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jeudi 20 janvier 2011

Littérature

posté à 15h01, par Lémi
39 commentaires

Grandeur et décadence du préjugé littéraire
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Dur à admettre. Personne n’aime reconnaitre la partialité de ses enthousiasmes et dégoûts littéraires. Comme si - en ce domaine - un jugement ne pouvait se concevoir autrement que 100% objectif. Un non-sens. Rares ceux qui naviguent en toute innocence en librairie, ne jugent que par l’écrit pur, hors de toute autre considération. Ce n’est peut-être pas plus mal.

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« Il est plus difficile de détruire un préjugé qu’un atome. » Albert Einstein

D’abord, je l’ai snobé, Monstres invisibles. Bassement. Quand on me l’a offert pour cause de Christmas, je lui ai à peine jeté un coup d’œil, le temps de m’enquérir : « Tiens, Chuck Palahniuk, ce n’est pas le type qui a écrit Fight Club, le bouquin qui a engendré la bradpitterie cinématographique du même nom ? » - « Si si, m’a-t-on répondu, j’ai visé juste, hein ?  » Bah tiens. S’il n’y avait pas eu tous ces regards familiaux embusqués, il n’aurait pas tardé à rejoindre la poubelle, le Chuck.

Il y a ce passage croustillant à souhait dans Pierrot le Fou de Godard, quand Anna Karina revient d’emplettes et que Belmondo pique une colère parce qu’elle a acheté des vinyles : « La musique, après la littérature !!! », hurle-t-il, avant de balancer les disques en question dans la nature, mesquin et théâtral. Exactement ce que j’aurais aimé faire avec Monstres invisibles, en adaptant mon discours au contexte, toute mauvaise foi sortie : «  Un auteur qui s’offre déjà à moi en film avant de me revenir sous forme imprimée ne mérite aucune estime ! Dehors !  » Et Chuck de s’envoler par la fenêtre comme une grive lépreuse.

Über-caricatural. D’autant que je n’avais aucun élément pour étayer ma position : je n’avais jamais lu le moindre bouquin de Palahniuk et dézinguais au hasard, par pressentiment. Cerise sur ma nazitude et confirmation de mes penchants au jugement à l’emporte-pièce, je viens de lire Monstres invisibles pour cause d’enlisement dans l’ennui sans autre dérivatif et... madre dia, je l’ai trouvé méchamment démoniaque, aussi drôle que glauque. Une des mes meilleures surprises littéraires depuis un bail (ou comment une héroïne au visage arraché - littéralement - rencontre une égérie vaporeuse en quête de vaginoplastie pour un road-novel sous hormones ; le tout magistralement écrit). Or, sans quelques coups de pouce du sort (Noël + boulot abrutissant d’ennui derrière la réception d’un hôtel désert + pas d’autre bouquin sous la main), jamais je n’aurais lu Chuck Palahniuk. J’aurais continué à penser « Ah oui, c’est le gars qui a écrit Fight club, hmmm, gentillet, mais m’intéresse pas, un type qui couche avec Hollywood »... Et ma planète littéraire aurait continué à tourner sans se poser de questions, confortablement engoncée dans ses molles certitudes. Alors que là, non, elle hésite, giration en sursis.

Les gros sabots néfastes du jugement à l’emporte-pièce

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Généralement, on évacue vite ce genre de révélations. Comme si cela relevait de l’exception, d’une erreur de jugement erratique, peu représentative. Le jour où j’ai découvert que Duras était lumineuse après de longues années à la taxer de vieille soulée soûlante, je n’ai pas trop approfondi la question, ni cherché à savoir d’où venait ma caricaturale position de départ. Pourtant, par un biais étrange, j’en étais venu à détester un grand écrivain dont je n’avais pas lu une ligne. Comme le gosse qui abhorre le pastis sans jamais l’avoir goûté. Hérésie.

On se voudrait toujours détachés de ce genre de clapotis neuronaux. Esprits purs ne jugeant que sur pièces, le cervelas vide de tout préjugé, de toute considération autre que littéraire. Bah non. Et je ne pense pas que grand-monde échappe à ce type d’erreurs d’aiguillages. Une simple couverture ratée peut dégoûter à vie de l’auteur qui saurait le plus vous enthousiasmer1. Ou bien c’est votre pire ennemi du lycée qui se pâmait pour un auteur qu’en représailles vous avez illico catalogué comme monstrueusement niais. Ou la photo au dos du bouquin qui a déclenché votre ire (pour qui il se prend, ce péteux, avec sa gomina ?). Ou bien votre habitus qui fait des siennes, votre misogynie enfouie qui dicte vos rejets, votre enlisement dans une mono-culture, votre manque de curiosité, votre pedigree littéraire qui vous snobinardise...

Combien de livres et d’auteurs géniaux chacun de nous relègue-t-il - consciemment ou non - sur un a priori stupide ? Pourquoi n’ai-je jamais été capable de me plonger dans un bouquin écrit par un auteur chinois si ce n’est par caricature inconsciente de la sino-culture (des types qui se branlent shintoïsement pendant des pages et des pages devant des nénuphars, très peu pour moi) ? Pourquoi je considère Tahar Ben Jelloun comme un auteur pour ridés mous alors que je ne sais même pas à quoi ressemble sa prose ? Pourquoi, à l’inverse, je continue à penser que Roberto Bolano est un grand auteur quand je n’ai jamais réussi à finir un de ses bouquins ?

Il serait triste de ramener ces élans à une question de posture. Il n’est pas question ici des décérébrés qui achètent le dernier Éric Holder parce qu’il fait chic sur la table du salon et rejettent tout ce qui n’est pas estampillé Inrocks. Ou des endives bipèdes qui ne lisent que les prix littéraires. Ceux-là étaient perdus dès le départ, finis au pipi social. Nan, je parle de ceux qui s’immergent vraiment dans les livres comme le bourdon dans le pistil, voracement, et se bouchent pourtant certains horizons à coups de stéréotypes. Maladie récurrente contre laquelle il n’existe à ce jour qu’un seul remède connu et certifié : la curiosité fouinante, modeste et non formatée. L’amour avec un(e) libraire fonctionne aussi, paraît-il.

Nécessaire coup de balai subjectif

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Là où le débat devient intéressant (plus que dans l’auto-flagellation consistant à se lamenter sur le thème ouin-ouin, je suis un mauvais lecteur, jetez-moi des pierres), c’est lorsqu’on interroge les cas où la mauvaise foi est bienvenue, voire nécessaire. Posture d’auto-défense. Quand plus de sept cents livres déboulent dans les étals en une seule rentrée littéraire, quand des impostures moisies tiennent le haut du pavé depuis si longtemps2, une réaction guerrière s’impose. Question de logistique. Et de flair. Faut-il vraiment avoir lu le dernier Angot pour le descendre en flammes ? Même : est-il nécessaire d’avoir lu un seul bouquin d’elle ? Ne peut-on se contenter de ses apparitions médiatiques et d’un rapide feuilletage ébahi (Wahou, toujours plus profond que le fond) pour la vouer aux flammes de l’enfer littéraire ?

Je les ai très peu lus, et pourtant ; je méprise Beigbeder, déteste Camille Laurens, grimace devant Camille de Toledo, baille avec Paulo Cohelo, geint d’ennui à la simple vue d’Alexandre Jardin, et je m’estime en position de le faire, presque honnête dans ma position. Presque parce que, comme tout le monde, j’aime en rajouter dans le négatif (et le positif), prends un plaisir certain à descendre en flammes les impostures et à souffler sur les braises de la critique fielleuse. Mais ce n’est jamais totalement gratuit.

Parce qu’il y a des a priori valables, une mauvaise foi ayant raison de se revendiquer comme telle. Houellebecq n’est pas le pire écrivain du monde, surnage largement au-dessus des bulbeux mous précités, mais il est trop tard désormais pour le traiter comme un porteur de mots : il appartient au barnum spectaculaire, ne porte plus que des images de lui-même, des refrains louches & prémachés. Itou pour Nothomb. Ceux-là prennent tellement de place eu égard à leur talent (réel mais pas transcendant, et en chute libre) qu’il est logique de ne pas entrer dans la danse, de tourner la barre vers d’autres horizons - moins rebattus, moins monoformés et moins enclins à la complaisance mass-typée.

La défiance envers les stratégies médiatiques des gros éditeurs et les impostures du monde du livre ne doit évidemment pas primer sur toute autre considération - postuler qu’un livre (ou un film, un disque) est mauvais simplement parce qu’il se vend bien, snobisme inversé, n’a jamais été un grand signe d’intelligence -, mais reste éminemment nécessaire pour qui entend se forger une vision des choses personnelle. Quand 100 moutons chiants squattent mon abreuvoir, j’en cherche un autre. Traduction : même si le dernier Houellebecq n’est peut-être pas une bouse infâme (remember Extension du domaine de la lutte, potable), ça m’écorcherait les neurones d’aller claquer vingt euros pour un livre si omniprésent dans des lieux où le verbe est mort et l’esprit enterré.

Où l’on se rassure (un peu vite), avant de conclure à l’inanité de ce billet

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Reste que la subjectivité à l’emporte-pièces ne déborde pas seulement sur les huitres médiatiques, mais aussi sur d’autres écrivains, moins évidemment détestables. Si bien que ce débat n’a pas de fin. Face à la mauvaise foi, on se persuade toujours qu’on appartient à la catégorie des subjecteurs de conscience, ceux qui trichent pour la bonne cause, trient par amour de la vraie littérature. On se rassure en parcourant sa bibliothèque (réelle ou mentale) et en y découvrant des auteurs qui, pour une raison quelconque (politique, sociale, géographique), ne s’inscrivent pas dans une évidence identitaire. Pour un gauchiste invétéré, par exemple, posséder les meilleurs bouquins du proto-facho Maurice G. Dantec (ceux où il science-fictionnise avec classe sans déblatérer politique3) ou de Céline offre à peu de frais la conviction que les œillères n’empiètent pas sur le jugement. Pour un contempteur du cirque médiatique, admettre que Nicolas Rey ou Brest Easton Ellis ont eu une sacré plume à leurs débuts offre le même genre de réconfort. Et ainsi de suite.

Mais ce n’est pas toujours si simple, far from, et les exceptions ne suffisent pas à contredire la règle. D’ailleurs, cette troisième partie de billet s’appelait originellement Les vrais auteurs finissent toujours par passer la barrière des préjugés. Même (surtout ?) les connards finis, avant que votre serviteur ne se rende compte du ridicule de l’affirmation. Même le meilleur lecteur du monde ne saurait juger chaque ouvrage en toute pureté, sans un système de valeurs déjà établi. Ce dernier peut bien sûr évoluer, mais il serait illusoire d’imaginer l’effacer. Ma main à couper que le lumineux Borges, lecteur entre les lecteurs, n’aimait pas le grand Bukowski. Logique. Et alors ?

Cul-de-sac. À bien y réfléchir, ce billet est sûrement contre-productif, voire totalement stupide. Trop réfléchir à ses goûts & emballements, c’est la meilleure manière de les figer. Et s’il existait une échelle de valeur infaillible permettant de classer la littérature, cette dernière deviendrait aussi insipide qu’une réunion de travail du Goncourt. Nope, à chacun sa propre échelle, et les vaches stylistiques seront bien gardées. Ce qui permet d’ailleurs de briller dans les soirées mondaines, raffinement suprême : «  Oui, le dernier livre de Jane Sautière, Nullipare, m’a décoiffé, un mistral littéraire de force 10 sur l’échelle de Lémi. » À la terrasse du café de Flore, en tout cas, ça fait toujours son petit effet...



1 L’huître Jbb en est toujours à refuser de lire Le Seigneur des porcheries, signé Tristan Egolf, livre qu’on penserait écrit pour lui, tout ça parce que la couverture lui semble rébarbative.

2 Relire encore et encore le jouissif La Littérature sans estomac, signé Pierre Jourde.

3 Comme le fantôme d’un jazzman dans la station Mir en déroute, par exemple, mérite plus qu’un regard dégoûté


COMMENTAIRES

 


  • jeudi 20 janvier 2011 à 16h34, par Soisic

    Enfant puis adolescente, je choisissait mes lectures dans la bibliothèque familiale (réduite) en fonction de l’attrait que suscitait en moi la couverture et/ou le titre d’un livre. J’ai pu ainsi, et malgré les risques de cette « technique » peu fiable, découvrir de belles choses (je me souviens de « l’idiot » de Dostoîevski, « kaputt » de Malaparte, « Sarn » de Mary Webb ou « La peste » de Camus).

    Si j’ai ensuite erré de lectures fades (souvent) en écrits exaltants (parfois), je crois pouvoir dire que je ne me trompe plus que rarement dans le choix de mes lectures actuelles.

    Je pense que chaque lecture est une rencontre et que cette rencontre, si elle nous est dictée ou imposée (prix « Trucmuche », succès de librairie, matraquage médiatique,...), perd de sa saveur. Il est toujours préférable de rester maître de ses choix. En lecture aussi.

    • dimanche 23 janvier 2011 à 21h20, par Lémi

      Perso, cette technique du titre choisi au feeling dans la bibliothèque familiale ne m’a pas toujours réussi. C’est comme ça que, aspirant ado, j’ai découvert Duras (« L’amant » semblait un titre prometteur pour le boutonneux libidineux que j’étais – publicité mensongère) et illico déserté pour un bail la voie/voix Marguerite. Par contre, ça a marché avec d’autres trucs, notamment quelques amours de jeunesse – Kessel, Zola et London. So : un hourra pour l’instinct juvénilo-littéraire. D’ailleurs, les préjugés viennent plus tard, quand l’enfant se carapate et que l’adulte se glisse à sa place...

      Il est toujours préférable de rester maître de ses choix. En lecture aussi. Lu et doublement approuvé...



  • jeudi 20 janvier 2011 à 16h48, par luc b

    Très juste.

    D’autant plus que la littérature chinoise, celle qui peux nous parvenir en France tout du moins, est toujours un souffle sur nos neurones empoussiérés, analyse sociétale acerbe mêlée de poésie, d’incitation au voyage...

    Alors que la littérature anglo-saxonne, ou plus exactement anglo-américaine car les saxons nous réservent parfois quelques agréables surprises, en est à un tel point de décadence que plus rien d’intéressant ne semblent pouvoir en sortir pour les quarante années à venir ; Copies stylistiques, plagiats et surtout aucune inventivité semblent être les règles qu’elle s’est maintenant fixée !

    Alors oui, s’il vous plait, stop aux préjugés !

    • dimanche 23 janvier 2011 à 21h22, par Lémi

      Je viens bien quelques pistes chinoises, puisque tu sembles friand de sinoiseries.

      Alors que la littérature anglo-saxonne, ou plus exactement anglo-américaine car les saxons nous réservent parfois quelques agréables surprises, en est à un tel point de décadence que plus rien d’intéressant ne semblent pouvoir en sortir pour les quarante années à venir : pas si vrai, il me semble. J’aime beaucoup Percival Everett, par exemple. Et Tristan Egolf (qui a certes rejoint le Walhalla il y a peu). Et je grignote avec plaisir Robert McLiam Wilson (ah oui, c’est un saxon). En fait, tu as peut-être raison : tous les noms qui me viennent à la tête ne sont pas de toute première fraicheur. Ceci dit, il y a surement des perles bien cachées, ne désespérons pas de la patrie brautiganienne.

      • lundi 24 janvier 2011 à 15h42, par un-e anonyme

        Commence par Gao Xingjjan, si t’as du temps pour te plonger dedans pdt tes nuits.
        J’avais prêté un de ses bouquins à une certaine huitre qui me l’a perdu..

        Si t’aimes pas, il ne te restera plus qu’à replonger dans la niaiserie typiquement américaine, ou pire, les essais politiques..



  • vendredi 21 janvier 2011 à 11h02, par Isatis

    Plutôt que des préjugés, j’aurais des restrictions mentales d’une bêtise confondante sans même essayer de m’en défaire.

    Entendre Duras en entretien un jour a suffit pour que jamais je n’ouvre un bouquin de cette poseuse, penser aux positions d’Hugo ou de, pire encore, Chateaubriand, me fait fuir. Imaginer la face d’empeigne de Houellebecq et le souvenir cuisant du seul livre de lui que j’ai réussi à finir je ne sais comment me fait réfugier dare-dare dans un bon polar. De toute façon, j’en raterai des milliers d’ouvrages alors pourquoi me forcer, hein ......

    Et, au fait, Pygmy, ça m’a vachement plu. Pas facile de rentrer dans son tic d’écriture mais après, ça roule tout seul. De plus, c’est vachement marrant, ce qui ne gâte rien.

    • vendredi 21 janvier 2011 à 11h58, par Karib

      Ah, Isatis, tu aurais voulu démontrer a contrario tout le bien qu’il faut penser du billet délicieux de Lémi que tu ne te t’y serais pas pris autrement.
      Les situs, que j’aime beaucoup, détestaient Duras. Ils avaient tort. C’est vrai que ses entretiens sont souvent horripilants (pas toujours), qu’elle aurait mieux fait de la boucler avant de l’ouvrir dans l’affaire dite du « petit Grégory », qu’elle est adulée par les petits marquis socialistes et que les profs de gauche la citent avec des airs de chaisières. Vrai. Pas grave. Pas grave du tout. Il est licite d’aimer Marguerite Duras pour les douleurs de l’amour et les douceurs du verbe, pour l’intelligence aiguë des ressorts de l’inconscient, pour ses phrases lestées et jamais lourdes, pour la surprise qu’on éprouve devant ces mots tout simples qu’on croyait usés comme de très vieilles monnaies trop souvent glissées entre nos doigts.
      Et puisque tu parles de Chateaubriand... je me suis retrouvé il y a quelques jours avec entre les mains un bel exemplaire des Mémoires d’Outre-Tombe dans la Pléiade. Souvenir de famille. Quelle merveille ! Quel plaisir de s’abandonner au chatoiement d’une telle écriture. Oui, c’est vrai, monarchiste et réactionnaire. Pas grave. Pas grave du tout. D’ailleurs il est mort. On s’en fout.
      Tiens, Lémi, Amélie Nothomb est un excellent écrivain. Elle a du succès ? C’est vrai. Médiatique ? C’est vrai. A ce qu’il paraît, puisque je ne lis jamais les revues ou les magazines où l’on parle d’elle. Je m’en fous. J’ai lu certains de ses livres, pas les derniers, et elle m’a emporté, l’Amélie.
      Evidemment, Amélie Nothomb n’est pas Chateaubriand, ni Victor Hugo (qui aimait tant l’ordre, la bourgeoisie et tout ce qui va avec) mais à la différence de tant de Narcisse du clavier, elle sait écrire.

      • vendredi 21 janvier 2011 à 14h48, par Isatis

        “Ah, Isatis, tu aurais voulu démontrer a contrario tout le bien qu’il faut penser du billet délicieux de Lémi que tu ne te t’y serais pas pris autrement.”

        Ben, c’est justement quoi c’est que je voulais faire :-)

        Comment ? Je ferais mieux de lire Chateaubriand, ça améliorerai ma qualité d’expression ? Ah d’accord, si je tombe sur les mémoires d’outre, promis j’ouvre en pensant à ta réponse ;-)

        • dimanche 23 janvier 2011 à 21h24, par Lémi

          @ Isatis

          Je ne connais pas Pygmy dudit Chuck, hop, sur la liste.

          De toute façon, j’en raterai des milliers d’ouvrages alors pourquoi me forcer, hein … Oui, c’est peu ou prou la conclusion à laquelle je suis venue. Ceci dit, infléchir la barre, ouvrir les écoutilles, ça peut toujours éviter la pantouflardise neuronale (je dis ça pour moi), qui guette forcèment au coin du bois...

          @ Karib

          Il est licite d’aimer Marguerite Duras pour les douleurs de l’amour et les douceurs du verbe, pour l’intelligence aiguë des ressorts de l’inconscient, pour ses phrases lestées et jamais lourdes, pour la surprise qu’on éprouve devant ces mots tout simples qu’on croyait usés comme de très vieilles monnaies trop souvent glissées entre nos doigts. Exactement ce que j’essaye parfois d’expliquer sans jamais y parvenir. Il y a plein de bonnes raisons d’en avoir ras la casquette de Marguerite. Et puis il y a ces livres qui t’empoignent de force, les mots polis comme des galets qui ricochent à la surface.

          Et pour Amélie N, j’ai un très bon souvenir (mais lointain) d’un de ses premiers livres (oublié le nom – l’histoire d’un écrivain qui a séquestré son amour d’enfance), mais tous ceux que j’ai lus par la suite m’ont un peu déçus. Ceci dit, je pense qu’elle a un cerveau d’élite avec un imaginaire qui lui est propre, ce qui est déjà beaucoup. (note bien, stp, que j’avais pris soin de la différencier d’andouilles insipides à la Angot ou Delerm)



  • vendredi 21 janvier 2011 à 17h55, par wuwei

    Nous avons tous des préjugés ainsi même si Houellebecq n’est pas le pire écrivain du monde je n’ai jamais pu moi-même lire plus loin que le titre d’un de ses bouquins sans pouvoir définir le pourquoi de ce rejet. Par contre même si je considère Céline comme un parfait salaud j’ai lu et relu « Voyage au bout de la nuit » et « Mort à crédit » sans là non plus expliquer la cause de cette passion. Mais pourquoi devrait-on systématiquement tout expliquer et justifier ?

    • dimanche 23 janvier 2011 à 21h24, par Lémi

      Mais pourquoi devrait-on systématiquement tout expliquer et justifier ? J’en étais arrivé à cette conclusion en toute fin de billet. Du coup j’avais le choix entre le supprimer, direction la corbeille, ou assumer le côté work in progress (genre, ce billet n’a pas de sens, mais au moins je m’en rends compte). La deuxième solution l’a emporté, d’une courte tête...



  • samedi 22 janvier 2011 à 14h59, par George Weaver

    Merci pour la franchise de ce billet qui nous concerne effectivement tous, camarade. Soit dit en passant, Fight Club est loin d’être un mauvais film, malgré ses ambiguïtés, mais le roman le surpasse de beaucoup.

    Le plus marrant, c’est quand on se met à tout dévorer d’un auteur que jusque là on tenait en piètre estime, pour telle ou telle raison exotérique. Ça m’a fait le coup avec Manchette (!), longtemps tenu à l’écart à cause de sa gloriole, avec Échenoz pour la même raison, et pareil que toi pour Duras : lorsqu’une chérie a enfin réussi à me convaincre de lire Le ravissement de Lol V. Stein, j’ai été complètement sidéré par la beauté de l’écriture, la folie de ces phrases chaotiques, illogiques, qui touchent néanmoins droit au cœur.

    Mais la réalité, c’est que ces critères externes sont indispensables, car même en ne prenant que les « bons livres » (oui, je sais, toute la question est là), on n’a pas le temps de tout lire (enfin, pas moi en tout cas). Et on ne peut pas choisir en connaissance de cause puisque cela demanderait précisément de lire l’auteur rejeté. Et puis il y a les grands classiques, les monuments, qu’on diffère, qu’on diffère, qu’on diffère…

    Enfin, tu as raison de rappeler que Borgès n’aimait sans doute pas Buk, ni j’imagine Selby ou les beatniks : si on avait tous les mêmes goûts, notre existence serait encore plus mortellement chiante (s’il est possible). On peut discuter des goûts et des couleurs, mais il y a toujours la limite du naturel de chacun. Pour ma part, Amélie Nothomb, j’ai essayé (son truc au Japon), j’y arrive pas, ça me tombe des mains. Même Will Self, dont plusieurs de mes amis tiennent pourtant Ainsi vivent les morts en très haute estime. Enfin bon, je ne vais pas me mettre à établir des listes qui n’intéressent personne…

    Et je t’assure : même les libraires ont des œillères !

    • dimanche 23 janvier 2011 à 21h25, par Lémi

      Ah, tiens, on a eu la même histoire avec Manchette. Tout ce foin autour de lui m’emmerdait à muerte, et pis, une fois que j’ai eu « Le Petit bleu... » dans les mains, bing, le grand plongeon. Même ses chroniques publiées chez Rivages noir sont fantastiques.

      Pour Will Self, Mon idée du plaisir est vraiment un bon livre, totalement barré et glauque.

      Et je suis dévasté d’apprendre que même un libraire n’a pas le temps de lire tous les livres du monde. Ca voudrait dire que, puisque j’ai encore moins de chances que toi d’y arriver (pas de librairie sous la main), alors mon objectif de vie formulé vers les 12 ans (TOUT lire) ne sera jamais rempli. Damned ! Faut dire que c’était sacrément con comme objectif.

      • lundi 24 janvier 2011 à 14h12, par George Weaver

        Tout Manchette est magnifique. Je viens de relire La princesse du sang, que je n’avais pas repris depuis sa sortie : c’est une pure merveille. Ne surtout pas négliger le recueil Cache ta Joie !, chez Rivages, qui contient des diamants — comme par exemple la nouvelle Basse-fosse.

    • jeudi 27 janvier 2011 à 12h20, par thé

      Manchette, j’ai essayé, sur les conseils de Geoge ; encore que, « conseil » convienne peu. Déçue par cette écriture presque ronde, presque prévisible. J’ai essayé plusieurs fois. Docteur ?
      Sur le reste, on ne sait pas toujours où nos amours littéraires vont tomber.
      Il suffit de presque rien.
      Céline, bien sûr ; Chateaubriand aussi comme l’a si bien dit Karib ; mais aussi Bossuet et tant d’autres

      • jeudi 27 janvier 2011 à 18h12, par George Weaver

        Hé bien, cela illustre très bien ce que j’écrivais ci-dessus le 22 à 14h59 (dernier paragraphe) : pas de maladie en vue !

        • jeudi 27 janvier 2011 à 23h35, par thé

          La limite du naturel de chacun me trouble un peu
          Mon « naturel » me pousserait à aimer Manchette
          Je vous sais gré, cependant, Georrge (en avais oublié un) de votre diagnostic
          Cependant, je sais pas bien s’il est valable
          Je suis un peu adict
          Les romanciers, non ; mais, les poètes, je vérifie à la virgule près
          sans en avoir l’air
          Sinon, oui, je ne sais pas s’il y a un naturel
          Je n’en suis même pas du tout sûre
          Ce serait trop facile
          et n tournerait en rond

          • vendredi 28 janvier 2011 à 18h52, par George Weaver

            « Ingenium », disait Spinoza : la constitution historique singulière de chacun de nous, si vous préférez. La vôtre vous incite à lire Manchette pour des raisons d’ordre politique (pour aller vite), mais fait aussi que vous n’appréciez pas son écriture, voilà tout.



  • samedi 22 janvier 2011 à 16h48, par joseph

    Ben alors ?
    M’étonne pas, moi, qu’il soit bien loin d’être à jeter par la fenêtre ce bouquin.. Parce que le soir où (y a bien longtemps) j’ai atterri à cette séance de Fight Club, ce soir là c’est quand même une bonne baffe dans ma gueule que je me suis prise ! C’est pas Orson Welles, c’est sûr, mais « bradpittrerie hollywoodienne » tout de même.. Hollywoodienne de fait, mais de fait seulement, c’est aussi un très bon scénar.

    Je dis ça mais j’ai les mêmes tendances au préjugés.. avec aussi des zones franches.
    Et justement au milieu de la zone franche, comme pour beaucoup d’autres, il y a cet espèce de sale cafard antisémite qu’on voit en photo là, en bas de ce billet, comme par hasard, cet espèce de raclure.. qui m’a donné gout à la lecture.
    Bien amené : dans le monde des jugements cette enflure reste LE caillou dans la chaussure.

    Céline aurait sans doute chié sur sa « célébration ».
    Leur « indignation » téléguidée est pitoyable, elle ne sert qu’à essayer de nous faire croire, une fois de plus, que les humains peuvent être simplifiés et moralisés.
    Faut le dire, merde !.. d’ailleurs c’est surtout ça que j’avais envie de dire ;)

    • dimanche 23 janvier 2011 à 21h26, par Lémi

      Ouaip, j’ai été un peu méchant avec le film, question de subjectivité. Perso, je l’ai trouvé pas mal, efficace et bien foutu, sauf la fin un peut trop mélodramatique et attendue. Ceci dit, j’ai ce problème avec les films tirés de livres, je trouve qu’ils tirent trop la couverture à eux : comme « Las Vegas Parano » : film grandiose en soi, mais pet de nonne comparé au bouquin d’Hunter S Thompson. Du coup, me suis vengé sur Fight Club. Mesquin mais défoulatoire...

      • mercredi 26 janvier 2011 à 14h56, par ZeroS

        Alors, peut-etre ton dernier paragraphe est-il un clin d’oeil a la conclusion du film : faussement plaintif, autocomplaisant, somme toute inutile ?

        Meuh oui, on t’aime Lemi, meme seul et coince derriere une reception d’hotel avec Palachnuk dans les paluches.

        Sinon, parait que Choukri est plus cool que Ben Jelloun.

    • lundi 24 janvier 2011 à 15h06, par George Weaver

      Désolé, joseph : à l’heure où j’ai lu ton commentaire je n’étais pas encore au courant de cette pitoyable affaire, je croyais que tu parlais de « célébration » en général.

      Mais je ne suis pas sûr que Céline aurait chié dessus : il était très avide de reconnaissance. Dans les dernières lettres qu’il adresse à Gaston Gallimard, après que Paulhan a jeté l’éponge et refuse de poursuivre sa correspondance avec pareil mauvais caractère, Céline s’offusque de ce que son œuvre ne reçoit pas assez de publicité, et il presse l’éditeur de le publier en Pléiade (voir Lettres à la N.R.F. (1931-1961), Gallimard, 1991).



  • samedi 22 janvier 2011 à 16h51, par pièce détachée

    Billet et commentaires épatants ! Ça incite à commencer une pile « à lire » (hin hin) spéciale pour Alberto Manguel, auteur d’Une Histoire de la lecture et de plein d’autres choses délectables, traduites chezActes Sud. Et son site, c’est par là.



  • samedi 22 janvier 2011 à 19h06, par George Weaver

    Tiens ! à propos de Céline, j’apprends ceci… Misère, je comprends pourquoi deux personnes aujourd’hui sont venues me demander « le fameux livre interdit : Voyage au bout de la nuit »…

    • dimanche 23 janvier 2011 à 11h25, par Karib

      Céline...
      Comme tout le monde, partagé que j’étais entre l’auteur du Voyage au bout de la nuit et celui de Bagatelles pour un massacre, il m’est un jour venu l’idée de lire différemment l’un des plus ignobles pamphlets antisémites de Céline, Les beaux draps, publié pendant l’occupation.
      Mentalement, j’ai remplacé chaque fois les mots « juif », « juiverie », « youpin » etc. par « bourgeois », « bourgeoisie », « capital », « capitalisme », etc.
      M’est alors apparue l’une des plus formidables charges jamais écrites contre la petitesse, la bassesse du monde contemporain, contre l’ignominie que nous subissons quotidiennement. A côté, les textes de Léon Bloy ressembleraient presque à du Paul Bourget.
      Essayez, vous verrez. Ca marche presque à tous les coups. Presque, parce qu’il reste tout de même des passages où le racisme biologique demeure irréductible à toute transposition dans le registre du politique et du social.

      • dimanche 23 janvier 2011 à 21h29, par Lémi

        @ George :

        Au moins, ça a le mérite de te ramener deux nouveaux clients... Pas de petits profits (ceci dit, je t’imagine bien les mettre à la porte en rugissant devant tant d’ignorance).

        @ Karib

        Je suis un peu sceptique, je ne te le cache pas. M’est avis que ces « passages où le racisme biologique demeure irréductible à toute transposition dans le registre du politique et du social » sont légion. Et qu’il est un peu dur de faire abstraction du mot originel. Mais ça a le mérite d’être original...

      • lundi 24 janvier 2011 à 15h22, par un-e anonyme

        « Ca marche presque à tous les coups. »

        Ca marche même tellement bien que ça été la grande force du national-socialisme...

        La charge contre la petitesse, la bassesse et l’ignominie est souvent menée par ce qu’il y a de plus petit et de plus bas dans l’être...



  • lundi 24 janvier 2011 à 10h42, par Wroblewski

    Ah ça fait du bien de débattre littérature en dehors des sentiers rebattus ! Des fois quand on aime lire, on se sent un peu seul, on aimerait plus partager... Et je suis souvent déprimé de lire toujours les même noms d’auteur sur les gros bouquins des rares lecteurs parmi mes frères de classe voyageurs en commun. Ceux là, pas envie de les lire, comme tu dis, ils sont partout. Je ne pense pas rater grand chose.

    Mais tu te plains, d’avoir eu un Palahniuk à Noël, pense à moi, qui ai eu, quelle tristesse, le dernier Houellebcq. Qu’est-ce que je fais je le lis ou je le balance comme j’ai balancé les Particules (après l’avoir lu toutefois) ?

    Hasard des envies et préjugés : Palahniuk, je l’ai dans ma ligne de mire grâce à un article du regretté hebdo La Mèche le concernant. J’ai, depuis, très envie de le lire.

    Duras, pour moi c’était rédhibitoire, depuis ceci :« Oui, Marguerite Duras, vous savez, l’apologiste sénile des infanticides ruraux... Marguerite Duras, qui n’a pas écrit que des conneries. Elle en a aussi filmé. » Vous vous souvenez ? A tel point que j’ai été réellement surpris de lire vos commentaires élogieux sur sa prose. Du coup ça me donne envie d’essayer, à l’occasion...

    Sinon, j’ai aussi du mal avec Flaubert, Zola, et leurs propos dégueulasses sur les communards, mais je suis passé outre parfois...

    • lundi 24 janvier 2011 à 14h25, par George Weaver

      Desproges parlait de la Duras tardive, la moins intéressante en effet (pour ne pas dire pis). Mais je t’assure que de œuvres comme Le ravissement… ou La douleur te coupent le souffle

    • lundi 24 janvier 2011 à 14h48, par George Weaver

      Ah, et à propos des lecteurs des transports en commun, j’ai trouvé deux sites qui s’y intéressent : ici (celui-là même qui chroniquait le livre de Jacques Bonnet) et ici.



  • dimanche 27 février 2011 à 02h13, par un-e anonyme

    Très pertinent cet article, bien frappé. En complément, allez voir chez Pierre Bayard un éclairage qui va dans le même sens tout en élargissant l’approche.



  • lundi 24 octobre 2011 à 13h23, par Télémax

     × L’instinct peut servir à éviter des auteurs instinctifs comme Beigbeder, Proust ou Camille Laurens, quand on n’est pas soi-même fainéant.
     × Il faut dire que la littérature comme source de plaisir, par où elle finit par s’étioler jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le cinéma, n’a jamais eu guère de créance au-delà d’un cercle de lectrices éthérées auxquels de plus violents plaisirs physiques sont interdits : ils les tueraient.
    _ Pour Céline

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