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jeudi 29 janvier 2009

Littérature

posté à 08h05, par Lémi
8 commentaires

Hervé René Martin : « Eloge de la simplicité volontaire »
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Un peu de Thoreau pour le retour à une vie simple en harmonie avec la nature, une pincée d’acidité pour sa vision de l’écologie contemporaine et une plume plutôt convaincante. Le livre d’Henry René Martin n’est pas seulement une bible pour babos et bobos mous, c’est aussi un ouvrage passionnant et grouillant de pistes. Incursion en territoire pas si ennemi que ça…

« Cette nuit-là, je fis un rêve merveilleux. J’étais dans une rue de Belleville, promenant benoîtement Pépé, mon tatou domestique, quand soudain, du coin de la rue Rébeval, surgissait une horde de manifestants barbus et bien sapés. A leurs fringues chics, leur pilosité, leurs slogans babos-bobos ( »Le vert plutôt que l’enfer« , »Des Sushis moitié prix« , »Hulot est un héros"), je reconnus immédiatement cette nouvelle race d’écolos proprets, ceux qui roulent en smart hybride et se goinfrent de bio comme d’autres vont au Mc-Do. Des bourges mous sous perfusions Alain Souchon, qui se donnent bonne conscience avec des colifichets écolos, des rêves d’éoliennes et de Grenelles.
Pépé, à leur vue, se mit à gronder. Puis à enfler d’indignation, démesurément. Baudruche vengeresse. Une fois qu’il eut atteint la taille d’un ours de stature respectable, il rompit la laisse, et se jeta sur eux, festin bruyant. C’est seulement après que Pépé eût ingéré le dernier os du dernier manifestant, que je me réveillais, les yeux brillants. Merveilleux rêve.
"

(Janus Lumignons, Frictions, 2005)

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Entendons nous bien : si je me retrouve à chroniquer un tel livre, bourré de bienveillance écolo bouffie, c’est la faute des circonstances. Un ouvrage avec un tel nom1, en temps normal, jamais je ne l’aurais ouvert. Ne parlons même pas de l’acheter… En matière d’écolos nouvelle vague, ceux qui passent bien dans les émissions télé ou brillent au sein de commissions gouvernementales, je suis plutôt de l’avis d’Herr Grimaud tel qu’il l’a résumé avec limpidité dans son récent billet sur Ivan Illitch : « Pendons-les tous ! ». Rien de personnel, hein, plutôt un vague mais récurrent dégoût de voir de voir des gens si mous et incapables s’emparer d’un sujet aussi important, vampiriser des débats qui demanderaient une gniaque autrement féroce.

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Et donc, le livre en question, avec sa couverture écolo design et son titre genre resucée de Thoreau pour bobos passionnés de thé exotique, avait peu de chance de croiser mon chemin. Seulement voilà : l’ouvrage traînait dans le sac d’un compagnon de voyage quand les livres restant dans le mien avaient été depuis longtemps lus et relus. Essorés. Et devant la perspective de 36 heures de bus péruvien sans la moindre ligne à lire (les journaux du coin sont un peu comme « le Sun », le côté croustillant pervers en moins), j’ai fini par craquer et emprunter le livre, d’une main tremblante autant que coupable.
Et - Bloody Hell - je l’ai parcouru d’une traite. Sans rugir d’indignation ni molester mes accoudoirs. Avec, la plupart du temps, un sourire appréciateur aux lèvres. Alors, il a m’a bien fallu flancher, délaisser mes bien-aimés préjugés. Adoncques, je me colle bravement à la tâche.

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« Une personne heureuse ne consomme pas d’antidépresseurs, ne consulte pas de psychiatres, ne tente pas de se suicider, ne casse pas les vitrines des magasins, n’achète pas à longueur de journées des objets aussi coûteux qu’inutiles, bref, ne participe que très faiblement à l’activité économique de la société. »

(Hervé René Martin, « La mondialisation racontée à ceux qui la subissent »)

Hervé René Martin, malgré ce nom pourrave, est loin d’être à son coup d’essai en matière de vociférations écolo-acérées. Spécialiste reconnu de la critique de la mondialisation, il a commis plusieurs ouvrages sur la question, dont son livre le plus connu, « La mondialisation racontée à ceux qui la subissent », polar alter-mondialiste généralement décrit comme très convaincant. Partisan convaincu de la décroissance comme unique solution à nos impasses contemporaines, il fait aussi partie du comité de rédaction de la revue « Casseurs de Pub ». Ce n’est plus un tout jeune homme et, en matière d’écologie, il semble avoir perdu pas mal d’illusions. L’écologie à la Al Gore, Hulot, NKM ou Grenelle, celle qui œuvre par pincées dérisoires et contre-productives, maquillant le capitalisme - cette catin défraîchie - pour lui donner un visage plus présentable, suscite en lui plus de répulsion que d’approbation. Et l’état actuel des choses ne l’incite pas, c’est peu de le dire, à l’optimisme.

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Le début de l’ouvrage est consacré à une recension sans pitié de la saloperie globale, au Nord et au Sud. Le tableau est noir et les exemples s’enchaînent, plus ou moins symboliques, tous implacables. Partant d’une citation de Pasolini - « Il est clair que les biens superficiels rendent la vie superficielle. » - , il déroule un argumentaire difficilement réfutable sur le cercle vicieux induit par notre société de consommation, celle qui ne laisse pas de place à d’autres comportements que le goinffrage irresponsable :

« Désormais, vous n’êtes plus libres de ne pas consommer. Pour être moins ouvertement coercitive que l’obligation hier de travailler, celle aujourd’hui de consommer n’en est pas moins prégnante. »

Au sein de cette société qui pollue de plus en plus, qui n’arrive pas à se restreindre, les institutions internationales, sous couvert de régulation, jouent invariablement le jeu du libéralisme le plus sauvage :

« l’OMC n’est pas là pour réguler la loi de la jungle marchande mais pour enfermer la gazelle dans l’enclos en s’assurant que le tigre pourra y pénétrer sans difficulté. (...) Quant à celui qui jugerait mes propos outranciers, qu’il consulte la jurisprudence de l’organisme. Depuis sa création en 1995, tous les verdicts de l’OMC, à une exception près, ont donné raison aux firmes transnatioanales contre les états désireux de protéger l’environnement ou la santé de leurs citoyens. »

La pollution sauvage est la règle, le comportement collectif responsable l’exception qui jamais ne vient la confirmer. Et Hervé René Martin de citer cette pépite, citation de Laurence Summers, alors vice-président de la banque mondiale :

« J’ai toujours pensé que les pays sous-développés d’Afrique sont largement sous pollués : la qualité de l’air y est d’un niveau inutilement élevé par rapport à Los Angeles ou Mexico ».

Avant de s’acharner sur l’idée du progrès comme valeur inattaquable. Les gadgets technologiques, nouvelles servitudes, nous enfonceraient encore plus profondément dans nos prisons modernes. Et de citer le portable, drogue contemporaine :

« Cela fait près d’un demi-siècle que le progrès, source de libération que nul ne saurait contester au risque de se voir traiter d’intégriste, vous enjoint, au domicile comme au travail, de décrocher quand on vous sonne. Le portable étend donc ce surcroît de »liberté« aux derniers espaces auxquels il ne s’appliquait pas encore : le trajet entre la maison et l’usine, la promenade à la campagne… »

Un réquisitoire implacable et rondement mené, mais qui dévie rapidement. Confronté à cette situation sans issue, Hervé René Martin dévie vers une autre voie : ce n’est plus le monde qu’il veut changer, mais lui-même. Avec l’idée sous-jacente de se mettre en règle avec lui même, avec ses convictions profondes.
Car il l’avoue, l’apôtre de la décroissance a longtemps été un consommateur irréfléchi, frénétique, savourant la vie moderne au volant de son 4X4. C’est cela qu’il veut changer. C’est le sujet de ce livre.

Je ne m’attarderais pas sur les détails de cette mise au vert. Juste, il trouve un emplacement dans une haute vallée de l’Aude, construit une maison totalement écologique, met en place toute une batterie d’installations afin de réduire son empreinte écologique. Pour ceux tentés par la vie dans les bois, le livre regorge de détails pratiques, de conseils utiles. Pour les autres, des légers baillements pourront s’emparer d’eux à la lecture des meilleures techniques de torchi….
Mais, sur le fond, le livre reste assez passionnant. L’itinéraire d’un enfant du siècle qui, une fois la jeunesse passée, décide de renouer avec des valeurs ancestrales, sujet casse-gueule mais plutôt bien écrit. On échappe pas aux tartignolades à la Philippe Delerm sur les minuscules plaisirs d’une vie simple et naturelle, mais sans qu’ils n’envahissent outre-mesure ces pages.

Au final, ce qui sauve ce livre, c’est le regard acide d’Hervé René Martin, pas vraiment dupe de ses petits arrangements tardifs avec sa conscience. Et capable parfois de se montrer d’une surprenante persuasion.

« En fait, la décroissance m’apparait comme un concept purement pédagogique. Elle a le mérite de frapper les esprits et de remettre en lumière l’ineptie suicidaire sur laquelle repose la société industrielle et marchande. Mais chercher à l’inscrire dans un programme politique ayant si peu à voir avec ceux que nous connaissons aujourd’hui ne pourrait que conduire à son discrédit le plus total. Ce serait là encore discuter avec le diable. Comment comptes tu t’en sortir sans mon aide ? demande le diable, montre moi un peu les cartes que tu caches dans ta manche. Tu ne veux plus de croissance ? Bien ! Que proposes tu à la place ? Et il le demande avec une telle autorité qu’on ne peut imaginer ne pas lui répondre. Du coup chacun y va de sa proposition. Bien sûr, le diable dispose d’une batterie d’experts, des gars triés sur le volet capables de te démonter n’importe quelle théorie. Alors, tout le monde se lance dans la discussion, avance des chiffres, conteste ceux de la partie adverse, développe sa batterie d’arguments. Et pendant ce temps ? Tout continue comme avant et c’est autant de gagné pour le malin. »



1 « Eloge de la simplicité volontaire » ? Pourquoi pas « Ode au dénuement salvateur » ou « La première gorgée de bière bio et autres engagements minuscules » ?


COMMENTAIRES

 


  • jeudi 29 janvier 2009 à 09h35, par wuwei

    C’est en effet un livre pour les temps très « incertains » que nous vivions. Il peut permettre de nous éveiller à l’essentiel et ce n’est pas là son moindre mérite. Merci pour en avoir parlé aussi bien.



  • jeudi 29 janvier 2009 à 09h52, par Françoise

    « Une personne heureuse […] ne participe que très faiblement à l’activité économique de la société. »

    Ne serait-ce pas pour cela que nos chers dirigeants cornaqués par nos non moins chers gros industriels s’ingénient par tous les moyens possibles à nous rendre le plus malheureux possible ?

    Merci Lémi pour cet excellent compte-rendu de lecture.

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com

    • vendredi 30 janvier 2009 à 23h01, par Lémi

      On veut notre malheur c’est certain... Une seule solution : l’insouciance heureuse, le sourire rebelle dans l’adversité, genre bras d’honneur à la grisaille ambiente (je sais, je sais, c’est facile à dire quand on gambade sous le soleil en Amérique du Sud. Mais comme je rentre dans quelques jours en notre morose capitale, vais pouvoir mettre ma révolution par le Yahou à l’épreuve du gris...)
      Salutations altiplaniennes



  • jeudi 29 janvier 2009 à 11h10, par Balou

    En assistant à une conférence sur la décroissance dernièrement je me suis rendu compte de l’ultime perversité de cette société de consommation, la fameuse phrase « Vous critiquez, vous critiquez, mais qu’est-ce que vous porposez pour changer les choses ? » qui est dans de nombreuses bouches, même chez des gens biens qui sont conscients du bordel ;o)

    Or, cette phrase a deux sources :
     × L’une dans notre conditionnement culturel à toujours avoir tout clé-en-main, prêt à consommer. Même pour les idéologies de changement on en vient à exiger du pré-cuit, du prêt-à-porter, au lieu de se dire simplement : « Tiens, ce discours me parle, comment puis-je y apporter ma pierre. ». Le propre du changement proposé par ces courants de pensée, c’est le collectif. Or, le libéralisme a tué la notion du collectif (sauf sur un stade et encore). Du coup, quand un type arrive et propose : « J’ai un embryon d’idée pour changer les choses, mais si on y réfléchit ensemble on pourra l’aboutir », les gens ils disent « Non, t’es pas au point mon gars, reviens quand tu aura ton business plan, et moi je t’acheterais ton produit »

     × L’autre source est notre égo, tellement attaché à son confort qu’il invente inconsciemment des objections pour retarder le moment où il devra se mettre face à ses propres incohérences (par exemple « j’ai conscience que notre mode de vie cloche, mais j’achète tout de même quelques meubles chez Ikea, c’est quand même bien pratique »). Ce qui me confirme cette explication, c’est que souvent, les personnes qui demandent des « propositions concrètes » sont en colère... en général contre un gars plutôt sympa qui n’a rien fait d’autre que donner sa vision du monde avec laquelle le type en colère est pourtant d’accord..!!. Alors pourquoi s’énerver ??

    Voir en ligne : http://blog.bouddhas-egoistes.net/

    • vendredi 30 janvier 2009 à 23h12, par Lémi

      Tout à fait d’accord avec toi. D’ailleurs, Hervé René Martin insiste pas mal là dessus dans son bouquin, de manière convaincante. Pourquoi faudrait-il apporter un plan d’ensemble censément imparable et exhaustif à une question si complexe ? C’est finalement la meilleure manière de le rendre incomplet et expéditif. Alors qu’un travail collectif, sur le long terme, pierre par pierre, m’apparait beaucoup plus crédible et digne de confiance.
      Ce « mais qu’est ce que vous proposez concrétement ? », si répandu dès qu’on parle d’écologie (ou de politique tout court, d’ailleurs), serait une sorte de peste rhétorique, révélatrice de nos cerveaux formatés. (La lecture de ce bouquin forme un bon début d’antidote).
      En y pensant, d’ailleurs, me semble que le Grenelle est assez révélateur de ce genre de malformations : on balance un tas de mesure débiles, un genre de tout global malformé, et ca ne sert absolument à rien, voire ca dessert (et les gens applaudissent, convaincus qu’il y a eu une vraie avancée). Un genre de buisness plan pour sauver ce qui justement devrait être a mille lieux de toute forme de buisness. En clair, les cerveaux contemporains ne sont pas solubles dans les vraies solutions collectives, celles qui s’échafaudent progressivement. On est mal barrés...
      Salutations amicales



  • J’ai bien aimé la lecture de ce livre mais quel ne fut pas mon desarroi quand j’ ai appris que Mr Martin vendait sa maison qu’il avait construite de ses mains avec toute la passion qui l’a animé pendant la construction de celle ci.En tant que lecteur j’ai eu l’impression d’être floué sur la marchandise,on annonce une couleur et trés rapidement celle ci change pour virer du tout au tout.J’ ai du mal à comprendre ce changement.Si quelqu’un à des explications il peut me les donner se serait trés sympa.Merci ,à bientôt.

    • jeudi 26 novembre 2009 à 22h40, par un-e anonyme

      Hervé Martin ((qui sonne peut-être moins « pourrave » quand le nom est ainsi écrit par l’un de ses amis, ce qui n’enlève en rien la connerie incommensurable et purement gratuite sur ce point factuel de celui qui qualifie ainsi son nom d’auteur ) répondrait mieux que moi mais l’explication est simple : Hervé recommence de zéro et va construire de nouveau une maison dans une région de montagne (les Hautes-Alpes) pour y rester en principe définitivement.

      Bien à vous

      Daniel Vivas

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