lundi 4 octobre 2010
Sur le terrain
posté à 16h46, par
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Une certitude : le maintien de l’ordre à l’européenne se fait plus agressif à chaque manifestation anticapitaliste. Le sommet No Border, à Bruxelles la semaine passée, en est une parfaite illustration : arrestations illégales, interpellations de masse, violences policières, fichage généralisé, provocations en tout genre. Un « must » répressif. Récit d’une semaine de coups bas.
Saviez-vous que l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme garantit le droit de manifester ? Non ? Les autorités belges non plus apparemment. Ou alors : tout dépend des manifestants. Les participants au camp No Border2, organisé la semaine passée à Bruxelles, étaient visiblement du mauvais côté de la balance : eux ont eu droit à une répression généralisée. Indymédia a ainsi recensé près de mille arrestations durant la semaine. Dont un bon paquet à titre « préventif », avec de supposés participants chopés sans raison, juste parce qu’une manif se prépare et qu’ils sont coupables d’un délit de sale gueule. La force de l’arbitraire.
Toute la semaine, les activistes ont ainsi été arrêtés au petit malheur la malchance. Beaucoup ont subi un véritable flot d’insultes et de coups de la part des forces de l’ordre, avant d’être maintenus en cellule dans des commissariats, le temps d’être fichés, photographiés et humiliés. Se faire plaisir en cognant du « gauchiste » n’était sans doute pas l’unique ambition des flics ; accumuler noms et informations sur les militants dits radicaux - fichiers qui seront ensuite destinés à circuler dans les pays européens - reste à l’évidence leur but premier.
Toute la semaine, aussi, et sur un modèle désormais bien éprouvé, les médias belges ont mené un véritable travail de propagande et de désinformation, reprenant à leur compte thèses et constructions policières. À ce discours médiatico-officiel, les témoignages, vidéos et photos disponibles sur le net ont heureusement apporté la plus belle des réfutations. La matraque peut toujours faire reculer les manifestants, elle reste impuissante à mettre l’information libre au pas. Déjà ça. Pour le reste : sale époque.
Au jour le jour, compte-rendu
Samedi 25 septembre, le camp se met en place. Depuis la veille, des militants arrivent de toute l’Europe sur le site de Tour et Taxi, dans une gare de marchandises désaffectée bordée par un terrain vague.
Dimanche, première manifestation, pour commémorer l’assassinat de Sémira Adamu. Rendez-vous est donné devant lecentre fermé 127 bis, à Steenokkerzeel : à 14 h 30, environ 150 personnes sont présentes pour manifester contre la politique d’immigration européenne. Ainsi que le décrit un compte-rendu publié sur Le Jura Libertaire, la plupart subissent contrôles, fouilles et intimidations, tous étant copieusement filmés par la police (désormais une routine). Après quelques bousculades à la gare, 11 manifestants font les frais des premières arrestations administratives - ils sont relâchés quelques heures plus tard.
Mercredi, « Euromanif » - grande manifestation intersyndicale contre les politiques d’austérité, réunissant environ 100 000 personnes.
En début d’après-midi, première action : quelques joyeux trublions parviennent à bloquer l’entrée d’un bâtiment ou se tient une réunion de l’agence Frontex ; la police leur tombe rapidement dessus.
Pendant ce temps, en aval de la manifestation, les « arrestations préventives » commencent. Une quarantaine de clowns en font les frais, interpellés avant même que de parvenir au lieu de la manifestation, de même qu’une centaine d’autres activistes, carrément arrêtés alors qu’ils sortent du camp No Border. Affaibli, c’est au prix de grandes difficultés qu’un « bloc » anticapitaliste se forme en queue de cortège, près de Solidarnosc. Pas pour longtemps...
Un « trou » dans la manif poussant certains activistes à remonter le cortège, les flics en prennent prétexte pour encadrer le bloc et l’éloigner du gros des manifestants. Gazage et violences commencent réellement, les flics s’acharnant longuement sur certaines personnes tombées à terre - en témoignent ces images, particulièrement impressionnantes. Outre le comportement des forces de l’ordre, la vidéo donne à voir le scandaleux comportement de quelques responsables syndicaux, se démenant pour éviter tout mouvement de solidarité des autres manifestants envers ceux qui sont attaqués et parqués ; ainsi de ce « cadre syndical » s’affairant longuement au mégaphone, gueulant à quelques mètres de ceux qui se font tabasser : « Les policiers sont des travailleurs comme les autres. Gardez votre calme, restez calmes, on est tous des travailleurs, merde ! [...] Laissez tomber, franchement ! [...] Notre heure viendra plus tard, vous tracassez pas. Les policiers sont des travailleurs, laissez-les tranquilles pour le moment, ils font leur travail. » Une telle profondeur dans l’abjection se passe de commentaires.
Au rayon vidéo toujours, celle-ci et celle-là (à partir de 1’30) se révèlent toutes aussi instructives. Avec notamment - tout est dit - cette phrase « mythique » d’un flic expliquant à un manifestant, juste avant que les violences policières ne commencent : « Vous êtes complice de l’anarchie et de la destruction de tout, vous, monsieur ! » Eh oui, que voulez-vous, monsieur, chez ces gens-là...
Au total, ce sont environ 450-500 manifestants qui sont arrêtés ce jour-là, selon la Legal Team du No Border. Le lendemain, comme pour justifier ces arrestations massives, les colonnes de la DH (presse populiste et sécuritaire) affichent la photo d’un flic en civil, matraque télescopique à la main, cliché accompagné d’une légende d’une mauvaise foi absolue : « Certains manifestants étaient armés »... Les mêmes médias n’évoquent pas, par contre, les conditions de détention que les flics réservent aux manifestants ; il faut consulter les témoignages publiés sur le net, par exemple ici et là (en commentaires) pour en prendre connaissance. Édifiant.
Jeudi, après la terrible répression de la veille, le grand jeu organisé par Precarious United, initialement prévu en ville, est annulé. Au camp, les activistes récupèrent et pansent leurs plaies.
Vendredi, les actions se multiplient.
Le matin, 40 litres d’huile de friture rance sont déversés dans le hall de Sodexo « pour s’opposer a la collaboration active de cette entreprise avec la machine a expulser et le système d’exploitation capitaliste » (Indymédia). La façade de l’ambassade d’Italie morfle également, en réponse à la politique xénophobe menée là-bas.
Dans l’après-midi, des militants débarquent par surprise pendant une réunion de recrutement de la police, histoire de leur poser quelques questions. Trois personnes sont arrêtées, qui seront relâchées durant la soirée.
Une manifestation est ensuite prévue à 19 h dans le secteur de la gare du Midi ; mais un arrêté du bourgmestre (maire) de Bruxelles interdit - à l’heure et au lieu dits - toute réunion de plus de cinq personnes. Les abords de la gare sont sous contrôle policier constant, et les flics pratiquent à grande échelle la technique de l’arrestation préventive, toujours avec la même violence. Ceux qui parviennent à passer entre les mailles du filet déambulent ; chacun se reconnait, tout le monde attend, sans trop savoir quoi. Jusqu’à un mot, qui passe de bouche en bouche : il faut se disperser et se retrouver deux heures plus tard Porte de Hal.
Las : au rendez-vous, les flics sont à nouveau partout, l’action est annulée. Le bar qui fait l’angle de la place est plein d’activistes - certains subiront des arrestations arbitraires aux alentours, d’autres seront interpellés en rentrant au camp. Alors que nous patientons devant une bière, quelqu’un passe donner un autre point de rendez-vous, 20 minutes plus tard, place du Jeu de Balle ; ambiance bizarre, personne ne sait s’il faut suivre. Tergiversations. Nous partons finalement à deux, en éclaireurs, voir ce qu’il se passe. On est à la bourre et, juste avant d’arriver sur la place, nous croisons des camions de flics passant à toute pompe, sirènes hurlantes. Puis, un coup de fil : « N’y vas surtout pas, j’ai des infos, barrez-vous de là le plus vite possible. » Demi-tour. Un camion de flics ralentit à notre hauteur, roule au pas quelques secondes et repart en trombe ; d’autres militants à fouetter, probablement...
En effet, ils avaient à faire. Le lendemain, on apprend que le commissariat jouxtant la place a été attaqué ce soir-là par une cinquantaine d’activistes - en réaction à une semaine de violences et d’abus policiers. Quatre personnes sont arrêtées, qui étaient dimanche soir encore détenues.
Samedi, grande Manif No Border, la seule qui a finalement pu avoir lieu sans heurts. Déclarée, et du coup tolérée. Samba et clown déchainés - pour montrer qu’on ne se laisse pas abattre3 - et un sacré cortège : plus de 1 300 personnes sont présentes. Une immense bannière est déployée entre deux réverbères, sur le boulevard Anspach, en plein centre de Bruxelles, non loin de la Place de Brouckère. Les flics sont présents en nombre, mais ne bougent pas cette fois-ci. La manifestation se termine au parc Maximilien. Micro libre. Témoignages. « Lui se battait pour avoir des papiers, il est mort il y a une dizaine de jours. Vous, vous devriez tous brûler vos papiers. Brûlez tous vos papiers. C’est la seule chose à faire. »
Quelques photos de la manif du samedi
NDR : Article modifié le mercredi 6 octobre : le jeu du jeudi matin n’était pas organisé par les clowns, mais par Precarious United.
Trois articles en rapport publiés sur le site :
Entretien avec Alain Charlemoine, une des « figures » de No Border.
Compte-rendu d’une récente manif No Border, surfliquée, à Paris.
Entretien avec David Dufresne autour des pratiques et théories du maintien de l’ordre.
1 Cette photo et celles placées en fin d’article ont été prises par Cédric Libeert lors de la manifestation finale, celle du samedi. Un grand merci à lui.
2 Pour ceux qui voudraient se rafraichir la mémoire sur le No Border, c’est ICI.
3 Bien que la question de la manifestation en soi et de ses raisons puisse se poser, comme en témoigne le texte collectif suivant.