ARTICLE11
 
 

vendredi 11 mars 2011

Sur le terrain

posté à 19h22, par Lémi
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Calais : Tous doivent disparaître
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Peu importe le malheur qu’ils fuient, ils sont de trop, dérangent. On le leur a signifié une première fois en 2002, en fermant Sangatte. Puis une seconde, avec la destruction de la « jungle » de Calais en 2009. Désormais, on leur répète tous les jours, à grand renfort de traitements iniques. Calais n’a pas vocation à accueillir les malheurs du monde, affirme la municipalité. Elle le prouve.

Cet article a été initialement publié dans le numéro 2 de la version papier d’Article11. Les dessins qui l’accompagnent sous tous signés Lucy Watts (son site Internet est à consulter ici).

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Un bref cri en arabe a suffi. L’instant d’avant, ils discutaient avec animation autour d’un feu de palettes, se partageant quelques mégots de cigarette. Une trentaine, tous soudanais, habitants temporaires de cette usine désaffectée immense et glaciale surnommée « Africa House », le dernier squat important de Calais. Et soudain, dès que le signal se fait entendre, ils fuient à toutes jambes, galop désespéré. Certains dans les escaliers menant à l’étage, d’autres vers la cour principale, les derniers en direction de la sortie arrière. Remue-ménage, cris, tension. Puis quelques rires, un grand soupir de soulagement collectif ; ils reviennent vers le feu en se tapant dans le dos. Fausse alerte : la police ne faisait que patrouiller devant la porte du squat. Elle reviendra.

À Calais, le quotidien des indésirables

Plus tôt dans la journée, Nabeel, jeune Soudanais, décrivait dans un anglais hésitant ce harcèlement quotidien : « La police passe souvent plusieurs fois par jour, surtout le matin, vers six heures, quand nous dormons. Ils embarquent une dizaine de personnes, au hasard, les premiers qui leur tombent sous la main. Ils les gardent enfermés quelques heures ou quelques jours, c’est variable. Ils nous arrêtent aussi quand nous nous rendons à la distribution de nourriture. Parfois, ils vont jusqu’à embarquer ceux qui ont des papiers. Ou bien, ils prennent deux fois la même personne dans la même journée. » La police ne se contente pas d’opérer quelques arrestations, expliquent ceux qui ont échoué ici, elle pratique un harcèlement forcené visant à dégoûter les indésirables, à leur faire plier bagages hors de Calais. Là où personne ne les verra : un champ en bord d’autoroute, une cabane dans la forêt, une tente dans les broussailles jouxtant la zone industrielle. N’importe où, mais pas dans Calais. Sanction collective : tous doivent disparaître.

Pour Laurent Maameri, de l’association Terre d’errance, la situation dans la ville ne cesse de se dégrader : « Calais est un point de cristallisation, avec une mentalité proche du FN. On la retrouve aussi bien dans l’action de la Police aux frontières (PAF) que dans les discours de politiques comme Besson et Hortefeux, le traitement du camp No Border ou le démantèlement de la jungle. La ville sert de laboratoire. On note même des méthodes proches de la torture, avec des privations de sommeil répétées. » Le harcèlement se double de violences, dénonce le juriste Andry Ramaherimanana, du Secours Catholique de Calais : « Il y a des cas récurrents de violence policière. Nous recueillons beaucoup de plaintes. Les dénoncer dans les journaux ne change pas grand chose, voilà pourquoi nous les compilons avant de tenter quelque chose en justice. La préfecture nous répond que ces cas sont marginaux et isolés, ce qui est totalement faux : nous savons qu’ils veulent maintenir une pression constante. C’est particulièrement le cas quand des politiques se déplacent ici, comme avant l’arrivée de Besson. Il faut que le ministre puisse fanfaronner à son arrivée en clamant : ’Vous voyez, ils ne sont plus qu’une centaine !’  »

Pour éviter les arrestations et les violences, les migrants se font discrets, souvent regroupés par nationalités. Les derniers Afghans de Calais se sont ainsi repliés vers la plage et la zone portuaire, à l’écart, dissimulés au milieu des buissons. Ceux qui restent en ville, principalement des Soudanais, des Palestiniens, des Éthiopiens et des Kurdes, ont appris à éviter les déplacements groupés : « Dès qu’ils se déplacent à plus de trois ou quatre, ils se font arrêter. Nous les encourageons donc à se méfier quand ils sortent dans la rue  », explique Nadine, de l’association La Belle Étoile.

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Les militants No Border, eux, font ce qu’ils peuvent pour s’interposer : « Quand nous sommes là, la police est moins agressive avec les migrants, constate Christopher1, c’est pourquoi nous organisons des ’watch’ dans les camps, des formes de tours de garde ». Rachel confirme : « Notre présence se veut dissuasive. Mais elle n’empêche pas toujours les violences, notamment de la part des membres de la PAF, les plus agressifs de tous. » Atmosphère de siège. Sillonner Calais, c’est croiser des voitures et des fourgons de police à chaque carrefour. Les migrants rasent les murs et ne sortent quasiment que pour les distributions de nourriture (lors desquelles la police n’a pas le droit d’intervenir). Ces dernières, qui se tenaient auparavant en un lieu plus fréquenté, ont été déplacées rue de Moscou, dans un espace clos. Une longue file s’y forme trois fois par jours, près des quais et loin des yeux, là où la présence des migrants ne risque pas d’effaroucher la populace.

Tableau noir. Pourtant, aucun « habitant » de l’Africa House ne se plaint outre-mesure : le courage est de mise, le sourire aussi. Ils font front. Abdul, le seul à parler français, est là depuis huit longs mois, mais reste confiant : « Demain sera mieux  ». Adil Mohammed, lui, est parvenu à passer en Angleterre avec sa famille, avant d’être renvoyé sur Calais il y a deux mois. Rebelote.
En attendant leur jour de chance, ils patientent comme ils peuvent. Quotidien morne, chaque jour répété, rythmé – en hiver – par les conversations en arabe autour du feu, les mains tendues vers les flammes. Parfois, une partie de football s’engage, surtout pour lutter contre le froid. Certains soirs, des bénévoles viennent donner des cours de langue, anglais ou français. C’est le cas d’Alexis, qui fait classe dans un bâtiment glacial aux vitres cassées, traçant avec application ses leçons sur un tableau noir improvisé : «  Aujourd’hui, nous sommes le... »

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En quittant l’Africa House après de longues heures de discussion autour d’un thé de fortune, difficile de ne pas penser à cette mise en scène médiatique qui avait accompagné le démantèlement de la jungle, le 22 septembre 2009. Les mots du ministre Besson, donnant le ton de l’opération, tournaient alors en boucle dans les médias : « Remontée très forte de la délinquance dans le Calaisis », « Zones de non-droit », « Plaque tournante du trafic d’êtres humains », « Trafiquants »... Il s’agissait de mettre en scène l’équation migrants égal danger, de jouer sur les peurs. Propagande familière : les mots de la délinquance, ceux plaqués sur les banlieues au moindre faits divers, sont recyclables à l’envi. Les médias ont ainsi longuement évoqué les 276 arrestations opérées ce jour-là, « oubliant » bien souvent par la suite de préciser qu’elles n’ont débouché sur aucune mise en examen et très peu d’expulsions. «  Il y a eu une incroyable mise en scène de l’opération, déjà plusieurs jours avant, retrace l’anthropologue Michel Agier2. On montrait dans les journaux, dans les émissions, dans les déclarations de membres du gouvernement, Éric Besson le premier, un monde marginal, un monde qui fait peur, avec le crime organisé, les mafias de passeurs, l’horreur de la misère... Ça ne correspond pas du tout à la réalité [...]. Les gens bloqués là sont des gens tout à fait ordinaires. […] Or, là, on nous a montré le contraire. On nous a dit qu’il fallait se méfier et les tenir à l’écart.  »

Les remparts de Calais

Si l’attention se focalise encore sur Calais, alors que la ville ne compte plus que deux cents migrants (peu ou prou) en ses murs, c’est parce que la sous-préfecture du Pas-de-Calais est devenue une ville-symbole. C’est là que, jusqu’en 2002, le centre d’hébergement de Sangatte (à quelques kilomètres de Calais), avait permis d’un peu améliorer une situation sanitaire désastreuse3 ; un certain Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait décidé sa fermeture sous les applaudissements nourris de la majorité. C’est là, aussi, que s’était tenu un sommet No Border, en juin 2009, manifestation encadrée par une incroyable armada policière, avec snipers et hélicoptères. C’est là, enfin, que les rodomontades sécuritaires sarkozystes ont abouti à la destruction de la jungle « pashtoune » – qui avait abrité jusqu’à huit cents Afghans –, matraques et bulldozers en bandoulière, le 22 septembre 2009.
Le pli est pris. Calais est désormais ville fortifiée, décidée à se débarrasser durablement de ces corps étrangers. Natacha Bouchart, maire 100% UMP, l’a d’ailleurs clairement énoncé dans Metro, en septembre 2009 : «  Déplacer le problème, ça me va très bien ! […] Ce ne sera plus chez nous. D’autres le subiront à leur tour ! » Et d’ajouter : « Il ne s’agit pas simplement de déménager la jungle, mais de mettre en place une stratégie pour démonter tous les squats de la ville, les uns après les autres.  » Une vraie campagne de harcèlement généralisé, donc, nettoyage au Kärcher durable, entre arrestations quotidiennes et destruction des lieux de vie. En août 2009, le « camp Hazara » a été rasé. En octobre, c’était le tour d’un squat installé rue de Verdun. Demain, ce sera l’Africa House, en sursis.

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Une politique intenable. Calais est un couloir d’exil, un point de passage des migrants venus du monde entier, de l’Érythrée au Vietnam en passant par le Kosovo ou l’Afghanistan. La situation y relève davantage de la géopolitique que des politiques nationales ou locales : « En partant du symptôme Calais, on peut quasiment deviner ce qui se passe dans le reste du monde, souligne Andry Ramaherimanana. À l’époque de Sangatte, il y avait beaucoup d’Afghans. Puis beaucoup d’Irakiens, avant que n’arrivent les Soudanais et les Érythréens. Les guerres et conflits conditionnent ces déplacements de populations. » Surtout, Calais et le Calaisis ne sont pas des points de chute choisis, mais des lieux de passages obligés, passerelle vers cette Angleterre fantasmée pour son marché du travail et ses procédures de régularisation.

Tous les soirs, ils sont ainsi nombreux à tenter le passage, franchissant les grillages de la zone portuaire ou patientant à proximité des aires d’autoroutes pour tenter de trouver un camion où se cacher. La plupart ne peuvent se payer un passeur, le prix demandé – environ 400 euros – dépassant largement leurs maigres moyens, et les tentatives réussies sont rares. Pas de quoi enrayer l’espoir : «  Le passage vers l’Angleterre est très compliqué, peut-être encore plus qu’avant, explique Laurent Maameri. Mais cela ne les décourage pas. Eux arrivent d’un voyage dangereux de plusieurs milliers de kilomètres et n’envisagent pas d’abandonner à quarante kilomètres du but, même si c’est très risqué. »

Tous portent en eux les stigmates d’un périple long et dangereux – les Soudanais de l’Africa House l’appellent « voyage de la mort » – en comparaison duquel le quotidien à Calais reste supportable. C’est toujours mieux que Paris, affirment-ils, où ils dormaient dehors. Mieux que la Libye de Khadafi et ses horribles camps surpeuplés, par où la plupart des migrants soudanais sont passés. Et, surtout, mieux que le pays qu’ils fuient, explique Badredine, vingt ans, en résumant son parcours : « Du Soudan, je suis d’abord passé en Libye, où je pensais initialement m’installer. Mais la situation était difficile, et j’ai embarqué pour Marseille. Ensuite, je suis allé à Paris, c’était terrible : je dormais sous un pont à La Chapelle, dans le froid. Je suis finalement beaucoup mieux ici, j’ai un toit. [...] Nous aspirons simplement à une vie meilleure. Pour la plupart, nous venons du Darfour : vous savez ce qui s’y est passé, non ? Beaucoup d’entre nous ont perdu leurs familles, leurs amis. Nous pensons mériter autre chose...  » Quant à Nadeel, il fanfaronne gentiment : « Tu vois, il y a plein de bonnes raisons pour quitter le Soudan. Le problème de la guerre. Le problème du gouvernement. La vie soudanaise... Dans mon cas, c’est un peu tout ça [grand sourire]. Mais surtout, je suis jeune, j’ai envie de vivre ma vie, de voyager, tout ça. »

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Interdire Calais à ceux qui ont entrepris un tel voyage pour approcher le rêve anglais relève de l’aveuglement le plus absolu. Il s’agit de garder la ville immaculée, d’empêcher la misère d’y pénétrer pour ensuite pavoiser en expliquant que le problème est résolu. Œillères. Si la ville « accueille » actuellement moins de migrants que par le passé, les flux migratoires restent inchangés. Certains se sont rabattus sur la Belgique et la Hollande, également lieux de passage vers l’Angleterre. Les autres sont répartis dans le Pas-de-Calais et le Nord-Pas de Calais. Détruire leurs lieux de vie – squats, jungles, cabanes – et intensifier la répression n’a eu qu’un seul effet : rendre leur quotidien encore plus difficile en les dispersant aux quatre vents.

Dispersion des indigents

« Comme au Moyen Âge avec les indigents, comme aujourd’hui avec les populations des ’quartiers’, la tendance est à la sanctuarisation des centres urbains par la mise à l’écart des indésirables, que ceux-ci soient pauvres, étrangers ou différents5 » Ceux de Calais et des environs ont le tort d’être les trois à la fois : pauvres, étrangers, donc différents. Condamnés à la marge, aux périphéries dépeuplées, espaces aussi divers qu’inhospitaliers. On les retrouve dans les taillis en bord d’autoroute, dans les champs, dans les forêts, là où, espèrent-ils, la police ne viendra pas détruire leur campement et les mettre sous les verrous6.

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Livrés à eux-mêmes et à l’action de quelques associations. À Norrent-Fontes, par exemple, village situé à soixante kilomètres de Calais, c’est Terre d’errance qui offre aux migrants, avec l’accord de la mairie, un lieu d’accueil pendant l’hiver. La salle polyvalente est réquisitionnée pour que des Érythréens – présents en raison de la proximité d’une aire d’autoroute propice aux tentatives de passage vers l’Angleterre – ne dorment pas dehors quand le thermomètre plonge. Lors de notre passage, une vingtaine de migrants occupaient les lieux dans des conditions moins précaires qu’à Calais7. Autour d’une partie de baby-foot et dans l’animation du va-et-vient, le visiteur en oublierait presque la terrible réalité de leur situation. Bref aveuglement : un bénévole nous informe vite que, juste avant notre arrivée, certains se brûlaient le bout des doigts sur la cuisinière, pratique courante pour effacer les empreintes digitales et éviter l’expulsion.

Ailleurs, dans tout le Calaisis et surtout à proximité du littoral (sur une zone s’échelonnant principalement de Roscoff – Finistère – à Ostende – Belgique), les camps se multiplient, reconstruits dès que détruits. « C’est certain que fermer Sangatte et détruire la jungle n’a pas changé grand-chose. Certes, les migrants sont moins nombreux sur Calais, mais l’ensemble fonctionne comme des vases communicants, détaille Andry Ramaherimanana. Pourquoi les médias locaux et les associations parlent-ils autant des migrants de Téteghem ? De ceux de Grande-Synthe, près de Dunkerque, ou de Loon-Plage ? Pourquoi Norrent-Fontes ? Pourquoi cela va-t-il jusqu’à Cherbourg, et même plus haut ? Tout cela tient à la pression sur Calais. » Une nouvelle géographie de l’ « encampement », qui découle directement de l’application de politiques nationales et européennes.

France forteresse, Europe garnison

Calais est un symptôme, pas une exception. Les saillies municipales de Natacha Bouchart s’inscrivent ainsi pleinement dans l’air sarkozyste du temps – ce que rappelle Nadine, de l’association La Belle Étoile : « C’est évident que cette politique est le fruit d’une décision nationale à laquelle la municipalité apporte un soutien enthousiaste, beaucoup de bonne volonté.  » Triomphe local d’une politique nationale axée sur la répression et la stigmatisation des migrants. Et de ceux qui les aident. À Norrent-Fontes, un membre de Terre d’errance nous raconte l’histoire (un peu médiatisée, puis vite oubliée) de cette bénévole de l’association, Monique, 59 ans, perquisitionnée et placée en garde-à-vue en février 2009 pour avoir rechargé le téléphone d’un migrant et offert une « aide matérielle » aux indésirables. Un cas parmi d’autres.
Pis, le projet de loi Besson, adopté à l’Assemblée en octobre 2010 et qui n’attend plus que l’aval du Sénat, durcit considérablement l’arsenal répressif contre l’immigration illégale. Contrôle et répression des populations « surnuméraires8 » priment désormais sur toute autre considération. Évoquant la situation de Calais dans Gérer les indésirables9, Michel Agier écrit : « La stratégie sécuritaire, considérant tout réfugié comme un ’cas de police’, lui enlève tout espoir de citoyenneté et le réduit au stigmate identitaire que chaque acte policier de rejet renforce. »

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À ceux qui s’insurgent est généralement opposée la même réponse : il s’agit de s’aligner sur les règlements européens. Si le projet de loi Besson prévoit de faire passer la durée maximum d’enfermement en centre de rétention de 32 à 45 jours, c’est au motif de transposer dans le droit français la « directive retour », rationalisant le processus d’expulsion des étrangers à l’échelle européenne10. Un prétexte pour la France, qui va bien au-delà des principes passablement répressifs édictés par Bruxelles.
Quant au règlement Dublin II de 2003, il prévoit le renvoi des demandeurs d’asile vers le premier pays européen où ils ont été enregistrés par fichage biométrique (Eurodac), soit souvent la Grèce ou l’Italie – pas vraiment la panacée en matière de traitement de l’immigration. Ceux qui se mutilent le bout des doigts le font pour échapper à Dublin II.

Au gré des sommets et des règlements, l’Europe garnison ne cesse de se renforcer. À l’intérieur, les camps et centres de rétention se multiplient à une vitesse vertigineuse. À l’extérieur, les pays européens délèguent la répression afin de traiter le prétendu problème au plus près de sa source. Par l’intermédiaire d’accords de réadmission, qui obligent les pays tiers à « reprendre » leurs nationaux ou les migrants ayant transité sur leurs sols. Et via le financement de nouveaux camps et de nouvelles barrières à l’immigration. À Ceuta, aux frontières marocaines de l’Espagne, treize migrants (selon les chiffres officiels, a priori minorés) ont ainsi été tués en septembre 2005, lors d’une tentative de passage désespérée. En Libye, Khadafi est rémunéré par Bruxelles pour faire barrière aux immigrés subsahariens, parqués dans des camps sis en plein désert.
Dans la même veine, le sommet de la Haye a entériné en 2004 une « externalisation de l’asile » : les demandes sont étudiées en amont, dans des pays où les droits des migrants sont rarement respectés. La Mauritanie, la Turquie, la Libye, le Maroc ou l’Algérie développent ainsi leurs propres dispositifs d’enfermement et d’expulsion, sous la pression de l’UE. « Puisque l’immigration ne s’arrête pas aux frontières traditionnelles, il nous faut les dépasser nous-aussi  », expliquait en mars 2007 le vice-président de la Commission européenne, Franco Frattini. Mission accomplie.

Il faudrait des pages et des pages pour tracer les contours intérieurs et extérieurs de cette Europe du contrôle et de la répression, si obsédée par l’exclusion qu’elle en est venue à créer une agence spéciale de contrôle aux frontières, Frontex, opérationnelle depuis 2005. Il en faudrait tout autant pour décrire les parcours de ces migrants condamnés à l’errance perpétuelle et à l’enfermement, que ce soit à Calais, Patras ou Lampedusa. Géographie bipolaire que Jean Genet dénonçait déjà en 197911 : « Nous autres, civilisations, savons maintenant que la civilisation, c’est aussi ce projet de loi mis au point contre les hommes les plus pauvres du monde.  »


A lire sur Article11

Entretien avec Michel Agier : « Il y a le monde, et il y a les indésirables au monde »
Calais, des lieux pour se cacher du monde (photographies)



1 Le nom des militants No Border cités dans l’article a été modifié. Rappelons que le réseau lutte contre les politiques migratoires nationales et européennes. Présents à Calais depuis le camp d’octobre 2009, ceux de No Border défendent les squats, collectent des tentes et de la nourriture, donnent des cours aux migrants... Toute recrue, même temporaire, est bienvenue. Plus de renseignements ici.

2 Dans un passionnant entretien radiophonique réalisé le 19 novembre 2009 et disponible sur le site de Télérama, ici. Par ailleurs, un entretien avec Michel Agier a depuis été mis en ligne sur Article11, ici.

3 En trois ans, le « hangar », tenu par la Croix-Rouge, a vu passer 76 000 réfugiés.

4 Un des bâtiments composant l’Africa House.

5 Rapport 2009/2010 de l’association Migreurop.

6 D’autres patientent à Paris, sans structures d’accueil, comme les migrants afghans du Square Villemin.

7 Pendant l’hiver, la municipalité de Calais prête une salle pouvant accueillir environ 200 personnes, le BCMO, quand la température descend sous zéro. Les migrants qui y dorment entassés et sans matelas sont sommés de partir à huit heures du matin.

8 Expression utilisée par Mike Davis, notamment dans Planète Bidonvilles, Ab Irato, 2005.

9 Gérer les indésirables, des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008.

10 Adopté par le parlement européen en 2008, et souvent appelé « directive de la honte », cet ensemble de propositions prévoit, entre autres, une durée d’enfermement pouvant aller jusqu’à 18 mois, la systématisation de l’interdiction du territoire de l’UE pendant cinq ans pour les personnes expulsées ainsi que la détention et l’expulsion de mineurs, même isolés. Bruxelles appelle cela « harmonisation »...

11 Dans Le Monde, en réaction à un projet de loi sur la création d’un Office national d’immigration, prémisses aux politiques migratoires contemporaines.


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