ARTICLE11
 
 

mardi 21 octobre 2008

Le Cri du Gonze

posté à 10h30, par Lémi
10 commentaires

Courrier de l’au-delà. M. Emile Zola, de Paris, nous écrit à propos des banlieues.
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Parfois, je me dis qu’on m’a confié le mauvais siècle pour exercer mes talents. Il y aurait tant de choses à dénoncer en votre époque, tant de romans à écrire : les Rougon Macquart s’y épanouiraient, prospéreraient comme la vermine sur le lit du moribond. La mienne, d’époque, ne manquait certes pas de moteurs à indignation : la pauvreté et la misère étaient si prégnantes. Mais il y avait l’espoir, au moins.

Il n’y avait pas cette abjecte abdication collective, cette saleté défaitiste qui imprègne vos esprits et enraye vos légitimes indignations. A l’époque, j’avançais, je croyais en mes combats. Je n’étais pas seul. Changer les choses était possible, mon J’accuse l’a prouvé, mes livres l’ont démontré. De vos jours, qui se fait porte-parole des laissés pour compte ? Qui relaye leur déshérence et prend position contre les injustices ?

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Il me semble que plus personne ne dénonce. Ne souligne avec ambition le véritable scandale, qui, aux portes de vos villes, sous vos ponts, au cœur de vos quartiers, a pris ses aises.
Un siècle est passé qui a vu l’indifférence à la misère des autres chaque jour s’enraciner. Désormais, c’est admis : il y a ceux qui grassement s’empiffrent, consomment, jouissent ; et les autres qui croupissent dans des zones de non-droit crépusculaire. Vos banlieues sont des prisons à perpétuité : on y naît, on y meurt, on s’y entasse sans espoir, on s’y fait matraquer pour délit de couleur de peau. Marqué de ce sceau infamant, tatoué à vie, celui qui vient de ces modernes bagnes n’a plus air ni horizon : il s’étiole.

Chez les exclus de mon siècle, il y avait de la vie, quand même. Les vôtres, on ne leur laisse même plus ça. Condamnés dès la naissance à cet univers concentrationnaire qui n’a de « Cité » que le nom. Mes faubourgs parisiens grouillaient d’animation et d’agitation, même si malsaines et miséreuses. Toute humanité a déserté les vôtres.

En fin de compte, j’avais raison : l’hérédité de la misère et la génétique des laissés pour compte sont bien une réalité. Ceux qui possèdent toujours affament. Ceux qui ont le pouvoir s’y accrochent. Les tares sociales se perpétuent et la distribution des rôles ne change pas, ou si peu. Et ce que vous appelez le « problème des banlieues », étrange équation sans solution, est le meilleur exemple de cette hérédité souffreteuse : d’une génération l’autre, les même exclus y survivent, y souffrent et y meurent, dans l’indifférence générale.

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Même les intellectuels, même les écrivains ont abandonné ceux qui y vivent. Qui écrira le Germinal des banlieues ? L’Assommoir des barres d’immeubles ?

Si je revenais, si je reprenais la plume…

Étienne Lantier s’appellerait Abdel Kader ou Mustapha, il zonerait dans un univers gris béton, ses grèves seraient les parpaings balancés sur les voitures de la BAC, son terril serait une entrée d’immeubles peinturlurée de tristes tags Nike la police. Pas de souffle de vie, ni espoir d’amélioration. De petits trafics et d’éphémères emplois sous-payés pour seul futur. Les Rougon-Macquart à Villiers-le-Bel, à la Courneuve ou à Montfermeil. Une fresque familiale morbide et gris-béton.

Gervaise serait toxico, elle aurait lâché l’absinthe pour l’héroïne ou son substitut, son tragique destin scellé encore plus vite, l’Assommoir mis en branle dès ses vertes années.

Les charcutiers du Ventre de Paris prendraient les traits de vos financiers abjects, taillant dans la croupe d’une humanité flétrie de grasse portions de bénéfices. La Curée irait se nicher dans ces réunions du grand capital où les fauteurs de crise se partagent les bénéfices de leurs erreurs meurtrières. Les héros de La Terre, paysans miséreux essorés par la révolution industrielle, auraient émigré en ville. Là, ils se vengeraient en endossant les habits du CRS, du chasseur d’étrangers : ils matraqueraient pour se venger des coups du sort, provinciaux mesquins et revanchards, se déchargeant sur les plus faibles qu’eux et les victimes d’un exil encore plus lointain. Et Nana, la belle opportuniste, la putain ambitieuse, se réincarnerait sous les traits de la courtisane en chef, vautrée sur l’oreiller présidentiel.

Je suis mort trop tôt. J’aurais tant à dire.

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1 Zola aux outrages, tableau d’Henry Degroux, 1898. La position dreyfusarde ne fut pas forcément des plus confortables à assumer...

2 Zola par Edouard Manet


COMMENTAIRES

 


  • Yo mec

    Me suis trop tapé une barre avec tes histoires de ouf.

    Zyva fais tourner ta beuh ALZO.



  • magnifique, j’aime votre blog, j’aime son sinisme et son intelligence....mais ce billet est fabuleux...merci
    permettez moi de le relayer en vous citant sur mon forum

    http://sarkostique.xooit.fr/t7828-L...
    merci pour ces moments délicieux

    Voir en ligne : le plan banlieue



  • honte à moi, un gros oubli...bravo à lémi, auteur de ce billet...et surtout merci



  • Mon bon Emile, sais-tu qu’aujourd’hui tu ne pourrais pas t’exprimer puisque l’essentiel du temps et de la place sont occupées par de grands penseurs tels que Mrs BHL, Gluksman, Fienkelfraut, Adler, Sylvestre, Slama, Val,...! Désolé mais tu es bien trop ringard car tu ferais partie de cette gauche archaïque qui préfère la liberté à la sécurité, sans doute même serais-tu classifié parmi les islamo-gauchiste puisque inévitablement tu prendrais aujourd’hui la défense de sans papiers expulsés ou de tous les pommés de notre si belle démocratie. Non je t’assure Emile cela ne s’est pas amélioré, les loups sont toujours ici et leurs crocs plus acérés que jamais.

    • Le tableau que vous dressez est effectivement apocalyptique. En clair, je suis mieux là où je suis ?

      Vous savez, j’ai enduré pas mal de choses à cause de mes engagements. J’ai dû fuir en Angleterre après avoir été condamné à la prison pour mon J’accuse. J’ai été haï, détesté, trainé dans la boue. Je ne suis pas sûr qu’un intellectuel de vos jours se mettrait à ce point en danger. C’est juste qu’ils dorment. Ou que, pour les quelques qui restent, ceux qui ne courent pas après les honneurs et les projecteur, le pouvoir a su habilement les museler médiatiquement.
      N’empêche, elle n’est pas rose votre époque. La mienne ne l’était pas non plus, mais j’aurais parié qu’elle tournait vers le mieux, qu’il suffisait d’y mettre du sien. Faux calcul. Triste constat.

      Salutations,
      Emile.

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