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samedi 26 septembre 2009

Le Cri du Gonze

posté à 18h03, par Lémi
9 commentaires

Hurler avec les Monks, bêtes à bon dieu
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1963, Teutonie. Cinq Ricains décident de lâcher l’armée pour se lancer dans la musique. Déguisés en moines, arborant des tonsures racées, ils sillonnent l’Allemagne pour secouer les foules de leur garage-rock strident. Vite oubliés par leurs contemporains, ils inspireront pas mal de suiveurs. En héritage, « Black Monk Time », album génial. Et des tubes biscornus en pagaille. Visite du monastère.

Un des plus beaux monologues introductifs de l’histoire du rock. Rageur et dézingué. On ne se doute de rien, ou presque : fond électrique, amplis qui crachotent, tension en bandoulière, et soudain cette voix au timbre maladif qui débouche à 100 à l’heure pour hurler que ces connards d’américains butent à tout-va au Vietnam, que des kids y ramassent leurs intestins et que les Monks conchient la bombe atomique, aussi vrai que le chanteur s’appelle Gary et ses potes Larry, Roger & co. Une belle bande de rednecks, on s’en fout, leur heure est venue, la tienne aussi par la même occasion. « Monks Time, Your Time ! » Un truc brut et improbable, perdu dans son époque, un bout de larsen intemporel dont on s’échinerait en vain à trouver l’équivalent. « We don’t like your atomic bomb ! Stop it ! » Dans la bouche de n’importe qui d’autre, ça sonnerait naze et fleur bleue. Expectorées par la voix nasillarde de Gary Burger, soulignées par les interventions de cet orgue épileptique qu’on jurerait chouravé à Ray Manzarek des Doors alors que c’est l’inverse, ces admonestations furibardes prennent une toute autre ampleur. On est en 1965 (peu ou prou) et des gusses tonsurés réinventent le rock, planqués en Teutonie.

« Monk Time », le morceau introductif de l’album du quasi même nom (Black Monk Time), tirerait des hurlements pacifistes au plus ras du front des bidasses. Ça tombe bien, des bidasses, au début, les Monks en étaient. Une bande de rednecks typique paumés en Allemagne, à Hamburg. Jusqu’à ce jour béni de 1963 où la grande Muette version Oncle Tom les dégouta tellement qu’ils sautèrent le pas pour revenir à leur passion première : le grésillement électrique doublé de vociférations cyniques, garage rock avant l’heure. Après quelques hésitations, ils choisirent de s’appeler les Monks (les moines), endossèrent une tonsure du plus bel effet et des capes adaptées à leurs nouvelles fonctions. Stupide mais bizarrement réjouissant1.

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C’était leur heure, c’est tout, et rien ne pouvait les empêcher de passer à l’acte, de faire passer le sale goût de l’uniforme par celui des amplis et des salles crasseuses, parfois charmées, parfois hostiles. L’essentiel était ailleurs : gober des amphétamines par tonneaux en beuglant des appels à la révolte. Être incompris, insulté, diabolisé, parce que beaucoup trop en avance sur son temps pour susciter autre chose que la répulsion (hormis dans la petite tribu de dévots qui n’auraient raté un de leurs concerts pour rien au monde). Balancer des longs solos débraillés à l’orgue pour pointer une vérité loufoque qu’ils étaient seuls à voir, perdus dans leurs délires. Enfanter des descendants crados magnifiques allant des Jefferson Airplanes aux Cramps en passant par les Black Lips. Être punk avant l’heure2, moche et incohérent, mais tout puissant parce que ces hurlements n’avaient alors pas d’équivalents.

Les cinq ex-bidasses pondirent quelques chansons d’anthologie le temps d’un album (le reste de leur très succincte - ils splittèrent très vite - discographie n’est pas à la hauteur de Black Monk Time). Ainsi de la très bizarre « Complications » (ci-dessous, version live), qui ose la rime « Complications »/ « Constipation » tout en balançant du jus de yahou aux quatre coins de la salle.

Autre summum, la très grinçante « I Hate you », à placer de toute urgence dans l’intégrale des chansons d’amour les plus réalistico-farfelues – « Est-ce que tu sais pourquoi je te hais je te je te hais je te hais, chérie ? Parce que tu me fais me fais te te haïr te haïr haïr » –, assénée d’une voix folle saupoudrée d’un orgue grondant du plus bel effet.

Je pourrais aussi te parler de la très explicite « Shut up » ou bien d’autres pépites tirées du même tonneau d’ambroisie musicale, mais je préfère t’intimer de te plonger/replonger illico dans l’intégralité de l’album Black Monk Time – avec sa pochette tout de vert monochromique vêtue, ceci deux ans avant l’album blanc des Beatles (bloody plagieurs) – , tu ne saurais le regretter.

Les Monks ont traversé l’histoire de la musique sans se donner la peine de ralentir pour choper le train de la postérité. Un peu comme les Sonics, ils roulaient trop vite pour que leurs contemporains voient autre chose en eux qu’une bande de tarés débiles balançant maladroitement une musique pour lycéens pochetrons. Tant mieux, au final, personne n’a pu les pervertir ou les ramollir3. Qu’ils aient fait une timide reformation fin 90’s après que leurs albums aient été réédités par une maison de disque au joli flair ne change rien. Les Monks étaient trop tarés et grinçants pour être vraiment récupérés. Amen’n’roll.



1 A ce sujet, citons Janus Lumignon, fan de la première heure : «  Splendides dégénérés, les Monks me donnent – ça ne rate jamais, quelques mesures suffisent – envie de cogner les flics et d’embrasser l’azote, de hurler à la Lune en engloutissant des acides par poignées, d’entrer en monastère pour baiser les nonnes en sirotant du Tokay, de rouler à 100 à l’heure sur départementale en écrasant ces connards d’écureuils, de balancer un parpaing sur le premier rail venu pour faire dérailler les trains de banlieue, de casser du skin, de me rouler dans une boue verdâtre en crachotant des paroles séniles, voire en chantonnant « Sending the clowns ». Stupides et vociférants, tantôt guimauve tantôt fiel, ils auraient formé à leur grande et obscure époque de parfaits cavaliers de l’apocalypse si seulement le Tout puissant avait eu un tant soit peu le sens de la mise en scène. Des antéchrist superstars, 50 ans avant l’imposteur Marylin Manson. Les Monks, toute tonsure sortie, me donnent envie d’entrer en religion pour bâfrer des hosties-nutella, de chausser la robe de bure pour mieux la conchier. Bénis soient-ils. »

2 D’ailleurs Dave Vanian des magnifiques Damned leur piqua l’idée de la cape comme accessoire de scène.

3 Au passage, merci à Manu pour ses talents de prosélyte musical. Un jour, ol’ chap, tu apprendras que je n’ai pas osé t’avouer que je confondais les Monks et les Mekons avant ton intervention…


COMMENTAIRES

 


  • samedi 26 septembre 2009 à 19h32, par Blaise Lapoisse

    Yep grand y sont tous là d’dans : Trashmen, Ramones, ? mark, séminal & jouissif + lysergique & opiacé . De garagiste à garagiste : reviens-y quand t’veux !

    • dimanche 27 septembre 2009 à 21h18, par Lémi

      De garagiste à garagiste, je ferais mon possible, voire l’impossible, leurs tonsures le valent bien.
      (joli pseudo)



  • samedi 26 septembre 2009 à 20h24, par cynoque

    très très bon

    Voir en ligne : http://anar.zone.free.fr



  • samedi 26 septembre 2009 à 23h01, par krop

    le monde est un temps et celui qui coure après s’appelle « le printemps » !

    • dimanche 27 septembre 2009 à 14h43, par ZeroS

      Je tiens à préciser la sortie de Garageland de Nicolas Ungemuth, compilation de chroniques de ces groupes obscurs des années 60... bien qu’Ungemuth soit un dandy de droite qui considère pour choquer les punks que le rock’n’roll est un divertissement frivole déconnecter de tout contexte ocial ou historique, force est de constater qu’il sait écrire et qu’il sait de quoi il parle. A photocopier pour le lire donc... et surtout écouter la came qu’il défend dont les fameux Moines.

      • dimanche 27 septembre 2009 à 17h24, par ZeroS

        « déconnecté », « social »... je corrige mes propres fautes et oublis de lettre. Si vous en notez : n’hésitez pas ! Crachez-moi dessus.

        Pour revenir à ce bouquin d’Ungemuth : la forme en compilation de chronique permet de l’aborder comme un bloc non monolithique et de lire ce que l’on veut quant on veut ; a contrario, cela est ennuyeux pour qui veut s’imprégner de ce mouvement et du contexte dans lequel il est émergé.

        M’enfin, le contexte tout le monde le connaît (ou presque), le sentiment d’unité de cette scène garage et sa reconnaissance est arrivée plus tard, notamment avec le travail de compilation de Greg Shaw et la compil’ Nuggets. Est-ce que ces groupes britanniques et américains se côtoyaient sur les scènes ? Quelle visibilité avaient-ils ? Est-ce qu’ils étaient cantonnés à une espèce d’underground obscur ? Les carrières éphémères (d’ailleurs peut-on parler de carrières) laissent à penser que non et que c’est le travail des passeurs comme Shaw qui fut fondamental (vers Bang ou les Stooges par exemple).

        Le bouquin d’Ungemuth ne parle pas de Screaming Lord Sutch (même s’il l’a déjà chroniqué), l’individu le plus excentrique du mouvement garage primitif et sans qui les Cramps, le psychobilly ou encore The Horrors n’aurait pas existé.

        • dimanche 27 septembre 2009 à 21h29, par Lémi

          @ Krop

          Le monde est un printemps et celui qui coure après ses bourgeons s’appelle le temps pas perdu. (???)

          @ ZeroS

          1/ J’irais jeter un coup d’oeil sur le bouquin d’Ungemuth, semble en valoir le coup et tu mets l’eau à la bouche. 2/Je ne te cracherais pas dessus pour tes rares fautes d’orthographes, manquerait plus que cela vu mon niveau en la matière. 3/ Je m’étonne un tantinet concernant les compils Nuggets, je croyais que c’était Lenny Kaye, guitariste de Patti Smith qui en était l’instigateur. 4/ Je m’insurge : l’individu le plus déjanté et précurseur du garage rock, c’est Hasil Hadkins, pas à discuter (j’en parlais ici, il y a un certain temps).

          • mercredi 30 septembre 2009 à 09h13, par ZeroS

            J’avais écrit un message en réponse assez long et mon ordi a planté. Oui, Greg Shaw est le père du fanzine et chroniquait les groupes garage obscurs des 60’s dans son fanzine Bomp ! (qui avait un nom plus long initialement et qui est ensuite devenu un label)... Leny Kaye, qui connaissait G.S. et son fanzine (incontournable de toute façon), a publié la compilation Nuggets. G.S. est mort en 2004, il est cité explicitement comme référence par Lester Bang et Greil Marcus (rien que ça).

            Hasil Hadkins & Screaming Lord Sutch : deux grands tordus des 60’s effectivement. Krop, si tu le souhaites, je peux t’en envoyer, suffit de s’échanger nos adresses mails.

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