ARTICLE11
 
 

mercredi 2 mai 2012

Sur le terrain

posté à 15h25, par Lucien
2 commentaires

Embedded à l’UMP / N°4 : « Causeries »

À l’UMP, ils laissent vraiment entrer n’importe qui. Lucien – expert en matière d’entrisme – a adhéré à l’une des sections « jeunes » de la capitale. Raie sur le côté, mocassins et jolie chemise, le courageux envoyé spécial d’Article11 en a profité pour prendre des notes, entre séances de tractage et réunions d’information. Quatrième épisode d’une série de six.

Cette chronique, quatrième d’une série de 6, a été publiée dans le cinquième numéro de la version papier d’Article11, en juillet 2011. L’ami Lucien ayant continué son travail d’infiltration un certain temps, il nous a livré d’autres épisodes qui seront mis en lignes dans les semaines à venir.

*

Chaleurs d’avril. Dans une salle bondée du 55, rue de La Boétie, 75 008 Paris1, Roger Karoutchi2 reçoit quelques hommes forts du parti et invite les militants à débattre. Enfin… à presque débattre : «  Pas de commentaires. Posez juste votre question ; et rapidement, s’il vous plaît.  » Une trentenaire ouvre le bal, avec un crochet du droit contre ce gouvernement «  pas capable de réduire la fiscalité des PME depuis quatre ans qu’il est en place  ». La réponse est pour le moins laconique : «  Rassurez-vous, c’est pour bientôt : on y travaille. » Deuxième round : un fringant jeune homme y va d’un direct du gauche sur le sauvetage du système bancaire. Bon… là, ça commence à bien faire ! Le micro est rapidement ôté des mains de l’effronté, Roger expédie la réponse en colissimo et enchaîne : «  Question suivante ? » Tel un seul homme, le public se tourne alors vers un octogénaire au bras levé. Roulements de tambour… et « ouf  » collectif de soulagement. Le papi n’est pas venu chercher des noises à son parti chéri, il se plaint juste de la mainmise des gauchistes sur les médias. Dans la salle, on respire. Roger se détend et va jusqu’à minimiser : « C’est moins vrai que ce que vous laissez entendre. Il y a des journalistes qui font bien leur métier.  » Devant moi, j’entends un début de murmure de protestation - « Ouais, enfin… » -, soudainement interrompu par un cri en provenance du troisième rang : « L’autre jour à la télé, Ruquier a dit qu’il comprenait la droite. C’est quand même pas mal ! »

Chouette débat, certes, mais j’ai besoin d’un bol d’air. Dehors, un don Quichotte contestataire m’assaille : « Tu crois que c’est bien ce que tu fais ? Tu crois que c’est bien ce que fait l’UMP ?  » J’ai soudain hâte de retrouver le calme et la bonhomie de ma petite section locale, loin de l’agitation des hautes sphères du parti.
Chose faite une poignée de jours plus tard. J’ai rendez-vous dans un café pour échanger sur le thème de l’insécurité, en compagnie d’un « spécialiste  » et d’une quinzaine de camarades. 4,5 euros le coca : mon porte-monnaie apprend à ses dépens le prix qu’il en coûte de militer à l’UMP. Dans le miroir qui me fait face, une photo de Serge Gainsbourg ; il me toise d’un regard amusé. Ce qui m’amuse, moi, c’est que, comme souvent dans ces réunions, mon voisin est étudiant en droit à Assas3
Après une présentation punchy par l’expert ès « insécurité  », le débat s’organise. Entre Jean-Paul, qui déplore qu’aujourd’hui « ça fait moderne d’être shooté », et Guillaume, qui s’inquiète de ce que ses « gosses [puissent] voir des prostituées en porte-jarretelles à la sortie de l’école  », un élan de fraternité prend racine. « D’accord avec ce que vous dites, mais la faute à qui ?  », relance Dominique. Facile : les boucs sont les soixante-huitards (« On continue de payer mai 68  », dixit Guillaume) et les émissaires sont les socialistes qui, selon René, n’ont jamais fait, pour lutter contre l’insécurité, que dresser des PV contre des voitures mal garées.

« Mais qu’est-ce qu’on peut faire ?  », insiste Dominique, très en verve ce soir. Ça tombe bien : notre spécialiste a sa petite idée sur la question. Améliorer la sécurité passe d’abord par la réélection de Nicolas Sarkozy en 2012. Et pour cela, il faut à tout prix communiquer sur le bilan « extrêmement positif » du président. « Sur TF1 plutôt qu’à Libé », envoie-t-il, pique destinée à un élu local présent. Autre chose : quand Nicolas monte au créneau, il a besoin du soutien de sa base. « Où étaient les militants UMP lorsqu’il a vaillamment dénoncé le pouvoir exorbitant des magistrats indépendants après le fait divers ‘Laetitia’ ? » Réponse des susdits, en chœur : « Bah, où vouliez-vous qu’on soit ? ». Le spécialiste : «  Dans la rue, devant les tribunaux, à manifester !  » Regards dubitatifs du chœur : l’expert est-il sérieux ?
Finalement, c’est René qui rompt le silence : «  C’est vrai que le laxisme des juges n’est pas là pour nous aider.  » Je regarde à nouveau Serge Gainsbourg, dans son miroir. Je l’entends presque fredonner – sur l’air de « Couleur café » : « C’est quand même fou l’effet / L’effet que ça fait / De les voir parler / Ainsi de choses et d’autres. »

*

Les Précédents chroniques « embedded à l’UMP » :
N°1 :Éléments de langage
N°2  : La Solitude de Jean-Paul
N°3 : La Reconquête !



1 Adresse du siège national de l’UMP.

2 Conseiller régional d’Île-de-France.

3 L’université Panthéon-Assas a la réputation d’être très marquée à droite. Voire pis.


COMMENTAIRES

 


  • jeudi 3 mai 2012 à 09h03, par HN

    Encore un excellent article. Merci.
    Une question me taraude tout de même : Ces gens là n’ont rien d’autre à foutre que d’aller poser des questions auxquelles ils sont déjà certains de n’obtenir aucune réponse ?
    Ce genre de meeting n’est-il pas finalement qu’un prétexte pour aller cracher son venin sur tout et n’importe quoi ?
    Un café du commerce mais sans le bar en gros.

    Cdlmt



  • jeudi 3 mai 2012 à 16h14, par casserole

    J’aurais bien aimé une variante possible, qu’un autre infiltré joue un rôle plus actif en intervenant, quitte à finir par se faire lourder en laissant un observateur scribe sur place.
    Par exemple en demandant naïvement à quoi peut bien faire penser au juste l’une de ces phrases destinées à récupérer un électorat populaire méprisé par la gauche de droite prononcée par le Vichyssois de Neuilly : « Le travail, c’est la liberté, le plein emploi est possible »

  • Répondre à cet article