ARTICLE11
 
 

jeudi 7 août 2008

Littérature

posté à 18h39, par Lémi
2 commentaires

A propos de Lester Bangs, du rock et de toutes ces sortes de choses…
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A première vue, ce type aurait dû être enterré depuis longtemps. Un critique rock ricain des années 1960-70, spécialisé dans les groupes braillards et obscurs, spécialiste de la digression oiseuse et totem braillard du punk –dont il a inventé le nom–, ça ressemble à une égérie d’une autre temps, je te l’accorde. On s’en fout. Lester Bangs était juste un putain de génie en matière d’écriture rock.

Count Five : Psychotic Reactions

Il y a deux réactions, généralement, quand tu ouvres un bouquin de Lester Bangs. Soit, cuistre patenté, tu t’arrêtes au sujet traité, en gagne-petit qui ne voit pas plus loin que le bout de ses références et se demande : « merde alors, pourquoi je m’emmerderais à lire un article de 30 pages sur un groupe appelé Count Fives ou Question Mark and the Mysterians quand je ne sais même pas qui c’est et que l’auteur lui-même les présente comme d’obscures tâcherons débiles aux envolées musicales évoquant surtout le bruit des sacs-poubelles broyés dans une benne à ordures1 ? Ca va m’apporter quoi de lire les 17 bonnes raisons2 pour lesquelles l’album expérimental de Lou Reed, Metal Machine Music, quatre fois 16 minutes de bruits superposés, uniformes et désagréables, est le « le plus grand album jamais enregistré » » ?

Réactions typiques. Et qui font passer un certains nombre d’incurables bornés à côté d’une des plus grosses pépites jamais accouchées par la contre-culture américaine.

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Soit, au contraire, tu t’attardes, tu t’intéresses d’abord à l’écriture, aux mots, au style, et tu finis par faire allégeance au Dieu Bangs. Alors, tu relis pour la troisième fois son interview avec Lou Reed, sobrement intitulée Louons maintenant les célèbres nains mortifères, ou comment je me suis castagné avec Lou sans m’endormir une seule fois, dans laquelle tous deux sont défoncés et s’insultent mutuellement3 sous les yeux d’une créature mi-homme mi-femme, avec des poils partout, que l’ancien chanteur du Velvet Underground appelle La Chose4. Tu renifles avec enthousiasme le génie suintant de ses analyses sur les Stooges et Iggy Pop, idiot n°1 et par là même incarnation parfaite du rock. Tu opines du chef quand, et c’est un des tout premiers à le faire, il reconnaît le génie de Kraftwerk, annonçant l’âge des machines musicales et de l’électronique triomphant.

Finalement, tu finis par apprécier le mélange des genres, de Coltrane aux Clash en passant par le MC5, Barry White et les Ramones, vaste fourre-tout érudit et que rien ne relie, hormis l’enthousiasme démoniaquement communicatif de Bangs.

Psychotic Reaction et autres carburateurs flingués5 n’est pas un bouquin que l’on peut résumer. C’est l’essence même du rock, un instantané de sueur, d’amphétamines et de borborygmes lancinants, un livre honnête et cruel, vicelard et débile. Ils sont une palanquée à avoir essayer de l’imiter. A avoir tendu le bras pour atteindre cette transcription bordélique mais parfaite d’une énergie pure et acnéique. C’est le seul à y être parvenu.

Et puis, tu relis cette phrase, piochée dans un de ses articles, tu ne sais plus lequel : « J’étais peut-être candidat –sinon aujourd’hui, du moins demain– au titre de meilleur écrivain d’Amérique (qui était meilleur ? Bukowski ? Burroughs ? Hunter S. Thompson ? Laissez tomber. J’étais le meilleur. Je n’écrivais pratiquement que des critiques de rock, et encore pas tant que ça)."
Tu te tritures le cerveau, perplexe. Provocation ou pas, il y a une part de vérité là-dedans, il faut bien l’avouer. Cette vérité cruelle que résume si bien son ami Greil Marcus, le plus grand spécialiste de l’histoire musicale américaine et de la littérature qui l’accompagne : « Peut être ce livre exige-t-il du lecteur la volonté d’accepter que le meilleur écrivain d’Amérique n’ait écrit pratiquement que des critiques de disque. »

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Extrait Bangsien : sur Wild Thing des Troggs.

The Troggs, Wild Thing

« Si l’Amérique punk meurt derrière les chieries coagulées et sans glutamates du hip, si toutes les expériences ringardes de nouveaux desseins pour les Gens Vivants tentent de décoller et de trouver leur place, si les mômes sont vraiment trop smart et cool pour se contenter de déconner, si le premier jour de l’été veut dire en rouler l’un après l’autre et s’avachir heure sur heure devant la télé ou le tourne-disque au lieu de débouler dans la rue et de chercher des potes, de sautiller et de bramer jusqu’à ce qu’au moins une partie du poison pédant qui s’accumule depuis septembre comme de la belladone soit viré net hors de votre âme, si tout ceci est un rêve de fumette et que je sois désormais un vieux con – si tout cela est vrai, alors VOUS AUTRES BRANLEURS DEBILES AVEZ MANQUE LA LECON DE WILD THING, quelque part entre la montée de Cream et la chute des Stooges, et le rock peut se contenter de devenir un art de chambre ou, au minimum, un système d’environnement. »


Cadeau bonus

Question Mark and the Mysterians, 96 Tears


1 Parlant d’une chanson des Count Fives : « On n’a pas tous les jours affaire à de tels textes et même si l’arrière-plan sonore évoquait vaguement une voiture embourbée patinant des quatre roues, on ne peut nier que le titre ait une certaine valeur en tant que prototype archétypal du rock-débile fond de poubelles »

2 Raison n°8 : « Tous les proprios sont des salopards doucereux qui laisseraient les ruines de Pompéi s’effondrer sur votre lit à Baldaquin sans lever le petit doigt. Ils méritent tous ce qui leur arrivera, et Metal Machine Music est le briseur de bail garanti. Tout locataire d’Amérique devrait posséder un exemplaire de cet album. Soyez prémunis. » Raison n°12 : « Il sonne mieux sous Romilar que tout ce que j’ai pu entendre »

3 «  T’es vraiment un trou du cul. T’as dépassé la connerie pour te retrouver dans je ne sais quel conduit urinaire. » « De toute évidence, ce que tu vends maintenant c’est de la décadence pasteurisée. Autrefois t’étais vraiment un chieur, Lou, maintenant tout ça s’est pasteurisé »…

4 « C’était comme l’incarnation physique de toute la graisse et la crasse que Lou doit avoir perdues en s’injectant toutes ces vitamines l’hiver dernier. Aussi étrange qu’un yéti venu des douillettes neiges brunes de l’Orient. Plus tard je l’ai remarqué en plein milieu de l’interview qui lisait les pages d’un livre. Mais vu la façon dont ça s’y prenait, il était évident que ça ne lisait pas. L’image figée d’une incertitude tremblotante. A un moment, j’ai hurlé à Lou : va te faire foutre, je ne te parle plus, je vais l’interviewer, Elle ! "

5 Edité chez Tristram. Un autre recueil de ses articles, tout aussi indispensable, Fêtes sanglantes et mauvais goût a été publié chez le même éditeur, ainsi qu’un très gouleyante biographie de l’illustre « mégatonic rock critic » par Jim de Rogatis.


COMMENTAIRES

 


  • samedi 9 août 2008 à 12h07, par Thom

    Mais Bangs est aussi indirectement responsable de l’émergence de trois générations de « critiques » se piquant de faire du style plutôt que de parler de musique, ce qui est beaucoup moins marrant car - bien sûr - n’est pas Lester Bangs qui veut. On échangerait pas Bangs contre des milliards de kilos de Manœuvre, sauf que voilà : Manœuvre est le fils de Bangs. Et ça, ça fout presque autant les jetons qu’un album de Julian Lennon...

     ;-)

    Voir en ligne : http://legolb.over-blog.com

    • dimanche 10 août 2008 à 15h34, par Lémi

      Ouaip, c’est la dure loi des génies : plus t’es bon, plus on te pille, et plus on te pille, plus on te souille.
      Ceci dit, Manoeuvre n’est pas forcément le pire de tous ces enfants illégitimes maculant la statue de leur défunt papa, juste représentatif.
      Pour Jullian Lennon, sais pas, jamais osé écouter. Par contre, ai lu Dan Fante, et ... c’est pas si mal que ça (tant qu’on n’essaye pas de le comparer à son illustre padre). I.e., progéniture parfois rime avec littérature.

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