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samedi 25 octobre 2008

Littérature

posté à 03h47, par Herr Grimaud
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Le Manuel de la CIA : l’art et la manière Yankee de ravager un pays
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Nicaragua, années 1980. Le conflit entre sandinistes et contras fait rage, dévastant un pays exsangue. Au centre du jeu, la CIA use de ses habituelles techniques barbouzardes au service de la contre-révolution : meurtres politiques, armement des contras, propagande de masse... Une action illégale, pourtant théorisée dans un manuel distribué aux populations. Lecture instructive...

« Pour autant qu’elle reste dans le cadre de la politique nationale, une organisation secrète agressive travaillant sur les plans psychologique, politique et paramilitaire est une importante nécessité. Elle doit être plus efficace, plus unifiée et, si nécessaire, plus impitoyable que celle de l’ennemi. Il ne faut permettre à personne d’entraver une exécution rapide, efficace et sans failles de cette mission. Il est tout à fait évident aujourd’hui que nous nous trouvons face à un ennemi implacable dont l’objectif avoué est la domination du monde à tout prix. Dans un tel jeux il n’y a pas de règles. Les normes du comportement humain généralement admises jusqu’à ce jour n’y ont pas cours. Si on veut que les Etats-Unis survivent, il faut remettre en question les vieux concepts américains du fair-play. Nous devons mettre sur pied et développer des services d’espionnage et de contre-espionnage efficaces. Nous devons apprendre à être subversifs, à saboter et à anéantir nos ennemis en utilisant des méthodes plus intelligentes, plus sophistiquées et plus efficaces que celles qu’ils utilisent contre nous. Il s’avèrera peut-être nécessaire de mettre le peuple américain au courant de cette philosophie fondamentalement répugnante et de la lui faire comprendre et admettre. »

Qu’est ce donc que cet ignoble torchon impérialiste ?

Je vais faire comme mon aimable confrère JBB (je sais, c’est mal de copier mais son style me fait bander), je vous laisse quelques secondes pour deviner…

PAPAM !

C’est un extrait du rapport secret de la Commission sur les activités de la CIA1, commandité en 1953 par Dwight Eisenhower. Rapport qui ambitionne de donner une ligne politique à l’officine, scrupuleusement suivie depuis. On peut même dire que la situation a bien progressé, puisqu’une partie du peuple américain semble battre des deux mains comme une otarie quand on lui parle de « cette philosophie fondamentalement répugnante ».

D’où je sors tout ça ? D’un livre barboté en mon adolescence et que j’avais thésaurisé comme un petit écureuil en attendant le jour où je pourrais le sortir en faisant TATAM.

Ce jour est venu. Hosanna !

Ce livre, donc, c’est Le manuel de la CIA. La politique d’intervention des États-Unis au Nicaragua, reproduit avec une intéressante préface de Philip Agee2. L’homme est un ex-agent de la CIA opérant en Amérique latine qui, dégouté par les méthodes de l’hydre américaine, a retourné sa veste, décidant de travailler contre ses anciens maîtres.

Le livre contient un manuel et une brochure, commandités en 1983 et distribués respectivement aux contras entraînés par la CIA et à la population du Nicaragua.

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Le manuel, d’abord :

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Le manuel à destination des contras, de son vrai nom « Opérations psychologiques dans la guerre de guérilla », a été rédigé par Kirkpatrick, un barbouze à la retraite, et par Chamorro, brillant étudiant nicaragayen, opposant au régime et issu d’une grande famille recruté par la CIA. L’ouvrage est plus intéressant par l’idéologie qui le sous-tend que par son contenu. C’est un manuel de manipulation des populations à l’usage des contre-révolutionnaires : comment et qui recruter, comment mettre les villageois de son côté, comment les amener à dénoncer les sandinistes, comment infiltrer et manipuler une manifestation spontanée, comment recruter des condamnés de droit commun, etc…

A titre d’exemple, il explicite aussi l’utilisation de la « violence sélective dans un but de propagande » et l’utilisation de la « terreur explicite et implicite ». C’est assez chiant à lire et ça laisse comme un arrière goût de dégueuli. Ce n’est pas vraiment spectaculaire, c’est simplement un précis de manipulation, qui rappelle parfois La psychologie des foules de Gustave Lebon par ce qui transparaît derrière le texte lui-même : un machiavélisme réactionnaire sans scrupules. Le texte en lui-même pourrait servir de livret de cours pour apprenti groupuscule terroriste. On comprend d’ailleurs aisément comment une partie des ennemis les plus féroces des Etats-Unis est issue des rangs mêmes de la CIA.

Cela dit, sur le chapitre de la CIA, il y a plus à voir et à manger dans le manuel Kubark, qui explique comment torturer efficacement les ennemis de l’Amérique.

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Pour les habitants : tout en image…

Le livre comporte donc aussi une brochure à destination de la population. C’est une petite bande dessinée qui prouve que la CIA n’est pas juste une bande d’affreux réactionnaires impérialistes, mais qu’elle peut aussi faire preuve d’humour et d’esprit créatif. Cette BD distribuée aux civils était censée donner quelques trucs et astuces aux gens voulant saborder violemment la société sandiniste.

Un petit extrait de l’introduction :

« (…) Il existe toute une infrastructure économique sans laquelle le fonctionnement de n’importe quel gouvernement devient impossible. Et il apparaît assez facile de perturber ou même de paralyser cette infrastructure sans avoir recours à des armements ou de l’équipement coûteux et sophistiqué. Pour les opérations que nous vous présenterons, les moyens les plus simples feront l’affaire. Il suffira d’y investir un peu de son temps. »

Ça a un petit côté manuel des castors juniors mâtiné d’anticommunisme primaire tout à fait jouissif…

Je vous joins une partie de la BD, parce qu’elle me fait rire, (notamment l’image où ils cassent le commissariat et la page « menacez votre patron au téléphone »), surtout quand on connaît sa provenance et qu’on oublie qu’elle a sans doute été utilisée.


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«  Arrivez en retard au travail, laissez le travail s’accumuler,
faites vous porter malade pour ne pas travailler.
 »

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«  Laissez les lumières allumées, laissez les robinets ouverts.  »

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«  Laissez ouvertes les barrières des prés du gouvernement.  »

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«  Faites des tâches avec des liquides, faites tomber les machines à écrire,
volez et dissimulez des documents importants.
 »

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«  Menacez votre patron au téléphone. Donnez de fausses alarmes :
incendies, crimes. Etc.
 »

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«  Petite pièce de monnaie.  »

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«  Coupez des arbres et renversez les en travers des routes.
Bloquez les routes avec des rochers.
Creusez des trous dans les routes.
 »

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«  Endommagez les livres. Cassez les lampes, les vitres.  »

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Le contexte législatif de production de ces manuels est intéressant : l’amendement Boland de 1982 avait interdit à la CIA de verser de l’argent pour renverser le gouvernement sandiniste. Elle va bien entendu faire le contraire, en faisant de surcroît systématiquement revendiquer ses propres actions terroristes par une des nombreuses factions d’opposants au régime sandiniste. Comme dans beaucoup de guerres civiles et de guerres américaines, la quantité d’atrocités commises fut délirante et cette fois, elles l’étaient fréquemment sous la houlette de la CIA. On en vient presque à regretter que les contras n’aient pas respecté à la lettre les indications du manuel prescrivant un usage limité et proportionné de la violence... Au regard des ces crimes, perpétrer les actions préconisées par ce manuel, c’était comme péter dans le métro, haïssable mais insignifiant.
Et puis, la légalité aux États-Unis tout le monde s’en tamponne, eux les premiers. L’arrêt du financement et du soutien aux contras voté en 1985 pour parachever l’amendement Boland tient pour beaucoup à la publication dans les grands médias américains de ces deux brochures. C’est ce qu’évoque P. Agee dans sa préface, notamment la condamnation des États-Unis par la cour internationale de Justice de la Haye en 1984. Par ailleurs, ce vote et cette condamnation n’ont pas empêché Reagan de continuer à apporter aux contras un soutien logistique et financier jusqu’en 1989.

Vous m’aurez compris, aux States, la légalité c’est du caca.

Je voulais en venir à autre chose. C’est que le gros Reagan avec sa tête de cow-boy sous-développé, c’est l’idole d’un individu candidat à la maison blanche. J’ai nommé : John Mac Cain (comme les frites, en plus dangereux). Si on mesure la nocivité de Mac Cain à celle de son idole, son élection aurait un peu le même effet sur le bordel planétaire qu’une pluie de frites radioactives.

Je vous renvoie paresseusement aux nombreux sites qui évoquent les agissements de cet enfoiré aux commandes de l’International Republican Institute (IRI) depuis plus de quinze ans, notamment à ce très bon article de Jean-Guy Allard dans le Grand Soir. Il y a trop de choses à dire sur la question pour tout caler dans un même article. Et puis reprendre les manies d’écriture d’un vieux briscard comme JB, ok. Me faire passer pour un dénicheur de scoop, ça non. D’autant que je crois que c’est déjà passé sur Canal + dans l’émission racoleuse du Dimanche midi.

Modeste est donc ma contribution dans la dénonciation du grand Satan américain.



1 Commission créée en 1947

2 Publié aux éditions EPO


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