ARTICLE11
 
 

mercredi 21 octobre 2009

Inactualités

posté à 12h30, par Serge Quadruppani
28 commentaires

Petits désaccords entre amis
JPEG - 19.4 ko

En un bouquin tout juste publié, La Colère des tendres, Jean-Pierre Bastid revient, de façon à peine déguisée, sur le très minoritaire phénomène que fut la lutte armée à la française, sauce Action directe. L’auteur a beau être un ami, je ne partage guère sa vision des choses. A glorifier les méthodes d’AD en renvoyant ses critiques à une démission frileuse, on passe à côté d’une critique de la Terreur, qui est toujours l’arme de nos ennemis.

Jean-Pierre Bastid est un ami à moi, comme l’a été Jean-Patrick Manchette jusqu’à sa mort. Jean-Pierre Bastid a été un ami de Jean-Patrick Manchette, puis il ne l’a plus été. Ces détails ne sont pas sans importance pour situer le prodigieux effort d’objectivité que représente la présente chronique (laquelle, pour le style, a décidé de jouer sur la répétitivité - du moins présentement pour le présent paragraphe).

Dans son dernier bouquin, La Colère des tendres, aux éditions Le Temps des Cerises, Bastid raconte la permission de sortie d’une femme qui fut membre d’un groupe qui avait choisi la lutte armée en France, qui était très minoritaire et bref qui ressemble passablement à Action Directe. Elle va retrouver au fin fond d’une campagne une sœur qui s’empoisonne les poumons dans une usine de bondieuseries. Dans un « Après-lire  » Bastid règle quelques comptes avec Manchette (lequel parlait mal de lui dans son journal intime récemment édité) en le plaçant méchamment sur le même plan que Didier Daeninckx, ce qui est vraiment rabaisser Manchette de manière extravagante. Daeninckx, remarquable aussi bien pour la pauvreté de son style que pour son goût des grotesques procès staliniens, ne mérite, de la part de l’amateur de polar (bon, je sais Meurtre pour mémoire… mais cette génuflexion faite, je vous en prie : les bons sentiments antifascistes n’ont jamais garanti la bonne prose), de la part, donc de l’amateur de polar, qu’un bâillement, et de celle des amants de la liberté, un crachat. Inspirée par sa connaissance des meilleurs courants de la critique radicale (marxistes antiléninistes, libertaires, situationnistes…), du hard-boiled et du cinéma, l’œuvre que Jean-Patrick Manchette a construit est d’une cohérence et d’une force restée jusqu’à nos jours sans égale dans le roman noir français (Voir ce billet).

Passons sur le roman de Bastid : entre grotesques scènes paysannes, séances de sororité entre la « terroriste » et la « prolote » et tirades anticapitalistes, c’est beaucoup mieux que du Daeninckx, moins bien que du Manchette. La fourchette est large, à vous de vous y placer (je sais, c’est épineux). Ce qui nous importe davantage, ici, c’est le fond de la querelle que J.P.B. cherche à Manchette par-delà la tombe. Le reproche d’utiliser un flic comme personnage principal est d’assez mauvaise foi. Le Cadin de Daeninckx est en effet le prototype du flic à mauvaise conscience, qu’on retrouverait sûrement de nos jours à Sud Intérieur. Ces mecs-là, qui nous assomment de leurs scrupules avant de nous passer les bracelets, on s’en passe autant que des bœufs qui cognent sans broncher. Mais le Tarpon de Manchette est dans une telle déliquescence, (comme l’est aussi, s’il n’est pas trop immodeste de relever une ressemblance superficielle, mon Emile K. de la trilogie noire) qu’on peut difficilement, voir en lui autre chose que le détournement d’un stéréoptype polareux, qui sert de prétexte pour s’en prendre à l’ordre et à ses gardiens.

Le plus sérieux du reproche de JPB porte sur ce qu’il appelle le « pessimisme réactionnaire » de Nada. Face aux actions de lutte armée menées par des groupes minoritaires en Occident, la position de Manchette est résumée par la fameuse formule, tirée du testament politique du dernier combattant de la bande de Nada décimée par la police : «  Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à cons.  » En dépit de la notation sur le caractère incomparable des mobiles, la métaphore pêche par l’insistance sur la ressemblance des deux forces. On ne peut pas mettre sur le même plan des révoltés, quelle que soit la forme discutable que prend leur révolte, et l’État qui, non seulement réprime, mais aussi – et surtout – manipule soit directement soit médiatiquement la révolte.

Mais la position de Jean-Pierre Bastid, est encore plus discutable : «  Certes, les révoltés des années de plomb ont déclenché des guerres privées qui, mal comprises, n’ont pas été suivies. Était-ce une raison pour ne point les mener ? Ces luttes contre l’impérialisme étaient légitimes, leurs objectifs clairement définis, leurs cibles appropriées ; seul l’échec (imputable, en partie, à une stratégie et à des manœuvres trop malignes) les a rendues illégitimes.  » Les « guerres privées » qui n’auraient pas été « suivies  » parce que «  mal comprises » : voilà une bien étrange formulation, qui trahit sans le vouloir toute la faiblesse des pratiques de ces groupes des années 70-80 qui, quelles que soient leurs origines (libertaires, autonomes, ou staliniennes) pratiquaient tous une forme de léninisme armé. En considérant que, livrée à ses propres forces, la classe ouvrière ne saurait s’élever au dessus d’une conscience purement syndicaliste, et qu’il revenait donc au Parti d’introduire, bon gré mal gré, la conscience dans le prolétariat, Lénine plaçait définitivement son organisation au-dessus de la classe, posant les prémisses d’une dictature sur le prolétariat déguisée en dictature du prolétariat. De même, s’il s’agit d’obtenir d’être « suivi  », le groupe se pose dès le départ dans une position d’avant-garde autoproclamée qui, en cas de succès, le mettrait rapidement en contradiction avec ses objectifs émancipateurs affichés. Et puis, pourquoi donc le public (le peuple, le prolétariat) devrait-il suivre une guerre « privée  » ?

Quant à la deuxième phrase, dans laquelle j’avoue ne pas avoir compris la précision entre parenthèses, elle est largement aussi discutable : ces luttes, nous dit JPB, étaient légitimes, elles ne sont devenues illégitimes que parce qu’elles ont échoué. Bah non, les soulèvements de la Commune de Paris ou des Indiens du Chiapas, la guérilla de Makhno, les communes d’Aragon, les luttes ouvrières autonomes italiennes : malgré la défaite, la légitimité de ce qui s’est fait et fut vécu dans ces moments-là se vérifie chaque fois qu’il arrive aux hommes de se révolter. En revanche, la marche sur Rome ou les exactions des SA, deux mouvements incontestablement populaires et nullement groupusculaires, ont largement réussi (du moins dans un premier temps) et n’en sont pas devenues légitimes pour autant. Les gens de l’Affiche rouge sont tous morts entre les mains ennemies, la légitimité de leur lutte reste dans nos cœurs. Si la légitimité des actions d’AD paraît discutable, ce n’est pas parce qu’AD a échoué à être suivie mais bien parce que tuer un marchand d’arme et un patron ne sert qu’à accélérer brièvement la rotation du personnel de direction capitaliste. Les clones qui nous gouvernent n’ont guère d’importance, c’est ce qui leur donne du pouvoir qu’il convient de détruire.

Attaquer la « terrorisation démocratique », pour reprendre la formule de Claude Guillon (voir son bouquin aux édition Libertalia – critique de ce livre dans ma prochaine chronique), c’est d’abord attaquer l’usage terrorisant du mot « terrorisme  ». Comme le rappelait Julien Coupat dans une interview fameuse, bien des chefs d’État respectables ont commencé leur carrière comme terroristes. «  Est souverain, en ce monde, qui désigne le terroriste », conclut-il à raison. Alors demeure la question : comment s’attaquer au souverain ? Le fait de ne pas avoir de réponse toute prête à cette question n’interdit pas de critiquer ceux qui y ont répondu de manière erronée.
Le courage dans l’action et dans la durée, la sincérité et le refus des concessions, l’envie d’en découdre avec le Vieux Monde, de telles qualités rendent éminemment sympathiques les gens d’Action directe et invalident les métaphores qui semblent les mettre sur le même plan que leurs cibles. Mais ces qualités humaines ne rendent pas leur pratique plus acceptable, ni leur prose plus digeste. Surtout dans la dernière période, où celle-ci reprenait l’argumentaire en béton armé des staliniens de la RAF avec qui ils avaient annoncé leur fusion. Dénoncer la vengeance d’État qui les poursuit encore aujourd’hui (libérez Rouillan et Cipriani !) ne saurait rendre indulgent vis à vis de leur projet politique passé. Si l’on suit les soutiens comme JPB ou comme Pierre Carles (voir son film Ni vieux ni maîtres), au fond, si « on » (les militants ? le peuple ?) n’a pas suivi les héros d’AD, c’est parce qu’ « on » n’avait pas leur courage. Bah non, les gars, c’est parce que leur « guerre privée » était délirante, c’est tout.

AD et les autres ont confondu la subversion et la guerre. Les États seront toujours mieux armés que nous pour faire la guerre, qui est leur principale fonction. La Terreur sera toujours l’arme de nos ennemis. La nôtre, c’est la transformation sociale. A nous de donner du contenu à ces mots.


COMMENTAIRES

 


  • mercredi 21 octobre 2009 à 15h31, par Dominique

    Ce serait nettement plus honnête en parlant des accusations très précises et circonstanciées que Didier Daeninckx a portées à votre encontre pour vos liens avec des négationnistes ou des personnes issues de votre mouvance qui flirtent avec l’extrême droite. Assassiner Daeninckx au coin de deux ou trois phrases, cela peut faire illusion auprès de ceux qui ne sont pas au courant de vos démêlés, mais moi cela m’apparaît comme un petit règlement de compte qui ne vaut pas comme jury d’honneur ; Et pour l’instant, j’ai plutôt tendance à croire le prétendu stalinien (on le sait, le stalinien est encore plus fourbe que l’hitlérien) Daeninkx, vu la qualité de vos arguments et surtout votre stratégie un peu basse, Mais je ne demande qu’à lire ce que vous avez à opposer à ses dires que j’ai lus et je ferai mon opinion après. Pour l’instant, vous me paraissez peu digne de confiance et ce n’est que mon avis du moment.

    Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

    • mercredi 21 octobre 2009 à 16h03, par JBB

      D’habitude, je suis plutôt d’accord avec toi, Dominique. Mais là, pas du tout. Oh que pas du tout.

      Deux choses, juste.
      De un, ce à quoi tu fais allusion n’a rien de dissimulé : l’affaire, qui a duré plusieurs années, est connue de tous ceux qui s’intéressent au polar français et à l’extrême-gauche.
      De deux, ce sont les méthodes de Daeninckx qui m’apparaissent, à moi, très peu dignes de confiance. La boue dans laquelle il a traîné l’auteur de ce billet (et quelques autres), ses mensonges et manipulations pour en faire un négationniste, ont été maintes fois pointées et dénoncées, notamment par par Vidal-Naquet, Maurice Rajsfus ou Pierre-André Taguieff.

      « Mais je ne demande qu’à lire ce que vous avez à opposer à ses dires que j’ai lus et je ferai mon opinion après. »

      Si tu cherches un peu, ce n’est pas difficile à trouver. ICI, notamment. Ou aussi, cet article paru dans Politis qui revient sur toute l’affaire.

      • mercredi 21 octobre 2009 à 18h17, par Dominique

        On n’a donc plus le droit de poser de questions innocentes ? Le premier texte est une explication de Quadruppani qui ne me semble pas répondre aux questions précises une fois de plus, le deuxième fait de Daeninckx une sorte de de harceleur moral qui empêcherait tout le monde d’écrire dans le monde du polar et ce texte est profondément ridicule pour ne pas dire plus.

        Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

        • mercredi 21 octobre 2009 à 18h57, par JBB

          « On n’a donc plus le droit de poser de questions innocentes ? »

          Franchement, la question est tout sauf innocente. Je te soupçonne d’ailleurs d’avoir une connaissance assez précise de ce à quoi que cette polémique renvoie et de ce qu’elle sous-tend : tu es généralement très bien informé, il m’étonnerait que ce ne soit pas le cas ici.

          « ce texte est profondément ridicule pour ne pas dire plus. »

          C’est ton avis. Tu peux aussi te reporter à cet article de Marianne, mais je suppose que tu l’évacueras de la même façon.

          • mercredi 21 octobre 2009 à 20h40, par Dominique

            Je connaissais déjà cet article de Marianne et je ne vois toujours rien qui permettent de m’éclairer. C’est juste un texte anti-Daeninckx totalement à charge et il ne répond en rien sur les liens entre l’ultra-gauche après 1972 et les milieux antisémites ou négationnistes. Or le coeur de la question est là, parce que la date de rupture avec des antisonnistes eni 72 par SQ n’a pas été choisie par hasard, c’est celle du massacre de Munich ! Et Daeninckx donne des dates postéreures d’allégeance de SQ aux thèses antisionistes (qui se confondent parfois aux thèses antisémites, mais pas toujours). Le premier articile prétend dissiper une partie des accusstions, mais quand on regarde la biographie des gens que SQ défend comme Dauvé ; on se rend compte que c’est indéfendable. Il a le sens de l’amitié, soit. Il veut se défendre de termes ambigus qui n’auraient pas dû être rappelés hors contexte, soit. Mais pourquoi avoir continué dans le même milieu autant d’années et avec toujours les mêmes liaisons dans le monde du polar, dans les mêmes collections (et le même héros), dans les mêmes festivals au risque de sa battre ? Il y a quelque chose que je ne comprends pas. C’est pourquoi j’invite Serge Quadruppani à raconter cette histoire d’une manière plus humaine. Je crois plus la version de DD (qui lui a écrit un livre sur le sujet et n’a pas faits servir ses nervis pour des articles sur commaide). ii n’y a que la version DD en librairie pour l’instant, mais si ce que SQ dit vrai cela doit être dit en livre ou blogué autrement que par réglements de comptes au détour des phrases. Se réclamer de Maurice Rajfus n’est pas suffiant quand on est acccusé sur des faits. Il faut aller plus loin et je dois dire que je lis ou achète les livres de Quadrappuni sans me fixer une interdiction dans la tête. Il faut juste une explication un peu plus claire et point par point.

            Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

            • mercredi 21 octobre 2009 à 22h56, par JBB

              Serge est un ami. Mais je n’ai pas vocation à répondre à sa place et à alimenter le débat si lui-même ne le souhaite pas. Je vais donc le laisser décider s’il souhaite répondre et m’en tenir là. En ce qui me concerne, je comprendrais fort bien qu’il estime en avoir assez soupé pour ne pas avoir envie de se justifier une énième fois.

              [Quand même : lui est déjà revenu sur cette histoire. Ici notamment, avec des « éclaircissements sur La Banquise », où il se reconnait une part de responsabilité, et dans le texte Les Ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis. Enfin, je te renvoie au bouquin publié par Guy Dardel (l’un des fondateurs de FPP et du MIB) sur la façon de procéder de Daeninckx, Le Martyr Imaginaire : l’essai est en ligne ICI et revient longuement sur toute l’affaire.]

        • jeudi 22 octobre 2009 à 12h29, par SQ

          Je n’ai pas l’intention de répondre aux gens convaincus par Daeninckx, il leur a été donné mille fois (ici encore, voir la réponse et les liens donnés par JBB) l’occasion de comprendre de quoi il s’agit. S’ils marchent aux arguments avancés par DD, à ses constructions et à ses pratiques, tant pis pour eux, ce ne sont pas des interlocuteurs qui m’intéressent. Je note juste au passage que dans le discours du Daeninckxien de service, le fait d’être antisioniste semble condamnable. Alors je précise : je ne suis pas antisioniste (ce n’est pas le lieu de m’en expliquer) mais l’antisionisme est une conviction parfaitement respectable, alors que l’antisémitisme est une ignominie. L’amalgame entre antisémitisme et antisionisme est un argument classique de la réaction néo-con, qui utilise pour ça les dérives d’une minuscule minorité d’allumés qui mélangent effectivement les deux. Cela dit, il est très dommage que les questions posées par le présent papier soient occultées par l’intervention du daeninckxien de service. Ma chronique portait sur (et critiquait) le choix de la lutte armée groupusculaire dans les années 70-80. Et voilà qu’elle est parasitée par je ne sais plus combien de messages à propos des délires du Béria d’Aubervilliers. Mais n’est-ce pas le résultat systématique des daeninckxeries que de nous faire perdre du temps en polémiques annexes et inutiles ? Certains vont jusqu’à penser que c’est fait exprès. Comme je ne suis pas un adepte de la théorie du complot, je ne le crois pas. Et ne me répondez pas que je n’avais pas qu’à pas mentionner DD. D’abord, c’était imposé par l’analyse du texte de Bastid et puis si on ne peut plus se permettre un coup de patte en passant à propos de quelqu’un qui ne rate jamais une occasion de rajouter des louches de calomnies... Donc : je n’interviendrai plus que sur le sujet de ma chronique.

    • mercredi 21 octobre 2009 à 20h15, par George Weaver

      Dominique, je ne pense pas que Serge vous répondra sur ce point, car il a en a soupé, des attaques de DD, et depuis quinze ans a suffisamment répondu là-dessus.

      Si vraiment votre candeur est sincère, elle ne semble pas dénuée de préjugés, qu’une lecture attentive de Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme (éd. Réflex) pourrait dissiper.

      Et en ce qui concerne la fiabilité des opinions du même Daeninckx, lisez donc Le martyr imaginaire (No Pasaran), de Guy Dardel, tout à fait édifiant.

      L’important de cet article n’est pas de repartir sur cette antienne infecte, mais la divagation actuelle de Bastid, que ne justifient pas les torts que lui a réellement valus l’attitude de Manchette au début des années 70 (n’oublions pas qu’il lui avait quand même entièrement pompé le sujet de son premier roman, L’affaire N’Gustro !).

      Une chose, que ne dit pas Serge : Bastid et Manchette s’étaient réconciliés, peu avant le décès de ce dernier. Mais les « précisions » apportées dans l’édition Quarto des œuvres de Manchette par Doug Headline (qui affirme notamment en 2005 que le film Grandeur et décomposition de la compagnie de la Danse de Mort n’avait jamais connu de diffusion, alors même qu’il avait été restauré et projeté l’année précédente) avaient en effet de quoi faire bondir Bastid.

      Voir en ligne : http://lexomaniaque.blogspot.com/



  • mercredi 21 octobre 2009 à 17h17, par kaos

    On a déjà eu cette discussion il y a quelques temps mais je vais revenir sur deux-trois choses :

    D’abord la RAF n’était stalinienne que pour les anarchistes puisqu’elle était anarchiste pour les stalinien. Ce qui a grandement contribué à leur isolement politique, ce qui a plutôt aidé la police au final.
    Ensuite, je ne crois pas que le meurtre de pontes de l’industrie ne fasse qu’encourager la rotation des cadres dirigeants, puisque ceux-ci visent à terroriser les suivants, autant qu’à arrêter le premier.
    Et enfin, quelle sorte de violence reste légitime à tes yeux ? Celle du groupe autonome qui prend les armes ne te convient visiblement pas, faut-il voter avant ? Ou faut-il suffisamment de personne présente pour avoir le droit de lyncher Dassault ? Et que penser des ouvriers indiens qui ont buté leur patron ? Si quelqu’un d’autre l’avait fait à leur place, qu’est-ce que ça aurait changé ?
    Bref : à part casser quelques vitrines, qu’est-ce qui trouve grâce à tes yeux ?

    • mercredi 21 octobre 2009 à 20h52, par Quadruppani

      Le meurtre de pontes de l’industrie ne terrorisent nullement leurs successeurs. Il n’aboutit qu’à les ériger en héros médiatiques lourdement protégés et à donner un argumentaire au spectacle antiterroro, à la terrorisation des populations. Les lynchages par des ouvriers sont déjà plus sympathiques, puisqu’ils émanent de gens directement intéressés qui ne se posent pas en avant-garde. Mais ils ont toutes les limites d’un acte spontané rarement suivi de la construction d’autre chose.
      Je ne suis en surplomb de rien, l’expression « trouver grâce à mes yeux » est inopérante dans ce que j’essaie de faire : contribuer, à mon modeste niveau, avec tant d’autres, à l’émergence d’une intelligence collective qui saura trouver les voies d’une subversion échappant à sa spectacularisation instantanée, à l’exaltation viriliste de la violence, autant qu’au légalisme et à la quiète acceptation de l’existant par l’ultra-gauche en pantoufles pour qui rien n’est jamais assez radical pour qu’on risque son confort à s’y confronter, etc…. Je ne prétends pas échapper à ces pièges, je signale juste leur existence, j’essaie de trouver des complices pour imaginer des formes d’action qui ne soient pas instantanément retournées contre elles-mêmes.

      Voir en ligne : http://quadruppani.blogspot.com/

      • mercredi 21 octobre 2009 à 21h10, par Quadruppani

        P.S. : voyez le beau texte « coucou c’est nous », sur le Monde : http://abonnes.lemonde.fr/societe/a.... Quelles que soient les discussions possibles sur le moment et les moyens de la casse à Poitiers, ce texte a le mérite de poser les questions bien différemment que le léninisme armé.

        • jeudi 22 octobre 2009 à 06h07, par De Guello

          C’est un beau texte(coucou c’est nous),je le trouve onirique.Mais comme je suis le plouc de base je n’ai pas tout pigé.

          C’est comme ces querelles,ces petits désaccords entre amis,c’est fatiguant ,déjà qu’il y a du boulot à lutter contre nos adversaires pourquoi s’épuiser a se chercher des crosses entre gens du même bord ?

          Pareil quand on est syndiqué,on marque à la culotte l’autre compagnon qui est encarté dans un autre syndicat,on le critique et on oublie le principal qui est de lutter contre ces fumiers de patrons.

          Faut vraiment être con nous les petites gens,les ouvriers pour agir de cette façon,mais je vois que vous aussi les intellectuels agissez de la même façon et en pire parceque vous pratiquez « l’enculage des mouches en plein vol ».

        • jeudi 22 octobre 2009 à 12h26, par CaptainObvious

          Ça n’est accessible qu’aux abonnés, c’est possible d’en avoir un copier/coller en commentaire ?

          • jeudi 22 octobre 2009 à 12h33, par JBB

            Bien entendu.

            Tu trouveras le texte ICI.

            Et voici le copié-collé :

            "COUCOU C’EST NOUS
            Poitiers, 10 octobre 2009. Y a d’la casse. Un institut de beauté, une agence de voyage,
            une librairie catho, une bijouterie, départ de feu à la Direction du Travail, une banque,
            un Bouygues-qui-construit-des-ballons, un France Telecom dont on ne peut
            décemment demander la démission du PDG, mais seulement le suicide, deux
            banques, un journal local, ...
            Bon, nous sommes passés par ces rues. Le plus vieux baptistère de France a été
            baptisé. Les traces que nous laissons. À même le patrimoine. Il faut avouer qu’on s’en
            fout, du patrimoine. Toute trace des incandescences passées est monumentalement
            neutralisée. Alors, faut ranimer un peu. Mettre de la couleur. Se souvenir de l’oubli
            des puissances. « OMNIA SUNT COMMUNIA ». Nous allons, nous manifestons à la
            rencontre de tout ce qui, dans le passé, nous attend.
            Nous sommes passés par ces rues. Sur les images, il y a des pleurs d’enfants. ON
            voudrait que les enfants pleurent à cause de nous. Mais ils pleurent avec nous. Ce
            sont les mêmes larmes que nous avons versées, celles de la Séparation, des larmes
            contre ce monde. La destruction, elle, est source de joie. Tout enfant le sait, et nous
            l’apprend.
            A propos du 10 octobre à Poitiers, des spécialistes ont parlé de la « stratégie du
            coucou » (cf. Le Monde du 13 octobre). Les manifestants se seraient fait passer pour
            des festivaliers. Depuis le nid culturel squatté, ils auraient pris leur envol à grand
            fracas.
            La réalité est que la manifestation festive contre la prison de Vivonne avait été
            appelée par voie d’affiches, et que la préfecture avait jugé négligeable de prendre des
            dispositions particulières.
            La réalité, c’est d’abord un rassemblement masqué donc illégal : rien que des coucous.
            Limite de la loi anticagoule, on n’interdit pas le carnaval. Embarras des forces de
            l’Ordre. Difficile de dire, en effet, où commence la fête.
            On n’interdit pas le carnaval. Il y a donc masques et masques. Ceux qui au fond ne
            recouvrent plus rien, et les autres, les nôtres, ceux des coucous. Ce qui est visé par la
            loi, c’est une certaine façon de se masquer ; se masquer en ayant de bonnes raisons de
            le faire, se masquer parce qu’on a quelque chose à cacher, ou plutôt, quelqu’un. ON A
            TOUS QUELQU’UN A CACHER.
            Ce jour-là, à bien y regarder, les coucous ne sont ni dans le festival, ni dans la manif.
            Ce qu’ils squattent, c’est la société. La condition de coucou, c’est, simplement, une
            existence révolutionnaire dans la société.
            « Etre révolutionnaire », rien de plus problématique. Ceux pour qui ça ne fait pas
            problème seront les premiers à se rendre, à faire de leur mode de vie une défaite.
            Figés dans leur identité, et dans leur « fierté », et raides.
            Ce qui est lâche, ce n’est pas la duplicité, ni la dissimulation. Ce qui est lâche, c’est
            d’affirmer l’inaffirmable. De se revendiquer « anarcho-autonomes », par exemple.
            C’est de prétendre dire, dans la langue de l’ennemi, autre chose que des mensonges. Il
            n’y a pas des révolutionnaires, pas d’identité révolutionnaire, mais des devenirs, des
            existences révolutionnaires.
            Eh oui, nous autres coucous, il nous faut inventer, en même temps qu’une réalité
            tranchante, les moyens de tenir. Ou plutôt c’est la même chose, le même processus.
            La question est : qu’est-ce qui nous tient ?
            La génération des années 60 n’a pas su le faire, avec les années 80 comme excuse
            historique, et couvercle de plomb. Nous autres, nous n’avons pas droit à l’erreur.
            Jamais la situation n’a été aussi mûre ; et pourtant, le camp révolutionnaire est un
            vaste chantier. Même parmi les ruines, il faut déblayer le terrain, la place manque
            toujours pour construire autrement. Jamais la situation n’a été aussi mûre ; et pourtant,
            tout ou presque reste à faire, et pourtant, nous avons le temps. Il nous faut donc tenir,
            tenir à ce qui nous tient. Tenir, tromper l’ennemi. Déjouer les logiques de
            représentation, piéger la répression. NOUS SOMMES TOUS DES COUCOUS.
            Nés dans le nid de la domination, il nous faut grossir, devenir trop-grands pour son
            espace et ses coquilles vides. C’est ainsi : l’époque a dans son ventre les enfants qui
            lui marcheront dessus. Elle les nourrit, leur donne un semblant de « monde », elle n’a
            pour les choyer que ses flux toxiques, elle n’a que ses poisons. S’ils en réchappent, ils
            la tueront. Ils la tueront de la plus noble, de la plus digne, de la plus belle des façons,
            enfin, comme on commet sans doute un MATRICIDE.
            Quelques casseurs."

            • jeudi 22 octobre 2009 à 13h44, par ubifaciunt

              Mouais bon... envoyer un communiqué de « revendication » au Monde après dix vitrines pétées, déjà, ça me semble une perspective révolutionnaire bien intéressante (Ils connaissent pas Indy ? Ils veulent faire de la pub dans le QVM ?)..

              Plus sérieusement, je trouve le dernier paragraphe sur le « MATRICIDE » assez risible (putain, si c’est ça, un acte psychanalytiquement anti-oedipien et révolutionnaire que de tuer son père ou sa mère la société en pétant dix trucs comme des bourrins, franchement, pfffff...)

              Par contre, j’aime bien le passage sur les masques qui cachent quelqu’un... Faudrait juste qu’ils développent aussi le fait qu’on ne choisit jamais son masque par hasard et que celui-ci révèle bien plus qu’il ne cache...

              Et puis ces constantes références tiqqunesques (cf le passage de balayer les ruines qui fait directement écho au texte de 1999 « Eh bien, la guerre » -« il ne sert à rien de faire le ménage dans une maison en ruines »-), ça commence à m’agacer un peu...

              Mais j’y reviendrai bientôt.

              Et plus longuement...

              • jeudi 22 octobre 2009 à 15h15, par vincent

                Le message à 06:07 par De Guello attend toujours sa réponse..
                Tout est dit :« du balai,manant ! On est entre fameux blogueurs ici ! »

                • jeudi 22 octobre 2009 à 15h37, par JBB

                  Euh… c’est pour de rire ? Ou c’est vraiment la police politique du commentaire qui se pointe ici ? Mazette, quel honneur !

                  Ce qui serait bien, c’est qu’on parle du sujet du billet de Serge.

                  Pour De Guello : il me semble qu’Ubi a rébondi sur ce qu’il disait. Je les rejoins : la rhétorique très sous-tiqqunienne (le talent en moins) d’un communiqué revendiquant trois vitrines brisées me fait un peu poiler, surtout quand c’est Le Monde qui est choisi.
                  Ce spectacle médiatique de l’insurrection me semble finalement, pour reprendre vaguement quelques concepts des textes de Tiqqun, être une façon de rentrer dans le jeu de l’Empire et du biopouvoir. Bref : pas très convaincant.

                  • jeudi 22 octobre 2009 à 15h55, par Quadruppani

                    Oh que vous êtes méchants, moi j’aurais plutôt tendance à trouver que ce texte a du souffle, même si les perspectives communisantes (qui pourraient rassembler au-delà de leur groupe) manquent (mais elles manquent à tout le monde).
                    Quant à De Guello, je ne vois pas ce que je pouvais commenter : oui, je suis d’accord avec lui, c’est dommage que des gens qui devraient rester amis ne le soient plus (par exemple Manchette et Bastid), mais pour d’autres c’est une clarification utile quand de vrais ennemis (des micro-Béria par exemple) se découvrent.
                    Quant à s’autotraiter de plouc, bof, je ne vois pas l’intérêt, cher de Guello. Ce serait plus intéressant si vous nous racontiez vos expériences syndicalistes. Et par exemple aussi, je suis sûr qu’il y a des gens dont vous regrettez de ne plus être ami, et d’autre, forcément, qui sont des ennemis - y compris dans les syndicats. La politique des centrales devrait quand même vous interpeler quelque part, non ?

                    • jeudi 22 octobre 2009 à 16h16, par Quadruppani

                      P.S. : cela dit, la chute sur le matricide est effectivement assez faiblarde. Mais chacun règle ses problèmes comme il peut avec sa maman. Peut-être y a-t-il à cette heure une mère lectrice du Monde qui a reconnu la prose de son même pas trentenaire de fiston et qui pleure tout en se demandant dans un coin de sa tête s’il a bien mis son cache-nez avant d’aller casser des vitres.
                      Mais bon, je citais ce texte surtout comme exemple de gens qui ne se posent pas en avant-garde. Et puis j’aime bien : « Il n’y a pas des révolutionnaires, pas d’identité révolutionnaire, mais des devenirs, des existences révolutionnaires. »

                      • jeudi 22 octobre 2009 à 16h37, par JBB

                        Et puis j’aime bien : « Il n’y a pas des révolutionnaires, pas d’identité révolutionnaire, mais des devenirs, des existences révolutionnaires. »

                        Là, tout d’accord. Mais pour le coup, c’est du Tiqqun dans le texte. Dans Armer le Parti imaginaire, ce passage :

                        « Il n’y a pas d’« identité révolutionnaire ». Sous l’Empire, c’est au contraire la non-identité, le fait de trahir constamment les prédicats qu’on nous colle qui est révolutionnaire. Des « sujets révolutionnaires », il n’y en a plus depuis longtemps que pour le pouvoir. Devenir quelconques, devenir imperceptibles, conspirer, cela veut dire distinguer entre notre présence et ce que nous sommes pour la représentation, afin d’en jouer. Dans la mesure exacte où l’Empire s’unifie, où la nouvelle configuration des hostilités acquiert un caractère objectif, il y a une nécessité stratégique de savoir ce que l’on est pour lui, mais nous prendre pour cela, un « Black Bloc », un « Parti Imaginaire » ou autre chose, serait notre perte. Pour l’empire, le Parti imaginaire n’est que la forme de la pure singularité. »

                • jeudi 22 octobre 2009 à 16h10, par De Guello

                  Merci,je n’osais plus me manifester.

                  • jeudi 22 octobre 2009 à 16h18, par Quadruppani

                    Je suppose que vous avez lu mon avant-dernier message, où j’essaie de vous répondre et donc :
                    Alors, vous nous racontez les amis et les ennemis en milieu syndical ?
                    Ça pourrait même donner un texte entier, autonome, pour Article11, non ?

                    • jeudi 22 octobre 2009 à 18h45, par De Guello

                      Sympa,mais je suis incapable de le faire,ce n’est pas donné à tout le monde de mettre ses idées en ordre pour en faire un texte clair.

                      Chacun son boulot:vous les idées,les beaux textes moi la lecture de vos écrits.C’est un plaisir ce site,je découvre de la lecture,de la musique,des arts,du voyage et des gens passionnés,que demander de plus.

              • jeudi 22 octobre 2009 à 16h12, par CaptainObvious

                Merci pour le texte, JBB

                Ils veulent faire de la pub dans le QVM ?

                Il me semble que c’est un commentaire d’un article du monde, ça me semble pas illégitime (et puis bon indymedia...)

                • vendredi 23 octobre 2009 à 16h27, par ubifaciunt

                  Putain, Claude Guillon a été mille fois plus rapide (et intelligent) que moi...

                  "Vol au-dessus d’un nid de casseurs

                  jeudi 22 octobre 2009.

                  Le site Internet du journal Le Monde indique, ce 21 octobre, avoir
                  reçu le texte ci-dessous reproduit à propos de la manifestation de
                  Poitiers du 10 octobre 2009. Il est signé « Quelques casseurs ». Les
                  journalistes affirment avoir pris des garanties concernant la
                  participation effective des signataires à la manifestation. Cette
                  précision, assez surprenante quant à ce qu’elle suppose d’échanges
                  épistolaires, n’offre aucune garantie réelle. Disons qu’à la lecture
                  ce texte semble plausible, même s’il est plus que probable qu’il a
                  été rédigé et envoyé, comme l’indique la signature, par un petit
                  groupe d’individus.

                  Ces casseurs assumés ne sont pas des imbéciles : ils lisent Le Monde
                  et savent même un peu de latin.

                  Ils présentent toutefois une faiblesse de caractère, d’ailleurs
                  vénielle, mais qui peut influencer fâcheusement l’action : ils sont
                  susceptibles.

                  Les journalistes de l’Officiel de tous les spectacles ayant avancé
                  qu’ils avaient pratiqué, à Poitiers et ailleurs, la « stratégie du
                  coucou », ils tiennent à répliquer. D’un point de vue politique et
                  stratégique leur réponse n’est pas dénuée d’intérêt, puisque le
                  reproche des journalistes est partagé par une partie du public
                  politisé. En gros, sur le mode « Bien la peine de se dire autonomes
                  s’il vous faut les mouvements d’une foule que vous méprisez pour
                  bouger le petit doigt ».

                  Le texte rappelle utilement quelques éléments factuels (manifestation
                  convoquée par voie d’affiches) et souligne l’embarras des autorités à
                  appliquer leur énième règlement ( en l’espèce : anti-cagoule).

                  On notera une jolie formule polysémique : « On a tous quelqu’un à
                  cacher ».

                  Maintenant, en quoi ce texte me paraît-il critiquable (ce qui n’est
                  pas en soi un « reproche » ; étant critiquable, il contribue au débat
                  critique).

                  Tout d’abord, dans son optimisme millénariste et incantatoire : « 
                  Jamais la situation n’a été aussi mûre » (bis). Jamais. Le mot est
                  fort. Si fort qu’il est absurde, même rapporté au jeune âge supposé
                  des rédacteurs.

                  Au fait, que peut bien signifier une situation « mûre », du point de
                  vue de l’éruption d’un mouvement révolutionnaire communiste, alors
                  que « tout reste à faire » dans le camp de la révolution ? Je
                  partagerai d’ailleurs volontiers cette dernière appréciation, et même
                  j’accorde que les révolutionnaires (moi itou) ont le plus grand mal à
                  se montrer à la hauteur de leur époque (tandis qu’ils sont tentés de
                  penser que c’est l’époque qui est indigne d’eux).

                  Mais revenons à cette « maturité » ; on la devine plus proche du
                  baril de poudre qui attend l’étincelle que de l’opulence de la grappe
                  attirant le maraudeur.

                  Maturité, du latin maturus, qui se produit au bon moment. En quoi la
                  situation présente peut-elle « se produire au bon moment ». Elle a
                  lieu, un point c’est tout. Le présent se produit. C’est le moment
                  présent. On peut se réjouir de tel moment présent (une insurrection)
                  ou se désoler de tel autre (son écrasement). On dira donc que
                  l’insurrection tombe à pic et que son écrasement est regrettable.
                  Mais des deux situations, laquelle est ou était la plus « mûre » ?

                  Taxi ! suivez cette métaphore !

                  Parions, sous réserve de démenti à venir, que les coucous casseurs
                  entendent que le baril de poudre sociale déborde. Il n’attend qu’un
                  porteur de mèche enflammée pour exploser révolutionnairement. Le
                  casseur (de vitrines, de préjugés, de coffres...) amène sa mèche (sa
                  plume, dit le cambrioleur) avec lui. Dissimulé partout (coucou), on
                  le croit disparu ou exterminé ; il renaît de ses cendres, se fait
                  oiseau de feu (phénix) et embrase steppes, métropoles et banlieues...

                  La métaphore est jolie, mais remplit mal son rôle : aider à penser
                  plus loin. Elle offre surtout l’avantage de donner un rôle aux
                  casseurs, aux révolutionnaires. C’est à eux de commettre le geste
                  symbolique qui déclenchera l’explosion.

                  Quant à la maturité de la situation, le texte ne permet de la penser
                  que de manière métaphorique et mécaniste : poudre, pression de
                  vapeur, goutte d’eau dans un vase... Or, de quoi est-elle faite,
                  cette situation sociale, de quels rapports de force, de quels
                  rapports de classe, de quelle exploitation ? Le texte n’en dit rien,
                  qui évoque uniquement « les logiques de représentation [1] ») et « la
                  répression ».

                  On objectera que ce texte ne prétend pas tout dire et qu’il est
                  probablement rédigé très vite (c’est aussi, hélas, le cas de la
                  présente chronique). Il n’en est pas moins vrai qu’il se présente,
                  librement, comme une protestation de manifestants devant des
                  journalistes et des lecteurs critiques. Il est donc légitime de le
                  critiquer pour ce qu’il dit (consciemment ou non) et pour ce qu’il tait.

                  Tel quel, le texte « Coucou c’est nous » suggère, me semble-t-il, une
                  représentation de la société essentiellement idéologique, un théâtre
                  d’idées, de « logiques de représentation ». Il est vrai que, dans les
                  cibles des casseurs, rappelées en début de texte (direction du
                  Travail, banque, etc.) peut se lire entre les coups de masse une
                  analyse anticapitaliste. Elle n’est pourtant pas évoquée, encore
                  moins explicitée, dans le corps du texte.

                  L’absence d’évocation d’une grille d’analyse sociale et historique,
                  la métaphore de la « maturité », me font penser - peut-être à tort -
                  que les casseurs de Poitiers ont en tête une vision morale de la
                  situation. Dans cette perspective, la phrase « Jamais la situation
                  n’a été aussi mûre » s’entendrait ainsi : « Jamais n’ont existé
                  autant de motifs réunis de dégoût et de révolte ». Appréciation dont
                  le plus aimable qu’on puisse dire est qu’elle est subjective et,
                  faute de perspective, an-historique. Avait-on moins de raisons de se
                  révolter en 1894 ? en 1920 ? en 1968 ?

                  Il est vrai qu’une phrase est censée introduire une perspective
                  historique. La « génération des années 60 » est excusée de n’avoir
                  pas su inventer « les moyens de tenir ». Considérations
                  générationnelle - hors sujet me semble-t-il - et psychologique. Cette
                  dernière n’est jamais hors sujet, à condition d’être articulée avec
                  une analyse sociale et politique [2].

                  Mère, mère ! pourquoi m’as-tu abandonné ?

                  Le choix du style et les contraintes psychologiques de la réplique
                  (oui coucou ! et alors !) amènent les rédacteurs à filer la métaphore
                  ornithologique de manière étrange à mes yeux.

                  C’est dans le nid utérin de la société que se dissimulent les
                  coucous. C’est donc la mère (faussement) nourricière - la société, la
                  domination, l’époque - qui est choisie pour cible. Au lieu des
                  remerciements qu’elle attend, nous cassons... L’oiseau se révolte et
                  pique du bec la main qui le nourrit.

                  La domination-mère n’a, pour choyer ses enfants-coucous que « ses
                  flux toxiques », « ses poisons ». Cette empoisonneuse - dont on
                  imagine les seins dégoulinants d’un pus noirâtre, comme dans une pub
                  de la fondation Nicolas Hulot -, sera tuée par les coucous
                  survivants. Elle sera tuée « de la plus noble façon », « comme on
                  commet sans doute un MATRICIDE ».

                  Voilà donc où nous dépose cette métaphore...

                  Ainsi les rédacteurs nous proposent-ils une espèce de programme
                  poétique, symbolique et psychanalytique, dont l’issue - capitale dans
                  tous les sens du terme - est le matricide.

                  Je vois mal en quoi cette « proposition » pourrait faire avancer en
                  quoi que ce soit la compréhension critique de ce monde. Je vois trop
                  bien comment elle peut contribuer à la confusion sur le rapport du
                  révolutionnaire à ce monde, lequel est supposé se retourner contre la
                  société/mauvaise mère [3]. Ou autrement dit contribuer à un
                  recentrage psychologique (et individuel) de la pensée critique ; la
                  dimension collective étant prise en charge par la perspective
                  mystique millénariste.

                  Y mêler un improbable communisme primitif chrétien autorise, certes,
                  un joli tag (omnia sunt communia, voir note dans le texte). Il
                  intrigue journalistes et blogueurs catholiques, qui découvrent ainsi
                  des pans inconnus de leur propre religion qui les attendaient dans le
                  passé. Et après...

                  Pour le dire de manière délibérément utilitariste et peu élégante :
                  ça sert à quoi ?

                  Le bris de vitre attire l’attention sur le slogan qui suggère une
                  réminiscence théologique qui... Qu’est-ce que ces symboles-gigognes
                  sont censés produire ? L’étincelle psychologique, qui va convaincre
                  les dominés de passer au matricide social ?

                  L’objectif initial de la manifestation - protester contre une prison,
                  et à cette occasion contre toute prison - me paraît fort légitime.
                  Banques, bâtiments administratifs ou religieux : que l’on casse,
                  sabote en douceur, ou « défigure » les symboles, aussi dérisoires
                  soient-ils, de dispositifs aliénants ne me contrarie pas [4].

                  Mais, d’une part,légitimité ne signifie pas nécessairement
                  opportunité (caractère de ce qui opportun)...

                  Qui abandonne qui, finalement ?

                  ...D’autre part, ce qui me contrarie, c’est que l’on abandonne sur le
                  terrain, comme autant de dégâts collatéraux, ceux qui courent moins
                  vite que les autres. C’est une image désastreuse de l’égalitarisme
                  communiste.

                  C’est un problème à la fois politique (sens large) et stratégique
                  (décisions concrètes).

                  L’histoire des dernières décennies est assez riche en actions
                  collectives « violentes », menées de manière autonome (c’est le cas
                  de le dire, même si les jeunes militants d’aujourd’hui semblent
                  ignorer que de telles actions ont aussi été le fait de gauchistes,
                  LCR, Gauche prolétarienne maoïste, notamment).

                  La manière dont de telles actions sont organisées (commandos, groupes
                  compact en manif ou au contraire individus disposés à se disperser
                  façon volée de moineaux...), la manière dont la sécurité des militant
                  (e)s est prévue ou non, tout cela influe sur l’impact social des
                  actions, et d’abord dans les milieux militants ou politisés les plus
                  voisins.

                  De ce point de vue, l’absence dans le texte des casseurs d’une seule
                  phrase, d’un seul mot, sur les personnes arrêtées et lourdement
                  condamnées à Poitiers est une faute politique, et morale ajouterai-je
                  pour me faire bien comprendre d’eux.

                  Tactiquement, c’est laisser passer une occasion de dénoncer une
                  justice de classe, qui frappe toujours plus lourdement, à l’occasion
                  de ce genre de manifestation, les individus les plus désocialisés
                  (décidemment, Maman ne distribue pas son amour équitablement !).

                  C’est précisément prêter le flanc au reproche de manipuler, vilains
                  coucous, la méprisable piétaille contestataire. Peu importe ici que
                  ce reproche soit aussi articulé par des journalistes bourgeois ;
                  d’ailleurs vous les jugez d’assez respectables interlocuteurs pour
                  leur prouver votre bonne foi. Et, du coup, ils relèvent immédiatement
                  la contradiction entre votre protestation narcissique et votre
                  silence sur les condamnés.

                  Peu importe également que les personnes condamnées (et leurs proches)
                  n’aient pas en toute circonstance le discours impeccablement radical
                  que l’on attendrait. S’ils sont critiquables, critiquons-les. Et que
                  ceux qui n’ont jamais péché (ni leur père), leur jettent la première
                  boulle de pétanque !

                  Paraître les ignorer, dans un texte de revendication politique, tout
                  occupés que l’on est à ciseler des allusions littéraires ou
                  théologiques dont on le parsèmera comme on cache des œufs de Pâques
                  dans le jardin pour que les gamins les trouvent [5], n’est ni noble
                  ni digne, pour reprendre les hautes exigences affichées, pour
                  l’avenir il est vrai, par ces quelques casseurs.

                  [1] Ce rappel est-il bienvenu ou dérisoire lorsque l’on adresse un
                  texte au journal Le Monde...

                  [2] Pour donner un exemple écrasant :Psychologie de masse du fascisme
                  de W. Reich.

                  [3] Et ton papa, il est au travail ? Et ta sœur ?

                  [4] Même si l’exercice concret n’est plus ni de mon âge ni de mon
                  agilité.

                  [5] Il en est une dans l’alinéa précédent. Sauras-tu la découvrir,
                  ami lecteur ?"

                  • vendredi 23 octobre 2009 à 22h06, par un-e anonyme

                    Claude G. a tout à fait raison au moins sur un point : ne pas évoquer les gens enchristés et condamnés est une faute politique et morale.



  • vendredi 23 octobre 2009 à 17h47, par archéologue amateur

    Il y a un livre, ahem ,peu connu du grand public, intitulé « protestation devant les libertaires du présent et du futur sur les capitulations de 1980 par un incontrôlé » qui traitait exactement de cette question et s’en prenait à Jean Patrick Manchette (parmi d’autres porte paroles du « terrorisme de la vérité »(kravetz, Delfeil de Con...) selon l’auteur), sur leurs positions par rapport au terrorisme et à AD ou aux BR.

    il concluait à peu près comme ça :

    "dans cette perception délirante de l’adversaire politique toute action directe devient un complot tramé artificiellement par des forces occultes(...)

    C’est ainsi que le sectarisme radical, pour compromettre l’adversaire terroriste et déjà détesté l’assimile à quelque chose de déjà détesté. Que le spectacle subversif désire avant tout cette identification, il l’a confessé de mille manières en brodant sur ce seul slogan : Terrorisme= Etat, ce qui revient à dire "ou avec l’Etat, ou bien avec l’Etat. (...)

    Quand les chefs du terrorisme de la vérité ont ordonné de tirer dans les pattes de personnes emprisonnées, en fuite, ou surveillées, ils savaient bien ce qu’ils voulaient : effrayer les indécis, les contemplatifs et se les gagner dans le refus de la critique en actes. "

    C’est un peu long, mais c’est un autre son de cloche (?,pas sûr ça...)

    • vendredi 23 octobre 2009 à 22h09, par un-e anonyme

      La critique du terrorisme gauchiste comme pure manipulation étatique (sur laquelle, étrangement, staliniens et situationnistes orthodoxes se rejoignent) est fausse et assez dégoûtante, c’est pourquoi le texte « Protestation… » est utile et juste.
      Cependant la critique de l’avant-gardisme armé est tout aussi nécessaire, et c’est en quoi le dit texte est bancal. Enfin, merci de revenir au sujet de la chronique !

  • Répondre à cet article