mardi 7 juin 2011
Sur le terrain
posté à 13h05, par
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En Belgique, le dimanche 29 mai, quelques centaines d’activistes ont réussi à partiellement détruire un champ de pommes de terre génétiquement modifiées, et ceci malgré une importante présence policière et de multiples barrières. Benjamin, envoyé spécial dans le Plat Pays, était sur place. Retour sur une action rondement menée, qui en appelle d’autres.
Wetteren, morne plaine... À quelques kilomètres de Gand, 27 rangées de pommes de terre génétiquement modifiées se la coulent douce sous un soleil de plomb. L’une des rangées appartient à BASF1, les autres à l’université de Gand. Ces dernières sont destinées à l’alimentation humaine et font l’objet d’une recherche sur la résistance au mildiou (maladie à laquelle des variétés conventionnelles résistent pourtant déjà).
Les flics traînent dans le champ entre la route et la cible, par grappes d’une dizaine. Ils rôtissent sous un soleil de plomb depuis le début de la matinée en attendant que débute l’action de fauchage prévue depuis des mois par le « Field Liberation Movement ».
15 h, roulements de tambour. La samba débarque sur le pont menant au champ. Elle est suivie par une foule bigarrée qui reprend en chœur et en rythme avec les musiciens « This is what democracy looks like ». Dans le lot, pas mal de t-shirts « faucheurs volontaires » annoncent la couleur.
Les militants, paysans, chercheurs, se rassemblent le long de la première barrière, qui délimite l’accès à une pâture d’une centaine de mètres de long. Tout au bout, se trouve le fortin biotechnologique. Dans les jours précédents, apprenant que « les faucheurs français » débarquaient, les autorités ont décidé d’augmenter le nombre de policiers présents pour l’action - un peu plus d’une soixantaine sont visibles. Et l’université de Gand a entouré le champ d’expérimentation d’une série de barrières et fils de fer barbelés. En tout, il faut en franchir quatre avant de pénétrer dans le champ qui accueille l’essai proprement dit. La foule se masse le long de la première, tandis que les policiers se groupent le long du champ, en face. La samba s’arrête. Une légère brise souffle sur les manifestants, un calme relatif se fait, à peine troublé par quelques slogans énergisants histoire de se donner un peu de courage. Le calme avant la tempête.
Le face-à-face est le fruit d’un long travail préparatoire, mené des mois durant en amont. Un deal a été conclu avec la police : on n’attaquera pas le champ avant 14 h. En échange, ils nous laissent nous préparer à ses abords. Toute la matinée, un marché paysan, des échanges de semences et la préparation des actions proprement dites ont ainsi pu se tenir.
Cinq minutes après 15 h. Une sirène retentit. Chacun s’élance dans le champ, en tâchant de ne pas perdre de vue les membres de son « groupe affinitaire ». À quelques dizaines de mètres de la cible, des « bombes de semences » et patates « conventionnelles », naturellement résistantes au mildiou, volent au-dessus des grilles pour atteindre le champ. Comme dans toute bataille, les archers ou leurs équivalents ouvrent les hostilités. On se regroupe devant la police, massée en face, au bas du champ visé. En première ligne, un groupe de « faucheurs volontaires » colossaux s’attrape par les épaules. « On pousse ! » On pousse. Trouée dans la flicaille, les tonfas répliquent. Ils nous repoussent. Pas grave : d’autres activistes sont déjà partis de chaque côté de la parcelle, pour trouver une ouverture moins protégée par les policiers - clairement en sous-effectifs.
Drôle de tactique, de l’Université et de l’Etat, pour protéger ce champ ? Peut-être. Mais s’ils avaient envoyé 300 flics, ils auraient prouvé leur collusion pro-OGM. Mais quand même : ça parait trop simple. Et on peut se demander si leur stratégie n’était pas de nous laisser détruire le champ, pour essayer de retourner ça à leur avantage par la suite. Dans tous les cas, ce n’est – financièrement - pas donné. Coût de l’opération de police : 35 000 euros. Auxquels il faut ajouter les 100 000 euros investis auparavant pour protéger le champ, selon le site d’information belge 7sur7.
Bref, on repousse encore... Un flic tombe. On attrape son bâton, il hurle : « matraque, matraque ! » Trois autres débarquent à toute vitesse, la trique en étendard. Pas de trophée pour cette fois. Le contournement du champ se fait progressivement par le gros de la troupe. Alors que certains sont déjà presque dedans, la plupart se massent de chaque côté, et occupent les policiers.
Un clown orange, sautant d’une branche d’arbre, a déjà réussi à passer la barrière suivante. Il se retrouve dans un champ et commence à arracher ce qui se trouve autour de lui, avant de se rendre compte qu’il ne s’agit pas de pommes de terres, mais de simples épis de maïs, destinés à tester et protéger de la « contamination » les champs alentours. Vaste supercherie, alors que des ruches - le meilleur moyen de contaminer un autre champ - étaient, encore il y a peu, situées à quelques mètres à peine du champ de patates incriminé.
Pendant qu’on occupe la flicaille, certains se glissent dans le champ. La diversité et la complémentarité des tactiques font merveille. Certains se font désormais poursuivre entre la deuxième et la troisième barrière (la zone où est arrivé le clown, dans laquelle est planté du maïs). Les flics ne savent plus où donner de la batte. La plupart des clowns retiennent leur attention, et veillent à ce que les manifestants les plus téméraires ne prennent pas trop cher. Ils l’expliquaient, une fois l’action terminée : « C’est une question d’énergie. Aujourd’hui, on était là pour faire tenir la motivation des gens, quand ça se calme au niveau de l’action. Pour nous, lorsqu’on met le nez, c’est comme une nouvelle peau. Ça désamorce la violence à l’extérieur, mais aussi celle qui est en nous. Ceci dit la frontière est ténue, et c’est parfois vraiment difficile - voire impossible - de ne pas sortir du rôle de clown quand on voit les copains se faire tabasser. Reste que – aujourd’hui - on leur a quand même foutu une bonne BASF... »
Il devient impossible aux défenseurs du champ de donner du bâton partout, d’autant plus que de nombreux participants ont eu l’impression que certains des pandores ne voulaient vraiment pas taper. Ou « en douceur »... On fait semblant de rentrer dans le champ, le flic se tourne vers nous, lève son tonfa d’un air menaçant, on recule, trois autres passent de l’autre côté, il se tourne vers eux, on refait semblant de rentrer en faisant le plus de barouf possible, il revient vers nous, trois autres passent... Le petit jeu dure une bonne dizaine de minutes.
Les premiers et les plus déterminés des activistes ont réussi à rentrer dans le champ proprement dit, vite poursuivis par des flics qui détruisent au passage autant de plantes qu’eux. Une des barrières a été arrachée grâce à de grandes cordes d’escalade, munies de mousquetons, sur lesquelles tirent une douzaine de personnes. Dès que les flics récupèrent une de ces cordes, une autre refleurit au sein de la foule, un mousqueton se rattache à la ferraille. En quelques secondes, un trou béant est formé dans les remparts qui protègent le champ, donnant accès à la dernière barrière avant notre but.
Différentes techniques, alors. Certains sautent simplement, après s’être accrochés en haut, s’ouvrant les mains au passage. D’autres, visiblement plus entraînés, se réceptionnent durement sur les genoux et les épaules. Un compère s’élance alors, pose un pied sur chaque genou, puis sur chaque épaule, saute la barrière et se retrouve ainsi dans le champ en un rien de temps, sans une égratignure.
Quand au clown orange, décidément surexcité, il réussit finalement à rentrer dans le champ proprement dit. Dans une scène digne d’un Tex Avery, on le voit courir dans le champ et arracher des patates à une vitesse hallucinante, telle une moissonneuse-batteuse-faucheuse-volontaire dopée aux amphétamines. Les pommes de terre volent de toutes parts au-dessus de sa tête. Jusqu’à ce qu’un flic déterminé plaque le trublion à terre.
Pendant ce temps, les activistes continuent de tenter d’arracher des barrières. Une corde est de nouveau accrochée, immédiatement attrapée par une quinzaine de paires de mains. Trois ou quatre policiers arrivent en courant, décidés à sévir. Mais au dernier instant, avant que le tonfa ne s’écrase sur nos têtes, quelqu’un débarque avec un bouclier de flic – trésor de guerre -, et pare les coups qui nous étaient destinés. Nous lâchons la corde, sans blessures importantes, tandis que le mec au bouclier se replace en arrière. Cinq minutes plus tard, une demi-douzaine de flics se ruent à sa poursuite : ils doivent récupérer le bouclier à tout prix. Le manifestant l’abandonne alors, prenant la poudre d’escampette à travers champ.
La plupart de ceux qui sont entrés dans la dernière partie du champ sont désormais arrêtés, mais il arrive encore régulièrement des activistes par les barrières désormais trouées, désossées, gisant piteusement au sol telles d’inoffensives griffes de métal. D’un coup, une forme sort en courant du champ, les mains attachées derrière le dos, saute au-dessus d’une grille à terre et va se réfugier dans un coin tenu par les manifestants. Une trentaine de personnes se groupent immédiatement autour de lui, ses menottes sont coupées. Elles lui seront définitivement enlevées quelques minutes après l’action, à la scie à métaux. Il expliquera ensuite : « On ne s’attendait pas à une telle violence policière pour protéger ce champ face à des activistes non violents, ni d’ailleurs à l’usage de la matraque. Mais d’une certaine manière on est quand même gagnants. Le succès de cet après-midi montre bien l’efficacité de ces actions directes non violentes de masse2. Ici on était 150-200, c’était déjà problématique pour eux. Le jour où nous serons 3 ou 4 000, ils ne vont plus s’en sortir. »
Les esprits se calment. Certains se constituent volontairement prisonniers. Beaucoup refusent de bouger. Du coup, la police prend les noms et numéros de papiers d’identité de ceux qui se trouvent dans le champ, et ces derniers sont ensuite immédiatement libérés – certains, légèrement blessés, partent alors pour l’hôpital. Une fois tous les compagnons récupérés, nous refluons tranquillement vers le camp.
Au final, le bilan est mitigé : une vingtaine de personnes ont réussi à pénétrer le champ visé, pour une quarantaine d’arrestations et 18 blessés. Selon la presse, 20 % seulement du champ aurait été détruit, ce qui pourrait cependant suffire à rendre cette « recherche » caduque. Des centaines de milliers d’euros seront nécessaires pour reprendre l’essai, que l’université souhaiterait faire payer par les manifestants (un comble !). Une chercheuse en fera aussi les frais, virée pour avoir simplement exprimé son soutien à la cause... Et puis, le principal : le débat sur le sujet a été relancé en Belgique. C’était là le but premier de l’action, comme le détaille par la suite l’un des organisateurs : "Cette action est une réponse au Greenwashing, le lavage de cerveau qui sert à vendre des OGM. Ils veulent donner l’impression qu’ils expriment un point de vue scientifique et objectif. C’est faux. Ils suivent en fait un paradigme, un ensemble de préjugés concernant notre position et la vie sur terre, le futur et les êtres humains. Même les scientifiques, du moins un certain nombre de ceux avec qui on a discuté, sont pris en otage.
Nous cherchons à provoquer un changement de paradigme. Quand il est dit que nous sommes « radicaux » c’est vrai d’une certaine manière, parce que nous souhaitons aller aux racines du problème. C’est ce que ce terme signifie. La seule agriculture soutenable, c’est une agriculture démocratique.« Si l’essai de pommes de terres continue, nul doute que d’aucuns reviendront les arracher. Comme le disait un des activistes peu de temps après avoir été libéré : »On aurait besoin d’une concertation démocratique. À part ces actions, on n’a aucun recours, puisque le référendum est anticonstitutionnel en Belgique. Pourtant, ça nécessiterait un vrai débat public.« Lorsque les politiques gouvernent contre leurs populations, il est somme toute logique qu’ils finissent par se prendre une bonne patate dans la tronche. D’ailleurs comment disaient-ils, déjà ? Ah oui, »this is what democracy looks like".
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Plus d’infos, de photos et de videos ICI, ICI et un très complet dossier sur la question LA (dans lequel tu pourras au passage retrouver notre entretien sur la question avec Jean-Pierre Berlan, en deux parties ICI et LA).