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vendredi 6 novembre 2009

Littérature

posté à 10h45, par Alex & Lémi
3 commentaires

Une leçon d’écriture par Bukowski
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Steve Richmond n’est pas un poète très connu. Peut-être qu’aux États-Unis il a eu une petite renommée, je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’il a publié quelques recueils dans les années 1970, quand il vivait en Californie. Et que le jour de parution de son premier livre, il est allé voir le grand Charles Bukowski pour lui demander son avis. Inconscient qu’il était…

Hier, je faisais les fonds de tiroir de mon ordinateur vermoulu, gratouillant ses entrailles pour eraser tout ce qui l’alourdissait, sorte de grand ménage de printemps, version automne. Étonnant le nombre de saloperies qui peuvent encrasser les circuits de ce pauvre vieux Bucéphale, grognard informatique… Enfin bon.

Caché au fond de fond d’un vieux dossier, entre deux photos de Linda Lovelace faisant l’otarie avec une amie et une dissertation impromptue de bibi sur le cri d’amour du Toucan huppé au fond des bananeraies, je suis tombé sur un drôle de truc, un projet de traduction qu’on avait avec l’ami Alexis – désormais roi de l’acier – , un de ces projets fomentés en titubant un soir de vodka, un peu avancé et puis finalement abandonné sur l’autel du «  trop d’autres choses à faire ». Ce sont des choses qui arrivent.

The Outlaw Bible of American Poetry1, voilà de quoi l’on partait. De cette (massive) anthologie, on avait décidé de sélectionner le nec plus ultra. Il faut dire qu’elle contenait des poètes inconnus (ou quasi) en France, comme l’envoûtant Jack Micheline. Trois, quatre ans plus tard (à vue de mémoire), il semble bien que le projet ne dépassera jamais ce stade (de projet). Et, relisant ce qu’on avait fait (la traduction de quatre ou cinq poèmes), naïfs et insouciants, je suis tombé sur l’un des textes que l’on avait traduits et qui m’a particulièrement fait sourire. Il est de Steve Richmond, un type du Sud de la Californie jamais traduit en France. Dans ce poème en prose, Richmond décrit la réaction de Charles Bukowski à la lecture de son premier recueil publié. Rude. Une leçon par le grand Chinaski, ça ne s’oublie pas…


Steve Richmond : « A Bukowski writting lesson »2

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Ça se passe au moment où il ouvre mon premier livre de poésie, l’exemplaire que je lui ai envoyé trois mois plus tôt. Il commence à lire le tout premier poème.

J’ai déchiré de mes ongles
mon estomac creusant un trou
assez gros pour mettre la main
mes doigts aveugles à l’intérieur de moi
s’immisçant entre les intestins et le foie en quête de mon essence
jusqu’à ce que je la trouve et la tire
hors de moi, la tenant dans ma sanglante
main droite jusqu’à ce que ma main gauche
se charge de mon âme, et je
pris les deux et les écrasais
l’un contre l’autre jusqu’à ce qu’ils deviennent une
pièce solide d’une totale beauté
pour que je les lance de toute
ma force dans
les étoiles

Je le surveille alors qu’il lit de bout en bout. Il ne semble pas peiner du tout, donc j’ai le sentiment que tout se passe gentiment. Et puis il en vient au dernier mot et soudain il fait : « OOOOOOHHHH MERDE. TOUT ALLAIT BIEN VRAIMENT JUSQU’A CE DERNIER MOT ― ÉTOILES ― OHH C’EST SALEMENT TROP MAUVAIS ― QUELLE HONTE. »

Je me demande à moi-même : «  Quoi ? Bon sang qu’est ce qu’il veut dire ? Etoiles ? Qu’est-ce qui ne va pas avec « étoiles » ? Personne ne m’a jamais dit aucun mal des « étoiles » de ma vie ― hmmmmm. »

Bukowski reprend : « ÉTOILES c’est foutrement ultra poétique. Tu ne peux pas employer ÉTOILES. ÉTOILES ÉTOILES ÉTOILES PUTAIN CES FOUTUS ÉTOILES ! Quelle honte, petit. Tu tenais vraiment le bon bout jusqu’au dernier mot, et là, ruiné, tous ces foutus morts ces faux poètes qui scient en rond écrivent éternellement ETOILES ÉTOILES ÉTOILES !! ils ne peuvent pas écrire une ligne sans qu’il y ait ÉTOILES quelque-part. Je suis désolé petit. »

Ce qu’il me disait fit immédiatement sens mais j’essayai de me barricader dans mon esprit parce que les 1 000 exemplaires étaient déjà imprimés et la moitié du tirage était déjà distribué et il n’y avait aucune chance que je puisse rappeler chaque exemplaire et faire que Tasmania Press change le dernier mot du premier poème pour quelque mot, n’importe lequel autre que ÉTOILES.

Maintenant c’est le 11 juillet 1994 et 29 ans ont passé depuis que Hank a refermé sa Mâchoire de Lion sur mon emploi du mot ÉTOILES. Et je n’ai jamais plus employé le mot ÉTOILES ou étoiles ou éTOILES depuis… depuis ces dix minutes où j’ai rencontré Charles Bukowski, face-à-face.

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1 La bible de la poésie américaine hors-la-loi, éditions Thunder’s Mouth Press.

2 Je te copie/colle la version originale, que tu puisses pointer les erreurs (avec mansuétude, por favor, nous étions jeunes et fous à l’époque)...

It’s about the time he pulls out my first book of poetry, the copy I mailed him three months earlier. He starts reading the very first poem :

I tore my nails into my stomach ripping a hole big enough to put my hand into me with blind fingers feeling between intestines and liver for the flower of me, until I found it pulling it out, holding it in my bloody right hand until my left hand got hold of my soul, and i took the two and smashed them together until they became a solid piece of total beauty for me to throw with all my strength into the stars

I’m watching close as he reads it throughs. He seems not to be hurting at all so I feel it’s all working nicely and then he gets to the last word and he suddenly goes, “OOOOOOHHHH SHIT. IT WAS GOING FINE RIGHT UP TO THAT LAST WORD – STARS – OHH IT’S TO DAMN BAD – WHAT A SHAME.”

I was asking myself, “What ? What the hell does he mean ? Stars ? What wrong with ‘stars’ ? Nobody ever said anything bad about ‘stars’ to me in my life – hmmmmm.”

Bukowski spoke on, “STARS is so goddamn ultra poetic. You can’t use STARS. STARS STARS STARS FUCK TH’ GODDAMN STARS ! What a shame, kid. You had it strong right up to the last word, then gone, ruined, all th’damn dead false sewing circle poets are forever writing STARS STARS STARS !! they can’t write a line without STARS in it some- where. I’m sorry kid.”

What he was telling me made instant sense but I tried to hedge in my mind because the 1,000 copies were already printed and half the run was already distributed and there wasn’t any chance I could recall every copy and have Tasmania Press change the last word of the first poet to some word, any word other than STARS.

Now it’s July 11, 1994 and it’s been 29 years since Hank tore his Lion’s Claw into my use of STARS And I’ve never used the word STARS or stars or stARS ever since … since ten minutes after I met Charles Bukowski, face to face.


COMMENTAIRES

 


  • samedi 7 novembre 2009 à 14h04, par v/

    * Lovelace and the fucking rose*

    Sous la lune ronde qui sans cesse chavire

    J’hume dans l’ombre et caresse un soupir

    J’écris d’une langue qui découvre et délivre

    L’eau d’une rose qui s’ouvre comme un livre.

    Merde, rose, rose, tu peux pas employer rose, fuck goddamn rose, i’m fucking this fucking rose, i’m fucking the rose, fucking the rose.

    v/

    • lundi 9 novembre 2009 à 09h08, par lémi

      Ouaip, ça s’applique à pas mal de trucs. Je suggère aux poètes en herbe de n’utiliser désormais les mots trop niais que précédés d’un joli « fucking » des familles, pour montrer qu’ils ne sont pas dupes : « Ma mie allons voir si la fucking rose qui ce matin avait éclose... »

      • lundi 9 novembre 2009 à 13h53, par v/

        il s’agit pas de fucking rose, mais d’une fucking rose, c’est pas pareil. C’est la règle de Bukowsky appliquée au mot lui même, et le poème dit exactement que la rose est une fucking rose, tu vois ? c’est du Fukowsking. Tu peux pas t’interdire d’utiliser des mots, rose, prose, eros, soeur, seropo. Ma soeur, ta rose en prose eros est seropo, t’as pris, tu pries, anus dei, mal à bite. Fucking God ! :o) bon, aller je sorts.

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