ARTICLE11
 
 

samedi 31 octobre 2009

Le Charançon Libéré

posté à 17h21, par JBB
50 commentaires

« La diversité contre l’égalité » : quand Le Point donne raison à Walter Benn Michaels
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C’était il y a dix jours, un dossier du Point intitulé « Diversité, le nouvel impératif ». Le news-magazine tartinait une dizaine de pages sur ces grandes entreprises conscientes de leurs responsabilités et ayant compris que la diversité pouvait leur permettre d’améliorer leurs résultats. Au final, une jolie illustration de la thèse développée par Walter Benn Michaels en l’ouvrage La diversité contre l’égalité.

Ils sont bien au Point, parfois.

Ils rendent service.

Sans le faire exprès, mais service quand même.

Exemple ? J’avais ce bouquin sur les bras depuis un mois et demi, La diversité contre l’égalité, essai de Walter Benn Michaels m’ayant plutôt enthousiasmé, sans que pour autant je me sente le courage de me plonger dans une longue recension. La flemme. Une profonde, indépassable flemme qui me tenait éloigné de l’ordinateur et m’empêchait de conduire la plus minime des réflexions…

Ça aurait pu durer des années, morfondage et marécageuse fange sans élan. Mais non : Le Point était là. Admirable Point ! Salutaire Point ! Le magazine, qui a sorti - en date du 22 octobre - un publi-reportage d’une dizaine de pages, Spécial recrutement : Diversité, le nouvel impératif, m’a donc sorti du marasme. Que veux-tu ? Une perche pareille ne se refuse pas…

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Le chapeau dit : « Melting-pot. Une source de performance et d’innovation pour l’entreprise. » Et l’article affirme notamment, entre autres : « La diversité est désormais perçue comme un levier de richesse. Un impératif économique comme un autre (…). Résultat, passé le premier cap gentillet de la promotion et de la diversité, nombre de grandes entreprises s’engagent désormais dans sa gestion effective. Accompagnant un glissement sociétal de fond, qui tend de plus en plus à épingler la discrimination comme contre-productive. » Un peu plus loin, cette citation de Soumia Malinbaum, porte-parole diversité au Medef : « Avec les lois actuelles, les entreprises n’ont plus trop le choix, mais leur démarche de lutte contre la discrimination est aussi largement motivée par des raisons purement économiques. On s’est aperçu qu’une diversité bien gérée était une source de performance et d’innovation pour l’entreprise. » Suivent - pour en terminer avec Le Point - deux papiers, le premier interview de deux pontes de L’Oréal chantant la politique de diversité du groupe2 et le second revenant sur les magnifiques pratiques en matière d’égalité des chances d’EDF, de La Poste et de SFR, entreprises évidemment exemplaires.

Ce qu’il faut en tirer ? Pas grand chose, au final. Si ce n’est noter que le combat pour la diversité est aussi bien vu chez le très réac Point que dans les plus tentaculaires entreprises ; que la diversité est présentée comme une « source de performance », comme une façon d’accroître sa productivité ; que les entreprises ont compris, en somme, que céder à l’impératif (tout à fait salutaire, hein) de diversité était positif, aussi bien en terme d’image qu’en matière de résultats.

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Justement (le monde est bien fait quand même…) : c’est précisément ce que pointe Walter Benn Michaels, professeur de littérature à l’université de Chicago, dans La Diversité contre l’Égalité. En ce bref essai (150 pages publiées en France aux bourdieusiennes éditions Raisons d’agir), l’homme avance une thèse principale (et se répète ensuite beaucoup, il faut bien l’avouer) : le combat pour la diversité n’est qu’un leurre. En le ralliant, les forces de gauche ne font que servir l’idéologie néo-libérale, souffler dans le sens capitaliste. Un point de vue valant surtout pour une gauche américaine - si tant est qu’elle existe… - qui, depuis qu’elle a enfourché au début des années 1980 la diversité comme (presque) unique cheval de bataille, sert, par sa sensibilité aux revendications des minorités et son ralliement à la politique de discrimination positive3, la mise au pas néo-libérale.

Une précision d’importance, déjà : Michaels ne remet pas en cause la nécessité de lutter contre le racisme ou le sexisme (entre autres), non plus que de corriger les inégalités héritées d’une histoire torturées. Il constate simplement qu’une gauche ne reposant plus que sur cet axe-ci fait logiquement l’impasse sur la question sociale. Qu’elle ne remet plus rien en cause : devenue, « département des ressources humaines de la droite », elle se contente de gérer un monde mal foutu. Et que rien ne sert (sinon aux intéressés) que quelques représentants des minorités soient autorisés à tirer les marrons du feu néo-libéral et à rejoindre les élites si - en même temps - s’accroissent la pauvreté et les inégalités. Un exemple, ici : Walter Benn Michaels reproduit la courbe de l’inégalité économique aux États-Unis pendant les soixante dernières années ; constatant que c’est « à la fin des années 1970 que la courbe commence à monter en flèche », il remarque que c’est aussi à cette période que se situe le tournant néo-libéral et que s’impose « l’affirmative action » ; et écrit :

Mon intention ici n’est évidemment pas de soutenir que la discrimination positive (ou l’engagement pour la diversité en général) accroît les inégalités. Mais plutôt de montrer que la conception de la justice sociale qui sous-tend le combat pour la diversité - nos problèmes sociaux fondamentaux proviendraient de la discrimination et de l’intolérance plutôt que de l’exploitation - repose elle-même sur une conception néolibérale. Il s’agit d’ailleurs d’une parodie de justice sociale qui entérine l’élargissement du fossé économique entre riches et pauvres tant que les riches comptent (proportionnellement) autant de Noirs, de basanés et de Jaunes que de Blancs, autant de femmes que d’hommes, autant d’homosexuels que d’hétérosexuels. Une justice sociale qui, en d’autres termes, accepte les injustices générées par le capitalisme. Et qui optimise même le système économique en distribuant les inégalités sans distinction d’origine ou de genre. La diversité n’est pas un moyen d’instaurer l’égalité ; c’est une méthode de gestion de l’inégalité.

À l’appui de cette thèse, sujet sur lequel Michaels est particulièrement convaincant puisqu’il le maîtrise sur le bout des doigts, l’exemple des université américaines, « genre de supermarchés pour riches » où l’affirmative action est censée jouer un rôle de premier plan. Une fiction plébiscitée par les autorités éducatives comme par les étudiants en ce qu’elle permet de faire accroire que ces lieux en fait accessibles aux seules « élites » sociales accueillent quiconque le mérite. « Elle est la garantie que toutes les cultures seront représentées sur le campus et que personne ne sera pénalisé injustement à cause de son appartenance à telle ou telle d’entre elles ; elle permet donc à tous les étudiants blancs de considérer qu’ils ne doivent d’être là qu’à leur mérite (…), écrit Michaels. Le problème avec la discrimination positive, ce n’est pas qu’elle viole (…) les principes de la méritocratie ; le problème, c’est qu’elle génère l’illusion qu’il existe une véritable méritocratie. » Un baratin - l’université est accessible à tous - qui sert d’abord à faire oublier que, par exemple, Harvard compte 90 % de ses étudiants issus de familles disposant de revenus supérieurs au médian annuel familial moyen américain. De la même façon que - plus près de nous - la prestigieuse école Sciences-Po Paris, business-school à la française, a mis en place des conventions pour intégrer à son cursus quelques élèves issus de banlieues : il ne s’agit pas de réellement se diversifier, simplement d’en donner l’illusion. Là-aussi, pour reprendre les mots de l’auteur de La Diversité contre l’Égalité, c’est « un pot-de-vin collectif (réglé) pour pouvoir continuer à ignorer la question de l’inégalité économique ».

Pour Walter Benn Michaels, une seule solution : que la gauche le redevienne. Qu’elle redevienne offensive en matière sociale. Qu’elle fasse de la revendication à l’égalité le seul ferment de son action. Ce que disait déjà Bobby Seale, cofondateur du Black Panther Party, à la fin des années 1960 : « Ceux qui espèrent obscurcir notre combat en insistant sur les différences ethniques aident au maintien de l’exploitation des masses, c’est à dire des Blancs pauvres, des Noirs pauvres, des bruns [Hispaniques], Indiens, Chinois et Japonais pauvres, bref de l’ensemble des travailleurs. (…) Nous ne combattrons pas l’exploitation capitaliste par un capitalisme noir. Nous combattrons le capitalisme par le socialisme. »

Voilà. Tout n’est pas si convaincant dans un livre qui mériterait - de toute façon - une beaucoup plus longue et fouillée recension (la flemme, la flemme…). La façon dont Walter Benn Michels colle, en une introduction à l’édition française, le modèle américain sur le nôtre est beaucoup trop expéditif pour être réellement crédible : sa connaissance de la société française est très limitée et son affirmation, par exemple, que « la droite néo-libérale se moque du vieux concept raciste d’identité nationale » - assertion qui lui permet de mettre en un même sac de chantre de la diversité la droite et la gauche néolibérales - plus que contestable. L’homme se répète en outre beaucoup, et a écrit en 150 pages ce qu’il aurait pu formuler en cinquante. Enfin, il s’est attiré de très vindicatives - et logiques - critiques de ceux qui font des luttes minoritaires le ferment d’un éventuel changement : la Revue Internationale des Livres et des idées a ainsi descendu en flèche l’ouvrage, en un article de Jérome Vidal brillant mais tout aussi contestable (notamment dans le choix, très marqué par la mauvaise foi, de quelques rares citations de Walter Benn Michaels) que ce à quoi il s’attaque.
En ce qui me concerne, je retiens de l’ouvrage ce qui me plait, soit la nécessité de placer l’exigence de l’égalité au centre de toute revendication politique ; rien de neuf, donc, mais c’est brillamment formulé. Je laisse par contre au Point sa glorification d’une diversité alibi, n’ayant d’autre but que de servir les intérêts des grandes entreprises et destinée à faire accroire que celles-ci ont une quelconque conscience de leurs devoirs et responsabilités. Argent, profit, résultats : elles n’ont que ça en tête. Et peu leur chaut, évidemment, que cet argent, ces profits et ces résultats soient générés par des Noirs, des Jaunes, des Blancs ou de petits hommes verts à pois rouges.



1 Image piquée sur le site Arrêt sur Images, qui a publié il y a quelques un article sur ce mini-dossier du Point : Discriminations : Le Point positive. Le chroniqueur Sherlock, qui n’évoque pas Walter Benn Michaels, pointe en revanche le côté alibi d’un dossier n’ayant à l’évidence d’autre objectif que de « placer des publicités bien ciblées » : « Entre chaque article du dossier s’intercale une publicité pour une entreprise qui vante la diversité de son recrutement ». Tu peux le lire ICI si tu es abonné.

2 Une prétention assez piquante pour qui se souvient qu’Eugène Schueller, fondateur de la société, était l’un des plus gros soutiens de La Cagoule dans les années 1930 et qu’il fut l’un des responsables du collaborationniste Mouvement social révolutionnaire ; après-guerre, L’Oréal a accueilli en son sein quelques anciens cagoulards aux mains pleines de sang ; heureux recyclage…

3 Que la Cour Suprême a rendue légale aux États-Unis en 1978, en autorisant « l’affirmative action » dans les universités américaines pour peu que celle-ci « serve les intérêts de la diversité ».


COMMENTAIRES

 


  • grâce à article 11 qui lit les bons livres pour moi et m’en fait une brillante synthèse je peux avoir l’air cultivé sans trop me fouler - tout ce que j’aime ;-) - merci les gars

    Voir en ligne : http://rue-affre.20minutes-blogs.fr/



  • J’ai toujours eu la désagréable impression que le « respect de la diversité » était une formule à peu près aussi creuse que celle de « développement durable ». Le côté légèrement publi-reportage du dossier du Point ne va pas me faire changer d’avis.

    Je n’ai pas lu Walter Benn Michaels, mais il semble clair que les exigences manageuriales peuvent bien composer avec la diversité, mais pas du tout avec l’égalité.

    (M’enfin, vous n’y pensez pas ! C’est naturel, l’inégalité !)

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • « M’enfin, vous n’y pensez pas ! C’est naturel, l’inégalité » (si cela est bien de l’ironie) : oui, l’inégalité est naturelle ; ce qui l’est moins, c’est l’inégalité des droits. L’inégalité est une composante nécessaire à l’individuation et à l’identité (*).

      La perversité de la politique des quotas, comme celle de l’égalité absolue des personnes amène à mettre de côté l’égalité des droits au profit d’une égalité comptable. Cette égalité comptable tient lieu et place de l’égalité juridique.

      Ce respect de la diversité dont il est question ici est donc tout aussi perverse, puisqu’il utilise une méthode similaire ; la diversité ne peut exister dans l’entreprise tant que l’individu n’y a pas sa place. Hors, et l’actualité nous le démontre, l’individu et l’émancipation réelle de celui-ci y est assassinée, au sens propre ; donc, changer ou non la couleur moyenne des employés ne changera rien à cette réalité.

      Le respect de la diversité passe avant tout par le respect de l’individu, ou, dit de façon plus diplomatique, respecter l’individu et la diversité apparaitra toute seule. Nous en sommes donc très, très loin, dans l’entreprise comme ailleurs. Cdt, v/

      (*) : différencier ne veut pas dire valoriser.

      • @ Guy M : on est d’accord, il y a ce même genre - dans développement durable et diversité - d’exigences aisées à satisfaire sans rien remettre en cause, sans changer grand chose au système.

        « Je n’ai pas lu Walter Benn Michaels, mais il semble clair que les exigences manageuriales peuvent bien composer avec la diversité, mais pas du tout avec l’égalité. »

        Exactement. Et c’est d’ailleurs aussi un des points faibles de l’ouvrage : cette thèse, il la répète à foison, encore et encore, et la délaye beaucoup. Sans doute que l’ouvrage eut pu être beaucoup plus court sans perdre grand chose de sa force.

        @ v/ : « (si cela est bien de l’ironie) »

        Bien entendu que c’en est. Je ne peux que t’encourager à visiter l’excellent blog de Guy M, tu pourras vérifier que son taulier marie parfaitement justes combats, plume alerte et sens de l’ironie (justement).

        Mais c’est bien le seul point - à mon sens - qui soit faux de ton commentaire. Pour le reste, tout d’accord. Et particulièrement ce passage :

        « la diversité ne peut exister dans l’entreprise tant que l’individu n’y a pas sa place. Hors, et l’actualité nous le démontre, l’individu et l’émancipation réelle de celui-ci y est assassinée, au sens propre ; donc, changer ou non la couleur moyenne des employés ne changera rien à cette réalité. »

        Pas mieux. :-)



  • L’ouvrage de Walter Benn Michaels est une imposture !

    Vive l’Egalité et tant pis pour la discrimination ?

    • Le billet pointe - à juste titre - les parallèles que dressent Benn Michels, en introduction à l’édition française, des situations françaises et américaines. Je suis plutôt d’accord.
      En déduire que l’ensemble de l’ouvrage est une imposture me paraît beaucoup plus contestable : sa lecture de la situation américaine (soit la très grande partie de l’ouvrage) est plus que convaincante, voire brillante.



  • dimanche 1er novembre 2009 à 07h59, par jediraismêmeplus

    Ce livre a l’air de tomber pile car l’élection de Obama prouve bien que le système états unien peut favoriser l’élection d’un candidat « de la diversité » du moment qu’il appartient à ce système et qu’il ne parle pas des sujets qui fâchent.

    Un candidat aux élections présidentielles aux US commencerait à être dangereux s’il mettait au premier plan les inégalités sociales et la lutte des classes, et ce genre de candidat est tout de suite écarté. La subversion politique aujourd’hui c’est de poser les problèmes en terme de classes sociales. C’est la seule chose que les néo libéraux ne peuvent pas récupérer.



  • Déduire, d’un peu de bullshit communicationnel, que les entreprises (et le Point) adorent la diversité, que les discriminations ne sont plus un problème, que les luttes minoritaires n’ont plus lieu d’être, c’est d’une naïveté, ou d’une mauvaise foi (ou d’une... flemme ?) consternante.

    Puisque tu parles de L’Oréal, je te signale cet article qui invite à voir ce qu’il en est réellement de leur politique dans ce domaine :
    Les « Nations unies de la beauté » ?

    C’est faire un trop beau cadeau à ces boîtes de tomber comme ça dans le panneau.

    Et d’où sort cette idée que « la conception de la justice sociale qui sous-tend le combat pour la diversité » serait que « nos problèmes sociaux fondamentaux proviendraient de la discrimination et de l’intolérance plutôt que de l’exploitation » ? Ils proviennent de la discrimination ET de l’exploitation, que les luttes minoritaires prennent toujours en compte. Parfois les deux se cumulent, et parfois pas. Mais elles doivent être combattues toutes les deux.

    Voir en ligne : Les « Nations unies de la beauté » ?

    • « Déduire, d’un peu de bullshit communicationnel, [...], que les discriminations ne sont plus un problème, que les luttes minoritaires n’ont plus lieu d’être, c’est d’une naïveté, ou d’une mauvaise foi (ou d’une... flemme ?) consternante. »

      Tu as tout à fait raison. Le seul truc c’est que personne ne dis ça, ni JBB ni WBM.

      • @ Mademoiselle : je ne peux que rejoindre CaptainObvious, je n’ai jamais écrit ça. Le dossier du Point me donnait juste une opportunité d’aborder le livre de Walter Michaels : en gros, ça me faisait une intro adaptée.
        D’ailleurs, si tu arrives à lire, où que ce soit sur ce site et sous ma plume, que les luttes minoritaires n’ont plus lieu d’être, je te remets une grosse médaille et je ferme boutique. Autant pour la « naïveté (…) consternante », donc.

        « Et d’où sort cette idée que »la conception de la justice sociale qui sous-tend le combat pour la diversité« serait que »nos problèmes sociaux fondamentaux proviendraient de la discrimination et de l’intolérance plutôt que de l’exploitation«  ? »

        Elle sort d’une analyse opérée en un cadre précis, la société américaine. C’est sur ce point qu’elle est valable et que la démonstration est convaincante. Tous ceux qui - et ils sont nombreux - attaquent Benn Michaels sur son essai le font pour son introduction à l’édition française, soit 20 pages qui sont clairement de commande et ne sont pas du tout pertinentes : notre société n’a rien à voir avec celle des Etats-Unis, la problématique de la diversité n’a rien à voir en ces deux pays. J’écris d’ailleurs dans ce billet combien j’estime que son analyse n’est pas copie-collable pour la France.

        « Ils proviennent de la discrimination ET de l’exploitation, que les luttes minoritaires prennent toujours en compte. »

        Tout à fait d’accord. Je n’ai fait que présenter la thèse d’un ouvrage, je n’ai jamais prétendu la faire mienne. À mon sens, oui : les luttes minoritaires ne sont pas à remise au placard, du moment qu’elles ne se perdent pas en elles-mêmes et qu’elles gardent la conscience de s’inscrire dans une lutte globale. C’est loin d’être toujours le cas, malheureusement.

        @ CaptainObvious : merci :-)



  • L’ouvrage est non seulement tendancieux en voulant disqualifier les luttes des « minorités » (puisqu’elles participent à l’exploitation capitaliste), mais il est d’une bêtise affligeante. Il ne pouvait trouver des lecteurs qu’en France ! Aux États-unis, on sait depuis bien longtemps que la « question raciale » a structuré la société en profondeur dés la création de la nation américaine (la question indienne, noire etc…), aussi a-t-on mis finalement des dispositifs pour y remédier (droits civils, « affirmative action »), tandis que la lecture sociale en terme de « classe » n’a jamais vraiment pris aux États-Unis… Par ailleurs, il fait l’impasse sur l’ensemble de travaux apparus aux États-Unis qui vise précisément à articuler, à imbriquer les divers formes de domination (« classe », « race », « sexe »…), dont le « Black feminism » est l’ illustration la plus connue. Aussi en France, les thèses que défend l’ouvrage, en l’état, sont réactionnaires, car elles visent, en dernière instance, à reconduire « le même », la situation présente, l’ordre des dominants, à savoir le mythe de la République une et indivisible …Elles visent également à diviser les dominés entre eux en fractionnant et en opposant leur lutte…Quid de la question postcoloniale ? Quid de la banlieue et de ses habitants métissés et populaires ? Quid des Antilles et du poids de l’histoire ? Quid de la gestion de l’islam en France (burka, voile etc…) ? Quid du baratin sur « l’identité nationale » resservit ad nauseam aujourd’hui ?

    • « 
      ouvrage est non seulement tendancieux en voulant disqualifier les luttes des « minorités » (puisqu’elles participent à l’exploitation capitaliste) _ »

      C’est faux.

      Il y a 2 thèses dans le livre :
      1) les luttes pour la diversité sont compatible avec le capitalisme
      2)on ne peut pas lutter pour l’égalité comme on lutte pour la diversité.

      Il serait presque marrant de voir qu’aucun des critiques (du moins celle que j’ai lu) ne considère vraiment les thèses du livre mais commentent ce qu’ils pensent que l’auteur dit sans se référer au livre.

      « Il ne pouvait trouver des lecteurs qu’en France ! »

      Ah ouais ? il a fait un flop aux US ? T’as plus d’info ?

      « Aux États-unis, on sait depuis bien longtemps que la « question raciale » a structuré la société en profondeur _ »

      On le sait tellement que WBM a fait un livre dans lequel il explique qu’on ne peut comprendre la littérature des années 20 sans prendre en compte la question raciale. Et Il signale cet ouvrage dans ce même bouquin que tu critiques...

      la lecture sociale en terme de « classe » n’a jamais vraiment pris aux États-Unis…

      Ce n’est vrai qu’après la 1re CM (et probablement après les années 20). Et c’est justement l’objet de ce livre que de replacer la question sociale au coeur de la réflexion.

      « il fait l’impasse sur l’ensemble de travaux apparus aux États-Unis qui vise précisément à articuler, à imbriquer les divers formes de domination »
      « 

      Bin en même temps c’est un pamplet sur l’abandon de l’idée de lutte des classes au US, pas un ouvrage universitaire exaustif sur les différentes dominations.

      « 
      les thèses que défend l’ouvrage, en l’état, sont réactionnaires, car elles visent, en dernière instance, à reconduire « le même », la situation présente, l’ordre des dominants _ »

      Il vise tellement à reconduire l’ordre des dominants que le livre parle de lutte des classes du début à la fin.

      « la question postcoloniale ? Quid de la banlieue et de ses habitants métissés et populaires ? Quid des Antilles et du poids de l’histoire ? Quid de la gestion de l’islam en France (burka, voile etc…) ? Quid du baratin sur « l’identité nationale » resservit ad nauseam aujourd’hui ? _ »

      Comme la question un peu plus haut, ce n’est pas une liste des differentes opressions qui existent. et WBM parle des US pas de la France (sauf dans une intro - qui aurait du être une préface- dans laquelle on ne voit pas trop ou il veut en venir).

      Des fois je me demande si ceux qui critiquent le livre l’ont lu.

      • Comme à l’habitude dans ce type de débat la mauvaise foi est de rigueur. Tu évacues le fond du problème. A savoir : « pourquoi un livre qui parle des réalités américaines, très spécifiques, a-t-il du succès en France, qui a, elle aussi, une histoire particulière ? ». Si la question de la « lutte des classes » peut paraître original aux Etats-unis, elle fait partie des meubles en Europe ; par contre la « question raciale » qui est centrale aux États-Unis (cfr Tocqueville, WEB Dubois…) est totalement « occultée » en Europe (en France, en particulier, depuis l’aventure pétainiste). Et c’est bien au « retour de refoulé » de celle-ci qu’on assiste aujourd’hui (notamment la question postcoloniale)… Ma réponse est qu’il permet de reconduire les choses en l’état (le mythe de la République et tout le toutim…). C’est donc un livre alibi, qui, dans le contexte Français, ne questionne rien du tout, il flatte ! Tandis qu’il occulte, fait l’impasse sur les débats le plus intéressants qui se sont déroulés aux USA ces quarante dernières années, dont les Français n’ont aucune idée…. Aussi, sous ses dehors « révolutionnaire », dans le contexte français, c’est un livre réactionnaire, qui plait beaucoup à cette gauche française au bout du rouleau, et cela n’est pas un hasard….



  • Merci pour votre article.

    Sur le livre de Walter Benn Michaels, lire aussi cette excellente analyse de Gilles D’Elia :

    « Chérir les identités pour ignorer les inégalités »

    qui replace le propos (américain) du livre dans le contexte français. Presque un complément nécessaire au livre.



  • Le moins que l’on puisse dire, comme chacun peut vérifier, c’est que l’article de Vidal dans La Revue internationale des livres et des idées cite longuement et précisément le livre de Benn Michaels, je trouve qu’il est tout à fait abusif de parler de mauvaise foi, d’autant plus que Vidal accorde sans hésiter à Benn Michaels qu’il y a des usages politiquement plus que douteux de la diversité (en ce sens, l’article du Point est autant une confirmation de l’article de Vidal que du livre de Benn Michaels). Le problème, c’est surtout que le bouquin de Benn Michaels veut opposer toutes les luttes antisexites, antiracistes, etc. (comme si celles ci étaient réductibles à une revendication de « diversité ») aux luttes sur le terrain économique. C’est là la vielle antienne des staliniens, simplement recyclée au goût du jour !

    Voir en ligne : Pour lire l’article de Vidal et un bon résumé du Walter Benn Michaels



  • Personnellement je préfère cet autre article de Gilles D’Elia, qui raconte l’exact inverse de celui signalé par « Alice » :

    Voir en ligne : La défaite de la pensée souchienne

    • ... « Agnès », pardon.

      • Et bien ces empoignades auront montré que les patriotes de la diversité sont au moins aussi cons que les patriotes du terroir !

        Ce que l’on savait déjà...

        Drappés et enroulés dans leurs drapeaux !... Répugnant !!!

        Salud y pesetas

        • Merci pour ces liens.

          C’est moi qui est posté le premier lien vers l’article « Chérir les identités pour ignorer les inégalités » de G. d’Elia.

          Certes l’article sur « la pensée souchienne » dit exactement le contraire de l’article sur Walter Benn Michaels.

          Certes... ils sont signés tous les deux par le même auteur.

          MAIS : L’article sur Benn Michaels a été écrit beaucoup plus tard.

          Comment interpréter cela ?

          Je crois que c’est très clair : l’auteur a réfléchi à son premier texte, s’est confronté aux gens dont il parle, etc... et a fini par se rendre compte qu’il s’était trompé. Alors, plutôt que de défendre malhonnêtement son erreur passée, il préfère avouer qu’il s’est trompé (ce qu’il fait, à la première personne, dans son article sur Benn Michaels).

          Eh bien : moi, je trouve que c’est tout à son honneur, à ce monsieur d’Elia ! La plupart, par peur de se contredire, préfèrent passer leur vie à défendre les bêtises qu’ils ont dites, auxquelles ils ne croient plus, mais qu’ils n’ont pas le courage de démentir. Lui c’est le contraire : non seulement cela ne discrédite pas son article sur Benn Michaels, mais son honnêteté me donne envie d’accorder encore plus de confiance à ses arguments.

          • « Je crois que c’est très clair : l’auteur a réfléchi à son premier texte, s’est confronté aux gens dont il parle, etc... »

            Ouais... Tu t’es disputé avec Houria, quoi !

            • Précision : bien que je ne sois pas l’auteur de Relectures, je lis, textuellement, dans l’article en question :

              « ...Par exemple, Houria Bouteldja, pourtant sincèrement engagée dans la lutte contre le racisme , répondait récemment à une interview en ces termes... »

              Si ce que vous dites était vrai, et que l’auteur se soit « disputé avec Houria », il faudrait croire, en lisant son article, qu’il s’est aussi disputé avec Sadri Khiari, Christine Delphy, Alain Badiou, Nellie Dupont et Sylvie Tissot, Raphaël Confiant, C S P... et même Nicolas Sarkozy !

              Il est un peu trop facile de ramener tout problème critique à une dimension subjective et personnelle. C’est d’ailleurs ce que d’Elia dénonce clairement au début de son article : on ne doit pas élaborer de théorie avec sa rancœur, mais avec des moyens critiques.

              Mais le mieux serait peut-être que le prinicipal intéressé vienne ici s’expliquer lui-même sur ce sujet ?

              • 100 % d’accord avec toi Agnès ! Relectures a changé (en bien, à mon sens) sur beaucoup de points, et je ne crois pas que ce soit lié à des disputes ou à des raisons personnelles. Il n’y a pas que sur les Indigènes que Gilles D’Elia s’est autocritiqué. Il avait publié un article très favorable à Alain Badiou. L’article a été supprimé de son site Relectures, mais on le trouve encore sur d’autres sites, par exemple ici ou .

                Et dans son dernier article, Gilles D’Elia fait son autocritique sur Badiou, en écrivant : « Comme beaucoup, j’avais d’abord pensé que l’élection de Nicolas Sarkozy relevait de quelque vieux réflexe « pétainiste » ; et tous les discours de gauche ne faisaient que conforter ce sentiment, tellement évident qu’il avait permis à un réfléchisseur douteux comme Alain Badiou d’en faire un best-seller. »

                Va-t-on dire qu’il s’est disputé avec Alain Badiou ??? Il faut arrêter de dire n’importe quoi pour (tenter de lâchement) discréditer toute argumentation. Il y a des gens ou Houria Bouteldja (ou comme Badiou, ou même Mona Chollet, que j’apprécie pourtant) qui passeront leur vie à se faire les avocats de ce qu’ils ont dit ou écrit dans le passé, même si ça les mène dans une impasse de plus en plus étroite, plutôt que de se remettre en question. Mais pour ma part, et comme toi Agnès, je trouve beaucoup plus courageuse la démarche qui consiste à se remettre en question et à devenir son propre procureur plutôt que son propre avocat.

    • J’ai parcouru très rapidement l’article, il ne me semble pas contradictoire avec celui cité par agnès, le sujet semble différent.

      Par contre j’ai l’impression que je le seul à trouver le mot souchien aussi pourri que bougnoule, négro ou youpin....



  • Société de merde qui découvre les « bienfaits de la diversité » uniquement lorsque les entreprises y décèlent un « vecteur de performance », c’est-à-dire une source supplémentaire de profits.



  • De toute façon que ce soit, l’écologie, les loisirs, les ONG, la culture, la santé...et donc la diversité, le capitalisme tentera toujours de tout récupérer pour en faire du fric. Bien aidé en cela par la droite (mais là rien que du normal) mais aussi par la « gauche » des beaux quartiers et des rentes de situation.



  • Walter Benn Michaels a raison.

    Article 11 a raison.

    Et Relectures aussi.

    Allez jeter un oeil ici :

    http://www.diversite09.com/

    extrait :

    « Cette année, la thématique mise à l’honneur sera la Diversité et l’Entreprise. Sous le haut patronage de Monsieur Nicolas SARKOZY, Président de la République »

    • Walter Benn Michaels a tort.

      Article 11 a tort.

      Et Relectures aussi.

      Allez jeter un oeil ici :

      http://www.debatidentitenationale.fr/

      • Mais justement, ce sont les deux facettes d’une même stratégie, comme G. d’Elia le note :

        « Comme beaucoup, il avait d’abord pensé que cette élection relevait de quelque vieux réflexe « pétainiste » ; et tous les discours de gauche ne faisaient que conforter ce sentiment, tellement évident qu’il avait permis à un réfléchisseur douteux comme Alain Badiou d’en faire un best-seller. Mais cette interprétation, pour séduisante qu’elle fut, s’avérait finalement bien faite pour à la fois rassurer la « droite de droite » et tromper la « gauche de gauche ». (...)

        Nicolas Sarkozy est bien plus le soldeur de la république qu’une graine de dictateur ; c’est l’homme qui a dit en substance aux français : comparez ce que vous coûte l’idéal républicain, et ce qu’il vous rapporte. Qu’avez-vous à faire d’un idéal qui vous demande de sacrifier à sa lubie égalitaire et fraternelle vos libertés de croyances, de religions, vos cultures, vos mœurs, vos identités ? Ne voyez-vous pas que ce projet de République a échoué ? Dès lors, pourquoi devrions-nous faire tant de concessions à un projet avorté ? Ne gardons de la République que le folklore — (et c’est là que la création d’un « Ministère de l’identité nationale » prend tout son sens) — et que chacun fasse ce que bon lui semble sans s’encombrer de ces vieilles chimères, en échange de quoi l’idéal républicain ne viendra plus vous demander des comptes. Dans un discours prononcé en décembre dernier, Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République déclarait : « Nous allons construire un parti pour résister à l’intégration par l’oubli, un parti pour maintenir vivantes nos cultures et nos croyances, ce sera ça ou notre disparition morale et collective, ce sera ça ou la perte de nos histoires et de nos identités (...) Notre parti refusera toutes ces injonctions contradictoires par lesquelles on nous piège. Nous refuserons d’avoir à choisir entre cette vie moderne et nos cultures, entre cette vie moderne et la foi. » Nicolas Sarkozy est l’homme qui lui répond : D’accord ! Tout le monde y gagne, et c’est bon pour les affaires.

        C’est cette alliance sourde et ambigüe que Walter Benn Michaels a parfaitement saisie : « En fait, à mesure que la question de l’identité nationale affermit son emprise sur la vie intellectuelle française — qu’on la promeuve (le président de la République) ou qu’on la combatte (les Indigènes de la République) —, on s’aperçoit que sa fonction principale consiste à faciliter, en le masquant, l’accroissement des inégalités qui caractérise le néolibéralisme à travers le monde », avant d’ajouter : « Dès lors, les Indigènes ont besoin de leurs Finkielkrauts et les Finkielkrauts de leurs Indigènes, et le néolibéralisme a besoin des deux à la fois pour qu’en France, comme aux Etats-Unis, les riches puissent continuer à s’enrichir et les pauvres à s’appauvrir. »

        Source : http://www.relectures.org/article19.html

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