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lundi 10 septembre 2012

Textes et traductions

posté à 16h52, par Cédric Cagnat
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Abondance de la critique, paralysie de l’action

« Le sentiment d’injustice et la colère elle-même qu’il inspire ne trouvent pas ou refusent les débouchés qui leur seraient adéquats », écrivait George Labica en 2007 dans « Théorie de la violence ». Il exprimait alors une constance de nos démocraties contemporaines : la connaissance détaillée des méfaits du système mondialisée couplée à une paralysie de l’action. Analyse.

« L’information sur la mondialisation, ou plutôt ses nuisances, ne fait pas défaut. Au contraire, en dépit de vigoureux verrouillages imposés à la communication officielle dominante, elle nous arrive par wagons entiers de livres, d’articles, de déclarations, d’enquêtes et de statistiques, de maisons d’édition, et de sites internet, dus en bonne part à des organismes parfaitement officiels ou accrédités, sur le plan national ou international […]. Nul ne peut ignorer le plus sordide, le plus révoltant ou le plus violent des aspects du système.  » (Georges Labica1)

*

Alors que le système économique mondialisé plonge les peuples dans une misère et des injustices qui, par certains aspects, n’ont rien à envier aux anciens États totalitaires, il existe toutefois une différence fondamentale entre ces derniers et la structure politique par laquelle est rendue possible la Mégamachine capitaliste. Il s’agit de la place respectivement accordée à la critique au sein de ces deux configurations.

Les totalitarismes entretenaient avec la contestation un rapport prohibitif et tentaient d’extirper par la contrainte l’expression de la moindre opinion dissidente, poursuivant même idéalement le dessein d’étouffer à sa source psychique, au moyen de la propagande, toute pensée oppositionnelle.

Le démocratisme, quant à lui, adopte la stratégie exactement inverse. Non seulement il autorise la manifestation des désaccords citoyens à l’égard des conditions qu’il institue, mais il s’applique à lui donner le maximum d’exposition publique, en faisant de la « liberté d’expression » une valeur pilier de son fonctionnement. Dans cette surabondance, évoquée par Labica, de la dénonciation des effets néfastes de la mondialisation, qui peut aller sans risque jusqu’à la remise en cause des principes mêmes sur lesquels elle se développe, la « liberté » de protestation trouve cependant une limite : tout peut être critiqué, hormis cette valorisation de la critique. Tel qui émettra quelque soupçon au sujet de la fonction, en dernière instance, de ces encouragements adressés à l’exhibition du mécontentement populaire se verra immédiatement suspecté de nostalgie crypto-fasciste, privé de son statut de bon et honnête citoyen.

C’est qu’il demeure inconvenant de confronter les profuses bravades de la résistance réglementaire à la fâcheuse paralysie de l’action qui en est devenue le corrélat obligé : « Le sentiment d’injustice et la colère elle-même qu’il inspire ne trouvent pas ou refusent les débouchés qui leur seraient adéquats2 ». Car de la connaissance dans laquelle nous sommes, grâce à la latitude dont dispose le journalisme militant, des conditions insoutenables qu’endure l’immense multitude des damnés de l’ultralibéralisme, nous ne devons nous dédommager qu’au travers de ce droit gracieusement octroyé de la lamentation à haute voix. Davantage : nous sommes priés de nous montrer reconnaissants et bénir le hasard qui nous a fait naître sous les cieux de la libre parole. Passer outre serait faire preuve d’ingratitude.

La contestation, autorisée et valorisée, vient donc occuper, en tant que simulacre d’action, la place laissée vacante, dans le domaine de la décision politique efficiente, par le déplacement de la souveraineté étatique vers les organismes transnationaux de l’économie mégamachinique. En 2006, lors d’un entretien radiophonique, Joseph Stiglitz déplorait « que la mondialisation n’était pas démocratique, car les peuples n’y avaient nulle part, qu’elle était entre les mains du FMI et autres instances et répondait à une question concernant son passage à la Maison Blanche que le fait de se trouver dans les plus hautes sphères du pouvoir ne signifiait pas que l’on disposait du pouvoir3 ». Qu’à cela ne tienne ! Puisque ni le peuple, ni ses représentants élus ne peuvent se targuer d’une consistance même minimale face aux réquisits de l’Argent ; que la grande pompe républicaine a conformé ses belles devises prometteuses au diktat de l’actionnariat ; que les destins individuels sont désormais scellés par les conseils d’administration et le savoir-faire des banquiers, il ne sera pas dit que nous n’avons pas gardé la tête haute et que notre impuissance sera restée muette !

Bien conditionnés, nous ne ferons pas non plus ce cadeau à nos maîtres d’abdiquer notre dignité en cédant à quelque fureur destructrice : « La violence, née des souffrances, qui s’exercerait à l’encontre de la violence systémique ou structurelle, n’est même pas envisagée, au titre d’hypothèse4 ». Nous resterons honorables dans notre misère. Et responsables. Car férus d’histoire, nous n’ignorons pas combien pour la démocratie la violence émancipatrice peut s’avérer dangereuse : cette dernière «  s’en trouve disqualifiée, au nom des dégâts qu’elle a occasionnés dans un passé proche et des risques considérables qu’elle ferait courir, quelques doctrinaires persévérant à affirmer que la violence est le fait des faibles. Tout le monde en conséquence se retrouve dans l’acquiescement au nouvel ordre établi, qu’il soit celui d’une soumission résignée ou d’un consensus satisfait. Pour les dominants, l’affaire est on ne peut meilleure.5 »

L’histoire comme barrage à l’événement

«  Que proposez-vous en lieu et place du système que vous voulez mettre à bas ?  » Cette ritournelle des demi-habiles adressée aux volontaristes factieux, qui consiste à reprocher à ces derniers leur volonté destructrice dénuée de projet, s’accompagne donc généralement d’une autre accusation, celle d’une amnésie, ou d’une négligence dangereuse à l’égard des leçons que prodigue l’Histoire. La misère, les souffrances qu’ont abondamment occasionnées les luttes idéologiques du XXe siècle devraient à elles seules dissuader de prendre à nouveau le risque d’une division civile qui non seulement n’aurait pas une idée claire de ce à quoi elle voudrait aboutir, mais s’exposerait à la réitération du chaos meurtrier ou des régimes politiques funestes dont les mémoires collectives sont encore saturées. Ce chantage à l’histoire peut s’avérer d’autant plus opérant qu’il existe aujourd’hui autour de la condamnation de ce déferlement de violence un consensus quasi universel qui supplante largement les divergences éventuelles au sujet des options doctrinales et a tendance à occulter les contradictions, lorsqu’elles subsistent, entre les différents modèles sociaux : « L’idée même d’une “éthique” consensuelle, qui part du sentiment général provoqué par la vision des atrocités, et remplace les “vieilles divisions idéologiques”, est un puissant facteur de résignation subjective et de consentement à ce qu’il y a.6 »

Le consensus à tout prix, en devenant l’horizon indépassable de notre temps, a dressé un barrage extrêmement solide et imperméable aux appels de l’événement. La civilisation, échaudée par les aléas qu’elle a traversés, est prête à endurer bien des turpitudes pour se préserver de ce que l’action a d’inconfortable et d’incertain. Elle sait que la mise en branle de l’histoire porte avec elle le conflit qu’elle fait tout pour maintenir dans la latence qui est aujourd’hui la sienne, « car le propre de tout projet émancipateur, de toute émergence d’une possibilité inouïe, est de diviser les consciences7 ». Or l’imprévu et la division sont précisément ce qui, plus que tout, lui fait horreur. Et la minorité d’individus qui a tout avantage à ce que tout reste en l’état n’a pas laissé d’entretenir cette crainte qu’inspire l’histoire en ayant promu au rang d’évidence intangible la double nécessité d’une « programmation » préalable à tout amorce de changement, et d’une communion sans faille autour de ce programme. Un temps certain s’écoulera sans doute avant que de telles exigences prophylactiques soient réunies… Mais l’histoire, paraît-il, nous enseigne que nous sommes sans elles voués à revivre indéfiniment les désastres que commande notre nature.

« L’avenir, par définition, n’a point d’image. L’histoire lui donne les moyens d’être pensé.8 » C’est donc la peur de l’incertitude s’attachant à l’avenir qui incite l’esprit à ne concevoir les effets de l’action qu’à l’aune du passé, aboutissant à cette paradoxale prescience du non-encore advenu sous les vieux habits de ce qui s’est déjà produit : « La pensée hésitante tend à se rapprocher de l’automatisme ; elle sollicite les précédents et se livre à l’esprit historique qui l’induit à se souvenir d’abord, même quand il s’agit de disposer pour un cas tout à fait nouveau.9 » Et encore, ces remarques de Paul Valéry s’appliquaient-elles à un contexte où se présentait parfois quelque alternative, où il s’agissait d’accorder sa décision à « l’état même des choses en tant qu’il ne s’est jamais présenté jusque-là10 ». Il n’est pas sûr que notre propre situation, si bien protégée contre la variété des faits et des opinions, et contre les impondérables qu’elle suscite, ait l’occasion d’être confrontée à ce genre de dilemme. « L’histoire alimente l’histoire11 », ajoutait Valéry – la nôtre est soumise à une diète drastique.

Prééminence de la Loi

Jusqu’au milieu des années soixante-dix, la vocation pacificatrice des institutions parlementaires était encore confrontée à l’assomption, par les mouvements de la lutte sociale, de la nécessité du recours à la violence et des affrontements sporadiques avec les représentants de la force publique. L’instance étatique y voyait encore la conséquence de la multiplicité inéluctable des intérêts catégoriels qu’elle reconnaissait comme dimension essentielle de l’existence collective et du fonctionnement de la réalité politique. Durant cette période, comme l’écrit Alain Brossat, « l’hypothèque de la guerre civile n’est pas totalement levée12 ».

Le partage idéologique de la violence obéit de nos jours à une configuration tout autre : « Dans les conditions de la démocratie du public contemporaine, toute espèce de violence, politique ou non, doit être vue par tous et chacun avec les yeux de la police.13 » Un vaste travail de requalification sémantique a en effet été opéré depuis un peu plus de trente ans par les détenteurs de la parole officielle. Les catégories de la violence et de la non-violence ne sont plus distribuées en fonction du code politique mais se mesurent à l’aune exclusive du signifiant juridique : quel que soit le dessein poursuivi par telle activité critique, indépendamment de son contenu revendicatif, elle sera mesurée et sanctionnée, négativement ou positivement, selon qu’elle se subsumera dans l’ordre du légal ou de l’illégal, préalablement déterminé par les ayants droit de la gestion sécuritaire du monde : «  Une émeute embrasant une banlieue à la suite d’une “bavure” policière est violente et même ultra-violente, mais pas ladite “bavure”, quand bien même elle a été homicide. De même, […] une occupation d’usine accompagnée de saccages sera exhibée comme un spectacle de violence, pas l’action de délocalisation brutale qui l’a entraînée.14 »

C’est que la bavure n’est qu’un effet regrettable, certes, mais collatéral à une opération de sécurisation strictement réglementée, et que la délocalisation ne fait qu’obéir à la bonne et due forme juridique ménagée par le droit des entreprises. Les jugements dirigés sur l’activité contestataire de rue relèvent d’un cadre formel exactement identique : tolérance à l’égard de l’activisme légal, condamnation et rejet des conduites non traduisibles dans les termes de la protestation instituée, et à terme, par force, adaptation et complicité des parties prenantes de la contestation à cet état de choses.

Xavier Crettiez note que les relations des forces de l’ordre aux manifestants sont, dans la période actuelle, largement dépendantes des types de populations auxquels ces derniers appartiennent. Les réactions de la puissance étatique sont plutôt d’ordre répressif à l’égard « des jeunes déshérités issus des grands ensembles périurbains (sans relais politique et volontiers abstentionnistes)15 », alors qu’elles font montre de davantage de tolérance lors de confrontations avec les «  populations intégrées et politiquement intéressantes16 ». Dans le cas des lycéens, des étudiants, des paysans et de la fonction publique, par exemple, il est possible d’avancer, sans exagération, que manifestants et forces de l’ordre marchent main dans la main, l’Etat en venant communément à participer à l’organisation des défilés de rue : « La tendance est désormais à la mise en contact étroite des organisateurs manifestants et des forces policières.17 »

La Loi est le foyer d’un consensus généralisé au sein duquel se sont agrégés, en une pâte homogène, les protagonistes jadis irréconciliables de l’existence politique : serviteurs patentés de l’ordre dominant, réformateurs zélés ou timides, rebelles intransigeants. L’altérité demeure, menaçante, mais ne saurait se trouver qu’au-delà des limites de la dispute civilisée qui se déroule entre démocrates dociles et de bonne compagnie : «  Quand la contradiction principale est entre les civilisés et les barbares […], il n’y a plus de politique. Il y a la guerre éventuellement, il y a la police, mais il n’y a pas de politique.18 »

« Prohibition de la violence », cela signifie aussi évacuation de ce que la tradition contestataire pouvait avoir de « concret » dans son investissement des espaces sociaux et dans sa transgression des frontières de la légalité, «  mécanisme de sécurité qui est aussi un dispositif d’anesthésie, dont le propre est, en fin de compte, de tuer dans l’œuf toute action politique de facture traditionnelle, c’est-à-dire fondée sur la présence des corps, sur leur mise en mouvement, leur agrégation, leur capacité à faire masse, etc. […] Que ce soit le peuple téléspectateur ou le peuple des sondages ou le peuple internaute ou le peuple consommateur qui se substitue au peuple électeur (de plus en plus étiolé), persiste et s’approfondit ce mouvement de désincarnation et d’absentement du peuple sensible qui est établi au principe de la démocratie représentative19 ».

Symétriquement, le terme « violence » est banni du lexique de l’Etat lorsque celui-ci se livre à son auto-description. Il consent en revanche à inclure la « force » ou la « contrainte » parmi les éléments de sa rhétorique spéculaire. La raison en est qu’un clair partage institutionnel des formes de la violence préside aux discours relatifs à la conflictualité sociale : « A la violence des manifestants et des casseurs répond la force de l’Etat, toujours mesurée et bridée par un ensemble de normes censées en amoindrir la portée. La violence est sauvage quand la force de l’Etat est par nature domptée.20 » Cela signifie d’une part que l’Etat assigne, plutôt tacitement que par le biais de prescriptions juridiques clairement formulées, certaines limites à l’intensité des déploiements de sa puissance coercitive, et d’autre part que « la contrainte étatique en démocratie repose moins sur l’usage de la matraque que sur le consensus produit et entretenu autour des objectifs collectifs. Se soumettre à un contrôle de police, c’est accepter une norme pour laquelle on a voté plus que plier l’échine devant un individu armé.21 »

Ce cloisonnement hermétique entre force étatique régulée et violence sauvage s’avère pourtant, comme tel, irrecevable. La violence prétendument sauvage, lorsqu’elle émane de la société civile et emprunte les voies de l’illégalité, ne se réduit pas toujours à un déferlement aveugle : elle peut être dirigée, consciente des objectifs qu’elle poursuit et viser, de façon parfois pertinente – en dehors des considérations sur son efficacité, qui relèvent d’une autre problématique – des symboles, distinctement identifiés, de l’ordre économique dominant, par exemple, ou de la puissance publique honnie. S’il est vrai, en un certain sens, que la « violence légitime » de l’Etat s’exerce sous couvert d’un consensus préalable autour des procédures d’accession au pouvoir et des conséquences opératoires qui en découlent, dans le même temps, tout individu est en dernière instance contraint et forcé de souscrire à ce consensus. Qu’il ait voté ou non, qu’il se reconnaisse ou pas dans les mandataires du pouvoir qui sont censés le représenter, un individu soumis à un contrôle de police n’a d’autre choix que de s’y plier. Sans quoi c’est précisément là où l’Etat, par l’intermédiaire de son bras armé, sera habilité à faire usage de la violence dont il a le monopole. Le consensus, comme le contrat, n’a de sens et de validité que s’il est préalablement loisible de s’y soustraire et d’en refuser les termes. Ce qui pour l’individu n’est pas le cas : il n’a d’autre possibilité que d’endosser son statut de citoyen. Là réside la logique essentielle de l’Etat lorsqu’elle est poussée à son terme : le prétendu consensus autour de l’exercice de sa puissance se révèle dans sa vérité quand il se trouve confronté à un refus, à une résistance, à savoir le droit accaparé par la force nue.

L’Etat a donc tout intérêt à ce que la contestation demeure dans les rails de la légalité, car dans le cas contraire il se voit contraint à son tour d’exhiber son vrai visage, qu’il prend tant de soin par ailleurs à recouvrir du masque de l’assentiment démocratique. « L’Etat vraiment fort est celui qui réussit à dissimuler la force dans les formes, dans les mœurs et les institutions sans avoir à la brandir sans cesse pour en menacer les membres ou les intimider […] ; en ce sens, la force est une assurance contre la violence.22 » Laquelle n’en demeure pas moins là-derrière, à disposition.

Les arcanes de la Mégamachine

Nietzsche pouvait naguère qualifier l’Etat de « monstre froid » ; on se souvient, dans le Zarathoustra, du mensonge que ce monstre faisait glisser hors de sa bouche : « Moi, l’Etat, je suis le Peuple ». Ce qui signifiait que le Pouvoir avait encore une bouche, qu’il proférait certaines paroles auxquelles il était loisible de répondre.

La Mégamachine dans laquelle nous sommes pris n’est plus constituée que de rouages aveugles et sourds. Ce n’est plus à un monstre que nous avons affaire, mais à une divinité abstraite, une entité sans porte ni fenêtre, retirée du monde et aussi indifférente au sort des hommes que les dieux d’Epicure – à cette différence près que ces derniers n’avaient sur le cours des choses et l’existence des mortels aucun ascendant, alors que la moindre parcelle de ce qui advient tend chaque jour davantage à obéir à la Providence et aux processus fatals de l’auto-sustentation mégamachinique.

La Mégamachine, se créant elle-même à chaque instant, ne persévère dans son être, de manière systémique, autonome, qu’à travers la destruction ininterrompue de tout ce qui fait un « monde », de tous les attributs par quoi se définit une vie authentiquement humaine. Par-delà les prétentions modernes à l’éradication politique de la barbarie naturelle, sous la disparition progressive des mesures de répression policière, c’est par cette violence structurelle et mécanique que se définit avec le plus d’acuité le retrait de la vie, la confiscation de l’histoire, la mort du sujet, en un mot, l’im-monde contemporain : «  La destruction du monde est à l’œuvre dans le déploiement de la violence. Toute violence est acosmique. Corrélativement, là où le monde commun est à ce point abîmé qu’il n’apparaît plus, qu’il n’offre plus de visage, la violence se déploie librement, c’est-à-dire sauvagement. Car la violence, qui a longtemps été pensée comme un moyen, se révèle aujourd’hui, dans le contexte de la globalisation des activités économiques […], une condition de l’existence elle-même. C’est pourquoi la réponse politique, à la différence du point de vue moral, ne consiste pas à justifier ou à condamner l’usage de la violence : elle consiste à activer la condition du monde contre celle de la violence qui le détruit.23 »

La difficulté majeure à laquelle est confronté ce désir de préserver un monde face à la puissance destructrice de la Mégamachine est le caractère inédit de la violence systémique dont les luttes collectives ont tant de mal à tracer les contours. Et encore ne s’y essaient-elles que rarement, obnubilées qu’elles sont par les grilles interprétatives issues des combats contre la domination coercitive classique, par les vieux réflexes antifascistes qui demeurent assoupis tant que sont respectées les procédures formelles du parlementarisme. L’un des grands ennemis demeure aujourd’hui la satisfaction que procurent les acquis de la liberté civique postrévolutionnaire et qui font du régime politique actuel une « démocratie sans histoire », à tous les sens de l’expression.

L’histoire, écrit Kojève, s’arrête quand l’Homme n’agit plus au sens fort du terme, c’est-à-dire ne nie plus, ne transforme plus le donné naturel et social par une Lutte sanglante et un Travail créateur. Et l’Homme ne le fait plus quand le Réel donné lui donne pleinement satisfaction, en réalisant pleinement son Désir[…]. Si l’Homme est vraiment et pleinement satisfait par ce qui est, il ne désire plus rien de réel et ne change donc plus la réalité, en cessant ainsi de changer réellement lui-même.

Ayant confisqué la possibilité même de l’action, le démocratisme déploie la violence qui lui est propre dans la plus grande discrétion, et c’est sans aucun fracas que se retirent les conditions minimales nécessaires à une vie politique. Peut-être certains événements décisifs se sont-ils joués il n’y a pas si longtemps, dont l’inventaire permettrait de comprendre l’impuissance à laquelle nous sommes chevillés.

Entre deux effondrements, celui du mur de Berlin qui entraîna avec lui le bloc soviétique, et celui des Twin Towers, la brèche ouverte dans le temps concerna moins le cours de l’Histoire lui-même que la fausse conscience qu’eut alors l’Occident de son propre devenir. Les prophéties les plus optimistes, l’enthousiasme délirant auxquels donna lieu le premier de ces événements n’échappaient à l’illusion que sur un point : l’Histoire venait de se finir. Seulement, cette fin, tout le démontre aujourd’hui, avait une signification bien différente de celle que le néolibéralisme d’un Fukuyama voulut lui donner.

Ce devait être, d’abord, l’abolition des idéologies et, conséquemment, l’avènement d’une humanité dépassionnée et pacifiée. L’apparent triomphe du capitalisme, confirmé par le si prompt alignement des anciens pays communistes sur le modèle ultralibéral, faisait d’homo oeconomicus l’ultime figure anthropologique, adonnée à ses calculs glacés et sereins dans la poursuite de ses intérêts privés bien compris. Le supermarché planétaire dans lequel chacun devait faire ses emplettes en ignorant courtoisement chacun, et en laissant à la Main Invisible du Marché le soin d’assurer la profusion des biens et le bonheur de tous, a en réalité laissé place à un immense coupe-gorge, un universel champ de bataille et de prédation où les plus chanceux, qui ont échappé à la famine - mais ils sont de moins en moins nombreux -, ont encore les moyens d’éluder l’absence de toute perspective d’avenir avec du mauvais alcool ou, par la grâce d’un Etat-providence moribond, de se ménager un fragile apaisement aux anxiolytiques. Les autres, ceux qui appellent ça « les effets pervers » de l’inéluctable globalisation marchande, figurent dans les consolantes pages des magazines à grands tirages, rubrique glamour et management.

Ce devait être encore le dépouillement des peuples, consenti et allègre, de leurs couleurs, de leurs histoires, l’arasement cosmopolite de leurs rancoeurs et de leurs haines. Cette illusion-là ne dura guère longtemps. Les premiers réveils des vieux particularismes, nationaux, ethniques, religieux, qu’on croyait éteints à jamais, ne se firent point trop attendre, qui débutèrent au sein même de ces peuples censés goûter avec le plus de soulagement, après des décennies d’oppression, les bienfaits du déracinement mercantile et de son nomadisme ininterrompu. Les plus récentes péripéties électorales des nations européennes démontrent, s’il le fallait, que cette séquence identitaire est loin d’être achevée.

Ce devait être enfin la destruction de la Bête immonde, l’exorcisme du spectre totalitaire et l’advenue du règne sans partage de la liberté, de l’égalité et de la justice démocratiques ! Les attentats de Manhattan ouvrirent le 21e siècle sur ce qui aurait dû être un cinglant constat d’échec. Comment ! Des portions de l’humanité n’adhéraient pas spontanément au bonheur clef en main que leur livrait l’axe du Bien ? Simple impondérable d’un libéralisme par ailleurs heureux ou manifestations inévitables d’une configuration économique fondamentalement délétère ? L’incertitude n’obligea malheureusement à aucun surcroît d’humilité : le capitalisme mondialisé ne devait décidément pas être rangé au nombre des causes et symptômes du malaise dans les cultures. Et l’on décréta : choc des civilisations ! sans se demander contre quoi l’Autre s’insurgeait ... Et l’on accusa : fondamentalisme ! sans s’interroger sur ce qui pouvait acculer à un tel refuge. Tout, sauf ce que nous sommes en train de vivre, sauf la misère du présent européen, est-ce si difficilement concevable ?

« On s’est beaucoup moqué de Francis Fukuyama lorsqu’il a annoncé la fin de l’histoire, mais aujourd’hui, tout le monde accepte l’idée que le cadre démocratico-libéral est là pour toujours », déclare Slavoj Zizek dans le numéro de Libération daté du 16 février 2008, sous un titre relâché et condescendant : « Ces intellos qui rejettent la démocratie ». Si fin de l’histoire il y a, ce n’est pas celle des antagonismes identitaires et idéologiques, mais c’est, à l’intérieur même de la Mégamachine l’impossibilité avérée pour les individus de prendre part à l’orientation du cours des choses les plus communes. Le génie du capitalisme ultralibéral tel qu’il s’impose aujourd’hui à chacun de nous réside en cela qu’il est un système cybernétique parfaitement autorégulé et rétroactif, décentralisé et autoréférentiel, en cela qu’il n’a plus d’extérieur. Tout ce qui n’est pas généré par la Mégamachine, à l’intérieur de la Mégamachine, et qui vient à la pénétrer, est immédiatement intégré, assimilé et rendu utile à son maintien et bon fonctionnement. D’où l’impossibilité de la révolte dans une civilisation qui a fait de la « subversion » une valeur positive, marchande et spectaculaire. C’est de là que provient la formidable capacité d’absorption de la domination libérale.

Ainsi, tous les dispositifs dits « démocratiques », présentés comme les garants des libertés fondamentales, les manifestations, les pétitions, débats télévisés ou non, assemblées générales, critique radicale, crises hystériques télévisées ou non, chansons contestataires, théâtre contestataire, spectacle vivant, de rue, contestataire, revues, libre parole télévisé ou non, grèves, blocages, insultes contestataires et télévisées, contribuent objectivement à maintenir l’état de choses présent. Il faut dire davantage : plus les instances gouvernementales et autres dispositifs dirigeants s’avèrent clairement incompétents, ostensiblement mensongers, voire évidemment pervers, plus ils occasionnent de discours critiques. Et plus la critique se donne libre cours, plus la Mégamachine se voit renforcée : car la prolifération des discours critiques contribuent subjectivement à l’adoration fanatisée et aveugle des dispositifs démocratiques. Voilà ce qu’il convient d’appeler : le joujou démocratisme. Grâce à ce joujou, la domination politique a pu renoncer à la dissimulation totalitaire, à la tyrannie capricieuse, et à la violence coercitive, pour les remplacer par le mensonge manifeste et le divertissement amnésique de masse : c’est ce que les conseillers en communication politique appellent pudiquement le storytelling. Exit Père Ubu ! Père Castor, pour la distraction de tous, est venu prendre la relève. Le renforcement de la Mégamachine n’a donc plus besoin de s’opérer par la contrainte extérieure, l’hétéronomie imposée à chaque individu : la garantie de sa pérennité vient s’immiscer dans la subjectivité même - y compris celle des bénéficiaires directs de la Mégamachine : nul complot à débusquer, Elle est un processus sans instigateur - par incorporation, intégration, somatisation. Habitus de la domination : la contrainte, bien trop précaire, toujours susceptible d’être renversée, a laissé place à la légitimation, qui vise la persuasion, l’acquiescement et le consentement.

Des interstices ?

Face à cet endiguement des consciences, à cette complicité objective de la liberté oppositionnelle avec les structures du pouvoir qu’elle est censée combattre, existe-t-il encore un interstice dans lequel une contre-violence désabusée et lucide pourrait s’engouffrer ? L’abondance de la littérature critique ne parvient pas à éluder l’inexistence d’un programme d’émancipation clef en main. Faut-il le déplorer ? Si les schémas éprouvés de la lutte sociale ont désormais leur place sagement assignée dans la syntaxe démocratique, seul un inédit radical, qui par définition ne saurait s’organiser ni se prévoir, pourrait faire événement. Les effets destructeurs de la violence systémique ne ploieront que sous le remède d’une autre violence, symétrique mais créatrice. Et faire le pari de la création, c’est se priver d’emblée de la possibilité d’établir un ordre du jour. La lutte, en son sens politique, peut être une manière de faire œuvre, et comme pour toute œuvre, nul ne peut dire ce qui en résultera au moment où elle s’amorce. C’est sans doute ce qu’il faut représenter aux objecteurs qui reprochent aux velléités insurrectionnelles de n’avoir pas de « projet » : au sein de la Mégamachine, un emplacement est déjà réservé à tout ce que la raison apprivoisée peut ourdir en fait de projet. C’est pourquoi la « puissance populaire » doit aussi s’entendre en son acception aristotélicienne, comme réserve incirconscriptible de potentialités : « Puissance nullement violente mais pourtant forte, rare et d’autant plus précieuse que dans le moment où elle rassemble, elle fait trembler le souverain autant que le pouvoir gouvernemental, lui indiquant par là que son pouvoir n’est jamais assuré puisque le peuple sur lequel il s’exerce est, dans son agir-ensemble, puissance de commencement, d’invention, de déclaration, bref, “natalité”. Et que chacun de ses gestes est comme la naissance d’un nouveau monde.24 »

Le type de conflictualité que promeuvent ces considérations est évidemment radicalement étranger aux dispositifs contestataires célébrés par Rosanvallon sous le vocable de « contre-démocratie ». Alors que cette dernière s’inscrit, en les valorisant, dans des dispositifs ad hoc aménagés par un système juridique préconstitué dans lesquels il trouve l’un des ingrédients de sa légitimation, la « lutte anti-violente25 » qu’évoque Tassin ne trouve un sens que dans son débordement à l’endroit des structures légales qu’elle entend au contraire mettre en cause et sans cesse retravailler. Rosanvallon recadre le phénomène contestataire dans l’organisation générale du régime démocratique, en en faisant l’une de ses émanations directes, cependant que pour Tassin, «  il s’agit bien de dresser la communauté saisie dans sa puissance contre les forces qui, du sein de l’Etat, et au nom du pouvoir entendu comme commandement ou contrainte, transforment le rapport politique en rapport de police26 ». Ce qui se joue dans ces deux approches constitue bien davantage qu’une simple césure dans la définition de l’objet sociologique que représente le surgissement ponctuel d’un désaccord populaire à l’encontre des puissances gouvernantes. Sont ici en regard deux ontologies du social, deux manières de concevoir l’essence des communautés politiques telles que les façonne le régime politique représentatif parlementaire. La contre-démocratie de Rosanvallon obéit au postulat de l’unité et de l’indivisibilité irréductibles de la société civile, héritage du républicanisme des Lumières, pour lequel la Raison et le Droit sont les instances transcendantes, surplombant les scissions et la pluralité des intérêts. Par contraste, le propos de Tassin rejoint la tradition polémologique, déjà présente chez les Grecs, qui «  installe le politique dans une conflictualité incessante27 », étant entendu que cette dernière ne désigne pas un attribut accidentel de l’existence sociale, susceptible d’être résorbé dans le consensus à venir autour d’une réforme du droit, civil ou constitutionnel.

Les préconceptions des caractéristiques essentielles de l’homme et des relations humaines déterminent dans une large mesure l’organisation institutionnelle des rapports sociaux, les formes du pouvoir et la structure des confrontations hiérarchiques internes au champ politique.

Etienne Tassin repère deux types distincts de ces conceptions fondamentales auxquelles il assigne le rôle de « critères » du politique : «  Soit celui-ci est pensé à partir du projet d’harmonisation d’une socialité reconnue conflictuelle, et le sens du politique est l’institution de la paix par le moyen de la puissance publique. Soit il est pensé à partir de son rôle spécifique qui est d’asseoir une unité de type étatique sur le pouvoir de désigner l’ennemi et de faire le nécessaire pour le détruire.28 »

Si le démocratisme fait de l’hostilité le mode privilégié de l’existence interhumaine, c’est pour le reléguer toutefois en deçà de la sphère civile, dont les frontières marquent clairement l’avènement de la réconciliation et de l’entente normée. Les thèmes guerriers de l’ennemi et de la destruction n’appartiennent aucunement, loin s’en faut, au champ conceptuel dominant de la modernité politique. C’est donc le premier des deux critères relevés par Tassin qui est susceptible d’expliquer les structures relationnelles observables propres à notre temps, et parmi elles cet activisme oppositionnel modéré que valorisent tous les discours ambiants. Il est en effet loisible de se représenter les différents types d’entreprises contestataires comme les transpositions sublimées des rapports de force que l’idéologie démocratique situe dans les pré-conditions de l’existence politique et contre les effets desquelles la société civile est censée se prémunir. Par la conflictualité contrôlée s’instaure le substitut acceptable à une bellicosité initiale ainsi empêchée de faire retour sous sa forme insurrectionnelle ou révolutionnaire.

Les luttes dont parle Tassin prennent acte d’une division fondatrice au sein du corps politique, et instaurent vis-à-vis du droit une défiance qui se traduit par la volonté sans cesse réaffirmée de sa subversion et refondation : « On ne saurait mieux définir le caractère de ces luttes qu’en disant qu’elles sont de nature insurrectionnelle, et que ce qu’elles visent est l’institution du droit, ou l’incessante réinstitution des droits. Lutte pour les droits au nom du droit que mène une communauté en puissance contre une communauté en acte, une communauté constituante contre une communauté constituée, et qui définit le sens du pouvoir constituant dont un peuple fait preuve dès lors qu’il s’assemble dans l’action concertée […]. On pourrait dire qu’en ces luttes, c’est la puissance populaire qui s’élève contre la souveraineté populaire29 ».

On pourra reprocher, peut-être à raison, le caractère lyrique ou incantatoire des appels à la spontanéité émeutière. Certes la position d’un Rosanvallon présente, par rapport à la posture insurrectionnelle, l’avantage de la clarté et de la précision : la contestation légale peut se targuer d’être aussi prévisible qu’une manifestation balisée par les autorités préfectorales.

***

N.d.R. : L’auteur de ce texte, Cédric Cagnat, a publié récemment (aux éditions l’Harmattan) un ouvrage intitulé Politiques de la violence, préfacé par Alain Brossat (qui a accordé un entretien à A11 en mai dernier). Nous y reviendrons surement.

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1 Théorie de la violence, p. 242.

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2 Ibid.

3 Ibid., p. 243.

4 Ibid.

5 Ibid., pp. 244-245.

6 A. Badiou, L’éthique, Paris, Hatier, 1993, p. 30.

7 Ibid., pp. 30-31.

8 P. Valéry, Regards sur le monde actuel et autres essais, Paris, Gallimard (Folio essais), 1990, (1e éd. 1945), p. 13.

9 Ibid., pp. 13-14.

10 Ibid., p. 14.

11 Ibid.

12 A. Brossat, Tous Coupat tous coupables, Fécamp, Lignes, 2009, p. 48.

13 Ibid., p. 49.

14 Ibid., pp. 50-51.

15 X. Crettiez, Les formes de la violence, Paris, La Découverte, 2008, p. 51.

16 Ibid.

17 Ibid.

18 A. Badiou, F. Tarby, La philosophie et l’événement, Paris, Germina, 2010, p. 13.

19 A. Brossat, Tous Coupat tous coupables, pp. 62-63.

20 X. Crettiez, Les formes de la violence, p. 45.

21 Ibid., pp. 45-46.

22 J. Freund, cité dans Ibid., p. 46.

23 E. Tassin, Un monde commun, Paris, Seuil, 2003, p. 109.

24 Ibid., pp. 110-111.

25 Ibid., pp. 110.

26 Ibid.

27 Ibid.

28 Ibid., pp. 29-30.

29 Ibid., p. 110.


COMMENTAIRES

 


  • lundi 10 septembre 2012 à 23h02, par Télémax

     × Je crois la thèse de « l’abondance de la critique » fausse. Je ne vois pas ou presque de critique du niveau de celle de Marx et Engels aujourd’hui ; pire que ça, la critique marxiste est occultée presque partout. D’une part on se démarque de Staline, à juste titre (encore faudrait-il le faire d’Aragon aussi), de l’autre on continue de faire croire que Marx est un partisan de l’Etat républicain ou ouvrier. Les médias jouent un rôle de brouillage radar intensif, relayé par l’Education nationale.

     × Un exemple : le coup du « fachisme » ne vient pas des cartels ou des plumitifs employés par eux, mais... de « Charlie-Hebdo », dont le directeur proclame que la liberté d’expression règne en France. Ou quand le MEDEF déclare : « Il ne faut surtout pas voter Le Pen. », les communistes et les dits « libertaires » ne se sentent même pas bafoués par cette déclaration du patronat qui déclare redouter le FN, parti de chômeurs paumés, plus que tout.

     × Un autre exemple : l’exposition des dessins de l’anarchiste Jossot l’année dernière : on relève sa farouche opposition au régime républicain (le plus sanguinaire de tous les temps), pour ajouter ensuite (dans le catalogue officiel) : l’antirépublicanisme de Jossot est démodé ; sous-entendu : tout va pour le mieux désormais, dans le meilleur des mondes, où l’impérialisme s’est modernisé au point d’inciter les Arabes à s’entre-tuer sans que ça paraisse dû aux modalités du commerce international. Regardons-donc des films sur les méchants nazis en continuant de fourguer des armes à des puissances étrangères en toute bonne conscience démocratique. Et personne ne proteste contre ce détournement de Jossot à des fins de propagande socialiste.

     × C’est plutôt le vieillissement de l’Occident qu’on constate, et qui explique le sentiment de léthargie généralisée. Le prolétariat est en Chine et en Inde désormais, et rien ne dit qu’il n’a pas la capacité de se révolter contre la junte militaire.

     × D’ailleurs le fait que l’oppression ne passe pas moins par le pouvoir de suggestion que par la violence n’est pas un fait nouveau ou une critique nouvelle. Il y a en l’homme quelque chose qui l’incite à accepter l’oppression, de même qu’il y a en revanche quelque chose qui l’incite à lutter contre le déterminisme, qu’il soit biologique ou social. Plus le confort intellectuel règne dans une société, plus la critique en est absente. La critique n’est d’aucune utilité dans la vie, et elle n’a pratiquement aucune fonction en dehors d’une vision métaphysique qui a quasiment disparu, en même temps que la critique s’est complètement étiolée. Pourtant l’apparition de l’histoire, celle dont Marx est un des derniers tenants et qui fait table rase de la culture et des idoles anthropologiques, coïncide avec l’introduction de la métaphysique dans un monde païen, auparavant seulement structuré et architecturé, organisé mais imperméable à la métaphysique.

    • dimanche 16 septembre 2012 à 17h57, par Cédric Cagnat

      Télémax,
      j’ai du mal à comprendre en quel sens le fait qu’il n’y ait pas aujourd’hui de critique du niveau de celle de Marx et Engels et que la critique marxiste, lorsqu’il en reste, soit dénaturée et falsifiée invalide ma thèse (qui n’est évidemment pas seulement la mienne) de l’abondance inefficiente de la critique...

      Votre deuxième paragraphe m’est incompréhensible.

      Concernant Jossot, le « détournement » est précisément ce que je déplore tout au long du texte. Jossot est exposé ; il ne s’agit donc pas de censure au sens où la pratiquait les régimes totalitaires : ce n’est qu’un exemple de l’envahissement de l’espace public par des discours et des œuvres critiques, en l’occurrence objets d’une muséification dont le résultat est le désamorçage de leur portée subversive, qu’elles soient ou non délibérément défigurées, présentées et retraduites par le crible universitaire de manière à les rendre inoffensives.

      Sur le « vieillissement de l’Occident » : vieille scie du « déclin » qui fonctionne au moins depuis la seconde moitié du xixe siècle. L’Occident, dirait-on, a toujours été vieux et moribond. Mais quand même cela s’avérerait-il, en quoi la thèse que j’avance s’en trouverait-elle invalidée ? L’abondance n’est pas un trait exclusivement juvénile : l’organisme du cancéreux agonisant produit une abondante quantité de cellules malades...

      Le prolétariat chinois ou indien va se soulever ? Plût aux dieux ! Pour l’heure ce n’est pas le cas.

      Ce que j’écris n’est « pas une critique nouvelle » : à aucun moment je ne prétends formuler une critique nouvelle, et il est curieux de se réclamer du marxisme, regretter sa disparition et exiger dans le même temps des produits nouveaux aux rayons de la critique.

      Cordialement.

      • dimanche 16 septembre 2012 à 23h19, par pièce détachée

        @ Télémax : je ne comprends pas non plus très bien certains de vos points de croix.

        Quant au troisième : on opposerait donc Occident vieillissant => léthargie à prolétariat oriental => révolte. C. Cagnat nous verse peut-être en style touffu des choses que nos arrières-ancêtres savaient déjà, mais vous nous exhumez là une perle qu’on trouvait déjà, en mieux, chez des nationalistes indiens patentés du XIXe siècle (tout imprégnés d’emblée, il faut le savoir, de l’Occident qui nous a faits : romantique, affairiste, contristé, assoiffé d’aubes radieuses). Quant aux capacités de révolte de l’Orient (là d’où vient le soleil, mon dieu mon dieu) contre « la junte militaire » — quand vous écrivez « en Chine et en Inde », vous voyez la Birmanie sur votre atlas ? —, ils en sont où ? Le Diplo a publié récemment un long reportage sur Foxxcon en Chine, il y a désormais des maoïstes (oui je sais je sais) au Ex-royaume du Népal devenu république, et puis on lit de temps en temps, aux marges marginales de tel site indien, que des gens ont buté collectivement leur patron. Au-delà du trépignement de joie infantile à la lecture d’une telle nouvelle, ça vient d’où, pour aller où ?

        Quant au quatrième point de croix, il vacille entre essentialisation (« l’homme... quelque chose qui l’incite... ») et chevilles rhétoriques foulées (« de même qu’il y a en revanche... » arf !). Tant de vague et d’effets, c’est dommage, parce que non, la critique n’est pas inutile, elle est même vitale et elle a, pratiquement comme vous dites, toutes les fonctions du vivre, dont les dimensions métaphysiques éventuelles dépassent le copié-collé avec des morceaux de Marx dedans.

        Moi que l’Histoire elle refuse que je lui rentre dedans, et donc, si je vous suis, ce qui la métaphyse aussi (je renonce à tenter de vous comprendre), pourriez-vous me fournir, en échange de gargarismes qui font merveille, un vêtement de pluie « structuré et architecturé, organisé », chic anglais, quoi, qui soit imperméable à la métaphysique ? C’est que l’automne revient, voyez-vous, qui méta-mouille sans tricher nos petits corps tout nus chargés d’au-delà, chargés d’histoires, voire chargés de nous-même.

        Bien à vous,
        PièceDé.

        • mardi 18 septembre 2012 à 15h39, par pièce détachée

          Erratum, saut de texte : « ...il y a désormais des maoïstes [...] au gouvernement de l’Ex-royaume... ».



  • mardi 11 septembre 2012 à 16h25, par Remugle

    en continuant de fourguer des armes à des puissances étrangères

    ... les bouter hors de France, voila le mot d’Ordre Nouveau) !!!

    Je suivrai Jeanne d’Arc moi aussi, pour sortir l’Occident de sa léthargie, oui mais voilà, merde, je me suis pris les pieds dans l’internationalisme étant jeune, et pas moyen d’en guérir, mon gars....



  • mardi 11 septembre 2012 à 21h40, par lol

    « les manifestations, les pétitions, débats télévisés ou non, assemblées générales, critique radicale, crises hystériques télévisées ou non, chansons contestataires, théâtre contestataire, spectacle vivant, de rue, contestataire, revues, libre parole télévisé ou non, grèves, blocages, insultes contestataires et télévisées, contribuent objectivement à maintenir l’état de choses présent »

    Toute contestation serait complice de la Mégamachine ! Mais alors pourquoi publier de la (prétendue) critique radicale sur le site Internet (horreur !) d’une revue  ?

    • dimanche 16 septembre 2012 à 18h04, par Cédric Cagnat

      lol,
      à aucun moment je ne prétends fournir une critique radicale. Exclusivement et simplement : un appel à l’abandon des voies légales de la contestation, lesquelles sont vouées à l’inefficacité. Il n’y a certes là rien de nouveau, ni de très audacieux à penser, mais la traduction en actes de ces évidences semble aujourd’hui à quelques années-lumières de nous.

      A quel endroit ai-je exprimé la moindre « horreur » de principe à l’endroit d’internet ???

      Cordialement.



  • mercredi 12 septembre 2012 à 11h00, par pas glop

    Plutôt d’accord avec le post précédent, cette manière d’évoquer des « potentialités » tout en ramenant par avance toute critique à son intégration, à une inéluctable innocuité est une contribution à l’impuissance collective, à cette paralysie de l’action que le texte prétend par ailleurs questionner (la mélancolie du « tout est déjà perdu, insensé », n’est pas toujours créatrice...).

    • dimanche 16 septembre 2012 à 18h07, par Cédric Cagnat

      glop,
      mêmes remarques que pour le commentaire précédent : je n’écris pas de toute critique ; exclusivement de la contestation institutionnalisée.

      Cordialement.



  • mercredi 12 septembre 2012 à 11h13, par Bibal

    Le capitalisme marche comme chacun, au désir. C’est là qu’il nous suit et cherche à nous précéder. Réduire la dimension éthique qui pose justement la question comment agir ? à la religion du consensus est une énorme connerie, un abandon intellectuel et pratique.
    Il y a (peut-être...) quelques éléments d’un antidote à ce type de renoncement dans un livre de Bernard Aspe accessible en ligne : L’instant d’après. Projectiles pour une politique à l’état naissant,.



  • mercredi 12 septembre 2012 à 22h43, par Pouyoul

    Merci pour ce texte pertinent, qui ne caresse pas dans le sens du poil les « critiques radicaux » de notre acabit, lecteurs d’Article 11 et autres consommateurs de contestation. Inutile de le nier : oui, nous sommes à la fois de plus en plus critiques et de plus en plus impuissants. Et c’est déjà chose utile que de diagnostiquer le problème, ce que le texte ci-dessus fait remarquablement bien, malgré un style parfois ampoulé (la « rhétorique spéculaire », mouais...).
    Son défaut, évidemment, c’est qu’il n’échappe pas au phénomène qu’il prétend ausculter : brillant dans la critique, et donc condamné sur la base de ses propres arguments à rester brillamment inoffensif, le texte devient moins convaincant lorsqu’il s’emploie à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et à sauver l’idée que la contestation, malgré tout, peut s’avérer opérante – à condition, si l’on comprend bien, qu’elle soit « populaire ». On ne peut qu’être d’accord avec cette conclusion, qui tombe (lourdement) sous le sens et nous fait revenir, pauvres radicaux que nous sommes, au point de départ : comment contribuer à cette tant espérée « insurrection qui vient », sinon en maintenant nos petites flammèches sous la marmite, en menant nos propres petites luttes au quotidien, en créant nos propres petits espaces d’expérimentation sociale, en continuant obstinément à informer, discuter, résister, se bagarrer, se rassembler et rester le plus droits possible dans nos vieilles pompes usées – bref, pratiquer faute de mieux cette même critique si justement critiquée ici ?

    • dimanche 16 septembre 2012 à 18h11, par Cédric Cagnat

      Pouyoul,
      je crois en l’absolue nécessité de réitérer sans cesse des conclusions qui « tombent lourdement sous le sens » aussi longtemps que « nos petites flammèches », nos « petites luttes » et « petits espaces » continueront d’employer tout obéissamment les moyens prescrits par ceux que nous devons combattre.

      Cordialement.

      • dimanche 30 décembre 2012 à 19h15, par denyso

        Pour reprendre la remarque de Poyoul, est-ce que ce constat du caractère inefficient de l’abondance de la critique doit nous mener à des expérimentations pratiques, concrètes, à une « praxis » révolutionnaire promue par Marx et Rosa Luxembourg en leur temps ?
        L’échelle locale d’expérimentations collectives et de résistances individuelles est-elle la plus judicieuse ?



  • jeudi 13 septembre 2012 à 01h15, par François Gèze

    Pour rejoindre certaines des critiques précédentes à ce papier, en substance : pas mal de constats justes, mais aussi beaucoup de banalités, de visions étriquées, voire fausses, du fait d’une grille de lecture trop simpliste (comme par exemple : « Dans le cas des lycéens, des étudiants, des paysans et de la fonction publique, par exemple, il est possible d’avancer, sans exagération, que manifestants et forces de l’ordre marchent main dans la main, l’Etat en venant communément à participer à l’organisation des défilés de rue »). Trop facile et, du coup, désolé, très « exagéré »...
    Pas le temps, malheureusement, d’argumenter plus avant. Mais pour essayer d’aller un chouïa plus loin dans l’analyse critique de la puissance oppressive de la « mégamachine » capitaliste, je conseille vivement la lecture du livre d’Isabelle Stengers et Philippe Pignarre (que j’ai publié en 2005, en poche depuis 2007), « La Sorcellerie capitaliste » :
    http://www.editionsladecouverte.fr/...
    A mon humble avis, ce livre ouvre d’autres perspectives d’action que ce papier un peu désespérant...

    • dimanche 16 septembre 2012 à 18h19, par Cédric Cagnat

      François Gèze,
      même réponse que celles que j’ai faîtes précédemment. J’aimerais bien, toutefois, connaître ces « arguments » qui permettraient de voir dans des manifestations placées sous la protection des CRS contre d’éventuels surgissements plébéiens, et dont les parcours sont balisés par les autorités préfectorales, autre chose qu’un dispositif où « manifestants et forces de l’ordre marchent main dans la main ». J’ai eu le plaisir de lire lors de sa parution le livre que vous avez édité, je n’y ai pas trouvé de réponse à cette question.

      Cordialement.



  • jeudi 13 septembre 2012 à 12h09, par simplesanstete

    Lisez JP Voyer, çà ira mieux, çà soulève au lieu de révolter.



  • jeudi 13 septembre 2012 à 13h19, par Karib

    Certains commentateurs ci dessus ont justement appuyé le doigt là où le bât blesse, à savoir que ce texte n’échappe pas à ce qu’il dénonce : la stérilisation de toute critique. Il en va souvent ainsi des longues et multiples démonstrations pro-situs, qui, depuis l’Encyclopédie des Nuisances, nous dépeignent avec les beautés de style du cardinal de Retz le triomphe amer des dominants.
    Il faudrait donc que le « populaire » s’empare de la critique pour qu’elle devienne effective ? Mais un certain Karl Marx n’avait-il pas dit une chose semblable en déclarant que les armes de la critique devaient laisser place à la critique des armes ?
    La démonstration est certes bien tournée, on ne boude pas son plaisir, mais il y a longtemps que les révolutionnaires que nous sommes s’en sont aperçu : le capital et son Etat récupèrent toute contestation, s’en nourrissent avec délectation, se renforcent de tout ce qui ne le détruit pas. Luc Boltanski et Eve Chiapello nous l’avaient décrit par le menu dans le Nouvel esprit du capitalisme et le destin des soixante-huitards à la mode July, Geismar ou Cohn-Bendit en est le témoignage navrant.

    Mais alors quoi ?

    Cesser toute recherche critique au prétexte qu’elle ne fait que renforcer l’ennemi ? Cesser d’écrire, de peindre, de danser ou de jouer de la musique au prétexte que l’art est mort ? Cesser toute lutte qui ne serait pas armée et ultra-violente au prétexte qu’elle ne ferait qu’alimenter la Mégamachine ?

    Ce n’est pas, j’imagine, ce que défend l’auteur d’Abondance de la critique, paralysie de l’action. Ne serait-il pas mieux inspiré en mettant son talent au service des luttes au lieu de nourrir le désespoir et la mélancolie ?

    • dimanche 16 septembre 2012 à 18h24, par Cédric Cagnat

      Karib,
      même remarque qu’à lol, glop et Pouyoul (décidément, je ne suis pas le seul à écrire des « banalités » !) : si ce qu’expose ce texte a été « aperçu depuis longtemps par les révolutionnaires que nous sommes », alors pourquoi nihil sub sole novum ? (ce n’est pas du cardinal de Retz)

      Cordialement.

      • mardi 18 septembre 2012 à 16h03, par pièce détachée

        @ C. Cagnat : pourquoi ? Serait-ce, au moins en partie, parce que les « révolutions » elles-mêmes sont déjà d’emblée, depuis toujours elles aussi, manipulées / récupérables, et partent en vrille dès qu’elles se mettent en marche ?

        (Encore une banalité sans doute, peut-être même une bêtise : je ne suis pas une militante effrénée, encore moins historienne...)

        Merci pour ce billet et votre suivi généreux des commentaires.



  • lundi 17 septembre 2012 à 00h04, par thé

    J’aime beaucoup que l’auteur ait pris le temps e de répondre ; c’est vrai que c’est pas ce qu’on aimerait qu’on nous dise ; que ça nous fait mal quelquepart. Je crois qu’on a du mal avec nos réactions pseudo-révolutionnaires et ceux qui nous tiennent la main car ils nous la tiennent , la lâchent presque plus ; nous nous révoltons accompagnés ; de plus en plus.



  • lundi 17 septembre 2012 à 01h38, par Pierre S.

    http://www.lemonde.fr/societe/artic...

    écologie mentale
    ligne de front
    jurisprudence en attente

    • mardi 18 septembre 2012 à 16h31, par pièce détachée

      Pas glamour, la peinture rouge : fallait prendre du violet, avec « audace », « hors de tout ce qui ternit l’existence, l’entrave. » « Oser est un art », bande de nigauds !



  • jeudi 10 avril 2014 à 01h51, par Leverbal

    Le paragraphe commençant par « Que proposez-vous en lieu et place du système que vous voulez mettre à bas ? » est très vrai, je l’ai vécu personnellement.

    A la lecture récente du travail d’Olivier Maurel sur la violence éducative, je pense que les régimes violents du XXe siècle ne pourront resurgir que tant que durera la reproduction de la violence éducative, c’est-à-dire l’acceptation dès l’enfance, par la majorité des individus, d’une société de la violence (physique ou symbolique) comme outil nécessaire à l’éducation, et au reste des interactions humaines par extension. Ce schéma relationnel quasi mondialisé commence tout juste à s’effriter dans quelques pays, même si l’interdiction légale de la fessée n’est que le sommet de l’iceberg de la violence éducative.
    Une question intéressante serait, pour un anthropologue, d’établir en combien de générations pourrait se faire le passage d’une société à la violence éducative généralisée à une société où elle serait marginalisée. On pourrait aisément en déduire le temps nécessaire à l’émergence de nouvelles formes de société post-démocratique et non-violente.

     × 

    Pour en revenir au paragraphe de l’article, dire que ce procédé s’apparente à une forme d’« éthique consensuelle » est en soi consensuel : il s’agit en réalité, ni plus ni moins, que de l’expression de la volonté de reproduction de cette violence éducative par ceux qui en ont été les victimes-bourreaux. On pourrait entendre leur inconscient le formuler de la sorte : « Bande de petits cons, osez-vous dire que vous pourriez ne pas reproduire nos erreurs/notre système éducatif ? Oseriez-vous dire que nos bien aimés parents n’avaient pas le droit d’être violents envers nous et que nous n’avons pas été capables de sortir de cette spirale de la violence éducative ? » Cette expression de volonté de reproduction de la violence est profondément ancrée dans l’esprit de ceux qui la reproduise tout simplement parce qu’elle leur permet de résoudre une incohérence psychologique fondamentale : devoir ne pas aimer leurs parents violents, ceux que leur nature humaine profonde leur enjoint d’aimer, simplement pour survivre.



  • samedi 7 mars 2015 à 06h34, par Louise V

    M. Cagnat,
    J’ai lu votre livre (Politique de la violence, essai sur l’impuissance citoyenne) l,an dernier. il m’a parut limpide, à moi qui ne suis pas une intellectuelle de haut niveau (pas une universitaire : je suis juste une potière, et une mère de famille). J’ai cru longtemps vivre en démocratie. J’ai cru au potentiel de la contestation « pacifiste » et organisée. Jusqu’à ce printemps 2012 que nous avons connu au Québec et au cours duquel le pouvoir, (ou devrais-je dire tous les pouvoirs ? le judiciaire, les médias etc) s’est employé à diaboliser et à réprimer la contestation étudiante. l’État a « mis en spectacle » (pour reprendre l’expression d’un professeur dans une conférence bilan du printemps 2012) son pouvoir. Il a mis en spectacle l’exclusion d’une certaine contestation non organisée. la propagande a très bien fonctionné. Le Québec est aujourd’hui divisé entre le peuple qui voit le besoin de lutter, et le peuple qui veut le faire de façon « propre » légale, et sans casser de vitres ! Depuis 2012, je me suis mise à m’interroger sur ce que nous avions vécu, sur l’écart que je ressentais entre ce qui fut dit et montré, et ce que j’ai vécu dans la rue. C’est ce qui m’a amené, d’une lecture à l’autre, à votre ouvrage.
    Je veux vous dire que je trouve décourageant de voir des lecteurs, si « brillants » qui vous invectivent quand ils ne déforment pas les propos de votre article. Cela m’indiquent qu’en effet, vous touchez à une corde sensible. Il n’est pas facile d’admettre que nous nous sommes trompés, qu’on nous a trompé, et que si créatifs pensions-nous être dans notre contestation du capitalisme-financier mondialisé, nous lui chatouillons à peine les poils. Je n’y vois pas que de la mélancolie dans votre article, et certes pas de la résignation. Moi j’en retiens le constat qu’on nous a dépossédé de notre « violence créatrice » de notre force. Il y a un juste et nécessaire besoin de nous réapproprier notre capacité à nous défendre car c’est de cela qu’il s’agit : d’autodéfense ! Devant quelqu’un qui te menace à la pointe d’un couteau les discours pacifistes risquent de ne pas être d’une grande utilité. Notre monde fait tout de même face à son extinction et nous n’oserions plus utiliser la force du nombre pour résister ? Peut-être que je me trompe et que c’est moi qui n’ai rien compris. Mais je pense qu’il y a des personnes ici, qui comprennent moins bien encore et surtout qui ne veulent pas comprendre car cela leur demanderait de se remettre en cause. Une étape douloureuse. Merci de votre éclairage. _

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