ARTICLE11
 
 

vendredi 2 juillet 2010

Le Charançon Libéré

posté à 21h51, par JBB
22 commentaires

En leurs mots, le spectre de 1789
JPEG - 20.3 ko

Ces derniers temps, ils multiplient les références (plus ou moins) directes à 1789. Non pour s’en réclamer, mais parce que les membres du gouvernement et leurs amis ne craignent rien tant que de voir monter la colère populaire. Eux sentent combien le parallèle avec la France d’avant la révolution est pertinent. Et s’effrayent d’un jour prochain en payer le prix. A juste titre ?

JPEG - 148 ko

Images en legs commun. Une tête qui roule, le bourreau la brandit. La foule dans les rues, va-nu-pieds faisant enfin la loi. La guillotine tournant à plein, sinistre lame qui monte et redescend. Procès populaires, justice menée à la va-vite, des siècles de ressentiment justifiant une salutaire vengeance. Les miséreux, leurs piques, ce qu’ils mettent au bout. Et ce monde inversé, violence écrasant ceux qui avaient l’habitude d’en faire usage à leur profit, riches et puissants réduits à la peur et à l’angoisse.

Persistances rétiniennes, imaginaire partagé : tout cela vogue dans les têtes. Dans nos têtes. Mais pas que : c’est chez eux, politiques et financiers qui auraient tout à craindre d’une poussée égalitaire et sociale de la populace, que le lointain souvenir - celui d’un peuple se révoltant violemment voilà plus de 200 ans - se montre le plus ardent. Ils le craignent, ils y songent. Et ils mettent des mots sur cette peur, références plus ou moins conscientes.

Ce n’est pas un hasard, évidemment. Ils le sentent bien, le parallèle s’impose. D’une cour royale à l’autre, à trois siècles d’écart, les mêmes insupportables travers qui reviennent : autocratisme, privilèges exorbitants, clientélisme et fait du prince, noblesse conquérante et petite caste faisant main basse sur les deniers publics, corruption, faste insultant… Similitudes qui se ramassent à la pelle, exemples en veux-tu en-voilà. C’est flagrant. Trop. À mettre ainsi les choses en pleine lumière, à ne point réussir à les dissimuler, le risque (pour eux) grandit que se lève la colère populaire. Ils le savent.

Ce n’est pas nouveau, je te l’accorde. En décembre 2008, Nicolas Sarkozy, déjà, disait à demi-mots cette vague inquiétude : « Les Français adorent quand je suis avec Carla dans le carrosse mais en même temps ils ont guillotiné le roi. » Mais la situation a depuis empiré - ou s’est encore améliorée pour la petite clique qui a fait main basse sur le pouvoir - et les références au lointain passé révolutionnaire français se multiplient à mesure qu’éclatent les médiatiques scandales. Sarkozy, acculé, fait part de sa volonté de réduire le train de vie de l’Etat ? Un haut responsable de la majorité, cité par France Soir, tente cet avertissement : «  Attention au déchaînement contre les hommes politiques ! Il y a toujours la tentation en période de crise de mettre des têtes au bout des piques. » Le socialiste Arnaud Montebourg1 s’en prend vertement à Éric Woerth ? Le ministre se défend, lui reprochant de se comporter en tribun révolutionnaire : « Il a cette habitude de montrer du doigt et d’être un Fouquier-Tinville et donc chaque matin au bistrot (de dire) : ’toi tu es coupable et tu as cette responsabilité’ » Le climat se tend autour du ministre du Travail, assommé par les révélations successives de ses malhonnêtetés ? Jean-François Copé fait feu de tout bois, prenant (à mots couverts, sous prétexte du football) sa défense en une chronique à Slate - « Je refuserai toujours la recherche de boucs émissaires, surtout en période de crise : couper les têtes, c’est souvent un prétexte pour éviter de réfléchir aux causes réelles des problèmes » - et plus franchement sur France Inter : « On commence par décapiter et on discute ensuite », proteste le meneur des députés UMP, avant de fustiger un climat qui lui rappelle « les grands temps des révolutionnaires de 1793 ». Et même la très mal placée Christine Boutin, en une conversation téléphonique avec une salariée du Parisien, dit sa crainte que la succession de scandales finisse par exaspérer le peuple ; la journaliste rapporte sur son blog : « Les élus doivent être irréprochables. Sinon, suggère Christine Boutin elle-même, ils seront balayés par une nouvelle nuit du 4 août contre les privilèges. »

Des têtes au bout des piques, Fouquier-Tinville, couper les têtes, décapiter, révolutionnaires de 1793, nuit du 4 août : aucune de ces références n’est anodine. En filigrane, par delà leur contexte, elles disent la peur diffuse de ceux qui mènent le jeu ; celle d’aller trop loin, de voir la situation leur échapper, de déclencher une colère qu’ils ne sauraient maîtriser. De se retrouver en cette situation décrite par Tocqueville, à la veille de la révolution de 1848 : « Je crois que nous nous endormons à l’heure qu’il est sur un volcan, j’en suis profondément convaincu… »
Mais elles disent aussi, ces références, le sentiment inconscient - chez ceux qui les multiplient - que cette colère serait justifiée. Presque légitime. En tout cas, logique. Politiques dévoyés, ils ne seraient même pas surpris, au fond, que leurs têtes se retrouvent au bout des piques, que des Fouquier-Tinville les jugent comme ils le méritent, qu’une nouvelle nuit du 4 août les cloue au pilori d’un joyeux égalitarisme. Il nous reste à donner corps et matière à ces peurs. Eux le cauchemardent, nous en rêvons : un jour, bientôt, ces deux mouvements - peur des possédants, soif des opprimés - se rencontreront.



1 Un ridicule baratineur. Mais là n’est pas la question.


COMMENTAIRES

 


  • samedi 3 juillet 2010 à 12h34, par Chomp’

    Je crains fort que tu aies raison, mais ne puis m’empêcher de penser que rien ne sera gagné à recupérer l’ignominie cumulée par les puissants.

    La fureur, si c’est à ça qu’on vient, sera en elle-même décérébrée

    Colère compréhensible, foncièrement logique, si elle se déchaîne, elle n’abolira pas le crime, seulement le partagera.

    Je crois qu’hors quelques follicules obsolètes lorsque la Lune revient, jamais le sang ne lave rien.

    • samedi 3 juillet 2010 à 17h09, par JBB

      Le sang, je n’aime pas. Mais je ne crois guère qu’un réel changement (de toute façon bien peu probable) puisse en faire l’économie. On ne renverse pas un ordre, un système, un pouvoir sans accepter l’idée que ce renversement puisse faire des victimes. Pour en prendre l’exemple, la Commune a connu, dans le camp des communards aussi, quelques sanglants débordements et exécutions sommaires (dans L’Insurgé, Jules Vallès raconte ainsi comment il passe son temps à courir d’un point du quartier à un autre pour empêcher que la foule ne lynche ceux qu’elle perçoit, à juste titre ou pas du tout, comme des espions). Il ne faut pas s’en féliciter, évidemment. Mais voilà : c’était ainsi. Et ça n’enlève rien à la justesse et à la beauté de cette insurrection.

      • lundi 5 juillet 2010 à 09h41, par chtisuisse@laposte.ch

        Et c’est là que je renvends une nouvelle fois (lol) à Henri Guillemin > tsr.ch > archives > Henri Guillemin > série sur la Commune. histoire de sonder l’état d’esprit de « biens pensant »... rien n’a changé depuis, le peuple se retournera contre ceux qui auront tenter de les sortir de leur misère... C’est bien cela le plus absurde !! Un maître vite !! A force, on en viendrait presque à donner raison ces maîtres... Du moment qu’on ne côtoie pas ce peuple imbécile et immature, séduit par n’importe lequel des sophistes plus ou moins éclairé. Retour à la base...

        • lundi 5 juillet 2010 à 17h58, par JBB

          Eheh… T’es son meilleur attaché de presse, dis-moi :-)

          Mais encore une fois, la référence est joyeusement bienvenue. Je viens de mater cet épisode : Guillemin est vraiment extraordinaire, et ce qu’il dit de cette haine viscérale (on a beau le savoir, c’est toujours étonnant d’en voir lister les aberrantes manifestants) des Versaillais contre les Communards suffit à me donner envie de prendre la rue.

    • mardi 6 juillet 2010 à 18h35, par Mih Yah

      Je pense aussi que qui dit fureur dit échec d’une construction pensée. Après, on voit sur le tas, je pense à la commune de Paris, qu’auto-défense collective et changement de régime non pensé par avance ne donne pas forcément lieu à la barbarie, mais que le peuple peut se construire « bien », dans une optique qui n’est pas celle de faire régner la loi du plus fort :(.

      Après, ils se sont fait avoir par Thiers et sa bande, non rompus qu’ils étaient au cynisme et aux calculs.



  • samedi 3 juillet 2010 à 12h35, par Le Joker

    Rendez vous le 4 août alors...

    :D

    Voir en ligne : Ne pas cliquer ici

    • samedi 3 juillet 2010 à 16h22, par JBB

      Ça roule. Mais perso, avant, pendant ou après le 4 août, du moment que ça advient…



  • samedi 3 juillet 2010 à 13h13, par mona

    c’est intéressant ces recoupements, mais ça amène à une réflexion très utopique, et surtout biaisée.
    l’histoire a été écrite pour/par le pouvoir en place, et si l’on fait mine de craindre une éruption populaire, c’est pour maintenir un vieux volcan mythologique fait pour perdurer une vague kermesse manifestante.
    quant au peuple, je ne sais s’il en reste un. dans les rues des gens courent, à fond dans leur projet/mission, pour pouvoir arracher un peu de consommation, ou pire, de satisfaction socioprofessionnelle.
    il y a quelque chose, en nous, qui nous a formaté pour penser avec le système, ou contre, tout contre, donc avec. nous sommes tous citadins, et nous sommes tous marchandisables. (sorry pour le néologisme)

    • samedi 3 juillet 2010 à 13h57, par s41nt-just

      Tout à fait d’accord. Ceux qui manient ce genre de références historiques ne craignent pas une révolution, pas plus que le grand patron fustigeant un système fiscal « stalinien » ne voit réellement se profiler un totalitarisme à l’horizon.

      Quant aux « parallèles », ils ne s’imposent que dans une vision très biaisée de la Révolution : celle de ses vainqueurs et de l’opinion triomphante des Lumières. En fait, hier comme aujourd’hui, ce n’est pas la révélation de réseaux de corruption et de clientélisme, naturels pour un homme du XVIIIe et indifférents au citoyen d’aujourd’hui, qui pourrait jeter les masses dans la rue.

      • samedi 3 juillet 2010 à 15h00, par U.H.M.

        On le sait bien... Mais comprenez que parfois, et sans ignorer les détournements et les horreurs qui accompagneraient un Grand Soir, on a besoin de se dire que la léthargie va se déchirer, que la pesanteur post-moderne va se lézarder, que l’hypnose consumériste va craquer, que la servitude volontaire va céder, qu’un sursaut d’humanité lucide et singulière va détruire le marketing et le court-termisme, que les propagandes capitalistes ou identitaires deviendront insupportables, que la caste des néoaristocrates sera mise en lumière pour ce qu’elle est : la caste des rentiers plus ou moins conscients d’un système désincarné et spectaculaire qui prend en otage jusqu’à l’affect de chacun, son temps de cerveau, sa « vie nue ». La caste des rentiers, qui répand sa poudre aux yeux médiatique, qui masque la prolétarisation généralisée de la société par un simulacre de démocratie et des contre-feux d’apprentis sorciers, la caste des rentiers qui se veut principale actionnaire de la mondialisation alors qu’elle en ignore la portée réelle, la caste des confiscateurs, la caste des usurpateurs qui ont remplacé la vision par le calcul, la politique par le clientélisme, l’intérêt général par leurs intérêts particuliers, la police par le contrôle, l’éducation par la répression, la justice par la terreur. L’article sur Squarcini est si révélateur de ce néo-pétainisme qui anime nos dirigeants, si révélateur de la violation du pacte du CNR, si révélateur de la réification généralisée, l’arraisonnement et la rentabilisation de l’intégralité du vivant, l’hypermassification standardisante, la bêtise systémique et le grand-bankstérisme, le « consomme ou crève » qui est érigé en paradigme social indépassable.

        Alors oui, les parallèles avec 1789, 1848 ou 1968 trouvent vite leurs limites. Oui, l’aristocratie de l’Ancien Régime diffèrait énormément de la décadence de l’Empire Romain, et diffère des élites néoaristocrates d’aujourd’hui. Mais le ratio « Elois - Morlocks » n’est-il pas le même ? Sous l’hypnose télévisée, derrière le marketing total, une pulsion plus profonde, plus réfléchie, plus volontaire ne pourrait-elle pas éclore ?

        (Regardez-moi tout ça, c’est la foire au lyrisme aujourd’hui)

        • samedi 3 juillet 2010 à 15h10, par un-e anonyme

          je lis cet article en complément de celui de Lémi sur la pub

          ils font un remake de Brecht, genre pour reprendre une citation :

          puisque le gouvernement vote contre le peuple, il faut dissoudre le peuple.

          • samedi 3 juillet 2010 à 17h00, par JBB

            @ mona : je suis d’accord, aussi. Ce billet est plutôt un exercice de style qu’une vraie réflexion politique. Enfin, c’est comme ça que je le voyais.
            Soulever à répétition le fantôme d’une insurrection passée, qu’elle soit fantasmée ou honnie, c’est aussi, en effet, une façon de rappeler combien elle n’est plus d’actualité. Nous ne revivrons pas 1789. Non plus que 1848 ou 1871. Par contre, sous une autre forme…

            @ s41nt-just : là-aussi, sur le fond, j’approuve. Oui, ce sera sans doute très insuffisant pour déclencher une révolte - d’ailleurs, la France n’a jamais paru aussi apathique que depuis que Sarko et sa clique ont fait main basse dessus pour multiplier bassesses et coups tordus. Mais cela pourra, par contre, contribuer à certaines prises de conscience : ce qui éloigne l’individu du traditionnel jeu politique, corrompu et corrupteur, me semble plutôt bienvenu.

            @ U.H.M. : foin de lyrisme, c’est très joliment dit. Merci.

            « Mais comprenez que parfois, et sans ignorer les détournements et les horreurs qui accompagneraient un Grand Soir, on a besoin de se dire que la léthargie va se déchirer »

            C’est exactement ça. Et pour le reste de ton commentaire aussi.

             :-)

            @ anonyme : oui. Et ils l’ont déjà dissous, ces salopards.

          • samedi 3 juillet 2010 à 20h33, par Anna

            La Stasi aussi faisait ça. Dissolution / Zersetzung. Et ça rentrait dans cadre de la « psychologie opérative » (operative psychologie).
            Ah… les méthodes de la Stasi…



  • samedi 3 juillet 2010 à 16h04, par wuwie

    « On commence par décapiter et on discute ensuite »

    Diantre, le citoyen Copé pense qu’un buste peut tenir une discussion ! Evidemment s’il se base sur les porte paroles de sa secte il est évident que même un guillotiné a plus de vocabulaire que Fredo et consort. Si par bonheur un remake de 1789 est en gestation je propose qu’à la place de décapiter la clique au pouvoir (PS et autres politicards compris) et ses affidés, on leur donne les minimas sociaux et qu’ils se démerdent pour vivre avec. Comme cela ils pourront enfin faire connaissance avec la réalité de quelques millions de personnes qu’ils méprisent quand ils ne les ignorent pas.

    Oui nous reverrons le temps des cerises ...

    • samedi 3 juillet 2010 à 16h41, par JBB

      J’aime bien l’idée. C’est malin, pas sanglant et - finalement, au regard de leurs crimes - plutôt généreux. Sarko et Copé au RSA, Lefèbre à la CMU (bien obligé, pour l’interner), Lagarde faisant ses coures trois fois par mois en supermarché discount et obligé de se contenter de pâtes, de pâtes et encore de pâtes…

    • samedi 3 juillet 2010 à 18h03, par tasmant

      @Wuwie
      On leur donne même le SMIC. Et je les prends comme manœuvres sur mes chantiers.
      Jusqu’à soixante cinq ans.
      Il s’agit juste de monter des ardoises, du zinc, du plomb, du cuivre, du ciment et du bois sur l’échafaudage. En ce moment, ça fait huit mètres.
      :D
      Moi, de toute façon, j’aurais pas de retraite, à part dans un fauteuil roulant, mais moi, j’ai choisi.



  • samedi 3 juillet 2010 à 16h06, par fred

    Vivement le matin du 5 août !



  • dimanche 4 juillet 2010 à 18h02, par Isatis

    Mouais......... Bof........... le 4 août, ils seront agglutinés dans les embouteillages pour aller faire bronzette au campinge des flots bleus. Va p’tête falloir attendre la rentrée de septembre comme ça l’art. XI papier s’arrachera grâce aux fines analyses qu’il aura édité, héhé !

    D’accord avec Wuwie ; j’en prends un petit paquet, on a besoin de cantonniers dans les villages. Lagarde avec une élagueuse, super, pas besoin de lui fournir d’échelle :-)))

    • lundi 5 juillet 2010 à 17h26, par JBB

      Ok, d’accord, si c’est pour des raisons éditorialo-commerciales, on attendra septembre. Mais seulement pour faire plus de thunes, hein… :-)

      • jeudi 8 juillet 2010 à 02h41, par H2

        Quel bonheur ce texte !

        C’est clair ! le volcan est en ébullition, le voilà fortement réveillé. La colère gronde en son cratère.
        là, n’est-ce pas déjà une fumerole que l’on voit poindre au dessus du sommet ?
        Une deuxième ! une autre ! ça y est c’est le feu d’artifice !!!
        Nous y sommes.

  • Répondre à cet article