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jeudi 26 février 2009

Le Cri du Gonze

posté à 08h31, par Lémi
20 commentaires

Courrier de l’au-delà : La Princesse de Clèves nous écrit à propos de la « vilenie sans grâce d’un homme de haut-rang »
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« Car oui, je vous méprise. Intensément. J’ai essayé de refouler ce sentiment, il sied mal à une dame de ma condition. Je n’ai pas pu. Comme l’était mon amour chaste pour le duc de Nemours, mon mépris pour votre personne est dévorant, incandescent. Je ne sais pas quoi en faire, il m’encombre, alors une fois pour toutes, je vous l’envoie au visage, comme on provoque en duel. Avec une rage froide, glaciale. »

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Monsieur,

Il fallait beaucoup pour me tirer de ma retraite, de mon pieux silence. Il fallait encore plus pour me pousser à prendre la plume. J’ai d’ailleurs longuement hésité avant de répondre à vos vilenies. Vos déclarations récentes sur l’ennui que je provoquais en vous, sur les baillemments qui toujours s’emparaient de vous à ma lecture, j’aurais pu les passer sous silence, les ignorer d’une morgue hautaine. Certes, je goutais peu le fait que vous fussiez si acharné à me dénigrer en public, mais, après tout, je vous accorde le droit de ne point m’admirer. Il en est du goût littéraire comme de l’amour, ses mécanismes restent mystérieux, volatiles.
Mais ce que je ne peux accepter, Monsieur, c’est que vous enrobiez vos discours me concernant d’une telle goujaterie. « J’ai beaucoup souffert sur elle », avez-vous ainsi déclaré, ponctuant votre malsaine déclaration d’un rire gras. Sur moi ? Mon dieu, quelle indécence hors-de-propos… Moi qui ai su rester vierge de toute faute, qui ai su tout au long de mon existence me préserver - au prix de quel combat intérieur ! - de tout écart à mon code de conduite, voilà que soudain je me suis sentie souillée, avilie. Sur moi ? Savez-vous au moins à qui vous vous adressez, frustre malandrin ? Moi, Princesse de Clèves, je suis l’imprenable mythique, la farouche madone de l’âme pure, celle qui jamais ne fréquentera ces territoires impurs que vous vous plaisez à arpenter au jour le jour. Que d’une saillie verbale vous me déclariez conquise, rustre impénitent, ceci je ne saurais jamais vous le pardonner.

Il ne saurait être question ici de vous demander des excuses, de plaider ma cause. Ce serait hors de propos et pour tout dire inutile. Il y a tant de choses que vous ne pourrez jamais comprendre, qui nous vouent pour l’éternité à une incompréhension mutuelle.
Je ne vous nommerai même pas, je suis sûre que vous saurez vous reconnaitre : les mauvaises gens telles que vous sont ainsi, toujours il leur faut se voir partout, se mirer dans chaque miroir, pour s’admirer, encore et toujours, même dans le mépris des autres. Vous goûterez mes mots en rougissant d’un plaisir niais et enfantin, content de savoir que dans l’autre monde aussi vous existez. Via mon mépris.

Car oui, je vous méprise. Intensément. J’ai essayé de refouler ce sentiment, il sied mal à une dame de ma condition. Je n’ai pas pu. Comme l’était mon amour chaste pour le duc de Nemours, mon mépris pour votre personne est dévorant, incandescent. Je ne sais pas quoi en faire, il m’encombre, alors une fois pour toutes, je vous l’envoie au visage, comme on provoque en duel. Avec une rage froide, glaciale.
Je ne vous ferai pas le plaisir de laisser cette rage prendre des proportions démesurées. Je l’affirmais en mon temps, je le pense toujours : « Les passions peuvent me conduire, mais elles ne sauraient m’aveugler. »
D’ailleurs, l’aveuglé commettrait la méprise de se ruer sur vous épistolairement, tous crocs rhétoriques dehors, il en sortirait immanquablement une impression du plus mauvais effet. Et ceci je ne le veux pas : stoïque je fus, ne cédant jamais à mon plus ardent désir, stoïque je resterai. Juste, il me faut mettre les choses au point.

Il est certain que nous vivons dans deux mondes différents. Le mien était fait d’abnégation, de rigueur digne, de respect des convenances. Le vôtre l’est d’argent facile, d’exhibitions toujours répétées, de luxe indécent. Savez-vous seulement ce que se refuser quelque chose signifie ? Connaissez-vous les tourments d’une âme qui choisit la rigoureuse beauté de l’intransigeance morale au lieu de céder à ses envies ? Non : vous êtes comme un enfant à qui l’on permettrait tout, qui ne saurait accepter qu’on lui refuse un caprice. Vous cherchez à avoir toujours plus, à amasser, comme ces malfrats qui gouvernent sous votre patronage. Moi, au contraire, je me contentais de ce que j’avais, trouvais dans cette abnégation matière à ravissement perpétuel.

Je songe à l’instant, à ces paroles du si admirable Stendhal (encore un dont vous ne devez point goûter les subilités), évoquant1 ma confession amoureuse au Duc de Nemours : « Tandis que le bonheur du duc de Nemours quand Mme de Clèves dit qu’elle l’aime est, je crois, au dessus du bonheur de Napoléon à Marengo. » Peut-être est-ce cela, vous qui me semblez si proche du ruffian Napoléon, qui ne vous sied pas en moi : la supériorité de mon bonheur, sa grandeur morale. En lisant mon histoire, ma lutte pour la sauvegarde de mon âme, vous vous sentez si étranger à ma grandeur que vous en concevez une intense jalousie. Vous ne pouvez imaginer ce bonheur immatériel, ces fulgurances qui traversent le « non-consommateur », celui qui choisit, plutôt que la satisfaction rapide d’un plaisir facile, le goût exquis du refus raisonné. Je le concède : votre société est ainsi, rapine toute forme de grâce. Mais vous, qui devriez donner l’exemple, refuser la facilité, vous en êtes, honte à vous, l’incarnation suprême et revendiquée. Dieu, que je vous plains.

Je vous plains pour votre vie vaine, dévouée à des plaisirs matérialistes.
Pour la haine que partout vous suscitez, même en moi, pourtant si étrangère à ce sentiment.
Pour vos amours, vulgaires et faux, des mauvais spectacles pour foules voyeuses.
Pour votre attitude de Néron post-moderne, car pendant que vous chantez faussement les airs de votre répertoire cupide, Rome brûle et que vous ne voulez pas le voir. Ce sera votre tombeau.
Et pour votre fin. Je la pressens sans âme, semblable au cours clinquant de votre vie. Et douloureuse, car tout se paye.

Pour finir, Monsieur, je vous adresse ces sommations :
Vous ne goûtez point ma compagnie ? Pour tout vous dire j’en suis fort aise. Mais, je vous en conjure, ou plutôt je vous l’ordonne, ne le proclamez plus avec cette indécence qui vous colle au plastron. Gardez cela pour vous, ravalez vos grossières saillies verbales, je garderai mon mépris pour moi.



1 Dans « De l’Amour ».


COMMENTAIRES

 


  • merci pour ce joli texte.



  • « [...] et douloureuse, car tout se paye »

    Clap ! clap ! clap !

    et standing ovation ...



  • Que d’une saillie verbale vous me déclariez conquise […]

    Excellent ! Bravo Princesse !

    Voir en ligne : http://carnetsfg.wordpress.com/



  • Ses principales lectures étant le cadran de sa Rolex et les courbes de sondages « Opinion-Way-Le Figaro » il serait fort surprenant qu’il puisse être tenté de lire la prose post-mortem d’une princesse qui a tant torturé les préposées de nos postes hexagonales. Tu féliciteras quand même de ma part la Princesse pour ce bel exercice de style.



  • Princesse, vous êtes une reine !



  • jeudi 26 février 2009 à 21h24, par Marquis de Chompitiarve

    Madame

    Humble quidam du commun, je tiens à m’incliner devant tant de justesse et de grâce.

    Etant doté moi même d’un naturel plébéien peu enclin à goûter les livres avec le mérite qu’au fond je leur connais
    (pour l’avoir quand-même subodoré, hein, suis pas totalement analphabête non-plus),
    vous me donnez envie d’allez chercher en vos aventures, fussent-elles turpides et désuètes, un brin de consolation au misérable spectacle du paltoquet que vous conspuez si véracement,
    Au passage, louée soit votre délicatese d’avoir su négliger la moindre tentation de vacherie que vous eussiez pu balancer à bon droit aussi sur sa greluche aphone, m’enfin, c’est pour dire, je résume, qu’il l’a pas volé, cet intouché de comice agricole.

    Enfin, bref.

    Ecoutez, par les temps qui courent, cette publicité imbécile qu’il vous fait par moquerie, qui sait : peut-être remplira-t-elle un peu l’escarcelle de quelque éditeur nécessiteux, l’encourageant à vous ressortir de la naphtaline où le mépris de toute intelligence et culture aujourd’hui la confine.

    Oui, même une édition de poche, il se trouvera des incultes dans mon genre piqués par la curiosité, et sûrement vous y trouverez quelques ami-e-s, tiens !
    Enfin, si j’ose aventurer un conseil : ne prenez plus la mouche, désormais,
    vous en perdriez le repos !
    pour un tel soudard , vraiment, ça n’en vaut pas la peine ...

     :-)

    Dévoué serviteur

    • « Cette publicité imbécile qu’il vous fait par moquerie, qui sait : peut-être remplira-t-elle un peu l’escarcelle de quelque éditeur nécessiteux, l’encourageant à vous ressortir de la naphtaline »

      Je préfère ne pas être lue que l’être pour de mauvaises raisons. Quoi, on me ressortirait à l’aune de ses ronces rhétoriques ? On me lirait les mains pleines de ses vociférations salissantes ? On m’ouvrirait en pensant à lui, préface orale maudite ? Je préfère à ce sacrilège le doux silence dans lequel je gis.

      « Louée soit votre délicatese d’avoir su négliger la moindre tentation de vacherie que vous eussiez pu balancer à bon droit aussi sur sa greluche aphone. »
      J’ai songé à étriller la péronnelle. Et m’en suis abstenu, consciente que la cible était trop facile, trop attendue. Les procédés dudit soudard me répugnent trop pour que j’en endosse la manière.

      Jouvencellement votre
      P. d C.

      • vendredi 27 février 2009 à 00h04, par Chomp’ la Roture

        « Je préfère ne pas être lue que l’être pour de mauvaises raisons »

        Ces raisons pourraient être bonnes,
        attisant la curiosité de la jeunesse en lui faisant réviser son préjugé commun que les choses anciennes sont vides d’intérêt, se pencher avec respect sur ce qu’un goujat dénigre, bref, voir dans le mépris d’un arriviste comme une provocation à l’intelligence, à tout le moins à une saine et connivente curiosité ..
        Enfin bon, c’est vous qui savez, hein ...

        D’la bise

        • Je ne parle pas avec des roturiers, grande andouille. (et on dit pas « D’la bise », mais « du baise main » dans mon monde...)
          Ceci dit, promis, je vais réfléchir à votre proposition. Il parait que XO éditions (l’éditeur de Loanna, consoeur ès grandeur morale) cherche de nouveaux débouchés. Avec une préface de ladite loanna (« pourquoi que je kiffe la princesse de Clève ») ce serait parfait...



  • Bravo !!!!



  • samedi 28 février 2009 à 00h07, par paulovaz

    Superbe réponse, totalement imméritée, mais il ne la lira pas : ça dépasse les six lignes que devraient totaliser les oeuvres littéraires écrites par Dany Boum qu’ils nous proposeront aux concours de la milice quand ils auront fini d’en finir.
    Grand merci, c’est jubilatoire, et d’une belle consolation. Je pense par ailleurs que le Duc de Nemours, ne vous méritant pas non plus, lui met cependant vingt-et-une fois fois sa race.

    Voir en ligne : vazLine

    • samedi 28 février 2009 à 16h08, par Lémi

      J’aime bien l’idée des oeuvres de Dany Boon aux concours administratifs. Nos fiers policiers n’en sortiraient qu’encore plus aguerris aux rudesses des temps présents.

      « le Duc de Nemours lui met cependant vingt-et-une fois fois sa race » : c’est évident, il ne saurait laisser passer l’affront fait à sa dulcinée.



  • samedi 28 février 2009 à 09h58, par Crapaud froid

    Au bas d’un article à la forme si littéraire, je ne puis que confesser n’avoir jamais lu La Princesse de Clèves, et féliciter l’auteur pour sa conclusion : « cette indécence qui vous colle au plastron » : tout est là.



  • Superbe ! J’adore.
    Le maroufle sert parfois à quelque chose. ;-)

    Voir en ligne : sarkoverdose



  • Hey hey, bravo Lémi...

    Dingue ce que la princesse peut inspirer en ce moment...

    Puisqu’il n’a jamais rien compris et ne comprendra jamais rien, puisqu’il n’a sans doute jamais rêvé d’être mousquetaire avec Dumas, républicain avec Malraux ni même connard avec le Drieu qu’écrivait quand même pas si mal -ni même Céline à tout le moins- puisqu’il ne saluera jamais chez Barthas la « haute valeur historique » et la « véritable oeuvre littéraire », puisqu’il se méprend sur l’un des plus beaux chefs-d’oeuvre du patrimoine, celui qui relie Lascaux au comico de Clichy cramé en novembre 2005, puisqu’il ignore l’histoire et gerbe sur les Glières, puisqu’il conchie les mots et le reste, puisque de toute façon voilà quoi, on ne saurait écrire sans savoir penser au préalable, il est juste que ce soit elle qui porte l’étendard de la fin de ce monde. Elle a ouvert la voie. Aux moralistes du XVIIe, langue si pure que le Nietzsche eût voulu voir traduite en grec ancien, au scalpel des orateurs révolutionnaires méprisant la poussière qui les composent et qui parlent pourtant, au flot du XIXe que le bon Gustave exsude, à Louis-Ferdinand et à Marcel, à moi, aussi, un peu, même si elle doit bien s’en foutre.

    Elle doit bien se marrer aussi qu’il ait autant « souffert sur elle... ». Elle doit juste attendre que la Emma B. la rejoigne dans la charrette parce que bon, hein, les histoires de pharmaciens à Yonville-l’Abbaye, ça va bien cinq minutes, mais faut qu’on r’tourne à Gandrange...

    Et donc, l’air de rien, trois cents ans plus tard, elle revient, douce, retirée, volatile. Et je lis ça, aujourd’hui :

    « La grève, à Paris IV comme ailleurs, nous l’avons voulue active. Cela veut dire que vous venez en cours ; simplement, nous changeons de programme. Nous pourrons explorer toutes sortes de sujets, débattre autour de films, analyser si vous le voulez les discours et représentations autour de l’université, ici et aux Etats-Unis, examiner le rôle des médias dans un mouvement comme celui qui a lieu actuellement, le vocabulaire utilisé pour parler de la colère. Pourquoi dire que nous avons “peur”, vocable qui revient le plus souvent ? Pourquoi l’omniprésence du mot “grogne” pour évoquer nos protestations et actions, alors que le gouvernement, lui, n’est pas décrit comme “aboyant” ? Quelles métaphores pour structurer quels discours et quels partis-pris ? Toutes sortes d’événements un peu ludiques seront par ailleurs programmés, parmi lesquels des cours dehors (s’il fait moins froid), pour que l’on sache ce qu’est un cours universitaire ; des ateliers de correction de copie sur les discours de Valérie Pécresse (définissez le mot “dialogue”) ; (...) pendant que d’autres défilent en toge — chacun manifeste à sa manière. »

    Et évidemment, les (...) pour la bonne bouche :

    « certains de mes collègues de lettres d’autres universités font aussi des lectures à voix haute de la Princesse de Clèves tant haïe de M. Sarkozy »

    Hu hu hu.

    La résistance s’organise diablement, les z’aminches. Promis, la prochaine manif’, au beau milieu du cortège des méchants terroristes anarcho-autonomes franciliens internationaux, je défilerai avec « ma » Princesse de Clèves fièrement brandie. Par contre, faudra juste que je fasse gaffe à pas me planter de main avec le pavé que j’aurai dans l’autre au moment de balancer l’objet.

    (Et pour mémoire, au moment du premier discours, y avait même le Beigbeder qui y était allé de sa tendresse. Lui par contre, faudra qu’il fasse gaffe avec le sachet de coke dans l’autre main au moment de balancer l’objet.)

    Le dernier mot à la Princesse, pour finir. Toute ressemblance avec...

    Mais là n’est même pas l’important. De la beauté à l’état le plus pur et le plus simple.

    J’imagine la Cour au loin, les fastes de Versailles ont supplanté ceux de Vaux que les souvenirs embrumés par le temps ont déjà fait légendes, Louis triomphe et l’on ne se presse plus guère au passage de la Reine.

    « Il n’y avait aucune dame dans la Cour dont la gloire n’eût été flattée de le voir attaché à elle ; peu de celles à qui il s’était attaché, se pouvaient vanter de lui avoir résisté, et même plusieurs à qui il n’avait point témoigné de passion, n’avaient pas laissé d’en avoir pour lui. »

    Bientôt, Louis prendra l’Autrichienne.

    Bientôt.

    Voir en ligne : la VO (avec les liens qui vont bien...)



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