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samedi 16 mai 2009

La France-des-Cavernes

posté à 21h35, par Ubifaciunt
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Au sens propre
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Éducateur de rue dans un quartier populaire de la banlieue parisienne, il met sur papier le quotidien de ses journées, les scènes de vie tristes et/ou joyeuses. Mômes en rupture, paumés ou joyeusement révoltés, parents dépassés ou absents, administrations et associations où - de l’intérieur - quelques un-e-s essaient de résister… Voici la 3e chronique « sévice social » de l’ami Ubi.

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On se glande un peu cette aprème, avec le père Hafid. Il vient d’avoir 18 ans, peut désormais mater des pornos au ciné, sortir du comico tout seul, voter.

« - Tiens Ubi, j’ai passé mon oral blanc du bac français, putain, le prof il était fou.

- Comment ça ?

- Ben en fait, je sais pas, trop bizarre, genre il a répondu à son téléphone et il faisait semblant de dire ‘oui, oui’ en m’écoutant alors que ça se voyait trop qui m’écoutait pas.

- Et t’es tombé sur quoi comme texte ?

- Ma bohème, pas la chanson d’Aznavour, hein, le poème de Rimbaud…

- Merci Hafid… je m’en allais, les poings dans mes poches crevées, mon paletot soudain devenait idéal, j’allais sous le ciel, muse, et j’étais ton féal.

- Weshhhhh, ton féal, Ubi, je vois que j’ai affaire à un expert…

- Et donc, t’as fait quoi comme plan ?

- Ben, un, la facture du sonnet classique, deux, le contexte, tout ça, quand Rimbaud part voir son maître Izambard et qu’il écrit le cahier de Douai, ce qui m’amène à mon trois sur le symbolique de la fugue et de l’errance.

- Ben ça me parait vachement bien, et il t’a dit quoi ?

- Déjà il m’a demandé si je savais ce que c’était qu’une muse…

- …

- Ben ouais, alors du coup je lui ai raconté l’histoire du mythe d’Orphée.

- …

- Et ensuite si je savais ce que c’était que la Grande Ourse.

- Pardon ?

- Oui, oui, j’ai vraiment cru qu’il se foutait de ma gueule, du coup, j’lui dit ‘ben une constellation, vous croyez quand même pas que j’vais vous dire que c’est un animal, pffffff’. Et v’la que juste après il me demande d’où je viens.

- Et t’as dit quoi ?

- Bah Nanterre.

- Normal, quoi.

- Sauf qu’il me répète la question. ‘Vous, venez d’où, vous ?…’ Du coup, je répète la réponse. A la troisième question, il me demande ma nationalité. Forcément, je lui réponds française. Il marque un temps, galère et finit par demander le pays d’origine de mes parents, alors je lui dis Algérie. Et là, tu sais ce qu’il me claque ? ‘Ah, c’est pour ça, là-bas, on les voit très bien les étoiles…’

- …

- Bon et il finit par me demander ce que je pense de Hugo.

- Quel rapport ?

- Ben j’en sais rien, j’lui ai dit que c’était ‘Ma bohème’ mais bon… Il insiste et je lui réponds qu’il s’est toujours un peu placé dans le rôle du poète démiurge, quoi, par exemple dans Melancholia ou Oceano nox…

- Ouais excellent !

- Sauf qu’il m’a dit ‘Non c’est pas ça !’

- …

- Et au bout de cinq minutes, il a fini par me dire : ‘Hugo voulait baiser la poésie, Rimbaud voulait lui faire l’amour pour avoir des enfants.’

- …

- T’y crois à ça Ubi ?

- …

- Non mais franchement, je sais pas toi, mais j’ai déjà fait l’amour, j’ai déjà baisé par contre, j’ai jamais fait ça avec la poésie… Bon ça je lui ai pas dit, hein…

- Et t’as eu combien finalement ?

- Il m’a mis six sur vingt. »

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21 heures, l’heure où le tiékar est le plus beau, lumières allumées sur vingt étages, odeurs de bouffe tombant des fenêtres se mêlant aux parfum du shit qui monte des halls d’immeuble. Groupes de jeunes qui commencent à prendre racine au pied des tours pour encore une nuit.

On était attendus, ce soir. Rencard plus ou moins informel filé à ma collègue par des gaillards de 20 à 25 berges parce qu’ils avaient pas eu le temps de finir la discussion de la veille. Elle avait dit qu’elle repasserait avec moi, ils y croyaient pas trop.

Une quinzaine de gars qu’on connaît pas trop, sinon de vue. Première soirée que nous allons, pour la plupart, passer ensemble ; ça se jauge forcément, vannes serrées et débats pointus, ça parle de hip-hop et « d’énergie binaire et primale du rock’n’roll », ça nous propose des pét’ et un gang bang ; routine presque habituelle. La joie de la parole qui circule, des mots sans jugements, du test des limites de l’autre.

C’est sérieux, aussi, ça parle de Kamel, putain, je savais pas que c’était leur pote, son contrôle judiciaire et son rencard qu’on a demain pour qu’il soit bénévole dans une assoce.

Une demi heure qu’on est là, une demi heure qu’on est passibles de 6 mois de prison ferme et de 7500 dollars d’amende pour « occupation abusive (ie : à plus de trois personnes) d’espaces communs d’immeuble ». Et se ramène Otman, hilare.

« Wesh putain les gars, vazy la famille, wesh les gars z’allez jamais me croire... »

Et qu’il commence à raconter l’histoire de drague sur MSN mille fois rebattue, une meuf trop canon, adresse chopée il sait plus où, une vraie bombe trop chaudasse qu’elle veut baiser avec lui direct. Les oreilles commencent à s’écarter, ne pas lui faire l’injure de lui dire que c’est un gros mytho, écouter sans être dupe, pour le plaisir de l’amitié et de la discussion, une nuit de plus à tuer en cité.

Sauf qu’arrive le détail qui tue.

« Et là, putain, la meuf elle me claque qu’elle est flic... »

Dix bonnes secondes de grand silence. Et ça fuse dans tous les sens.

« Putain mais vazy, défonce-la, putain, défonce-la !!! Putain, tu peux niquer la police, pour de vrai man, la baiser, l’arracher, wouuuuuhouuuuu, à sec, tu peux niquer la police... »

« Vazy, arrête, y a pas moy’, tu te rends compte comment tu serais le pire des collabos... Tu vas dire quoi ? ’Oui euh, je suis entrepreneur à la Défense, je gagne 10 barres par mois et euh j’apprécierais que tu me suces’ Non mais franchement putain pas une keuf bordel... »

Au bout de cinq minutes, les gars se rendent compte qu’on est toujours là et qu’on se marre comme des baleines.

"- Ah oui, au fait, Ubi, t’en penses quoi ? Tu le ferais toi ?

- Oh, tu sais, moi, les keufs, si y a un truc que je touche pas, c’est bien à ça...

- Ouais mais bon, une fois, rien qu’une fois, niquer la police, au sens propre...

- Non non, pas moyen, j’ai un honneur, moi monsieur...

- Et une jolie pompier en uniforme ?

- Mon cher Mathieu., je te rappelle que les pompiers de Paris sont des militaires...« Un temps de silence, Mathieu me regarde au fond des yeux, prend la pose et un air condescendant : »Monsieur Faciunt, vous avez toujours eu un problème avec l’autorité..."

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Crédit photos : Ubifaciunt


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