ARTICLE11
 
 

samedi 19 novembre 2011

Sur le terrain

posté à 18h08, par Lémi
17 commentaires

De Madrid : danser sur les urnes ?

Certains iront voter. Pour faire barrage à la droite. Ou pour punir la gauche. De là à faire du mouvement du 15 mai une mollassonne agglomération de socio-démocrates soluble dans le système, il y a un pas. Dans le Madrid dit « indigné », sur la Puerta del Sol, dans les assemblées de quartier ou dans les milieux militants, le vote de demain ne passionne pas grand monde. Leur politique est ailleurs, disent-ils.

La messe est dite, enfin il paraît : le PP, parti de la droite populaire post-franquiste, va remporter les élections de demain (20 novembre) face au PSOE de Rubalcaba (post-Zapatero). Les doigts dans le nez, majorité absolue au parlement attendue. Il faut dire que le parti « socialiste » espagnol est tellement discrédité que Rajoy (post-Aznar), falot politicard sans charisme en charge de la campagne PP, n’a qu’à se baisser pour ramasser les voix. Avec cette obsession stratégique : ne surtout rien dévoiler concernant son programme. Le dernier débat télévisé entre le candidat made in PSOE et Rajoy a ainsi tourné à l’absurde jeu d’esquive, le premier attaquant sur l’absence de programme du PP et le second rétorquant qu’il ferait mieux de la fermer vu que le PSOE avait foutu le pays dans une merde noire (plus de 20 % de chômage, record de la zone euro). Discours vendeur. D’autant que le transparent champion du PP se garde bien d’annoncer les coupes budgétaires que son parti s’empressera inévitablement de mettre en branle dès la chambre investie. On n’est pas aux pièces, ça peut attendre les lendemains d’élection...

Le visiteur de passage à Madrid, pour peu qu’il s’intéresse aux mouvements sociaux et aux suite du 15-M1, ne peut que remarquer la pauvreté du débat politique dit conventionnel dans un ville où les initiatives auto-gestionnaires et/ou sociales sont omniprésentes, dans le centre comme en périphérie. D’un côté, les vieilles badernes et leurs médias vassaux qui servent la soupe politicarde habituelle sans même l’épicer de discours un tantinet novateurs (hormis quelques clins d’œil de façade aux indignés, ça ne mange pas de pain). De l’autre, une partie de la population (et pas seulement les militants, de loin) qui envahit les rues et se frotte au débat d’idées et à la démocratie directe avec une constance que les pontes des deux principaux partis (et leurs satellites type Izquierda Unita - PC et certains verts - et Izquierda Anticapitalista - le NPA du coin2) n’atteignent même pas en rêve. Fracture symbolique qui n’étonne plus grand monde, évidemment. « PSOE/PP, la misma mierda es3 », c’est un fait acquis ; «  Vous ne nous représentez pas.  »

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15 octobre 2011, Madrid.

Alors que 15-M continue son travail de sape contre le système (de manière moins spectaculaire et massive qu’à ses débuts sur la Puerta del Sol : décision a été prise de décentraliser le mouvement, autour d’assemblées populaires de quartier) et que les initiatives auto-gestionnaires se multiplient (centres sociaux, assemblées de voisins, occupations), la victoire promise au PP donne un léger goût d’aigre à la tambouille alternative mitonnée ici. Surtout, elle constitue un passage de relais lourd de conséquences. Dans un pays où, fantôme de Franco oblige, il n’y pas de parti d’extrême-droite type FN, la victoire d’une force politique plus que conservatrice effraye. D’où l’omniprésence des débats sur le « vote utile » (opposé à « l’abstention critique », voire à « l’abstention active »).
Lucia, activiste du Patio Maravillas, impressionnant centre social auto-géré installé au cœur de Madrid, souligne la complexité de la situation : « Le mouvement du 15 mai a enfin permis d’apposer un début de fracture à cette politique de transition qui s’était imposée après Franco, une approche bipolaire qui a pollué l’approche politique de beaucoup de gens. C’était les fascistes contre la gauche, point barre. Ma mère, par exemple, a été logiquement traumatisée par le franquisme ; du coup elle ne comprend pas que je n’aille pas voter pour faire barrage à la droite. » Une situation loin d’être figée, s’empresse-t-elle d’ajouter : « Avant le 15-M, le vote était pour beaucoup une manière de laver leur conscience, de se dire qu’ils avaient fait leur devoir politique. Maintenant que les gens sont beaucoup plus investis dans des initiatives locales, type assemblées populaires ou mouvements sociaux, ils sentent moins le besoin d’aller voter. Leur politique est ailleurs que dans les urnes.  »

Si le 15-M s’est construit sur le rejet des partis et de leur organisation hiérarchisée, sur une logique intégralement auto-gestionnaire, la tentation du vote reste présente, surtout chez les moins radicaux. Certains ont même tenté de créer un parti estampillé 15-M censé participer aux élections, initiative heureusement repoussée en bloc lors des assemblées : pas question de tuer dans l’œuf ce qui fait la force de ce mouvement (soit : son horizontalité). Salvador, libertaire du bouillant quartier de Lavapies :«  Il y a une pression sociale pour aller voter. Cette idée que c’est une chance et un devoir, et que si tu ne votes pas alors tu abandonnes ton droit à critiquer. Mais ça ne prend plus, même hors des milieux anarchistes : on fait de la politique au quotidien, et pas seulement entre militants - cette mascarade électorale ne mérite pas qu’on s’y intéresse.  »

Une position qui n’est pas forcément partagée par tous. L’initiative des activistes numériques d’Anonymous en vue de « pirater les élections » rencontre ainsi un certain succès. L’idée est simple : disséquer la complexe cartographie électorale espagnole (selon les régions et les villes, un vote n’aura pas la même influence sur le résultat final) afin d’inciter les indignados à donner leur vote à la formation qui serait la plus défavorable aux deux locomotives discréditées. Soit : tenter de renvoyer le PP et le PSOE chez leurs mamans en votant pour des partis tels que IU, IA, Equo4, voire en votant nul5. Une idée très critiquée chez les plus radicaux. Croisés dans les rues de Madrid, quelques slogans enfoncent le clou abstentionniste : « Nos rêves n’entrent pas dans leurs urnes » ; «  Voter, c’est mourir un peu  » ; « Ton vote avalise leur vol » ; «  Danse sur les urnes  » ; «  Grand ou petit, la taille importe peu. Les grands partis font ce que les petits feraient s’ils en avaient l’occasion  ».

Bref, les avis divergent. Logique. Le débat sur l’abstention renvoie à une fracture au sein même du mouvement du 15 mai, entre ceux qui veulent améliorer le système (disons : les réformistes) et ceux qui veulent le renverser (les révolutionnaires). Gonzalo, journaliste pour le quinzomadaire de lutte Diagonal, estime que c’est le nœud du problème :« Une partie des personnes impliquées pense que quelques changements type nouvelle loi électorale, suffiraient, que ce serait une première étape, une avancée. D’autres estiment que le 15 mai doit déboucher sur une seule chose : un changement radical. Cela donne des débats animés, c’est sûr.  »

Le piège des urnes aura beau se refermer sur quelques naïfs (Emma Goldman à la rescousse : « Si voter servait à quelque chose, ce serait illégal »), gniac, la suite des événements ne se jouera pas demain. Mais sur le long terme, dans la résolution de cette tension latente entre réformisme modéré et autogestion généralisée. A las barricadas ?



1 C’est ainsi que le mouvement né des suites du campement du 15 mai (indignados powa) est dénommé par les Espagnols.

2 À noter : IA est le seul parti à s’être impliqué dans le mouvement du 15 mai et à ne pas faire l’autruche quant aux questions soulevées.

3 Pas besoin de traduire, non ?

4 Le dernier venu, parti écologiste qui base en partie son programme sur celui des indignés.

5 Les votes nuls sont pris en compte, au contraire des votes blancs.


COMMENTAIRES

 


  • samedi 19 novembre 2011 à 20h04, par un-e anonyme

    évidemment comparée à ces élections, Emma Goldman a un physique super.



  • samedi 19 novembre 2011 à 21h58, par un-e anonyme

    J’aime cette phrase : « Vous ne nous représentez pas. »



  • dimanche 20 novembre 2011 à 14h20, par tactique

    Il a l’air de se passer quelque chose d’intéressant en Espagne.
    Beaucoup de reporters ont remarqué que-à la différence des US parait il- ces indignés ne sont pas très « radicaux » : ils ne critique(raie)nt pas le système, ils critiquent le fait de ne pas pouvoir y entrer. Est-ce vrai ?

    Sur les élections, c’est un problème tactique : il faut voter (ou s’abstenir) en fonction du profit qu’il y aura à tirer du résultat pour la suite. C’est une manière de se débarrasser du plus dangereux.

    Il y une tendance « réformistes de droite » chez certains indignés, non ?

    • lundi 21 novembre 2011 à 18h10, par un-e anonyme

      danse sur les urnes avec Emma au lieu de dire tes méchancetés.

      ce n’est peut-être pas la meilleure tactique mais ça répond à la question posée.



  • dimanche 20 novembre 2011 à 14h45, par un-e anonyme

    « Si voter servait à quelque chose, ce serait illégal »)

    A quoi on peut répondre symetriquement :

    Si l’abstention servait à quelque chose, ce serait illégal

    • dimanche 20 novembre 2011 à 15h01, par ZeroS

      Si l’abstention servait à quelque chose, ce serait illégal.

      Réponse judicieuse...

      • dimanche 20 novembre 2011 à 15h13, par Croa

        « Si l’abstention servait à quelque chose, ce serait illégal.

        Réponse judicieuse... »

        Elections piège à cons !

        D’ailleurs il suffit qu’elles existent.

    • lundi 21 novembre 2011 à 12h08, par wuwei

      Le résultat des élections espagnoles montrent à quel point celles-ci sont arrivées au comble de l’absurdité : les votants élisent un pantin pour remplacer un bouffon et c’est pareil dans toutes les « démocraties ». Alors « élections pièges à cons » n’a jamais été aussi adapté qu’à notre époque.

      • samedi 26 novembre 2011 à 14h59, par tactique

        Oui, d’ailleurs les abstentionnistes Espagnols qui ont donc contribué au retour des Franquistes au pouvoir doivent se sentir très intelligents aujourd’hui.



  • dimanche 20 novembre 2011 à 17h08, par Cortez

    Izquierda Anticapitalista un « satellite » du PSOE ?
    ...



  • mardi 22 novembre 2011 à 12h20, par Docteur Ska

    En musique :

    Et si on valsait ?



  • mardi 22 novembre 2011 à 12h47, par un-e anonyme

    à propos,
    ils le savent au Grand Soir que c’est pas bien de donner la drogue des violeurs aux jeunes de 16-17 ans ?



  • mardi 22 novembre 2011 à 18h19, par ogur

    Parmi les électoralistes habilement dissimulés derrière l’anonymat on peut se risquer à l’hypothèse d’agents provocateurs dûment rémunérés. L’abstention est une révolution pacifique ponctuelle. Le vote est contre révolutionnaire.

    • samedi 26 novembre 2011 à 15h07, par tactique

      On peut aussi bien se demander si derrière les abstentionnistes ne se cachent pas des sarkozystes grassement payés.
      C’est une question de tactique : en période révolutionnaire l’abstention est révolutionnaire (on y est là, hein ?) et sinon on fait pour le mieux.
      Mais est ce que ça dérange tellement certains abstentionnistes Espagnols qu’une droite dure revienne au pouvoir ? Désolé, mais vu l’hétérogénéité et l’absence de clarté de leur(s) idéologie(s)on peut en douter.
      Il n’y a que la vérité qui est révolutionnaire.



  • mardi 22 novembre 2011 à 20h01, par un-e anonyme


  • mercredi 23 novembre 2011 à 01h34, par mathieu.k

    Bien cool ce petit billet... D’autant que ça approche par chez nous, et qu’on se demande quoi faire.



  • mercredi 23 novembre 2011 à 18h18, par chap

    Je le trouve très juste cet article, en tous cas largement plus que ce qu’on a pu lire par ailleurs.

    Il y a effectivement un débat constant entre révolutionnaires et réformistes au sein du mouvement social espagnol depuis des années mais j’ai l’impression que ça n’est jamais apparu comme un handicap ; en fait il me semble que c’est même tout le contraire : c’est parce qu’il y a constamment des personnes plus ou moins réformistes et plus ou moins révolutionnaires au sein du mouvement social espagnol, dans les centres sociaux autogérés, dans les coopératives d’achat, dans les jardins partagés, etc. que le mouvement a acquis la capacité d’organisation incroyable et la popularité qu’on découvre ébahis depuis le mois de mai : quand les membres d’un groupe ne sont pas d’accord, il faut bien trouver des solutions pratiques pour résoudre rapidement les problèmes qui se posent.

    En France, dans un cas similaire, on aurait plutôt tendance à foutre les gens dehors pour se retrouver autour d’un noyau dur de révolutionnaires pur-jus, bien tous d’accord (enfin pour un temps, disons)* ; c’est quand même curieux comme des réactions apparemment similaires ont imprégné les médias de masse et certains groupes supposément radicaux : ils s’organisent ? Ca doit être des petit-bourgeois qui veulent profiter eux-aussi du système. Pif, paf ! c’est plié.

    En Espagne, personne je crois n’a oublié que l’histoire du mouvement anarchiste avant et pendant la « guerre civile », c’est aussi une histoire de concessions et de renoncements. Imaginez : des anarchistes qui décident de participer à un gouvernement et de former une armée... Ah !

    Amitiés.

    * je dis en France pour dire de chier dans la soupe, mais en Grèce les anars du crû n’ont pas voulu non plus participer à l’occupation de la place Syntagma : « on vous l’avait bien dit » s’amusaient-ils du haut de leur piédestal idéologique.

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