ARTICLE11
 
 

vendredi 20 septembre 2013

Le Charançon Libéré

posté à 13h04, par JBB
1 commentaire

À ce train-là...

C’était il y a deux mois, en plein été. Suite au déraillement d’un train circulant entre Paris et Limoges, la France découvrait avec horreur que des détrousseurs de cadavres sévissaient aux portes de sa capitale. L’événement fut disséqué, commenté à toutes les sauces, discuté jusqu’à plus soif. Avant de se dégonfler comme une baudruche. Trop tard : le mal était fait.

Cette chronique a été publiée dans le numéro 13 de la version papier d’Article11, imprimé fin juillet 2013.

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Il y a des faits divers qui ne le sont plus. Qui accèdent à une autre dimension. Fantasmés, idéologisés, manipulés, ils deviennent révélateurs de l’esprit du temps. La réalité des faits perd alors toute importance : pendant un temps, une forme de folie collective, à la fois médiatique et politique, anéantit toute prudence ou barrière morale. La peur et la haine se donnent à voir sans faux-semblants, ressorts mis à nu.

Peu importe qu’un brin de raison l’emporte finalement. Les images et discours énoncés à cette occasion ont été mâchés et digérés par la fantasmagorie collective. Le mal est fait.

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Le récent emballement médiatique autour de l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge en vaut illustration parfaite. Faut-il rappeler de quoi il s’agit ? Le déraillement du Paris-Limoges, le 12 juillet. Six morts, onze blessés graves, émotion générale. Mais plutôt que de se pencher sur les causes de l’accident1, question d’autant plus légitime que n’y sont sans doute pas étrangers les coups de butoir portés ces dernières années à l’idée de service public, le débat collectif s’est focalisé sur le plus détestable des paravents. Un « groupe de jeunes » aurait profité du drame « pour dépouiller les victimes et notamment les premiers cadavres  », assène quelques heures après le déraillement une responsable d’Alliance, syndicat à la fois policier et très marqué à droite (c’est dire s’il faut lui faire confiance...). Publiée sur le site d’Europe1, l’affirmation est reprise partout. S’ensuivent frissons d’horreur, protestations indignées et délires racistes. La mise en avant du prétendu « pillage » occulte totalement la catastrophe ferroviaire.

Savoir si deux téléphones ont, ou non, été volés dans la cohue, fût-ce à des cadavres, n’a aucun intérêt. Tenons-nous en à ce qu’écrit Le Canard Enchaîné2 : « En fait, il s’est agi d’incidents mineurs, une embrouille entre des jeunes et des secouristes, et un vol de portable sur un médecin du SAMU. » Voilà pour le « pillage »... Par contre, comprendre comment une information, dont tout indique dès le départ qu’elle relève du mensonge le plus flagrant, peut déclencher un tel délire collectif se révèle largement plus intéressant.

À la manœuvre, pas de surprise : on retrouve les boutefeux de la droite et de l’extrême-droite. Dans les médias comme sur le net, ils se jettent littéralement sur le témoignage de la responsable d’Alliance. Ils le poussent, le font leur : pour eux, qui ne cessent de se radicaliser depuis l’élection du pourtant falot Hollande, c’est comme un cadeau du ciel. Sus aux « jeunes de banlieue », à « l’immigration », à « l’ensauvagement de la France »3. Le discours n’a rien de neuf : c’est celui que l’extrême-droite martèle depuis trente ans. Sauf qu’ici, c’est tout un spectre politique qui le reprend (grosso-modo, ceux qui se situent à la droite du PS).

Les mots prononcés dans les heures et jours suivants s’appuient sur un triple implicite. D’abord : il y aurait vraiment eu des « jeunes de banlieue » pour « détrousser des cadavres », quand bien même autorités, témoins et services de secours affirment le contraire. Ceux qui auraient volé les morts sont alors ravalés au rang d’animaux ou de « barbares  » : il s’agit de leur dénier toute humanité. Kosciusko-Morizet parle de « vautours », un député socialiste de « sombres crétins inhumains », le délégué général de l’UMP, Ciotti, de « nouveaux barbares », l’éditorialiste du Figaro, Rioufol, de « barbares » tout court et un chroniqueur d’Atlantico d’«  hyènes et de chacals ». Cette déshumanisation permet de passer à l’étape suivante : il y a « eux » et « nous », « eux » contre « nous  ». En somme, une guerre de civilisation. Sur le site du Point, un chroniqueur affirme ainsi que «  les barbares sont non pas à nos portes, mais dans la cité (si j’ose dire) depuis une trentaine d’années. […] Si rien n’est fait, […] nous aurons la guerre civile, ce qui est déjà un peu le cas ». De même pour le blogueur Autheuil, très lu à droite et jusqu’alors tenant d’un (relatif) humanisme. En un billet titré « Les barbares sont à nos portes », il écrit : «  Ils sont présents sur notre territoire, à moins de 30 minutes de RER du centre de Paris, et nombreux. Potentiellement, ils représentent un danger s’ils se décident à descendre en nombre sur le centre-ville, de manière un peu organisée. S’ils le font, ce ne sera certainement pas pour aider les vieilles dames à traverser... »

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De la guerre à l’écroulement final, il n’y a qu’un pas. Autant que la haine de l’autre, c’est la peur de la chute que hurlent tous ces gens. Dans un pays qui perd ses apparats de puissance économique et politique, ils se rassurent de la plus basique des manières : s’en prendre aux faibles et dominés. S’y mêle un dernier élément, de l’ordre de l’ultime tabou autant que du fantasme collectif – l’atteinte au cadavre4. C’est le ressort final qui emporte toutes les barrières, donne un tour presque biblique à un simple récit crapuleux. C’est lui, surtout, qui assure une telle publicité à l’information mensongère. Le racisme et la bêtise s’appuient sur une réaction viscérale, emportant toute raison. Danger : ce Limoges-Paris va vraiment à un train d’enfer.



1 On ne manquera pas de faire le parallèle avec l’affaire dite de Tarnac. Ce que la justice présentait alors comme une volonté de « bloquer les flux » (un simple crochet posé sur un caténaire, qui a ralenti le passage des trains pendant une heure) avait donné lieu à un incroyable remue-ménage médiatique, politique et (surtout) policier. Quand les flux sont réellement bloqués, par contre, et que six personnes perdent la vie, ces mêmes médias, politiciens et policiers semblent avoir pour seul souci de savoir si des vols ont été commis après l’accident.

2 Édition du 17 juillet.

3 Il faut noter la récente multiplication des occurrences de ce terme à l’extrême-droite. D’abord lancé par Laurent Obertone, auteur de La France Orange mécanique, ouvrage qui lie immigration et délinquance, il a été repris voilà quelques mois par Marine Le Pen, qui l’utilise depuis à toutes les sauces.

4 Il y a un évident parallèle à dresser avec « l’affaire papy Voise », manipulation médiatique et politique qui s’est produite deux jours avant le scrutin présidentiel du 21 avril 2002. Sur tous les écrans, le visage tuméfié d’un vieil homme, dont on nous disait qu’il avait été agressé par deux individus masqués l’ayant roué de coups avant de mettre le feu à sa maison (l’histoire n’a finalement jamais été tirée au clair). Là aussi, le fait divers renvoyait à un tabou ancestral : l’atteinte à la vieillesse et à l’absolue vulnérabilité.


COMMENTAIRES

 


  • dimanche 13 octobre 2013 à 19h31, par krop

    j’apprend a Ecrire. pour lire
    j’ai de la peine pour les gents de se train.
    ait a leur famille qui attendent. la peur...
    y a t’il faute ?.
    de qui ?.
    Monsieur dame, le train vas rentrée en gare, veuillez
    déposer votre âme a l’entrée, nous sommes surchargés.
    accepter nos compliments...
    l’argent et un monde de solitude, 2 foie.
    quant il n’y en a plus alors... nous mangerons nos morts ?.
    sa devient cela...
    n’ai pas peur , sans crainte point de vie....
    sans cela , nous ne sommes pas inquiet.

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