsi à son compte la citation de Monsivais : « Jours sans sommeil. Rêve éternel. ») En participant à la lutte, en prenant des risques énormes, en se glissant peu à peu dans la clandestinité à mesure que la répression du président Diaz Ordaz se faisait plus féroce, l’écrivain à venir se forgeait une destinée :

Pour ceux d’entre nous qui avions tété de la politique dans les livres, la réalité politique devenait notre nouvelle école. Nous savions seulement qu’il y avait un mouvement, qu’il fallait le défendre contre ceux qui voulaient le tuer à coups de matraque ou de bazooka, qu’il fallait le protéger de ceux qui voulaient l’étouffer sous la parlotte, de ceux qui voulaient le freiner, l’arrêter. Qu’il fallait le faire grandir, l’organiser, l’alimenter, l’élever hors de lui-même. L’État était apparu dans nos vies avec le visage du mal : la face de petit singe tordu du président mille et une fois caricaturée le personnifiait à merveille.

Taibo retrace un moment qui se vivait au jour le jour, dans l’excitation et la folie (« Et si quelque chose était respectable, c’était bien ça : la folie individuelle. »), une insurrection qui ne se posait pas les questions de ses limites mais croyait en la force de la révolte pure contre une vieille société réactionnaire - c’est d’ailleurs en cela que le juillet 68 mexicain se rapproche sensiblement du mai 68 parisien.

Tout le monde est d’accord pour dire que le mouvement a éclaté le 28 juillet 1968, mais comme toujours dans l’histoire vécue, nous qui explosions ne savions pas alors que nous étions en train d’exploser.

Exploser ? Au sens littéral, presque. Après une première manifestation de protestation contre des violences policières le 26 juillet, les affrontements entre étudiants et forces de l’ordre s’étaient généralisés. Et avaient culminé trois jours plus tard, quand la police avait fait usage de moyens extrêmement brutaux - dont des bazookas ! - pour déloger les étudiants des bâtiments qu’ils occupaient et des barricades qu’ils avaient dressées. Qu’importe, Mexico avait beau être quadrillée par les forces de l’ordre, les manifestations s’étaient alors enchaînées, rassemblant des dizaines de milliers d’étudiants, puis plus de 200 000 à deux occasions - fin août et début septembre. La ville vibrait, vivait, résonnait de partout, la mobilisation s’élargissait et les habitants - mélangés - profitaient de cet incroyable espace de liberté dans un pays miné par l’affairisme et la répression. Presque la révolution, tu vois.

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Et puis ? La répression la plus brutale. Elle qui avait lancé le mouvement y a aussi mis fin. À l’approche des Jeux Olympiques - tout juste dix jours avant - , décidé à ne pas laisser son pays se montrer sous un jour contestataire, Díaz Ordaz a fait donner la troupe le 2 octobre. Plus de 10 000 soldats et policiers ont encerclé les 6 000 participants d’un meeting pacifique sur la place de Tlatelolco. Puis ont ouvert le feu et fait usage de leurs baïonnettes, causant plusieurs centaines de morts (la plupart des bilans s’accordent sur le chiffre de 300 victimes) : un vrai massacre. Près de 2 000 personnes ont aussi été interpellées, beaucoup goûtant aux affres de la torture, de l’emprisonnement arbitraire et des procès fabriqués de toutes pièces. Juillet 68 était définitivement enterré, la contestation écrasée, l’État avait repris la main. Place à la magie olympique, comme dirait l’autre…

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Au moment où le régime réprimait dans le sang le mouvement, ouvrant le feu sur les manifestants de la place Tlatelolco, Taibo se trouvait en Espagne : il venait juste de quitter le Mexique sous la supplication de ses parents qui le savaient très impliqués. La culpabilité qu’il éprouva (tant de camarades morts et lui à l’abri) parcoure les pages de 68, livre confession autant que témoignage historique. À lire ne serait-ce que pour comprendre d’où Paci Ignacio Taibo II tire son énergie démente et sa productivité de fou furieux…


COMMENTAIRES

 


  • « Presque une révolution » dont le point final est une manifestation pacifique réprimée dans le sang ?
    C’est à peine un balbutiement. Un balbutiement éventuellement intéressant, mais de là à en tirer les auréoles dorées d’une révolution quasi-victorieuse alors qu’elle partait perdante en ne prenant pas les armes contre des ennemis qui n’ont pas cette délicatesse...

    • « mais de là à en tirer les auréoles dorées d’une révolution quasi-victorieuse » : Je n’avais pas l’impression d’avoir été aussi catégorique ou de présenter ces évènements comme une victoire. Il s’agissait simplement de retracer un épisode peu connu dont PT II parle avec ferveur. De là à déconsidérer tous les mouvements sociaux qui n’ont pas pris les armes...



  • ¡2 de octubre no se olvida !

    Cela étant dit, quand on vit à Mexico, on n’a pas forcément la même vision des choses concernant Paco Ignacio Taibo II qui squatte les plateaux télé, les radios et les journaux, tout comme Monsivais (vieux radoteur insupportable, amateur, comme notre bon ministre de la culture de jeunes garçons, de préférence très pauvres - charité oblige).

    Je n’irais pas jusqu’à comparer ces deux « illustres intellectuels » à BHL, non, quand même pas, mais on n’est pas loin de l’overdose. Vous pouvez être sûr que dès qu’un événement quelconque se produit (genre il pleut trop ou pas assez), on a droit à « qu’en pensent Carlos Monsivais et Paco Taibo II ? ». Ça fatigue, à la longue, surtout quand on l’entend (Taibo) dire des conneries du genre « Chez Agatha Christie, c’est toujours le majordome le coupable » (quiconque a lu ses 80 bouquins sait que pas 1 fois le majordome n’est coupable).

    Mais je comprends qu’en France, on n’ait pas la même perception des choses.



  • D’ accord avec Floravil,
    paco ignacio, ras le sombrero.
    Lemi, j aime beaucoup ton romantisme,tu le sais, mais la revolution mexicaine de 68 : c est un mythe,et une deformation historique assez violente.

    par ailleurs, suis tombee sur un bon film relatant le tragique jour du 2 octobre : Rojo amanecer, de Jorge Fons
    et , puisqu’on pqrle de jorge Fons, vois donc aussi El Callejon de los milagros, qui est une petite merveille.

    boune

    • Hey Boune, ravi de te voir en ces pages. Après, c’est facile de se la pêter, hein, tu le monde n’a pas la chance de gambader en terre mexicaine (smiley gringo jaloux) afin d’y glaner des infos plus solides que les miennes.
      Je vais essayer de me procurer les deux films dont tu parles, ça me forcera à me remettre à l’espagnol...

      Bises amicales (embrasse le Consul Geoffrey Firmin de ma part. Pour le trouver, c’est facile : il est au dessous du volcan)

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