ARTICLE11
 
 

vendredi 27 janvier 2012

Sur le terrain

posté à 12h21, par Antimollusques & Ubifaciunt
7 commentaires

Squatter l’Enfer, attiser les Breizh

Île de Groix, Morbihan. Peu ou prou mille cinq cents habitants l’hiver ; le décuple l’été. A huit kilomètres au large de Lorient, une image du bonheur en forme de carte postale : roses trémières, crêperies, falaises et crachin, bars où coulent à flot le houblon et les rêves de marins. Et, plus étonnant, un squat libertaire. Ou plutôt, comme le revendiquent ses habitants, une Maison commune.

Cet article a été publié dans le numéro 6 de la version papier d’Article11. Depuis, le lieu dont il est (en partie) question ci-dessous, la Maison Commune de Ker Béthanie, occupé depuis octobre 2010, a fait l’objet de fortes pressions et semble menacé. Plus d’infos ici.
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Festival international du film insulaire de Groix, le FIFIG pour les intimes. Une institution annuelle où se mêlent projections, débats, apéros, bouffes et rencontres. Après les Cubains puis les Sri Lankais, c’est au tour des Kanaks de Nouvelle-Calédonie d’être les invités d’honneur. L’année prochaine, ce seront les Inuits des Terres Arctiques.

Derniers jours du reportage. Des affiches dans tout Groix pour annoncer le programme des journées au FIFIG. Un débat attire notre attention : «  Les îles : laboratoires d’idées ; ou comment discuter des nouvelles formes de gouvernance sur des territoires restreints ». On s’y pointe, espérant entendre des points de vue sur la Maison commune qu’on n’aurait pas encore recensés.

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Une bonne soixantaine de personnes dans le public. Et, surprise, une table derrière laquelle quatre personnes sont assises, micros branchés. Un Monsieur Loyal plastronne, debout, micro à la main.

« Nous allons pouvoir commencer cette conférence. En tant que président, j’ai l’honneur d’accueillir quatre experts : une journaliste à Marianne, un ethnologue, un responsable économiste d’Attac1, ainsi qu’un musicien-poète. Ils parleront des événements ayant secoué dernièrement l’actualité des îles telles que l’Islande, Madagascar ou la Nouvelle-Calédonie. De nouvelles pratiques politiques se font-elles jour dans ces laboratoires d’idées ? Quelles sont les perspectives pour un nouveau vivre ensemble ? Vous pourrez bien évidement réagir en demandant la parole. Mais avant de commencer avec la journaliste de Marianne, qui est allée en Islande, voici un reportage d’Arte pour illustrer son propos... »

Les lumières s’éteignent. Images de côtes islandaises. Titre. « Ceux qui disent non ». Une femme, dans un intérieur chaleureux, un café fumant sur la table. Elle dit qu’elle ne veut pas payer ce pour quoi elle n’est pas responsable, qu’il y aurait bien des solutions radicales. Les lumières se rallument. La journaliste parle monocordement de l’Islande pendant un quart d’heure.

Un résident de la Maison commune demande la parole. « Est-ce qu’on pourrait, pour une fois, faire un vrai débat et sortir de la forme experts/bergers contre public/mouton ? » Le président répond, cinglant : «  On te connaît, Keru, commence pas !  » Dans le public, d’autres enchérissent : «  Vous servez à rien, vous polluez !  » La journaliste répond que, de toute façon, elle est là pour parler des problèmes de l’Islande.

Quelqu’un, derechef, se permet d’interpeller le président.

« Bonjour, la soirée s’annonce intéressante, mais je me demande si on ne peut pas aussi causer des initiatives locales et des pratiques politiques concrètes qui essaient de faire une nouvelle forme de politique, comme ici avec l’expérience de la Maison commune. Et c’est vrai que je suis un peu surpris de voir que la soirée est annoncée comme un débat alors que c’est un conférence...
- T’es de Groix ?
- Ben, non...
- Alors, ferme ta gueule !
- Et toi, t’y étais en Nouvelle-Calédonie et en Islande ?
- Non, mais il y a ici des gens qui y sont allés.
- Ben, ça tombe bien, moi aussi, j’y suis, à Groix.
 »

Le micro du public est coupé, la journaliste reprend sur l’Islande.

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Le « Keru » en question est groisillon d’origine. À force de ruer dans les brancards et de vouloir agiter politiquement le « caillou »2, il lui a été gentiment conseillé de présenter une liste aux dernières municipales, histoire de voir si l’autogestion pouvait sauver du manque de boulot sur l’île et constituer un projet d’avenir. Accessoirement, lui faire fermer sa gueule et replier son drapeau noir. Est née la liste « Les élus, c’est vous  » regroupant chômeurs, étudiants ou employés municipaux et affichant sans vergogne avec Saint-Just sur leurs tracts que « tous les arts ont produit leurs merveilles, sauf celui de gouverner qui n’a fait que des monstres ». Une quarantaine de voix, sur les deux mille inscrits3.

Fort du Haut Grognon, juillet 2010. Face au manque de logements sur l’île, aux listes d’attente d’entrée en HLM presque dignes d’une ville d’Île-de-France, un squat est ouvert. Il dure à peine le temps de la saison et est violemment expulsé en septembre par les cagoules et les matraques de la police continentale et nationale. Ce n’est que partie remise. Un article de Ouest France en octobre indique qu’un conflit d’héritage laisse à l’abandon une maison près du Trou de l’Enfer4, construite sur un terrain légué par le gouvernement à une ancienne doctoresse pour services rendus et faits de Résistance.

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La journaliste, à peine troublée, reprend son propos : «  Oh, vous savez, les histoires d’ici, je ne comprends pas bien, par contre, en Islande, ce qui a été marquant, c’est le vrai rejet des élites politiques, à tel point que ce sont vingt-cinq citoyens lambda qui ont planché sur un projet de nouvelle constitution. Rendez-vous compte, des gens comme vous et moi ! Ça ne fait pas grand monde, pour une île de trois cent mille habitants. »

Le président hoche la tête, semble trouver l’intervention à son goût, et n’en oublie pas de garder le micro dévolu au public. Il donne la parole à l’économiste d’Attac, dont l’amorce du discours est aussi raide qu’un plan de rigueur de l’Union européenne : « Pour ce qui concerne la question de l’élargissement de l’annulation de la dette, regardons ce qui se passe en Grèce avec la liaison entre le mouvement des Indignés et le mouvement syndical...  »

Une voix, dans le public : «  On s’éloigne pas un peu du sujet, là ? C’était la démocratie dans les îles, non ?  » Les éclats de rire montent aussi vite que la tension.

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Un vallon, la mer en contrebas, les phares de Belle-Île au loin, et puis deux maisons : une petite qui jouxte le portail - toujours ouvert - et puis une autre, plus grande, que ses occupants ont nommé la « Maison commune ». La porte vitrée - elle aussi toujours ouverte - est fissurée, bardée de scotch. La maison a été « visitée  » par certains qui n’ont pas hésité à briser la porte-fenêtre avant de sonder les murs à coups de masse ; il y en a quelques-uns que le squat irrite...

À l’intérieur du « domaine  », ni électricité, ni eau courante. Le puits dans le jardin pour l’eau du café ou du thé, pour la vaisselle, pour la cuisine, pour les chiottes. Une bouteille de gaz dans la cuisine, un réchaud, des jerrycans d’eau potable et la grande pièce avec son infokiosque5 et ses publications du continent libertaire.

La maison étant située sur le sentier côtier, il n’est pas rare que les randonneurs s’arrêtent remplir leurs gourdes, faire une pause. Discutent du lieu6. Des retraités qui découvrent pour la première fois une maison occupée, des curieux qui ont entendu parler du squat, des anarchistes en vacances, des évadés du camping municipal qui choisissent de planter leur tente dans le jardin, des plaisanciers en goguette. Qui partent au bout d’un quart d’heure ou restent pour la tablée du soir, déguster les fruits de mer récoltés près de la falaise avec les légumes récupérés aux fermes du coin.

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Ça commence légèrement à s’agiter dans la salle. Quelques personnes sont déjà parties. Dans le public, des voix discutent et couvrent un peu le laïus de l’économiste. Le président essaie de tempérer. Le mec d’Attac reprend : «  Oui, ici comme partout, comme en Grèce, il doit y avoir une discussion citoyenne sur les solutions à apporter à la crise. » La journaliste enchaîne : « C’est vrai, c’est une forme de résistance !  »

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Du passé, « nos amis  » allemands ont laissé en partant quelques blockhaus disséminés ça et là dans l’île. Ici, le rappel à ce temps où l’on bétonnait les côtes est assez peu bienvenu. Néanmoins, il y a un personnage de cette époque dont on aime à se souvenir : la doctoresse Marie-Antoinette Gavet, ancienne résistante du sous-réseau 57 un moment rattaché au réseau « Manipule  », médaillée de la Résistance. C’est à la doctoresse Gavet qu’a appartenu la maison avant qu’elle ne soit investie à l’automne 2010. Comme l’expliquent les occupants de la Maison commune dans la pétition qu’ils ont lancée :

« La construction de cette maison survint après la guerre. La doctoresse Marie-Antoinette Gavet, du réseau ’Manipule’ de la Résistance, la fit construire à l’écart. Loin du Bourg, loin des petits villages, loin des gens. Elle en avait vu des gens, et elle en voyait encore, qui venait au monde chez elle, au milieu de la nature, face à la mer.
Aujourd’hui, c’est un lieu-dit : Ker Béthanie, c’est la maison, et le vallon.
 Voilà un nom bien porté : Béthanie est le village dans lequel, selon les évangiles, Jésus aurait ressuscité Lazare. Il fut ensuite un lieu de repos pour les pèlerins qui se rendaient à Jérusalem, un lieu de soins pour les malades et nécessiteux. »


À la mort de l’ancienne chef de réseau, la maison a été mise aux enchères au Tribunal de grande instance de Lorient à l’été 2010. Un blog est spécialement créé pour l’occasion : on y voit une photo du domaine prise depuis le ciel, surmontée d’un titre digne des annonces immobilières que l’on peut lire habituellement dans les dernières pages des revues chics. On attise le désir : « Propriété à vendre dans un site exceptionnel de l’île de Groix ».

« Sur la côte sauvage de l’île de Groix, dans un site protégé, à soixante mètres de la côte et cent cinquante mètres d’une plage, abritée dans un vallon, propriété close de cinq mille mètres carré traversée par un ruisseau, avec maison de style breton sur deux étages, toit en ardoises, séjour de cinquante mètres carrés, vue sur mer, orienté sud, terrasse au sud, trois chambres, chauffage central, bâtiment séparé à usage d’atelier. »

Histoire de susciter les convoitises, l’auteur du blog juge bon d’ajouter quelques jours plus tard une coupure de presse qui vante le « charme puissamment iodé  » de l’île : «  Dans son numéro du 9 avril, le magazine ELLE a sélectionné quinze îles de rêve à découvrir. Seychelles, Galapagos, Fidji, Açores et, seule représentante française : l’île de Groix. »

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Le président a renoncé à demander au public de lever la main avant de poser une question. D’ailleurs, celui-ci commence à débattre en dédaignant la tablée d’experts :

« Est-ce qu’on pourrait imaginer une gouvernance à l’échelle d’une île ?
_- Oui, mais comment rester en contact avec les communes voisines, faut-il se justifier par rapport aux autres, peut-on faire figure d’exception ?
- Du fait de leur caractère isolé, est-ce que les îles préfigurent ce qui va se passer à plus grande échelle ?
 »

La journaliste répond qu’en Islande, le mouvement de contestation est surtout venu des jeunes, parce que les jeunes, c’est pas facile pour eux ; ils sont au chômage.

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Lui, il est employé municipal, il n’a pas quitté l’île ; il a l’âge où l’on va du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, puis du lit à la bière. Ni lit, ni fenêtre, de passant en bière et parfois de passant en passant. S’il avait dû travailler à la ville, on lui aurait peut-être refourgué un CDD du genre Père Noël de supermarché ou des colis alimentaires. À Groix, il n’y a plus guère de marins7, mais toujours les ordures, qu’il ramasse le balai à la main. Il parle des jeunes partant bosser sur le continent qui, quand ils rentrent à Groix, oublient souvent de prendre le bateau du retour. Il parle des résidences secondaires, de plus en plus nombreuses8, de la difficulté pour les Groisillons de trouver un logement. Il est content puisqu’il vient d’avoir son HLM. Avant, quand le prix de sa location augmentait l’été, il allait chez sa sœur. Pour d’autres Groisillons, c’est plus compliqué. Il en connait même qui sont obligés d’aller au camping. Ils retrouveront leur maison quand les touristes auront pris le bateau du retour.

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Une femme se lève, visiblement émue : «  Faut pas oublier que sur une île, on est condamnés à vivre ensemble. Et pour tout dire, on est aussi condamnés à mourir ensemble, parce qu’ici, les suicides, ça y va. Encore un il y a trois jours. Personne ne se parle. En Tunisie, il a fallu qu’une personne s’immole pour que ça bouge et que les gens se parlent. À Groix, on ne dit rien. Faut-il attendre que quelqu’un s’immole pour que les gens comprennent ? »

Le mec d’Attac reprend. Imperturbable : « Pour la crise, donc, le problème vient des subprimes et des notes des banques. »

Une autre femme : «  Vous n’avez rien compris, c’est hors-propos et presque indécent par rapport à la remarque précédente.
- Laissez-moi finir.
- Non. On parle de morts, là. Combien de personnes on a vu partir, et qu’est-ce qu’on a fait pour empêcher ça ?
- Ce n’est pas mon propos.
- C’est le mien. On s’en fout de tes banques et du reste !
 »

Elle hurle en quittant la salle : «  On parle de morts et personne ne fait rien !!!  »

Le président enchaîne, agacé : « Bon allez, on reprend, là...  »

***

Debout, alignés le long du comptoir, des hommes, plus tout jeunes ou très vieux. Chaque jour, à la même place. Ils vont du débit de tabac à la porte des toilettes. Toujours à la même place. Toujours la même commande. Dix heures, le matin. Une vieille femme assise, ni tout à fait près du bar, ni tout à fait au fond, là, accrochée à sa table comme du granite, les yeux pour faire les ronces. Ils marmonnent, boivent. On ne prendra plus la peine de commencer par un café. La patronne sort le muscadet. Derrière la ligne des hommes, un petit jeune qui s’en est allé vivre sur le continent tente sa chance auprès d’une jeune fille. Les restes d’alcool l’enivrent tout autant que la belle. Il lui dit qu’« on pourra toujours faire la chouille un jour, à Groix ou à Lorient ». Puis passe quelques appels de son portable. Les murmures des vieux au comptoir se sont tus, plus rien n’est dit, on écoute ; pour faire couverture, la patronne met la sono. Du coup, les vieux parlent d’une telle de telle famille qui fréquente un tel de telle famille. On connaît le frère, le père ou la cousine, on connaît tout le monde. Au moins de nom. « Des gens biens.  » Les corps en parlant se soulèvent à peine. À peine tend-on le bras que le bras de la patronne remplit le verre. Les amours îliennes durent un temps, puis, doucement, c’est la mort qui passe de bouche en bouche. Au comptoir, on évoque un homme, vivant seul sur l’île, fils de..., frère de... On établit en quelques phrases les liens de parenté .

« Ben, j’ai appris qu’il s’était pendu.
- Ben oui, y a rien à dire, c’est son choix comme on dit.
 »

Le sujet sera éclusé aussi vite que les verres.

Le lendemain, quelques mots le long du zinc au sujet de l’heure de la messe à l’église du Bourg, puis une femme du coin se hasarde à parler de la solitude, du silence qui règnent dans l’île. Les hommes hochent la tête ; elle lance dans le vague qu’il faudrait peut-être créer une association pour la prévention du suicide. Les hommes hochent la tête, le silence se fait, comme il existera le lendemain autour de l’église. Il est difficile de savoir précisément combien de personnes se suicident chaque année à Groix. Selon certains, il y en aurait environ trois ou quatre. Rapporté au nombre d’habitants, cela représente près de dix fois la moyenne nationale9. Sans compter le nombre de morts dus à l’alcool aux alentours de la cinquantaine...

***
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La conférence ne reprend pas. Pour ceux du public qui n’étaient pas au courant du suicide, on s’interroge, on demande au voisin. On revient aussi sur l’échange autour de la Maison commune, au début de la rencontre. Le président essaie de couper. Un homme, dans le public, hurle qu’il y en a marre de ceux qui ne veulent pas bosser, en plus, y en a qui ne sont pas de Groix, et qu’on n’est déjà pas foutus de s’entendre à mille cinq cents habitants, alors hein, leur révolution collective et leur autogestion...

« Ils ont bien réussi, à Oaxaca, à s’autogérer pendant plus de six mois, les usines en Argentine, ça marche aussi, et nous à Groix, on n’y arriverait pas ?
- Moi, par exemple, je travaille dans une Scop10 dans le Sud-Ouest, et on s’en sort très bien. Il y a des limites en terme d’organisation, mais le plus important, c’est l’engagement de chacun pour que ça marche. Je ne connais pas bien Groix, je suis de passage, mais il y a une Scop ici ? Après, je peux vous donner quelques conseils si vous voulez qu’on en discute...
 »

Hors-sujet, dit le président qui entend faire respecter le programme et parler maintenant de la Kanaky. Une réunion ou un débat démocratique, ça se prépare, assène-t-il ; c’est une illusion de croire que lorsque des gens ont envie de discuter, on peut y arriver comme ça...

L’expert relatif aux questions kanaks souligne que la grande force à l’approche des référendums liés à l’auto-détermination prévus entre 2014 et 2018 est, un peu à l’image de ce qu’a permis le LKP en Guadeloupe, la possibilité pour tous de se connaître, de se parler.

On coupe dans le public : « Ah, oui, parce que moi, je ne suis pas d’ici, et je suis comme le témoin d’un conflit groisillon. On a l’impression qu’il y a beaucoup de non-dits, ici... »

***

18 heures à la terrasse du Bateau Ivre11. Les regards se portent sur la mer et sur la bière. Ça cause doucement, ça roucoule, pas besoin d’en dire plus, ça gâcherait le soleil breton. À quelques mètres de là, le grand âge s’est réuni en conseil sur les bancs. Les femmes n’attendent plus le retour des marins mais l’arrivée d’autres vieilles ou d’un vieux. Le petit groupe ne regarde pas la mer mais la rue minuscule, où il pourrait peut-être se passer quelque chose. Ça guette le rien, ça scrute le calme. À tour de rôle, elles parlent suffisamment fort pour que la terrasse entende. Ça se la joue autoritaire à coups de « jugement dernier  » et d’un énième « ah, c’est pas possible ! » ; les Torquemada des bancs publics récitent du Marine dans le texte : «  Elle rendra la France plus française. Elle va supprimer le RMI parce que quand ils arrivent en France, ils ont le RMI, les allocations familiales, ils n’ont pas besoin de travailler. » On réajuste ses bas et on étoffe : « Mon fils qui habite à Istres, il avait du boulot. Y z’ont mis un Arabe à la place. Ça coûte moins cher.  » Les vieilles l’ont mauvaise, à les entendre, Groix c’est Chicago, la pêche au harpon en plus.

***

Fin de la conférence. Ceux qui voulaient poursuivre le débat ont été fermement invités à discuter dehors. Près du bar, la nuit commence à tomber sur Port-Lay. Des gens promettent de passer le lendemain à la Maison commune, venir boire un coup, tranquillou, et discuter, face à la mer. Des Kanaks se marrent et nous rejoignent. On parle de la maison, de l’avenir qu’on lui rêve : un lieu d’accueil, ouvert aux gens, aux associations, aux pauvres, au débat, à tout.

Au final, les Kanaks se seront installés à Ker Béthanie pour la fin du festival et quelques jours de plus. Aux dernières nouvelles, il y en a même un qui n’est pas rentré aux antipodes et qui s’est installé sur le caillou. Il passe souvent dans le vallon. Il repartira peut-être quand les Kanaks auront enfin obtenu leur indépendance, avec la devise qui est déjà prévue : « Terre de parole, terre de partage.  »



1 Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne.

2 Surnom couramment donné par les Groisillons à leur île.

3 Au deuxième tour, la liste appela dans un tract à « Votez pour Vous, rien qu’un geste ! » Beaucoup d’électeurs se prirent au jeu, votant pour leur propre nom. Ce qui compliqua et rallongea le dépouillement des résultats, qui ne furent connus que vers une heure du matin au lieu de 21 heures habituellement.

4 La maison a été rachetée 360 000 euros par un service de l’État, le Conservatoire du Littoral, en vue d’une démolition pour réintroduire la flore originelle ; sa démolition – qui coûterait à peu près le même prix – doit être validée par la municipalité. Celle-ci n’a toujours pas donné son accord. Les occupants de la maison profitent pour l’instant de ce balancier administratif.

5 Table de presse proposant des brochures, revues, fanzines, gratuitement ou à prix libre.

6 Le squat en milieu « rural  » ou « villageois  » se différencie du squat « urbain  » en ce sens qu’il peut difficilement avancer masqué. De fait, il se doit par nature d’être plus ouvert à son entourage immédiat (voisinage, population) et ne peut aborder des questions politiques radicales de manière aussi frontale que dans une ville anonyme.

7 Entre 1870 et 1940, Groix était le premier port thonier de France, avec plus de trois cents thoniers en 1914, soit les trois-quarts de la flottille française.

8 En 1968 selon l’Insee, il y avait à peine trois cent cinquante résidences secondaires pour un peu plus de mille résidences principales. Quarante ans plus tard, le nombre de résidences principales est resté stable, celui des résidences secondaires a été multiplié par trois, devenant ainsi légèrement majoritaire. Sur l’île, environ deux habitants sur dix étaient locataires en 2008 ; parmi eux, un sur deux résidait en HLM ; en dix ans, le pourcentage de personnes logées en HLM a été multiplié par deux.

9 Chiffre énorme si on se réfère au taux de suicide moyen sur une année en France, qui était de 16,4 pour 100 000 habitants en 2008.

10 Société coopérative et participative.

11 Bar situé à Locmaria, qui organise par exemple des soirées-débats autour de documentaires comme Walter, retour en résistance de Gilles Perret. L’endroit fut aussi un des premiers repaires de « Là-bas si j’y suis », émission radiophonique de Daniel Mermet sur France Inter.


COMMENTAIRES

 


  • vendredi 27 janvier 2012 à 13h30, par Keru

    Salutations, et merci pour cette mise en ligne !

    La situation est tendue à Ker Béthanie en ce moment.

    Voici un témoignage poignant de Cochise, jeune et ancien toxicomane qui dérange malgré lui, les esprits vulnérables de l’île...

    http://groix.revolublog.com/temoignage-de-cochise-jeune-et-ancien-toxicomane-sauve-par-ker-bethani-a37794087

    Bises à toutes et tous, et bonne luttes !



  • vendredi 27 janvier 2012 à 14h37, par Wroblewski

    Ca en parle là aussi : http://juralib.noblogs.org/2012/01/... avec une demande d’aide.



  • samedi 28 janvier 2012 à 03h17, par mathieu.k

    Chelou comme ce squat touche plus que d’autres, qui pourtant subissent le même sort. Y’a un truc dans le contexte insulaire, et dans le témoignage de cochise, que j’arrive pas à expliquer et qui raisonne différemment ce que l’on connaît ou imagine dans nos villes...

    Je relis pas tout le papier, mais je l’avais sacrement aimé dans le journal papier.



  • samedi 18 février 2012 à 08h41, par tasmant

    Salut.
    Ca faisait longtemps...
    Mais Groix, c’est en face de chez moi, je regarde l’île tous les jours. Des groisillons, j’en connais plein, des expat’, qui se sont installés dans mon bled et des insulaires...
    Ben, c’est chouette que des anar aient les moyens de visiter l’île, moi, j’y vais de temps en temps.
    Dans mon bled, il y a un max de suicide, à Groix aussi, parce que simplement, si tu es né là-bas, si tu es né chez moi, t’auras pas de travail, t’auras pas de maison, si tu gagne moins de 3000 € par mois.
    C’est simplement ça, la réalité des gens d’ici. Surtout des jeunes. Laisser la place à des touristes. Ici, mes potes, les jeunes, sont en camion.
    A Groix, les jeunes, ils auront jamais les moyens de racheter la maison de famille.
    Désolé de casser l’ambiance.

    • lundi 20 février 2012 à 11h07, par Keru

      Salut Tasmant,

      t’as bien raison. Je crois qu’on peu ajouter le manque de parole. Les suicides sont aussi provoqués par le manque de dialogue, débat, politisation des jeunes. Ce qu’on dit, ici à Groix, comme dans beaucoup d’endroits, c’est des « on ne peut pas changer les choses ! » ; « on est dans la meilleur des démocraties, regardez en Afrique... » ; « pour changer de système, il y a les élections ! » lancent-ils tous en cœur... Bref, les jeunes qui se conscientisent découvrent petit à petit que pour changer le monde incompréhensible dans lequel ils sont tombés, ça va pas être simple, voir impossible...
      Là, si les plus désespérés ne croisent pas une personne censée qui lui prouve le contraire, soit ils sombrent dans l’alcool (taux d’alcoolisme extrême sur l’île), soit ils mettent fin à cet enfer.

      Bref on (les ammoureu-ses-x de Ker Béthanie) est toujours là pour le moment, mais va falloir faire vite si vous souhaitez passer car je passe en référé lundi 27 pour occupation illégale (La Maison Commune), commerce illégal sur la voie publique (Le Magasin Prix Libres), dégradation volontaire de bien privé (Les bâtiments de Ker Béthanie que le conservatoire veut détruire avant le 30 avril) etc etc... eh donc on risque de se faire virer vite fait bien fait début Mars, puisque la « trêve hivernale » n’est pas applicable pour les « squatters » ! Bon on va vite ouvrir un autre endroit mais celui-là est vraiment génial ! On tentera d’enrayer cette démolition jusqu’au bout !

      On est quatre sur place pour le moment, ya d ’la place pour quinze !

      • lundi 20 février 2012 à 12h50, par Ubifaciunt

        Salut Tasmant, et merci à Keru pour les précisions...

        Je crois que l’article décrit à peu près bien ce que tu racontes, sinon, c’est qu’on a totalement foiré notre propos... Et loin de nous l’idée de dire que la situation n’est valable qu’à Groix !



  • mardi 14 août 2012 à 16h12, par Groix de coeur

    Une superbe ile, bardée de grands drapeaux bretons, et de gens sincère et généreux.

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