ARTICLE11
 
 

lundi 31 octobre 2011

Le Cri du Gonze

posté à 10h01, par Lémi
3 commentaires

Linton Kwesi Johnson : « Inglan is a bitch »

1981, Londres. Des émeutes éclatent dans le quartier de Brixton, conséquence directe du harcèlement policier exercé sur les communautés noires et de la sinistrose sociale. Parmi les émeutiers, les membres des Clash, qui chantaient « Guns of Brixton » deux ans auparavant. Et aussi un certain Linton Kwesi Johnson, poète dub et musicien activiste qui avait « prédit » l’embrasement.

«  L’Angleterre est une salope,
Pas moyen de lui échapper
 »

Au lendemain des révoltes anglaises de 2011, rares les commentateurs qui n’ont pas – à un moment ou un autre – convoqué les Clash : « London’s burning », « Guns of Brixton », « I Fought the law », etc., autant de déflagrations made in punk de la première heure qui se prêtaient parfaitement à la comparaison entre les « riots » millésime 1981 et celles estampillées 2011. L’imaginaire contemporain est assez binaire concernant les eighties britonnes : d’un côté Thatcher, de l’autre les Clash ; choisis ton camp, comrade (ça ne devrait pas être trop dur, isn’t it ?).

Pourtant, si la bande à Strummer a un tantinet « vampirisé » l’imaginaire de la révolte anglaise, si des escouades de groupes punks ont marché sur ses traces en mode « there’s something rotten in the kingdom of Britain ; let’s destroy it », l’homme qui a chanté les émeutes anglaises avec le plus de force, de conviction et d’intelligence est rarement cité : un certain Linton Kwesi Johnson, fervent partisan de la « Great Insurrection »1

Poète dub, chanteur reggae, membre précoce des Black Panthers, documentariste, activiste, producteur... Johnson, né à Chapelton – Jamaïque – en 1952, a multiplié les casquettes explosives dès son arrivée en Angleterre, au mitan des années 1960. Un peu comme Don Letts, son pendant punk à dreadlocks2. Surtout, dans sa musique comme dans ses écrits, il n’a jamais cessé de dénoncer le sort réservé aux damnés de l’Angleterre, ceux qui se payaient de plein fouet le tournant néo-libéral et le conservatisme oppressant des thatcheromanics. Un type capable d’écrire un morceau intitulé « What About Di Working Class ? » a peu de chances de se situer du mauvais côté de la barrière...

En 1978, Johnson sort son premier album : Dread, beat an’ blood. La dernière piste, « All wi doin’ is defendin’ », justifie les émeutes de Brixton avant même qu’elles n’éclatent. Un prophète ? Nope, juste un observateur avisé. Violences policières, sinistre social, climat tendu : il suffisait d’une étincelle pour que s’embrasent les faubourgs de Londres. Les vieilles badernes politiciennes tombèrent des nues quand volèrent les premières briques, pas Linton Kwesi Johnson. Lui avait déjà prévenu, menaçant : « Dépêchez vous d’envoyer la police anti-émeutes, parce que nous devenons chaud bouillants  »3. Et plus loin, dans le même morceau : « Nous n’avons besoin de rien d’autre que de bouteilles, de briques et de bâtons  »4.

Le troisième album de Johnson, Bass culture, sorti en 1980, contribua en partie à le faire connaître hors du cénacle underground, parce que plus accessible. Moins de rage, moins de trépignements vocaux, mais une science du dub particulièrement impressionnante, même pour un novice comme votre serviteur, généralement peu soluble dans les jah-charts. Surtout, le morceau « Inglan is a bitch », garde une résonance toute particulière au regard des récents événements britons et de la répression folle furieuse qui s’est abattue sur les émeutiers5.

C’est le type même de la chanson qui s’incruste durablement dans tes oreilles, se fait discrète pendant quelques temps, puis ressurgit au moment adéquat, par exemple lorsque tu tombes surun article du Monde (11 octobre 2011) relatant les dernières infamies en provenance d’outre-Manche : « D’après des chiffres provisoires publiés par le ministère de la justice lundi 10 octobre, parmi les mineurs accusés d’avoir participé aux émeutes, un quart a été maintenu en détention en attendant la tenue d’un procès. Plus inquiétant encore selon l’Unicef (le Fonds des Nations unies pour l’enfance), parmi les adolescents privés de liberté à la suite des émeutes, 45 % n’avaient jamais eu maille à partir avec la justice avant les quatre jours de chaos du mois d’août, ni avertissement, ni condamnation.  »

Inglan is a bitch, indeed.



1 Merci à Ferdi, creuse-pépites émérite, pour le tuyau.

2 Don Letts, grand ami de Johnny Rotten et de Joe Strummer, musicien et réalisateur, a été l’un des témoins les plus prolixes de l’explosion punk britonne. À lire : Culture Clash, publié fin 2010 chez Rivages rouge. À voir : The punk rock movie, sorti dès 1978.

3 « Send in the riot squad quick because we’re running wild »

4 « All we need are bottles and bricks and sticks ».

5 Pour en savoir plus sujet, lire cet article de N., M., J. (du collectif Angles Morts), intitulé : « Nous voulons qu’ils subissent ce qu’ils nous ont fait subir ». Retour sur la répression des émeutes de Londres.


COMMENTAIRES

 


  • lundi 31 octobre 2011 à 23h30, par Alexis

    Très bien, l’article. Très bien le nouveau site. Compliments au graphiste.

    Alexis



  • mercredi 2 novembre 2011 à 19h52, par Docteur Ska

    Ah ben enfin !
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    A noter aussi que LKJ en plus de représenter un reggae « à l’anglaise », plus dub, plus profond, bien que peut être moins innovant que celui de certains compatriotes bidouilleurs de l’époque (tel ce guerrier zoulou), est le premier à donner ses lettres de noblesse (poético-prolétaires) au patois jamaicain et au phrasé rasta.


    Une langue construite contre les incohérences de celle de l’homme blanc, imposée aux ancêtres.


    Ainsi on ne dit pas « oppression » mais « downpression », puisque cette pression s’exerce toujours sur ceux d’en bas


    « Politics » devient « poly-tricks » ; de l’art d’en faire gober un maximum...


    On ne dit pas « system » mais « shit-stem » ; ça se passe de commentaire


    etc...


    PS : je crois qu’il n’y a pas de virgule à « Dread beat an’ blood ». C’est bien le beat qui est dreadful !

    http://www.youtube.com/watch?v=1gRQ...

    Des mots qui portent, qui visent juste et qui frappent fort.


    (Dommage que ses rythmes soient allés en s’édulcorant avec le temps, mais le message reste, comme ici par exemple)



  • lundi 7 novembre 2011 à 12h50, par m@n

    LKJ est Journaliste de formation

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