ARTICLE11
 
 

lundi 23 mars 2009

Le Charançon Libéré

posté à 11h57, par JBB
22 commentaires

« Lettre ouverte à mes amis de la classe dirigée » (Alain Minc remix)
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C’est une lumineuse lettre ouverte que l’un de nos plus glorieux philosophes vient de publier en Le Figaro. Alain Minc y invite ses « amis de la classe dirigeante » à prendre acte de la crise et à satisfaire le besoin d’égalité et de justice de la piétaille. Sauf que… la lettre n’est pas la bonne. Article11 a retrouvé l’original de la missive, dans laquelle Minc exhortait ses « amis de la classe dirigée » à se réveiller. Un document exceptionnel.

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Pas pour rien qu’il a placé la Liberté guidant le peuple sur l’un des grands ouvrages qu’il a fait paraitre… Au fond, Alain Minc est un révolutionnaire, un vrai. La preuve avec cette « Lettre ouverte à mes amis de la classe dirigée », pendant prolétariste de la missive que le bouillonnant intellectuel a fait paraître dans Le Figaro.


Nul ne peut me soupçonner d’être votre ennemi : c’est plutôt le reproche inverse que j’aimerais subir à longueur de colonnes dans les journaux. Mais je suis aujourd’hui inquiet pour vous, car je ne comprends ni votre absence de réactions, ni - pardonnez-moi le mot - votre immobilisme. Malgré les apparences officielles, la France n’est pas la Guadeloupe : le peuple de la première reste inerte quand celui de la seconde a su se battre pour décrocher ce qui lui revenait de droit. De là le poids des différences. Ici, les syndicats essaient de canaliser tant bien que mal le mécontentement et donc de préserver l’ordre social. Les pouvoirs publics s’efforcent de sauvegarder le déséquilibre profond qui est base de notre société, et par-delà de maintenir la fiction d’une République dont la devise originelle est depuis longtemps si foulée aux pieds qu’elle n’est plus que grossière mascarade. Les puissants se battent pour leurs positions, gonflant toujours leurs lignes de trésorerie, et sont en fait en la crise comme des poissons dans l’eau. Et pendant ce temps, vous qui avez les yeux fixés sur un horizon qui se resserre, chômage de masse et fins de mois difficiles, vous semblez n’avoir pas remarqué que rien ne changeait, si ce n’est en pire.

Au lieu de jouer le rapport de force, quelle image avez-vous donnée la semaine dernière ? Vous descendez dans les rues par millions pour dire votre haine de ce gouvernement et votre volonté de mettre un coup d’arrêt à sa politique de classe, mais vous ne poursuivez pas votre avantage, rentrant bien sagement chez vous une fois le défilé terminé. A tel point que François Fillon et Nicolas Sarkozy se sont gaussés de votre promenade ensoleillée, clamant haut et fort qu’ils ne changeront en rien leur fusil d’épaule, laissant même accroire que les manifestations records les ont encouragés à tenir bon, énième répétition de ce « j’entends mais je ne tiens pas compte » que les cercles du pouvoir entonnent à satiété.

Hors donc, comment réagit le peuple ? Comme s’il n’avait ni le pouvoir - c’est naturellement faux - ni le désir de changer les choses. Passons sur l’attitude des syndicats, dans leur rôle quand ils essaient de ratiboiser la contestation, de la garder en des proportions si raisonnables qu’elle ne puisse jamais provoquer de bouleversement majeur. Mais que penser de la manière dont vous, l’immense masse des mécontents, portez vos revendications ? Que pensez de votre capacité à vous contenter d’une sèche fin de non-recevoir comme réponse à vos inquiétudes, même pas l’illusion d’une unique mesure pour prendre votre mal en patience et mieux garder l’échine courbée.

Vous avez les nerfs à fleur de peau et vous sentez à juste titre que vous subissez une crise dont les puissants et les cupides sont les seuls fautifs. Comprenez-vous qu’un tel constat appelle une réaction de votre part, qu’il est temps de prendre les choses en main plutôt que de laisser les élites dégoiser à n’en plus finir sur le meilleur moyen de ne rien changer ? Ignorez-vous que la quête de l’égalité est une constante de notre histoire et que 1789 se joue en 2009 ? Sentez-vous le grondement des possédants, l’égoïsme des puissants mais aussi le sentiment d’impunité dont ils font preuve, eux qui ont fait main basse sur ce pays ? Acceptez-vous de méditer ce mot de Maximilien de Robespierre, un habitué des révolutions : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs » ?

Un léger « retard à l’allumage » est pardonnable ; un excès de pusillanimité, non, surtout quand il s’assimile à une pulsion suicidaire.

Amis, de grâce, reprenez vos esprits !


COMMENTAIRES

 


  • ben on dirait que les grands esprits se rencontrent dans le genre épistolaire -

    Voir en ligne : http://rue-affre.20minutes-blogs.fr/



  • Ta version du rôle « réformateur » des syndicats :

    "Passons sur l’attitude des syndicats, dans leur rôle quand ils essaient de ratiboiser la contestation, de la garder en des proportions si raisonnables qu’elle ne puisse jamais provoquer de bouleversement majeur.
    "

    Voici celle d’Alain Minc :

    « Les syndicats essaient de canaliser tant bien que mal le mécontentement et donc de préserver l’ordre social. »

    Que tu te laisses aller à trouver les syndicats pour le moins tiédasse, passe encore, je te soupçonne de laisser parler ton « gauchisme de la mouvance anarcho-autonome ennemi des réformes dures mais justes ». Mais si même lui, héraut du capitalisme effréné, chantre incontesté des possédants, reconnait que l’ardeur révolutionnaire des dirigeants syndicaux consiste uniquement à arpenter deux à trois fois par an les centres villes histoire de faire un petit traitement cathartique de la crise, il serait plus que temps de passer à une autre forme d’action qui « ne préserverait plus l’ordre social » qui semble aujourd’hui la seule digue capable d’éviter l’effondrement total de cet esclavagisme moderne que l’on nomme « libéralisme ».

    • « laisser parler ton ’gauchisme de la mouvance anarcho-autonome ennemi des réformes dures mais justes’ »

      Rhôôôô… quelle idée.

      « Mais si même lui (…) reconnait que l’ardeur révolutionnaire des dirigeants syndicaux consiste uniquement à arpenter deux à trois fois par an les centres villes (…) il serait plus que temps de passer à une autre forme d’action. »

      Je n’aurais su mieux dire. Et c’est en effet un des points qui m’a fait le plus rigoler dans le lettre ouverte de Minc, cet aveu indirect qu’il n’y a rien à attendre des syndicats (si ce n’est, peut-être, ceux de la CNT et Sud). On le savait déjà, mais c’est plus rigolo quand c’est lui qui l’écrit. Donc, oui : il est temps de passer à autre chose.



  • lundi 23 mars 2009 à 15h23, par Crapaud Rouge

    Merci d’avoir attiré notre attention sur cet espèce de texte d’Alain Minc qui est d’une indigence intellectuelle crasse. Pousser un cri d’alarme qui ne déborde pas le cadre de son sujet, les « stock-options » et autres bonus, qui réduit le peuple et ses représentants à des sauvages susceptibles de « prendre des dispositions sur les rémunérations qui seraient à terme aussi destructrices pour l’efficacité économique que la loi de 1947 sur les loyers a pu l’être », et tout ça alors que le capitalisme tremble sur ses bases, c’est faire preuve, de la part d’un soit disant intellectuel, d’une étroitesse d’esprit sidérante.

    Maintenant je comprends tout : ses « amis » sont comme lui, exactement pareils, des gens qui ne connaissent que « leur petit monde », comme les aristocrates de 1789. Incapables de prendre la mesure de quoique ce soit, on ne s’étonne pas qu’ils n’aient jamais pris celle de l’endettement à l’origine de la catastrophe.

    Encore un peu de ce cynisme involontaire, et ils finiront au bout d’une pique, au son des tam-tam.

    • La lutte des classes n’existe plus voyons, il n’y a plus de classe !

      Euh, ben et vos amis de la classe dirigeante ?

      Là, ça n’est pas pareil voyons, vous ne comprenez pas....

      • @ Crapaud Rouge : et encore, « indigence intellectuelle crasse » est encore un brin trop indulgent avec ce bonhomme qui est très mal placé pour jouer aujourd’hui au donneur de leçons. Le plus marrant, comme tu le fais remarquer, est qu’il prodigue ses conseils de nouveau converti, à la Jean-Marie Messier style, sur un mode pragmatique : il faut encadrer les rémunérations des patrons non pour de bêtes raisons d’éthique, mais parce que c’est le meilleur moyen de faire perdurer encore ce système profondément inégalitaire.

        « Encore un peu de ce cynisme involontaire, et ils finiront au bout d’une pique, au son des tam-tam. »

        Tout d’accord. Mais je dirais : sans les djembés.

        @ Yelrah : en effet, ce n’est pas la même chose :-)

        Mais quand même, je ne peux résister au plaisir de citer le milliardaire Warren Buffet : « La lutte des classes existe, et c’est la mienne qui est en train de la remporter. »



  • Bonjour

    Le titre du tableau est « La Liberté guidant le Peuple » (Eugène Delacroix 1830) et non pas « Marianne ... »

    Cordialement



  • Aux trois journées de juillet 1830, dites les « Trois Glorieuses », qui liquident l’autocratie désuète de Charles X en installant la monarchie parlementaire de Louis-Philippe, Delacroix ne prit aucune part. Mais, romantique et libéral, il s’empressa de célébrer la journée du 28 juillet, où le peuple de Paris s’insurgea dans le vain espoir de rétablir la République.

    L’allégorie de la Liberté brandit le drapeau tricolore à l’assaut des barricades, encombrées de cadavres, un jeune combattant à son flanc généreux. Le réalisme se mêle à l’épopée.

    L’oeuvre, honnie des conservateurs, fut achetée par Louis-Philippe au Salon de 1831, pour être bientôt dérobée aux yeux d’un public qu’elle risquait d’ameuter.

    La suite de l’explication du tableau et des personnages ici : http://www.cineclubdecaen.com/peint... (très intéressant)



  • Cela pourrait être aussi un bon modèle pour les lettres posthumes et apocryphes de Lemi, pensons à une missive d’outre-tombe d’Al Capone qui demanderait à ses amis gangsters de moraliser le crime organisé, de modérer leurs prétentions en matière de racket, de commencer à récompenser plus généreusement les policiers et les syndicats amis, sous peine de perdre la place devant des gangs encore plus durs que les leurs.

    Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com



  • Quel brave homme ce Minc !

    Dans la version Figaro, j’aime particulièrement sa façon de balayer les erreurs d’analyse du petit pôple : « les citoyens ont le sentiment, fût-il erroné, de subir une crise dont nous sommes tous à leurs yeux les fautifs ». Goûtez, chers amis, tout le mépris de cette formule.

    Avec un tel passé (proche) d’« intellectuel fanatique du libéralisme », il faut vraiment être une sous merde pour oser aboyer encore.

    On peut fondre combien de canons dans le bronze de la colonne Vandôme ?

    Merci JBB pour ton détournement (et pour lire le Figaro à notre place).

    • « Avec un tel passé (proche) d’’intellectuel fanatique du libéralisme’, il faut vraiment être une sous merde pour oser aboyer encore »

      Exactement, c’est limite incroyable. D’autant que le bonhomme affirmait encore en octobre dernier que la crise n’était que « grotesquement psychologique ». Il a depuis abandonné le « psychologique », mais creuse avec vaillance la piste du grotesque.

      (Tout le plaisir était pour moi, cher ami.)



  • Je ne te remercie pas de m’avoir obligé à lire le Figaro. Il fallait bien que je vois ce qu’ils avaient modifié dans le texte d’Alain Minc que tu as su restituer. Conclusion : je préfère lire Article 11.

    Voir en ligne : http://escalbibli.blogspot.com

    • Rhhhôôôô… comment peux-tu ainsi manquer de respect pour Le Figaro ?

      C’est très gentil, mais je ne peux accepter un compliment si immérité. Rien que la lecture des éditos de Mougeotte, les apparitions fugaces de papa Dassault et les sondages réguliers d’Opinion Way justifient à mon sens l’achat quotidien du Figaro ! :-)

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